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Les fondements symboliques de la franc-maçonnerie

 

Les fondements symboliques de la franc-maçonnerie tirent leur origine de trois sources essentielles. La première de ces sources est « opérative » : elle appartient à la franc-maçonnerie du « Métier » qui existait déjà dans le monde antique mais qui s’est épanouie tout particulièrement durant le Moyen Age dans l’art roman puis dans l’art gothique. Cette maçonnerie opérative dont les loges se sont peu à peu transformées, à partir du XVIè siècle, sous de multiples influences extérieures – dont  l’hermétisme chrétien et l’alchimie – et par l’acceptation de plus en plus fréquente de gens étrangers au Métier, a donné à la Maçonnerie dite « spéculative » (1), née officiellement en 1717 à Londres, les outils symboliques et les symboles de la géométrie sacrée qui constituaient le vieux fonds rituélique des bâtisseurs.

Elle lui a légué également – ce qui n’est point négligeable – le caractère « fermé » de la Fraternité et ses secrets inaccessibles aux profanes… ces secrets fussent-ils devenus aujourd’hui, où tout est écrit, transcrit, figuré, buriné, des « secrets de Polichinelle » !

La deuxième source qui a inspiré l’Ordre, ses rites, ses mythes, sa « liturgie » pour reprendre un mot de Ragon - même s’il nous paraît dangereux de l’utiliser par la confusion avec les religions qu’il peut engendrer - est la source religieuse et initiatique, directement venue du judéo-christianisme et donc de la Bible. Mais en vérité cette source ne s’arrête point, de même qu’elle ne commence pas, aux Ecrits sacrés. Elle s’abreuve aussi aux mystères antiques, tels ceux d’Eleusis et de Mithra et, bien avant encore, aux mystères qui se déroulaient dans les temples de l’Egypte antique.

Elle a fourni à tous les Rites, quel que soit le nom que l’on ait donné à ceux-ci – Rite émulation, Rite Ecossais ancien et accepté, Rite Ecossais rectifié, Rite d’York, Rite de Memphis-Misraïm etc. – une série de symboles importants traduits essentiellement par des signes, des mots, des couleurs, des nombres, mais aussi parfois une symbolique de la faune et de la flore sacrées ou encore ces symboles, plus ou moins hérités de l’alchimie, permettant à l’initié d’accéder à la fois à la Connaissance et à une ascèse spirituelle, à une véritable transmutation de son être intérieur. Tous demeurent à ce titre au cœur de la franc-maçonnerie initiatique.

Enfin, une troisième source, qui fut trop longtemps négligée et que j’ai tenté de remettre en valeur (2), est la source chevaleresque qui inspire à tous les grades – même si ses effets sont plus particulièrement perceptibles dans les hauts grades des différents rites – l’évolution de l’initié. Celui-ci accède, par là même, à une ascèse morale qui le conduit de la connaissance à l’action.

Trois étapes marquent ainsi la vie intérieure du franc-maçon. Tout d’abord la perception d’un « symbolisme existentiel » qui s’exprime à la fois dans les symboles fondamentaux universels et les outils du Métier. Puis l’accès au symbolisme « essentiel » que constituent les signes, les mots, les couleurs et les nombres. Et enfin le retour à un nouveau symbolisme existentiel qui s’impose aux Frères dans l’application de leurs connaissances dans le monde où nous vivons, dans la mise en pratique de l’idéal maçonnique dans notre vie quotidienne, afin, proclament les Constitutions des différentes Grandes Loges ou Grands Orients, de travailler au perfectionnement de soi comme à l’amélioration de la condition humaine.

L’objet de la pensée symbolique

La pensée symbolique a pour objet fondamental de rendre visible l’invisible. Elle se situe, comme le disait René Alleau, « à mi-chemin entre le jour et la nuit », elle tente de rendre concevable la partie inconcevable du symbole, de tirer un « signifié » du « signifiant » qui de prime abord nous échappe, en sachant que ce signifié est toujours susceptible d’être révisé, agrandi et amélioré dans une meilleure appréhension de ce symbole

Il convient de rappeler aussi ici que le symbole doit être parfaitement distingué de l’emblème, figure concrète d’un concept abstrait, ou de l’allégorie, simple image d’une idée et surtout du synthème qui, selon la définition de René Alleau, désigne tout signe « arbitraire et conventionnel » dont le sens reste « univoque et constant ».

Le synthème met les hommes en relation par communication, le symbole par communion, car il se réfère à la connaissance véritable, celle de l’intérieur. Les rites ainsi sont vraiment symboliques car ils ne se réduisent pas à des signes convenus, ils agissent réellement, « opérativement »…

Survivance d’une science sacrée immémoriale, le symbole échappe à toute explication cartésienne. Il se réfère à l’essence des choses, il éveille des idées, il est, pour reprendre la belle expression de Jean-Pierre Bayard, « un lien entre l’humain et le divin », une « clef de l’âme humaine » qui traduit la profonde et éternelle aspiration de cette âme vers l’inconnu, l’invisible, la transcendance. Déjà l’Abbé Auber, l’un des meilleurs spécialistes du symbolisme religieux, avait bien montré que toutes les définitions du symbolisme ne pouvaient « se restreindre à une forme précise et absolue ».

Mais surtout, par-dessus tout, le symbole est l’expression d’un langage universel qui transcende les langues, les mœurs, les coutumes, les peuples les civilisations. C’est le véhicule privilégié de ce langage universel exprimant une idée-force, un « archétype » pour reprendre le terme de Jung (qui consacra sa vie à l’étude des symboles), il suggère, il éveille.

Il est régi par les lois de l’analogie – et,  en ce sens, il se rapproche de la vieille magie traditionnelle – et de l’intuition. C’est un peu la science du cœur, comme on l’a décrit parfois, en même temps que la voie par excellence vers la Connaissance. Ce qui explique d’ailleurs sa « plurivocité », ses multiples sens qui se déroulent sur une vision en spirale, jusqu’à l’infini… Il nous est donné ainsi la première lettre et il nous appartient de trouver les suivantes…

Un simple exemple pour illustrer notre propos : celui de la Lumière, capitale dans l’initiation. Nous n’en avons qu’une vision imparfaite au départ, quelques rayons au contour fragile… Elle reste et restera longtemps encore voilée à nos yeux et ne nous apparaîtra que fort progressivement.

Le plus grand mystère du langage symbolique dont la franc-maçonnerie a fait, plus que toute autre discipline ou tradition initiatique, plus même que toute religion, plus encore peut-être que l’hermétisme et l’alchimie, son langage propre, est la source unique, le principe originel d’où elle a tiré ses symboles universels.

Existerait-il un « centre primordial », pour reprendre une idée chère à René Guénon, où serait né ce symbolisme universel ? … En tout cas, il est certain que le choix des symboles de construction des maçons s’explique par la volonté des pères fondateurs de la maçonnerie moderne de découvrir les lois qui régissent le monde selon l’Harmonie universelle, à l’image du temple édifié, ici et maintenant, par les bâtisseurs. L’éternelle correspondance du microcosme et du macrocosme ! En sachant que ce temple est régi par la Force (la durée), la Sagesse (la mesure) et la Beauté (l’harmonie) et qu’il est construit selon la Règle de l’Art royal.

L’art de la géométrie et les outils des « opératifs »

Ce sont donc les outils des anciens maçons opératifs qui constituent les premiers fondements symboliques de l’Ordre maçonnique, quelles que soient les obédiences. Il arrive parfois qu’ils se confondent avec des symboles plus universels ou qu’ils aient une origine proprement biblique, voire philosophique ou pythagoricienne. Toute classification demeure ainsi quelque peu arbitraire et nous ne manquerons pas de le signaler au fur et à mesure de notre inventaire.

Il faut préciser également que les outils d’origine opérative ne sont pas que de simples outils permettant la construction d’édifices terrestres. Ce sont aussi les figures de la construction spirituelle ou céleste, comme l’indiquent toutes les grandes traditions, du bouddhisme au christianisme, où le compas et l’équerre, par exemple, dictent la conduite de l’âme tout autant qu’ils prennent la mesure du matériau.

Les figures fondamentales de la géométrie indiquent ainsi à l’initié que toute construction est fondée sur les lois de l’équilibre, du rythme et du rapport des Nombres – rappelons ici l’importance à cet égard du Nombre d’Or – permettant ainsi de réaliser l’Harmonie et la Beauté. Il s’agit d’un « tout organiquement composé qui s’explique à partir d’une dynamique interne », comme le souligne à juste titre « L’Encyclopédie des symboles ».

La géométrie reste « la servante du symbolisme », disait ainsi le grand maçonnologue américain Albert Pike, tandis que G.F. Creuzer dans « Symboles et mythologie des peuples anciens » paru en 1810, insistait encore davantage sur la « transfiguration de l’image terrestre » que ce rôle de « servante » implique.

Les grands symboles opératifs conservés par la franc-maçonnerie moderne sont l’équerre et le compas, le fil à plomb et le niveau, le maillet et le ciseau, la règle, le levier, la truelle et la planche à tracer des maîtres. On peut y ajouter la pierre brute et la pierre cubique, les trois piliers, la houppe dentelée, les trois ordres d’architecture et la canne du maître des cérémonies, hérités eux aussi de la Maçonnerie du métier avec les cinq points parfaits de la maîtrise, attribués jadis au degré du compagnon fini.

Sous le signe de l’équerre et du compas

L’équerre et le compas sont les symboles par excellence de la franc-maçonnerie à tel point, qu’à eux deux réunis, ils en donnent une image convenue, traditionnelle. Mais ces outils du Métier viennent de très loin dans le temps. En Egypte, Maât, la déesse de l’initiation porte l’équerre tandis qu’une vieille inscription iranienne de vingt-cinq siècles, rapportée par Robert Ambelain affirme : « Soumets-toi à l’équerre afin de servir ». Dans la Chine antique l’équerre était l’emblème de l’empereur maître de la terre et à ce titre son ordonnateur. Ainsi Fou-Hi et la reine Niou-Koua fondent la cité de la Lumière par le compas et l’équerre. Et Confucius se réfère expressément lui aussi à l’équerre et au compas pour jeter les bases de sa société ordonnée.

De même, compas et équerre figurent dans l’iconographie et la sculpture chrétiennes. On connaît par exemple la belle image de la Création de l’Univers par le Grand Architecte muni de son compas dans une Bible du XIIIè siècle ou la gravure de Lucas de Leyde représentant saint Thomas porteur de l’équerre. Platon exaltait lui aussi dans le « Philèbe » « le sage et judicieux emploi du compas, du cordeau et de l’équerre ».

L’équerre, emblème de la rectitude, de la droiture en pensée et en action, est le symbole de la Loi morale et de l’équité. Par ses deux branches elle signifie aussi l’union des contraires. Quatre équerres constituent la croix. C’est l’outil de la matière ordonnée, de la norme (« norma »). Le compas est l’instrument de la mesure, de la comparaison, c’est aussi l’outil du Grand Architecte de l’Univers , outil par lequel ce dernier crée le monde en esprit.

Le franc-maçon se situe au centre de l’équerre et du compas, entre la terre et le ciel. Dans la tradition hermétique le Rebis tient de même en sa dextre le compas et en main gauche l’équerre. Et l’équerre et le compas, associés au Volume de la Loi sacrée (ou de la sainte Loi), constituent enfin les trois grandes Lumières qui éclairent le franc-maçon. Placées sur l’autel des serments les trois grandes Lumières sont en vérité le reflet de la Lumière cosmique, qui « en venant dans le monde, comme nous le rappelle dans son prologue l’Evangile de Jean ouvert au commencement des travaux, éclaire tout homme »…

Il convient encore de préciser que l’équerre est le bijou du Vénérable Maître, ce qui est tout à fait logique puisque c’est lui qui a la charge d’ordonner la loge et que l’équerre réunit géométriquement à la fois les fonctions de la règle ainsi que du niveau (emblème du 1er Surveillant) et de la perpendiculaire (emblème du 2è Surveillant). Les deux Surveillants, qui ont respectivement la charge des compagnons et des apprentis, sont ainsi tout naturellement désignés, par les symboles qui leur sont affectés, comme les assistants du Vénérable qui préside aux travaux de la loge.

Du maillet à la truelle : l’édification de l’œuvre

Le niveau et la perpendiculaire (ou fil à plomb), images de l’horizontal et du vertical, constituent un second couple d’outils complémentaires dont la signification première est, d’une part la quête de l’équilibre selon les lois d’une égalité originelle, « sans nivellement des valeurs » comme le soulignait Plantagenet, et, d’autre part, de la recherche de « la vérité dans les profondeurs où elle se cache ainsi que de l’élévation des sentiments vers les hauteurs » comme le dit le rituel écossais. Niveau et perpendiculaire montrent ainsi le double chemin que l’initié est invité à suivre sur les deux branches de la croix.

C’est donc encore un symbolisme cosmique, en même temps qu’une injonction morale que ces deux outils nous suggèrent car, par leur réunion, ils sont la figuration de l’équilibre cosmique des solstices et équinoxes s’incarnant dans les quatre points cardinaux.

Le maillet et le ciseau sont, eux, le rappel très éloquent du travail auquel l’apprenti est appelé par son initiation : dégrossir la pierre brute. Eux aussi indissociables, eux aussi correspondant au symbolisme actif et passif de la construction, unissent la force et la volonté pour tailler la pierre et faire pénétrer en elle l’esprit.

Car le maillet, porté en loge par le Vénérable Maître et les deux Surveillants a encore d’autres fonctions. Celle de l’influence spirituelle que le Vénérable transmet au néophyte lorsqu’il le consacre par l’union du maillet et de l’épée flamboyante. Celle de l’ordonnancement sacré auquel le Vénérable et les Surveillants procèdent en rythmant les travaux en loge par leurs coups de maillet.

Les maçonnologues anciens n’ont pas manqué de rappeler encore l’importance de ce maillet symbole de commandement en rappelant qu’il était l’attribut du dieu scandinave Thor (traduit en Donar dans la tradition germanique) et de l’ancienne divinité celtique Sucellos dont le nom même signifie « qui a un bon marteau ».

La règle et le levier constituent un autre couple se rapportant directement à la Connaissance. La première représente l’esprit, le second la matière devenue féconde et dominée par l’esprit. Instrument de médiation, le levier ne peut rien s’il n’est en effet mis en œuvre par la règle. La règle, dont les 24 divisions signifient bien plus que les 24 heures d’une journée utilement remplie, est en vérité « le symbole gradué de la Connaissance » en même temps que « la Loi dans sa représentation la plus dépouillée, la plus nue, ainsi que je l’explique dans mon livre sur « Les symboles maçonniques ». A ce titre, elle remplaça naguère dans les loges opératives le Volume de la Loi sacrée sur l’autel des serments. C’est, par son vocable même (latin : regulus = petit roi) le symbole parfait de ce que représente « l’art royal » de la franc-maçonnerie. Un rapprochement utile enfin pourrait être fait entre ses 24 graduations et les 24 vieillards de l’Apocalypse, incarnations de la justice et de l’équité (3)

La truelle est l’outil unificateur, l’outil d’aplanissement de par son usage même et elle est à ce titre l’un des plus beaux témoignages de la vocation à laquelle se consacre l’initié franc-maçon dans sa conduite, non seulement envers ses Frères mais envers tous les hommes. Car la truelle lui montre la voie non de l’unité – impossible à réaliser et non souhaitable d’ailleurs – mais de l’union, de l’identité et de l’égalité naturelle. N’oublions pas qu’au Moyen Age on représentait parfois le Créateur une truelle à la main.

Quant à la planche à tracer, où le maître apprend à dessiner le cercle et son point central, ce point auquel, une fois parvenu, il ne saura plus s’égarer, elle est, au 3è degré, l’invitation adressée au maître de bien concevoir l’œuvre…

La pierre, symbole de la terre et image du divin

Il est encore d’autres symboles qui ne se rattachent pas à la seule source opérative mais qui n’en sont pas moins issus de celle-ci. Ce sont notamment, à certains rites dont le Rite Ecossais ancien et accepté, les trois piliers, les trois colonnettes sur lesquelles, à l’ouverture des travaux, sont allumés les flambeaux et qui représentent par leur conception les trois grands ordres d’architecture : le ionique, le dorique et le corinthien auxquels correspondent respectivement la Sagesse, la Force et la Beauté, vertus qui concourent toutes trois à l’édification de l’œuvre.

Délimitant le pavé mosaïque, le lieu le plus sacré du Temple, le Saint des Saints, ces piliers ont, bien sûr, été associés par différents rituels à la Trinité chrétienne, à la trinité osirienne : Isis, Osiris, Horus, à la triade Salomon-Hiram de Tyr-Hiram Abif, (4) aux trois principes de la science hermétique : le soufre, le sel et le mercure, aux trois vertus théologales : foi, espérance et charité ou encore aux trois séphiroth de la Kabbale : Hochmah (Sagesse), Netzah (Force) et Tiphereth (Beauté) (5).

On peut trouver, certes, une origine biblique, comme le pense Patrick Négrier, à ces colonnettes mais cela ne change rien au symbolisme fondamental de la triade Sagesse-Force-Beauté.

On trouve de même la « pierre brute » souvent citée dans la Bible où elle est notamment liée au symbolisme de l’autel des holocaustes constitué de pierres brutes. Elle n’en reste pas moins fondamentalement un symbole compagnonnique, de même que le pierre cubique à laquelle elle est indissolublement liée. La pierre brute est de caractère « informe et vide », à l’image de l’apprenti lui-même, et celui-ci va devoir peu à peu la tailler et la polir, à l’exemple du tailleur de pierre du Métier pour en faire un cube parfait auquel il imprimera d’ailleurs sa marque, sa personnalité en apportant à cette pierre cubique une pointe monolithe, sorte de clef de voûte qui fera de l’ensemble une image de la quintessence…

La pierre, symbole de la terre, devient ainsi une image du divin que nous retrouvons aussi bien dans l’Ancien Testament où le songe de Jacob nous apprend qu’elle est la maison de Dieu et où Moïse fait dresser les douze pierres au pied du Sinaï, que dans l’Evangile où Jésus se compare à la pierre angulaire du Temple.

L’alchimie, reprenant la leçon du Christ, en fera la pierre philosophale du Grand Œuvre.

Il n’est pas d’ailleurs que dans la tradition chrétienne que la pierre revêt une importance capitale. L’islam a la pierre noire de la Kaabah à La Mecque, Cybèle était aussi figurée par une pierre noire, Mithra est né d’un rocher, l’Apollon delphien est adoré sous la forme d’une stèle conique. Au Japon, Akasu a une demeure constituée de trois pierres. Sans parler, bien sûr, des cromlechs, dolmens et autres menhirs de la civilisation celtique, ou des pierres génitrices de l’ancien Mexique ou encore des pierres sacrées des antiques initiations chamaniques. De tout temps la pierre, qu’elle soit brute ou taillée, a revêtu une importance symbolique exceptionnelle dans les rapports de l’homme avec le divin.

La géométrie, cet « art de mesurer la terre », comme le veut son étymologie et qui est à la base de l’œuvre des maçons opératifs, s’exprime encore à travers divers autres symboles. Tel le cordeau que l’on retrouve sous la forme de la houppe dentelée avec ses lacs d’amour et qui servit à Ezéchiel (Ez. 40,3 et 47,3) pour mesurer non seulement le Temple mais l’Etre qui représente le Temple, qui vit au cœur du Temple. Tel la carré long qui caractérise justement ce Temple en ses dimensions et édifié selon la divine proportion (1,618 : mesure du Nombre d’Or utilisé par tous les vrais architectes et jusqu’à Le Corbusier de nos jours !) et qui fait de la loge un lieu sacré, image de l’univers, comme le rappelle la voûte étoilée en son centre.

Telle encore la mystérieuse lettre « G » - qui  signifie aussi bien Dieu (God, Gott) ou Grand Architecte, que géométrie, génération, gravitation, génie et gnose – et que l’initié découvre au centre du cercle et qui lui apprend, entre multiples choses, l’identité du Temple et de l’homme selon le mot de Vitruve, l’architecte romain : « Jamais un bâtiment ne pourra être bien ordonné si toutes les parties ne sont, les unes par rapport aux autres, comme le sont celles du corps d’un Homme bien formé » (in « Traité d’architecture »)

Un symbolisme universel d’origine cosmique

La deuxième grande série de symboles auxquels a recours le langage maçonnique est constituée par un symbolisme universel, d’origine cosmique, que la franc-maçonnerie partage souvent avec des traditions initiatiques plus anciennes ou avec les grandes religions. Nous verrons plus loin que tout un ensemble de symboles d’origine biblique se rattachent à ce corpus, attestant par là les attaches étroites que la franc-maçonnerie a entretenues, dès ses origines opératives, avec l’Ancien comme avec le Nouveau Testaments.

Parmi les symboles cosmiques d’origine universelle, on retrouve bien sûr au premier chef le couple Soleil-Lune, également capital dans l’autre « art royal » qu’est l’alchimie. Le soleil a été la première manifestation de la divinité pour d’innombrables peuples et tribus. Symbole de la résurrection et de l’immortalité souvent inhérentes à son culte, il est aussi centre du ciel et à ce titre se rapporte à l’Arbre de vie, à « l’axis mundi ». Il fut associé à de multiples dieux : El ou Baal le dieu phénicien, Belen ou Lug, les dieux celtes, Atoum-Râ ou Horus en Egypte, Apollon chez les Grecs, ou encore Mithra le « Sol invictus ». On en fit aussi l’emblème du Christ dit « Sol justiciae ». Vishnou l’incarne, Bouddha l’extériorise en sa roue solaire et, au Japon, pays du Soleil Levant, Amaterasu en a revêtu la lignée impériale…

Comme le Soleil représente le côté masculin, l’intellect, l’avenir, la Lune incarne le côté féminin, la mémoire, le passé. Mère universelle, matrice du monde, elle était l’emblème d’Ishtar, de Séléné ou Artémis, la Diane latine, de l’Hathor égyptienne, de l’Anâhitâ perse, bref de toutes les déesses-mères jusqu’à la Vierge Marie elle-même.

Le couple Soleil-Lune en franc-maçonnerie préside aux travaux de la loge où il encadre le Delta flamboyant, représentation de la divinité. Comme le Christ entre les deux luminaires, le Vénérable Maître, toutes proportions gardées, siège entre le soleil et la lune, unissant ainsi le soufre et le mercure de l’alchimie, les pôles actif et passif, le jour et la nuit, le feu et l’eau et aussi le sacerdoce et l’empire… Il renvoie même, si l’on se réfère à d’anciens textes chinois, tel le Huainan Zi, aux dix directions de l’espace-temps et donc au symbolisme des dix directions du cosmos, selon Patrick Négrier (op. cit.) (6)

Sous la voûte étoilée…

La voûte étoilée que l’on illumine au centre du temple, juste au-dessus du pavé mosaïque est un autre symbole cosmique. Elle figurait déjà souvent dans les temples antiques – et Dendérah, en Egypte, en est un magnifique exemple – ainsi que dans les églises, comme en témoignent encore nombre d’entre elles avec, au premier chef, la Sainte Chapelle de Paris dont la magnifique voûte d’azur est semée d’étoiles… Une inscription du temple de Ramsès II, conservée au musée du Caire, précise d’ailleurs : « Ce temple est comme le ciel en toutes ses parties ».

La voûte étoilée est le « symbole de la transcendance » ( Jules Boucher). Elle correspond ainsi avec la houppe dentelée qui, bien plus que le simple cordeau des opératifs que nous avons déjà évoqué, symbolise par ses noeuds en forme de douze lacs d’amour, les douze signes du zodiaque (7). Dans cette corde qui exprime la trame du monde, qui résume l’unité dans la multiplicité, Jean-Pierre Bayard voit aussi la spirale de l’évolution cosmique.

Un autre symbole de l’évolution cosmique pourrait s’inscrire dans les épreuves que le futur initié subit lors de ses voyages dans la cérémonie d’initiation. Ces voyages sont en effet en rapport étroit avec les quatre éléments que les adeptes rencontraient déjà dans les antiques initiations, que ce soit dans les temples égyptiens, à Delphes et Eleusis, dans les mystères dionysiaques comme dans les mystères de Mithra…

La purification par les éléments, rapportés aux quatre animaux des Evangélistes (taureau = terre, aigle = air, homme = eau, lion = feu) est le nécessaire passage pour l’évolution de l’initié vers la Lumière, vers la transcendance. La terre (du cabinet de réflexion) enfante, donne la vie. L’eau apporte le souffle vital (Ruah) grâce auquel l’âme universelle, l’âme du monde a été créée et avec lequel l’initié est pour la première fois mis en contact. L’eau, c’est l’eau du baptême, purificateur et régénérateur, c’est l’eau vive qui traduit, comme l’a dit René Guénon, « la possibilité universelle elle-même » car, ajoute-t-il, « celui qui naît de l’eau devient fils de la Vierge, donc frère adoptif et co-héritier du royaume de Dieu » (in « L’homme et son devenir »).

A Delphes on se baignait dans la fontaine Castalie. Le brahmane s’immerge trois fois par jour et l’on se purifie rituellement en Inde dans les eaux sacrées du Gange. Quant au chevalier, rappelons-le, il prenait un bain la veille de son adoubement.

Enfin la purification par le feu achève le pouvoir de régénération de l’esprit et l’évolution vers la transcendance. Le signe du feu n’est-il pas d’ailleurs un triangle ascendant ? … Un triangle lumineux, bien sûr, un triangle de Lumière…

Les voyages de l’initiation du nouveau franc-maçon sont en vérité en rapport étroit avec l’astrologie des Anciens. Ils signent le parcours de la sphère céleste que jadis les pythagoriciens étaient censés accomplir lors de leur propre initiation.

Un dernier symbole d’origine cosmique figure au degré de compagnon : il s’agit de la sphère céleste précisément, qui met le nouveau compagnon en rapport direct avec l’astrologie - astronomie, selon « l’ordre du monde » évoqué par Pythagore qui fut lui-même, ne l’oublions pas, l’inventeur du mot « cosmos ».

Le Delta et l’étoile flamboyantes 

Les autres symboles d’origine universelle sont le triangle ou delta lumineux ou encore delta flamboyant, l’étoile à cinq branches, les grenades, le serment sur la coupe des libations et – plus accessoirement – le sablier, la faux, le crâne et les ossements que découvre le futur apprenti dans le cabinet de réflexion.

Le triangle qui, à l’image de l’équerre et du compas, désigne souvent à lui seul l’Ordre maçonnique, est pourtant un des symboles les plus anciens qui soit au monde. Partout on le retrouve. On en a exhumé sous toutes les formes dans toutes les civilisations : en Inde où Durga en fait la source de vie comme en pays Maya où il est le glyphe du rayon solaire, en Egypte comme en Grèce ou à Rome. Pour le judaïsme, le triangle équilatéral symbolisait déjà Dieu – « Les deux yeux de Dieu et son front forment un triangle dans le ciel » dit le Zohar – et la franc-maçonnerie a repris à son compte cette signification à travers le christianisme où les trois côtés sont censés figurer la Sainte Trinité. Le triangle fut, bien entendu, également un symbole fondamental de la géométrie sacrée pythagoricienne où il figurait aussi la naissance cosmique et la Maçonnerie opérative en fit une représentation du juste équilibre entre les forces opposées : Sagesse, Force et Beauté.

L’œil divin ou le tétragramme (IHVH) figurant en son centre achèvent de lui donner son caractère sacré. Le Delta lumineux qui figure ainsi à l’Orient dans tous les temples de la franc-maçonnerie traditionnelle est ainsi à la fois symbole du Soleil, de la Lumière, du Verbe ou du Logos et du Principe Créateur. Il fait de l’homme le fils du ciel et son rapport est fondé une fois de plus sur le Nombre d’Or.

L’étoile à cinq branches fut de même un des symboles essentiels des pythagoriciens pour qui ce pentagramme désignait en fait la divine Tetraktys fondée sur la somme des quatre premiers nombres dont le total est le nombre 10 et dont la figuration en pyramide traduit l’harmonie de l’accord parfait et l’ensemble des connaissances à travers les quatre éléments et les quatre stades de l’homme - esprit.

L’étoile à cinq branches est le symbole de l’homme régénéré, comme le montre bien le dessin de Léonard de Vinci, repris quelques décennies plus tard par Cornélius Agrippa von Nettesheim. Elle aussi rayonne la lumière, elle illumine les êtres par le flamboiement de ses cinq branches et de la lettre « G » inscrite en son centre. Elle est, comme l’a dit Jean-Pierre Bayard, l’expression même du « Nombre Idée ».

 
 Le serment et le « sacré »

Les grenades sont le fruit de l’arbre des Phéniciens. Elles étaient dans l’Antiquité consacrées à Déméter, la grande déesse-mère qui présidait aux mystères d’Eleusis. Symboles de fécondité pour maints peuples d’autrefois, elles étaient ainsi un des attributs de Junon qui présidait à Rome aux mariages. Pour les Pères de l’Eglise, leurs graines représentaient tous les fidèles de la communauté chrétienne qui devait être animée par la charité et leur jus rouge évoquait précisément l’amour et le sang des martyrs ; elles étaient donc l’expression même de l’éternité divine. Et, là encore, la symbolique maçonnique a emprunté au christianisme puisque les grenades qui figurent au sommet des colonnes de l’entrée du temple représentent également la grande famille maçonnique universelle. Toutefois il faudrait distinguer entre la grenade fermée de la colonne Boaz qui représente l’union des Frères répandus à la surface du globe et la grenade ouverte de la colonne Jaqin dont la multiplicité des graines représente chaque maçon promis à l’élévation spirituelle.

Le serment prêté par l’initié à chaque fois qu’il franchit un nouveau degré nous met par son étymologie même (en latin : sacramentum) en relation avec le sacré. A la fois invocation, promesse et imprécation, le serment revêt en effet un caractère sacré. Et cela, depuis les traditions les plus anciennes. Souvent associé au sang dans les rites antiques, il est à la fois engagement solennel et prise à témoin en solidarité avec l’Etre divin ou cosmique. L’importance du serment maçonnique dont la formulation archaïque peut surprendre, voire choquer parfois, ne s’explique que si l’on comprend bien qu’il s’agit d’un engagement qui dépasse largement l’ici et maintenant, le monde où nous évoluons.

Pris sur la coupe des libations, le caractère sacré en est renforcé car la coupe est en quelque sorte le substitut du sang des anciennes initiations : instrument cultuel, elle est en relation étroite avec le symbolisme cosmique. Vase sacré, elle recueille ainsi le « soma » des hindous comme naguère l’ambroisie des dieux de l’Olympe. Elle est assimilable au vase d’Hermès, à celui de l’art des alchimistes, elle est, dans la plus haute sphère, le Graal d’or pur et fin…

Enfin, le sablier, la faux et le crâne humain que l’impétrant découvre lors de l’épreuve de la terre dans le cabinet de réflexion, sont des symboles beaucoup plus parlants pour le profane qu’il est encore. Tout ici lui rappelle la mort initiatique, la mort qu’il doit affronter, regarder en face puisqu’on lui a demandé de rédiger son « testament philosophique ». Ce testament où il va devoir consigner ses dernières impressions de profanes, confronté aux devoirs qu’il a envers lui-même, envers les autres, envers sa patrie, envers l’humanité ou envers Dieu.

Le symbolisme alchimique du cabinet de réflexion

C’est en effet plongé dans le noir du deuil et des ténèbres que l’impétrant commence son voyage initiatique. Le cabinet de réflexion est un peu à l’image de la caverne de Platon, le lieu où il apprend à contempler les dernières images d’une vie quelque peu illusoire avant de naître à la vraie vie de l’initié.

Aux côtés de ces symboles explicites de mort, figurent ainsi d’autres symboles qui, au contraire, vont lui suggérer l’éveil, le « réveil » et le travail qu’il aura demain à accomplir sur lui-même. Symboles alchimiques qui lui annoncent déjà la parenté essentielle des deux démarches maçonnique et alchimique qui se rejoignent sous la même appellation, ô combien signifiante, « d’art royal ».

Le sel et le soufre posés dans des coupelles et le mercure implicitement présent dans le coq sont les trois principes essentiels de la quête hermétique. Le coq, oiseau emblématique du dieu Hermès, figure en effet en dessin sur le mur du cabinet de réflexion aux côtés d’inscriptions diverses, tel le bandeau « Vigilance et persévérance » et le fameux « V.I.T.R.I.O.L. »

Le sel symbolise la connaissance et la Sagesse, le soufre, principe mâle, le feu de l’Esprit et le mercure, principe femelle, représente à la fois la materia prima et l’eau mercurielle qui permettront à l’initié d’accomplir sa transmutation personnelle.

Le symbolisme alchimique du cabinet de réflexion est encore renforcé par la mystérieuse formule de « V.I.T.R.I.O.L. » dont l’apprenti franc-maçon apprendra un peu plus tard la signification : « Visita interiora terrae, rectificando, invenies occultum lapidem », soit : « Visite l’intérieur de la terre et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée ». Cette formule que l’on trouve dans de nombreux traités hermétiques notamment dans « L’Azoth des philosophes » attribué à un moine bénédictin du XVè siècle connu sous le nom de Basile Valentin (et publié seulement en 1624) et dans le « Viridarium chymicum » ou « Verger chimique » de Stolcius ou Stolz von Stolzenberg, un élève de Michel Maier, est à la fois une invitation à l’introspection, à la descente en soi-même et à l’essence cachée de la Nature, dans les fondements de l’Etre.

Le même basculement vers les profondeurs que le nouvel initié va revivre lors de la cérémonie d’initiation avec les planches à boules et à bascule et que lui suggérera encore plus tard le fil à plomb, emblème du 2è Surveillant.

Des signes, des noms, des mots de passe et des mots sacrés

Une troisième grande série de symboles se rattachent essentiellement à la tradition biblique. Il s’agit tout d’abord des signes, des mots ou des noms, des couleurs et des nombres que l’on trouve tout au long des degrés franchis par le franc-maçon, quel que soit son Rite, dans tout son parcours initiatique (8).

La symbolique maçonnique a recours ainsi aux signes parce que les signes signifient, ils sont langage muet, accessible à tous, de portée vraiment universelle.

Elle a recours aux mots et aux noms parce que les mots, les noms expriment et désignent, parce qu’ils sont le lien échangé qui unit les esprits.

Elle a recours aux couleurs parce que les couleurs traduisent les sentiments, les aspirations, les désirs et qu’elles chantent en nous la transfiguration des choses.

Elle a recours enfin aux nombres parce que tout est Nombre, tout est mesuré, pesé, jaugé. Parce que le Nombre est la vie, en son temps, en son lieu, parce que le Nombre est la détermination du sacré.

Il existe dans le langage spécifique de la franc-maçonnerie plusieurs sortes de de signes. La première regroupe ainsi, sous le vocable du signe-geste, les différents signes d’ordre que l’on exécute aux divers degrés des Rites ainsi que les attouchements corrélatifs à ces degrés. La seconde est constituée par les signes-marques qui existaient dans le franc-maçonnerie opérative du Métier et qui ont à peu près disparu dans la franc-maçonnerie dite spéculative mais qui subsistent par exemple dans les « trois points » et quelque part sans doute dans le langage spécifique qu’utilisent encore parfois les maçons entre eux et dont « l’alphabet maçonnique » est un témoin archaïque.

Mais c’est le signe-symbole qui reste le plus important. On le trouve dans les figures géométriques, dans les tableaux tracés aux différents degrés et aussi dans la figuration d’une flore ou d’une faune symboliques que l’on découvre sur la voie du magistère, entre la rose et l’acacia…

Les mots, les noms, les lettres ont également une réelle importance. Tout comme les signes servent à ouvrir des portes secrètes, des voies inconnues dans les canaux de l’ésotérisme vivant, les mots maçonniques sont des mots clefs qui, à leur tour, donnent accès à certains mystères. Le plus grand nombre de ces mots sont d’origine hébraïque et nous viennent de la Bible, à tel point que Michel Saint-Gall a écrit un irremplaçable petit « Dictionnaire des hébraïsmes ». Mots de passe ou mots sacrés, ils ont tous en effet une signification précise qu’il appartient à chacun de découvrir et de comprendre, à différents niveaux…

L’importance du mot ou du nom n’est plus à démontrer. Déjà le nom est un présage, comme l’affirmaient les Latins : « nomen omen »… Posséder le mot ou le nom, c’est posséder la chose, tout ce qu’il renferme, tout ce qu’il représente. Toutes les traditions là-dessus sont d’accord. Pour la Kabbale, les séphiroth sont ainsi les mots révélés d’un langage sacré, le langage « d’en - haut ». Pour l’islam, le mot est l’essence même de la chose ou de l’être nommé et la lettre est le symbole du mystère de cet être, d’où le « dikhr » et l’importance de l’incantation. Dans l’hindouisme, le nom, le mot sacré (« nâma ») n’est pas différent du son (« shabda »). C’est pourquoi la prononciation du mot est effectivement, réellement, créatrice de la chose. Et l’ordre du monde dépend du nom, du mot correct. Nom et forme sont ainsi la substance de la manifestation.

Dans la Bible, il est dit qu’Adam avait reçu de Dieu le pouvoir de nommer toutes les créatures. Dieu les « amena à l’homme pour voir comment il les appellerait : le nom que l’homme donnerait à tout être vivant serait son nom »(Gen. II 19-20).

C’est pourquoi, toujours et partout, la première opération de tout acte « magique » - au sens  originel du terme – est de nommer.

« Au commencement était le Verbe ». Le Verbe est « né de ce qui est sorti de ma bouche » (Livre des Morts égyptien). C’est le Logos de Platon, celui de Saint-Jean. Le Verbe est créateur, le mot est créateur… au degré où il parle. Et les « mots de puissance » du Livre des Morts vont aider l’Egyptien antique à accomplir son voyage post mortem. De la même façon que les mantras du Livre des Morts tibétain vont aider l’initié du bouddhisme pour le même périple dans l’au-delà…

Le mot sacré ou le mot de passe que l’on retrouve ainsi à chaque grade de la franc-maçonnerie n’est pas seulement un signe de reconnaissance, il est aussi destiné à modifier réellement les vibrations de celui qui les prononce, il établit une sorte de « lien vibratoire » entre les Frères. De la même manière, les mots prononcés dans le serment à chaque degré engagent la totalité de l’être et peut-être pas seulement en ce monde des choses temporelles et transitoires…

Des couleurs et des Nombres

Les couleurs ont aussi leur raison d’être dans la symbolique de la franc-maçonnerie, représentant ainsi le divin blason de la Création pour le franc-maçon qui croit au Grand Architecte de l’Univers, reconnaissant en lui le créateur et l’ordonnateur du cosmos. L’apprenti est placé ainsi sous le signe des trois couleurs, blanc, bleu et rouge. Le compagnon s’inscrit sous un dais d’or et d’azur et le maître est « fixé » par le rouge et le noir qui sont aussi, rappelons-le, les couleurs du processus alchimique.

Les couleurs renvoient aux « idées » selon Platon, aux archétypes fondamentaux. Elles expriment l’âme du monde, « l’anima mundi » des anciens sages de la tradition hermétique. « Les couleurs que la terre étale à nos yeux sont des signes manifestes pour ceux qui pensent » dit par ailleurs une sourate du Coran (Chap. XVI). Elles sont les signes d’un langage ésotérique, hermétique même, s’adressant aux initiés et jailli, comme le pensait Frédéric Portal (dans son traité « Des couleurs symboliques ») « des profondeurs de l’esprit humain ». Il y a en effet une signification universelle des couleurs que nous retrouvons, s’appliquant en franc-maçonnerie, dans un authentique arc-en-ciel porteur de sens.

Enfin les nombres occupent une place dans la sémantique symbolique de la franc-maçonnerie tout aussi importante, mutatis mutandis, que dans l’exégèse biblique et la Kabbale elle-même.

Le Nombre sacré, tout comme le Nom sacré est ainsi la racine secrète de l’Etre. Mais plus grande encore que celle du mot ou de la parole est l’efficacité du nombre. Car la parole n’est que la traduction en mots du signe, alors que le nombre est le produit à la fois du son et du signe et qu’il revêt à cet égard une force égale à son mystère, une force qu’on pourrait qualifier d’importance cosmique.

Victor Hugo l’avait bien perçu dans une de ses géniales intuitions qui lui a fait dire dans « La Légende des Siècles » : « L’homme, le chiffre élu, tête auguste du Nombre » (Le Satyre). Tandis que Louis - Claude de Saint-Martin affirmait, lui, dans une formule audacieuse : « Les Nombres sont les enveloppes visibles des êtres ».

Mais déjà Pythagore et, après lui, Platon avaient établi l’immense pouvoir du Nombre : « Tout est arrangé d’après le Nombre » disait ainsi le premier dans son « Hièros Logos » expliquant que le Nombre est l’essence de la forme ou la forme par excellence. Tandis que le second, dans le « Timée », expliquait par lui « l’eurythmie », c’est-à-dire l’harmonie qui préside au rythme de l’Univers. Ce sont les Muses qui nous ont donné ainsi cette Harmonie, affirmait Platon, « comme une alliée de notre âme lorsqu’elle entreprend de ramener à l’ordre et à l’unisson ses pulsations qui se sont déréglées en nous ».

Nous ne pouvons ici même entrer dans le détail des nombres clefs de la tradition maçonnique et nous renvoyons à l’étude que nous en avons faite dans notre essai sur « Les symboles de la franc-maçonnerie ». Disons simplement que ce sont les nombres impairs qui régissent le rituel et son ordonnancement. Que 3 est ainsi le nombre de l’apprenti, 5 celui du compagnon et que le 7 et le 9 inspirent le maître… Le 3 et ses multiples sont les nombres de pas moins 17 grades de l’Ecossisme où le 5, le 7 et le 12 figurent les nombres de l’union, de la lumière et du changement.

« Dieu a tout réglé avec les mesures, les nombres et les poids » nous dit le Livre de la Sagesse de Salomon (XI, 20). Il nous faut, là encore, revenir à Pythagore et à sa divine « Tétraktys » figurée par le 10, source des quatre premiers nombres, et, bien sûr, au Nombre d’Or qui régit toutes les constructions sacrées, l’architecture de tous les temples et de toutes les églises, depuis la plus haute Antiquité…

Une origine purement biblique

L’autre grande série de symboles universels qui constituent les fondements du rite maçonnique sont les symboles d’origine purement biblique. Ils occupent, eux aussi,  une place importante qui légitime la référence constante – excepté pour les rites dits égyptiens de Memphis et Misraïm – au Temple de Salomon.

En tout premier, les deux colonnes qui encadrent la porte du temple maçonnique sont les colonnes mêmes du Temple de Salomon, telles que la Bible les décrit (Rois I 7 ,21 ; Chroniques II 3, 17). La colonne de gauche (en entrant mais selon les rites et les interprétations cela peut être inversé…) s’appelle « Boaz », ce qui signifie « Dans lui est le force » et celle de droite est « Jakin » dont le nom signifie « Il établira », le « Il » sous-entendant Dieu bien évidemment.

Ces deux colonnes qui rappellent les colonnes de Nuée et de Feu qui avaient accompagné le peuple hébreu dans l’Exode, sont sans doute inspirées de la dualité de la statuaire antique des temples d’Egypte, tels les colosses de Karnak et de Memnon ou ceux du temple d’Abou Simbel ou encore les deux obélisques encadrant l’entrée des sanctuaires égyptiens, comme l’avait très bien vu Petrus Talemarianus dans son remarquable traité « De l’architecture naturelle ».

Elles revêtent un symbolisme multiple depuis l’Arbre de vie réunissant la conjonction des opposés selon Jung, dans une union sacrée (hiérogamie) jusqu’aux bornes du monde de la Création. Jakin a été associée à l’Ancienne Loi et Boaz à la Nouvelle. Oswald Wirth et Jules Boucher ont attribué à la première le caractère actif et la couleur rouge qui lui correspond et à la seconde le caractère passif et la couleur blanche. Il en découle que Jakin est liée au Soleil et à l’Espace et que Boaz est liée à la Lune et au Temps. C’est pourquoi la première est la colonne des compagnons et la seconde celle des apprentis.

On a aussi assimilé ces colonnes à deux séphiroth de l’Arbre de la Kabbale, Jakin correspondant à Netsah (la Victoire) et Boaz à Hod (la Gloire), Netsah et Hod étant liées à la sephirah Yesod (le Fondement) associée elle-même, comme le rappelle Jules Boucher à « la puissance fécondatrice de Dieu ».

Aux deux colonnes qui délimitent le temple et bornent le monde créé, correspondent dans le temple, sous la voûte étoilée, et délimitant, eux, le pavé mosaïque, les trois piliers auxquels sont attachées les trois vertus de Sagesse, Force et Beauté. Nous avons déjà évoqué ces trois piliers en nous référant  à leur correspondance avec les trois grands ordres d’architecture. Le premier, à l’angle sud-est, est attribué au Vénérable Maître, le deuxième, à l’angle nord-ouest, au 1er Surveillant et le troisième, à l’angle sud-ouest, au 2ème Surveillant.

Le pavé mosaïque, qui couvre le centre le temple maçonnique est aussi d’origine biblique : il vient du dallage noir et blanc, le « ritspah », qui ornait le parvis du Temple de Salomon (Chroniques II 7,3) et que l’on retrouve d’ailleurs plusieurs fois cité dans la Bible, notamment dans la bouche du prophète Ezéchiel (Ez. 40, 17-18) ou dans la description du palais d’Assuérus (Est. 1,6).

Il faut rappeler que la dualité du noir et du blanc – que l’on retrouve également tout aussi symboliquement dans les jeux d’échecs et de dames – invite le franc-maçon non plus à une lutte, à une opposition des contraires mais à une véritable conciliation de ces contraires, de ces « oppositions nécessaires et fécondes » dont parle le rituel et que, comme dans le caducée où les deux serpents ne s’affrontent que pour mieux montrer l’unité de l’axe central, c’est dans l’au-delà du bien et du mal que l’on trouve le chemin de la Vérité.

Importance du Volume de la Loi Sacrée…

Mais le symbole biblique par excellence reste, bien sûr, le Volume de la Loi sacrée puisque dans la franc-maçonnerie de tradition ce Volume reste toujours la Bible même si d’autres Livres sacrés peuvent lui être adjoints lors des cérémonies d’initiation selon la religion des candidats : le Coran pour les musulmans, le Tripitaka pour les bouddhistes, les Vedas pour les hindouistes, le Tao Te King pour les taoïstes, l’Anelekta ou le Yi-King pour les confucianistes, le Zend Avesta pour les parsis, voire le Pop Vuh ou le Livre des Morts de l’ancienne Egypte.

La Bible ouverte sur l’autel des serments et placée sous l’équerre et le compas entrelacés, constitue avec ces deux outils les trois grandes Lumières de la franc-maçonnerie.  Elle occupe en loge la place des Tables de la Loi dans le Temple de Salomon

Pour le franc-maçon toutefois, ce Livre n’est pas celui de la Révélation – la franc-maçonnerie n’ayant pas vocation d’être une religion et encore moins de se substituer à une religion – mais celui de la Tradition. C’est le « livre de tous les hommes de bonne volonté qui cherchent la lumière », comme l’a bien dit Henri Tort-Nouguès. Car c’est le livre de la Lumière en même temps que le symbole de l’Esprit, renfermant ainsi tout l’enseignement de la Tradition.

On peut également rattacher au symbolisme d’origine biblique l’usage du miroir, à la fois dans le cabinet de réflexion et lors de la cérémonie d’initiation lorsque le nouvel initié, invité à regarder s’il ne trouve pas d’ennemi dans l’assemblée qui l’entoure, se retourne pour se trouver face à sa propre image. Ce miroir est à la fois le piège de l’âme et l’outil de la connaissance de soi demandée à l’apprenti selon le vieux précepte de Socrate : « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les Dieux ».

Attribut de Dionysos, de la déesse Amaterasu au Japon, utilisé dans le chamanisme, le miroir est aussi référencé dans la Bible et comme tel associé à l’action du souffle d’Elohim sur les eaux et même à la Vierge Marie, présentée comme « le miroir de Dieu ». Mais dans la symbolique maçonnique, nous retiendrons plus simplement la définition du grand sage soufi, Rumi, qui le désignait comme « le symbole du cœur »…

Associons au miroir le coq qui renvoie à l’Etoile du Matin - celle qui précède le soleil - et par cette étoile justement à l’avant-jour de la Création, alors que « le souffle d’Elohim planait sur les eaux ». Le coq symbolise l’aurore et donc l’Orient. Il est signe de l’éveil de l’initié. Notons qu’il figurait dans l’armoirie de nombreux maître d’œuvre au Moyen Age où l’on jouait de l’homonymie galli=gaulois et galli=coq…

Enfin, comment ne pas évoquer pour couronner ce symbolisme biblique, les deux Saint-Jean qui président, dès l’origine de la franc-maçonnerie opérative, aux deux solstices, remplaçant ainsi les antiques porte des dieux et porte des hommes du Janus latin et annonçant tous deux la Lumière, les deux Lumières, la créée et l’incréée…

Dans plusieurs rites les loges sont dites ainsi « loges de Saint-Jean » et les Frères célèbrent chaque année Saint-Jean l’Evangéliste le 27 décembre et Saint-Jean Baptiste le 24 juin.

…et survivances d’un ancien idéal chevaleresque

Il reste enfin une dernière série de symboles, d’origine incontestablement chevaleresque ceux-là, qui sanctionnent et couronnent la réalité de l’initiation vécue par chaque nouveau frère au sein de la loge maçonnique.

Le dépouillement des métaux, dont on peut également souligner le sens de « décantation » alchimique, le passage par le cabinet de réflexion qui rappelle étrangement la veillée d’armes du futur chevalier, sont ainsi les prémisses d’une nouvelle naissance, consacrée lors de la cérémonie de réception de l’impétrant.

Celui-ci découvre une assemblée « armée », celle des frères porteurs d’épée qui l’entourent et dont on lui dit que ces épées sont certes brandies pour punir le parjure mais surtout qu’elles lui annoncent que tous les frères voleront à son secours à l’heure du danger. Et c’est encore par l’épée – mais flamboyante celle-là, à l’image de celles que portaient les Keroubim, les « gardiens » à la porte du Paradis – que le Vénérable Maître va consacrer le nouvel initié et proprement l’adouber, tel jadis le chevalier, genou en terre, par trois coups frappés sur son épaule droite, son épaule gauche et sur sa tête. Il s’agit bien là de la transmission d’une influence spirituelle transmise d’homme à homme, d’initié à initié.

Puis ce sera l’accolade donnée au nouveau frère par le Vénérable au nom de la loge tout entière, l’accolade qui est tout simplement l’héritage moderne de la « colée » chevaleresque dont le coup donné sur la nuque était destiné à opérer l’éveil initiatique chez l’impétrant…

On peut dire encore que les gants blancs remis au nouveau frère sont assimilables aux anciens gantelets  du chevalier, de même que le tablier de peau, protecteur par excellence, frontière entre le champ profane et le domaine du sacré, est un souvenir du haubert qui protégeait le corps « comme une forteresse inaccessible ». Et même que le chapeau des maîtres maçons a pris la place du heaume qui était censé préserver l’âme du chevalier ! …

La franc-maçonnerie : une arche conservatoire  

Ainsi s’est constitué, par le rite et les rituels, l’ensemble du corpus symbolique de la franc-maçonnerie. Comme on a pu le voir, ce corpus emprunte beaucoup aux traditions et religions antiques comme au judéo-christianisme. Il reste imprégné également de souvenirs chevaleresques, hermétiques et alchimiques, car, ainsi que le disait Paul Naudon, « la science des maçons ne pouvait que reposer sur un symbolisme commun avec celui des alchimistes et des hermétistes ».

La force de la pensée symbolique réside en ce qu’elle possède le privilège de s’adresser à la fois aux deux pôles, intuitif et discursif, de la pensée, au cœur comme à la raison.

Le symbolisme de la pierre et des outils qui la sculptent nous vient incontestablement du Moyen Age où, comme le disait Victor Hugo, « le genre humain n’a rien pensé d’important qu’il n’ait écrit dans la pierre ».

Du Moyen Age également nous sont venues les grandes vertus prônées par l’idéal de la Chevalerie, les connaissances de la Kabbale, de l’alchimie, de l’hermétisme chrétien.

Mais l’ensemble du corpus symbolique nous vient en fait de plus loin, de plus haut dans le temps. La franc-maçonnerie conserve précisément ainsi le double héritage des traditions les plus anciennes, latines, grecques, égyptiennes, voire mésopotamiennes, comme des traditions judéo-chrétiennes. Elle en est en  quelque sorte l’arche conservatoire, où elle a réalisé, pour reprendre une expression fort imagée de Fabre d’Olivet, « l’entassement des espèces ».

Et c’est grâce à cette arche qu’elle se doit, de par sa fonction proprement  noachite et donc universelle, d’éclairer et d’aider tous les hommes, nos frères.

Jean-Jacques GABUT                                              

 

NOTES
 
(1)      Nous retiendrons ce terme faute d’un autre qui serait mieux approprié et aussi parce qu’il a été consacré par l’usage qu’en ont fait les divers  maçonnologues et historiens            
(2)      Cf mon essai : « Les survivances chevaleresques dans la franc-maçonnerie du Rite Ecossais ancien et accepté »(Dervy éditeur)
(3)      Ce n’est point un hasard si à Lyon par exemple les 24 colonnes du Palais de Justice figurent symboliquement les 24 vieillards de l’Apocalypse…
(4)      Cette triade est omniprésente dans le rite maçonnique. Précisons que, selon le récit biblique, Hiram, roi de Tyr, envoya à Salomon un de ses artisans les plus qualifiés : Hiram Abi ou Abif, fils d’une veuve de la tribu de Nephtali pour diriger la construction du Temple de Jérusalem. La légende d’Hiram qui est au cœur du 3ème degré , celui de la maîtrise, a été entièrement rapportée par Gérard de Nerval dans son « Voyage en Orient » où Hiram est baptisé Adoniram.
(5)      Au Rite émulation pratiqué notamment par les loges anglo-saxonnes les trois piliers ne sont pas dressés  au centre du temple mais figurent symboliquement sur les plateaux des Surveillants.
(6)      In « Les symboles maçonniques ». Patrick Négrier renvoie très justement à ce propos à la tradition toltèque et à l’œuvre de Castaneda.
(7)      Le nombre de douze nœuds n’existait pas au départ dans les rituels mais il apparaît pour la première fois en 1745 dans la divulgation « L’Ordre des francs-maçons trahi » de l’Abbé Pérau
(8)      Je renvoie à cet égard à mon étude sur « Les symboles de la franc-maçonnerie : les signes, les mots, les couleurs et les nombres » (Dervy) auquel j’ai emprunté quelques passages qui me paraissaient  significatifs.

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