GLMM Loge : NC Date : NC


Le Rite de Misraïm

INTRODUCTION

De même que l'on attribue à l'Ordre Maçonnique en général des origines légendaires, le Rite de Misraïm n'échappe pas à cette règle. Il tient en plus dans la grande famille maçonnique une place particulière due en grande partie à une échelle d'instruction qui comporte 90 Degrés.
Marc BEDARRIDE, l'un des trois frères propagandistes du Rite en France, va même jusqu'à dire dans son ouvrage  -l'Ordre Maçonnique de Misraïm- publié en 1848, que, la Maçonnerie est aussi ancienne que le monde. Ce qui, néanmoins, en réfléchissant bien à notre engagement, est intrinsèquement loin d'être absurde. Pour cela, il s'en réfère à l'Ancien Testament. Selon lui, c'est Adam lui-même qui aurait créé avec ses enfants la Première Loge de l'humanité ; Seth succéda à son père ; Noé la fit échapper au déluge ; Cham l'établit en Egypte, sous le nom de Mitzraïm, c'est-à-dire des Egyptiens (je reviendrai un peu plus loin sur l'étymologie de Misraïm). C'est donc de ce peuple seul que doit venir la tradition secrète de l'ésotérisme.

Et toujours selon Marc BEDARRIDE, et ses frères, le dernier maillon de cette chaîne ininterrompue est leur propre  père, Gad BEDARRIDE, maçon initié en 1771 à Avignon, qui aurait reçu en 1782 la visite d'un mystérieux Initiateur égyptien à Cavaillon et dont on ne connaît que le nom mystique : « Le Sage ANANIAH ». Cet envoyé l'ouvrit à la Maçonnerie Egyptienne et lui conféra toute une série de « hauts grades ». Signalons que ceci n'est pas la première allusion historique au passage d'un Supérieur Inconnu de la Maçonnerie Egyptienne. Le Frère VERNHES dans son plaidoyer pour le Rite de Misraïm, paru en 1822, signalait déjà le passage du missionnaire ANANIAH dans le midi de la France en 1782. Soulignons que si la version « BEDARRIDE » en ce qui concerne les origines de la Maçonnerie Egyptienne est pure fantaisie, l'Egypte est, dans l'histoire des traditions ésotériques, un courant original, totalement distinct du courant judaïque comme du courant judéo-chrétien et l'on comprend que chaque auteur maçonnique essaie de se rattacher à une source aussi antique que possible. Il faut se souvenir que l'Egypte est connue depuis l'époque des Croisades et que l'intérêt pour la tradition égyptienne et ses « Mystères » ne s'est pratiquement depuis jamais démenti. L'Académie platonicienne de Florence, traitant doctement de l'Egypte et des Egyptiens fut fondée en 1450. Traduit pour la première fois du grec en latin en 1471 par Marsile Ficin, le Corpus Herméticum, ensemble de textes attribués à Hermès, et dont le plus célèbre est connu sous le titre de la «Table d'Emeraude », prétend révéler l'antique sagesse égyptienne. Ces textes assurèrent la floraison des sciences dites depuis hermétiques (d'Hermès), telles que : la Magie, l'Alchimie et l'Astrologie.

Puis on s'intéressa de plus en plus aux hiéroglyphes. Il est maintenant trop souvent oublié que dès 1650, l'abbé Athanase KIRCHER proposa une explication des inscriptions trouvées sur les principaux obélisques rapportés d'Egypte. Son grand travail est regroupé dans les 4 volumes d'Oedipus Aegyptiacus. Mais ses traductions vont par la suite se révéler inexactes. Mais tout cela relève de l'époque Egypto-grecque, à peine antérieure à notre Ere et il faut attendre BONAPARTE, la campagne d'Egypte et donc la découverte de la pierre de Rosette qui permit à CHAMPOLLION les Travaux que l'on sait.(A tout hasard, permettez-moi de rappeler que la pierre de Rosette, du nom du lieu ou elle fut trouvée par le capitaine Bouchard, comporte un décret écrit en trois langues : en hiéroglyphes, en égyptien démotique, c'est-à-dire en écriture cursive et en grec. C'est en rapprochant ces trois textes que Champollion, linguiste et expert es-langues orientales (plus communément appelées de nos jours langues mortes), déchiffre et traduit le sens des hiéroglyphes, ouvrant de la sorte l'étude scientifique de l'Egypte dite pharaonique.)
Par ailleurs, l'Antiquité, il faut le dire est très liée à la Franc-Maçonnerie spéculative du XVIIIème siècle, et c'en est une des composantes du discours maçonnique (au même titre que la Chevalerie ou le plaisir de l'Amitié). Point je crois, n'est besoin de vous rappeler, entr'autres et surtout, « La Flûte Enchantée » de notre Frère MOZART, Opéra évoquant les Anciens Mystères Initiatiques Egyptiens.

A la fin de ce siècle donc, on voit apparaître une nouvelle science des religions avec des auteurs tels que COURT de GIBELIN, CHARLES-FRANCOIS DUPUIS ou ALEXANDRE LENOIR qui à travers de vastes encyclopédies démontrent que l'origine de toutes les religions se trouve en Egypte. Ces ouvrages, écrits par des Maçons, eurent un très grand succès à l'époque.
Cette mode égyptienne se trouva exacerbée à la Révolution quand il y eut plusieurs tentatives pour créer une nouvelle religion « laïque » universelle en se basant sur les mythes égyptiens. Elle fut ensuite couronnée par la campagne d'Egypte de BONAPARTE. Campagne qui rétablit un lien charnel direct avec la terre égyptienne. Mais la campagne d'Egypte eut une autre conséquence. L'enthousiasme, cette fois général, pour l'Egypte amena de nombreuses Loges Maçonniques du continent à modifier le cadre mondain dans lequel les Maçons anglais organisaient rituels et travaux de table. La Maçonnerie introduite par les britanniques qui se réunissaient non dans des Temples mais dans des restaurants se bornait à réciter les Rituels par cour en les ouvrant et les fermant par des cantiques. D'importants Travaux de bouche suivaient.

La campagne d'Egypte favorisa un mouvement déjà présent sur le continent dont l'ambition était la pratique de Rites efficaces, par des Initiés assemblés dans un local rappelant les Temples antiques. L'Initié commença a y être considéré comme une pierre vivante dont la taille s'effectuait au fil des Travaux dans une ambiance d'étude et d'affection mutuelle. Sur un plan Maçonnique, en cette fin de XVIIIème siècle, existent en France certains petits Rites Egyptiens aujourd'hui disparus.
Citons :
Le Rite des Architectes Africains crée en Allemagne et qui eu une ramification à Bordeaux ;
Le Rite Egyptien de CAGLIOSTRO ;
Le Rite Sacré des Sophisiens ;
Les Parfaits Initiés d'Egypte ;
La Souveraine Pyramide des Amis du Désert de Toulouse.

De véritables fables maçonniques couraient sur l'Egypte. Ses initiations  sacerdotales étaient décrites de façon romanesque et invraisemblable. 
Déjà au XVIIème siècle, circulait un traité secret d'Initiation Egyptienne qui contenait des allusions transparentes au Grand'Oeuvre. Ce même traité vers 1760 fut connu dans les milieux maçonniques allemands sous le nom de CRATA REPOA où il était considéré comme une véritable initiation égyptienne. Traduit et publié en France en 1821, par le F\ Antoine BAILLEUL, ce traité décrit cette Initiation antique donnée dans la Grande Pyramide. Elle est fidèlement reproduite par une réception symbolique à 7 degrés successifs, et l'on peut au gré de sa lecture retrouver tout un cheminement assez familier. Néanmoins, cette mode des « Initiations à l'Egyptienne » qui avait d'ailleurs conquis Paris, devait provoquer l'inquiétude, puis ultérieurement la réaction sévère des autorités maçonniques de l'époque. Autorités maçonniques cantonnées au Grand Orient. Ce qui en partie explique l'ostracisme dont fut au cours de la première moitié XIXème siècle victime notre Rite de Misraïm, auquel j'arrive maintenant.

GENÈSE DU RIT

Après cette brève introduction, venons-en à l'histoire de ce Rit de Misraïm qui passe bien souvent pour un Rit hybride et mystérieux, qui a été discrédité maintes fois dans le passé et qui pourtant a respecté et respecte toujours par dessus tout les principes traditionnels de la Franc-Maçonnerie et qui a toujours maintenu sa spécificité.

Maintenant que nous venons de quitter le XVIIIème siècle, portons-nous naturellement au début du XIXème, ce qui ne nous ramène que deux cents ans en arrière par rapport à aujourd'hui, interrogeons des contemporains et demandons leur ce qu'ils savent du Rit de Misraïm au moment ou celui-ci est en passe de « territorialiser » la France. Je dis bien territorialiser et vous verrez un peu plus loin que qu'en raison de son implantation de l'époque le terme n'est pas trop fort.

LEVESQUE, qui rédigea en 1821, un « Aperçu Général Historique » des courants maçonniques de son temps parle en ces termes :
« Il y a, je crois, cinq ou six ans que ce Rite de Misraïm est venu s'établir à Paris. Il venait d'Italie et jouissait de quelque considération dans les Iles Ioniennes et sur les bords du Golfe Adriatique. Il a pris naissance en Egypte ». Voyons ce qu'en dit le Frère THORY qui dans ses deux tomes des « Acta Latomorum » et notamment dans sa « Nomenclature des Principaux Rites » précise : « Cette Institution (Misraïm) qui ne date en France que de quelques années, était très en vigueur à Venise et dans les Iles Ioniennes. Il existe plusieurs Chapitres de Misraïm dans les Abruzzes et dans les Pouilles ».Laissons maintenant la parole à l'historien maçonnique CLAVEL (par ailleurs membre, comme l'était son père, de Misraïm) qui écrit dans son « Histoire Pittoresque de la Maçonnerie », parue en 1843, ce qui, en l'état de mes connaissances, me parait être une des « sources sures » de notre Rite : « Les degrés d'instruction de Misraïm étaient empruntés de l'Ecossisme, du Martinisme, de la Maçonnerie Hermétique et des différentes réformes autrefois en vigueur en Allemagne et en France, et dont les cahiers ne se trouvaient plus que dans les archives de quelques curieux. C'est en 1805 que plusieurs Frères, n'ayant pu être admis dans la composition du Suprême Conseil Ecossais qui s'était fondé en cette année à Milan, imaginèrent le Régime misraïmite. Un Frère LECHANGEUR fut chargé d'en recueillir les éléments, de les classer, de les coordonner et de rédiger un projet de Statuts Généraux. Au début, les postulants ne pouvaient arriver qu'au 87ème Degré. Les trois autres Degrés qui complétaient le système, étaient réservés à des Supérieurs Inconnus et les noms même de ces Degrés étaient cachés aux Frères des Degrés inférieurs. C'est avec cette organisation que le Rite de Misraïm se répandit dans le Royaume d'Italie et le Royaume de Naples. Il fut adopté notamment par un Chapitre de Rose+Croix appelé « La Concorde » qui avait son siège dans les Abbruzes. Au bas d'un diplôme délivré en 1811 par ce Chapitre au Frère B. CLAVEL (il semble qu'il s'agisse du père de l'auteur), commissaire des guerres, figure la signature d'un des chefs actuels du Rite, le Frère Marc BEDARRIDE qui n'avait alors que le 77ème Degré.
Les Frères JOLY et BEDARRIDE apportèrent en France le Misraïmisme en l'année 1814. Il fut propagé postérieurement en Belgique, en Irlande et en Suisse. »

J'ai tiré cet extrait d'une conférence donnée en 1986 par Gérard GALTIER sur les origines du Rite de Misraïm à la R\ L\ de Recherche CONSTANT CHEVILLON de l'Ordre de Memphis Misraïm. Depuis le Frère GALTIER a reçu l'Initiation et a publié en 1989 « Maçonnerie Egyptienne, Rose-Croix et Néo-Chevalerie », ouvrage dont une partie fait aujourd'hui référence pour la connaissance des Rites de Misraïm et de Memphis. Une autre source, fait revenir un peu en arrière de cet exposé. En effet, lorsque je disais en introduction que la version de Marc BEDARRIDE, faisant remonter l'origine de la Maçonnerie et du Rit à ADAM, paraissait fantaisiste, voire farfelue, c'était le cas jusqu'à la filiation de Gad BEDARRIDE, son père. Il semble que celui-ci ait bien été un des précurseurs du Rit. Déjà Maçon de haute recherche il fut initié aux Secrets Egyptiens par le Savant Patriarche ANANIAH, Grand Conservateur Egyptien et grand voyageur lors de son passage à Cavaillon en 1782. Il transmit à ses trois «louveteaux », ses fils Marc, Michel, et Joseph, avec une partie de ses  connaissances, le goût de la recherche ésotérique.
 
Les BEDARRIDE étaient de religion juive. Hors à l'époque, avant la Révolution, et avant qu'elle ne soit rattachée à la France, Cavaillon était l'une des quatre villes du Comtat Venaissin ou les Juifs avaient droit de résidence.
Les études de Kabbale étaient donc à l'honneur dans les communautés juives du Comtat et les Rites Maçonniques Hermétistes y étaient florissants, notamment le Rite des Elus Cohen de MARTINEZ de PASQUALLY, auquel me semble avoir été initié Gad BEDARRIDE ? le Rite des Illuminés de PERNETY ? et le Rite Ecossais Philosophique.

Une troisième source, fait apparaître le Rit pour la première fois à Venise en 1788, ou un groupe de Maçons Sociniens (secte protestante, antitrinitaire) demanda une patente de constitution à CAGLIOSTRO, lors de son séjour dans cette cité (On peut donc aisément supposer que le Frère TASSONI, dont je vais parler ensuite, fut le dépositaire de cette Loge Esotérique vénitienne).
Toutefois, les Membres de ce groupe ne voulant pas pratiquer la rituélie magico-cabalistique de CAGLIOSTRO,  choisirent de travailler aux premiers Degrés du Rite Templier. CAGLIOSTRO, leur donna donc seulement la Lumière maçonnique. Il tenait les trois premiers Degrés de la Maçonnerie anglaise, et les Degrés supérieurs de la Maçonnerie allemande, très marquée de la tradition templière. Il est souvent dit que le nom de Misraîm est le pluriel d’égyptien. C'est plutôt celui d'Egypte, dans le sens des deux pays, des deux royaumes, symbolisé sur la coiffure de pharaon par le cobra, l'uraeus, pour le Nord royaume rouge de Bouto, et par le vautour pour le Sud royaume blanc d'El Kab).

A l'époque le nom de Misraïm est la seule référence égyptienne de ce Rit, hormis dans les « hauts grades » (comme était l'appellation de l'époque, toute empreinte de militarisme et comme malheureusement certains nomment encore de nos jours, avec une certaine emphase, ce qui est tout simplement pour ceux qui en ont le désir, le cheminement vers les Degrés de perfectionnement. Tout du moins est-ce ainsi que je le perçois). Il essaima rapidement à Milan, Gênes, Naples, et apparut en France avec un des frères BEDARRIDE (Marc ou Michel ?), qui avait reçu les pouvoirs magistraux en 1810, soit à Naples, du Frère De LASSALLE ou soit à Milan du Frère CERBES (mes lectures et recherches actuelles ne me permettent pas de pencher pour l'un ou pour l'autre).

Arguant de ces trois sources, l'on peut recréer avec assez de certitude et nominativement la naissance du Rit :
Tout d'abord le Frère TASSONI, (italien) qui aurait entretenu à Venise un petit Rit de Misraïm constitué depuis 1750 et structuré en 10 ou 20 Degrés.
Puis le Frère LECHANGEUR, (français résidant en Italie) initiateur du Rit de Misraïm en 70 Degrés avec l'apport, entr'autres, de Degrés du « Style Ecossais », et ami de TASSONI.
Ensuite De LASALLE, (français) Grand Maître de Misraïm pour le Royaume de Naples. Membre de vieux Rits Napolitains et apportant au Rit des Degrés Napolitains, y compris est-il évoqué par le Frère GALTIER, les « Arcana Arcanorum » du 87ème au 90ème Degré.
Enfin CERBES, (français) Grand Maître de Misraïm pour Milan (capitale alors de l'Etat Cisalpin), détenant ses pouvoirs du Frère LECHANGEUR. C'est lui qui aurait donné Patente à Michel BEDARRIDE, ce qui permit ensuite la constitution de la Grande Loge de Misraïm en France.

Comme on le voit, l'origine du Rit est indubitablement latine. Ecoutons notre Frère GALTIER dans son explication sur la genèse de Misraïm. Il faut réaliser qu'il y a en Italie toute une tradition hermétiste assez ancienne et cela reste ignoré en France. C'est une tradition que l'on peut appeler néo-platonicienne et pythagoricienne. L'Italie n'est pas très éloignée de la Grèce (et eu même des Colonies grecques très importantes) et cette tradition ancienne s'est largement mêlée au XVIIIème siècle à la Franc Maçonnerie italienne.

D'autre part il y eu dès cette époque des Loges d'Esprit Libéral et des Loges d'Esprit Esotérique. Or en Italie, les Loges d'Esprit Esotérique existèrent essentiellement à Venise et à Naples, qui sont on l'a vu deux villes importantes pour le Rit de Misraïm.
Ce qui est intéressant de voir, c'est que ces Loges Vénitiennes et Napolitaines s'affilièrent à tous les grands systèmes occultistes et templiers de l’époque, que ce soit la Stricte Observance Templière ou le Rite Ecossais Rectifié de Lyon, le Rite de la Loge Mère Ecossaise de Marseille ou le Rite Ecossais Philosophique d'Avignon.
Ce qui fait qu'à la veille de la Révolution française, ces quelques Loges étaient devenues le dépôt de toute une série de systèmes de Degrés.
On le voit donc, le Rit de Misraïm est en partie issu de la synthèse de ces systèmes qui s'était opérée dans ces Loges de Venise et de Naples.

Sur un plan historico-géographique, je rappelle rapidement que nous sommes en fin XVIIIème/début XIXème et que l'Italie est constituée d'Etats indépendants et que son unité n'interviendra que près d'un siècle plus tard.  La spécificité donc à l'époque, et strictement conservée depuis, du Rite de Misraïm, avant que de se dire égyptien, réside dans ses 90 Degrés, divisés en dix sept Classes et quatre Séries.
1er au 33ème Degré -1ère à 6ème Classe, 1ère Série symboliste
34ème à 66ème Degré -7ème à 10ème Classe, 2ème Série philosophique
67ème à 77ème Degré -11ème à 14ème Classe, 3ème Série mystique
78ème au 90ème Degré -15ème à 17ème Classe, 4ème Série ésotérique ou hermétique (et notamment du 87ème au 90ème les Arcana Arcanorum du Régime de Naples).

Voyons maintenant le développement du Rit en France au XIXème siècle.

MISRAIM en FRANCE au XIXème siècle.

Les dates d'apparition, puis d'implantation du Rit en France divergent légèrement d'un auteur à l'autre.
Ce qui est certain, c'est que dès 1803 Michel ; Marc et Joseph BEDARRIDE créent plusieurs ateliers symboliques et en particulier le Conseil des Chevaliers Grands Kadosch (65° Degré). Dois-je en déduire que leur élévation ne leur permettait pas alors d'aller au-dessus ? Puis de 1810 à 1813, les trois frères BEDARRIDE, développent le Rite avec succès, et quasiment sous la protection du Rite Ecossais. En effet, il compte des noms maçonniques illustres à sa tête : le compte MURAIRE, Souverain Grand Commandeur du Rite Ecossais Ancien Accepté, le duc DECAZES, le duc de SAXE-WEIMAR, le duc de LECEISTER, le Lieutenant Général baron TESTE, etc...

En 1813, nous trouvons la G\ L\ de l'Arc en Ciel, Orient de Paris, professer le Rite de Misraïm. Son Gd\ M\ est l'Ill\ F\HAYERE. Le nombre des Ateliers est de 3 (Buisson Ardent et Pyramides).

Je rappelle que toujours de nos jours trois LL\ peuvent créer une G\ L\. Et le 12 février 1814, le comte MURAIRE et un certain nombre de GG\ Dignitaires tous 33° Degré du R\E\A\A\ pour la France, se réunirent chez Marc BEDARRIDE, logé alors à l'Hôtel des Indes, rue du Mail, pour créer le Suprême Grand Conseil Général du 90° Degré du Rit de Misraïm. Mais ce n'est que le 9 avril 1815 qu'il fut décidé officiellement qu'à dater de ce jour, le Suprême Grand Conseil  Général des Sages, Grands Maîtres ad-vitam, 90° Degré est établi et constitué à la Vallée de Paris pour régir l'Ordre Maçonnique de Misraïm en France.

Laissant libre cours à mon imagination vagabonde, je me met à penser que le Rit arrive en France sous le Consulat, s'implante sous l'Empire et se constitue sous les Cent jours. Comme nous allons le voir : pas très royaliste tout çà ! Rapidement le Rite connaît un grand succès, et en 1822 il groupe des Loges et Conseils dans 24 villes françaises, 22 à Paris dont notre R\ L\ Mère Arc en Ciel, 6 à Lyon, 6 à Metz, 5 à Toulouse, 3 à Bordeaux,1 à Lille, St-Omer, Marseille, Rouen, Strasbourg, Clermond-Ferrand, Nancy, Besançon, Montpellier, Carcassonne, Montauban, Moissac, Roanne, Tarare, Nantes, Sedan, Nîmes, ainsi qu'en Angleterre, Suisse et Belgique. J'ai concernant Lille un compte-rendu des Travaux (extrait du Livre d'Or de Misraïm) en date du 29ème jour du 2ème mois 5826, correspondant au 29 avril 1822 disant que : « Le Représentant de la R\L\, sous le titre distinctif d'Osiris, Vallée de Lille a réclamé de la Puissance Souveraine pour qu'elle soit portée régulièrement sur le Grand Livre d'Or. La proposition a été unanimement adoptée. »
Ceci expliquant cela, voilà pourquoi j'ai voulu que lors de notre installation en Loge Juste et Parfaite, soit accolé à notre nom de Kemet celui d'Osiris, formant de la sorte un pont avec nos Frères de cette époque. J'en profite au passage pour vous donner la signification de Kemet.

En opposition à « Desret » qui a donné naissance à désert, terres rouges arides, Kemet, ou Kemit s'agit des terres noires alluvionnaires déposées lors des crues du Nil. Et comme ces crues irriguaient le delta, il ne m'a fallu franchir qu'un pas pour traduire Kemet en « terre fertile du Nord ». Ce qui me paraissait être de bon augure en souhaitant notre réimplantation septentrionale.

Revenons au sujet.
Quant à la composition de ces Loges et Conseils le recrutement en est assez composite. On y trouve on l'a vu de hautes personnalités, généralement dignitaires du Rite Ecossais, puis des amateurs de doctrines ésotériques ou de « hauts-grades » attirés par la « hiérarchie » des 90 Degrés et par l'origine supposée égyptienne du Rit et enfin des Bonapartistes et des Républicains parfois Carbonari, à la recherche d'une couverture.

On s'en doute cela ne plaît pas beaucoup au Grand Orient de France qui tient à contrôler l'ensemble de la Maçonnerie française, qui est hostile au système des « hauts grades » et à la recherche ésotérique et qui ne tient pas à ce que le gouvernement de LOUIS XVIII interdise la Maçonnerie en tant que mouvement politique adversaire de la Monarchie. Aussi, dès le début, le Grand Orient manifeste une très forte opposition au Rit de Misraïm. Dès 1817, le Maréchal de BURNONVILLE, Grand Maître du Grand Orient fait interdire tout contact de ses Membres,
sous peine d'exclusion, avec ceux de Misraïm.

Par ailleurs, et ce qui est tout à fait tristement banal de nos jours, des dissensions éclatent au sein du Rit (le Frère JOLY initié à Misraïm en Italie, revendiquant la Grande Maîtrise du Rit en France, il fut d'ailleurs soutenu par Jean-Marie RAGON). Egalement certains Frères reprochant aux BADARRIDE d'utiliser Misraïm comme étant leur propriété personnelle. Mais les ennuis principaux viennent surtout du Gouvernement.
C'est en effet l'époque ou les Carbonari se développent dans toute l'Europe Méridionale et en France.

Je vous rappelle en deux mots ce qu'était le mouvement des Charbonniers. Il s'agissait d'une société politique secrète, formée en Italie (comme c'est étrange !), qui avait pour but le triomphe des idées libérales. Dans cette société se retrouvaient de nombreux étudiants et membres de professions libérales, formant l'élément le plus actif au niveau de l'organisation et de la propagande. La Charbonnerie, voulait renverser la monarchie, appeler une assemblée constituante, obtenir des garanties de liberté et des élections libres, exiger le vote annuel des contributions, l'indépendance de la justice, et bien sûr, instituer la liberté de la presse et des cultes.

Après des dénonciations, et le rapport Duplay (Simon Duplay était fonctionnaire de police, et je n'ai pas cherché quel était son niveau dans la hiérarchie) classant le Rit parmi les sociétés secrètes constitutives de la Charbonnerie, l'on accuse Misraïm d'être l'une des principales couvertures utilisées par les Carbonari, et, en 1823 à peu près au moment du complot des 4 Sergents de la Rochelle et de leur condamnation, l'Ordre est interdit en France. Le fait qu'il est clairement supposé que chacun des Frères Bedarride ait été Carbonaro, explique la remarque de Pierre Mariel, à savoir que : « L'extravagance des origines du Rit, fait de Misraïm la plus troublante énigme de la Maçonnerie française car, comme le suggère Gaston Martin. » Il est permis de se demander si ce tissu d'absurdités n'était pas une plaisanterie destinée à masquer un but fort différent. En fait le Rit de Misraïm se recrutait parmi les Maçons les plus en vue...il semble que nous soyons en présence d'une Maçonnerie à fins secrètes et sans doute politique (certainement bonapartiste). Je me plais à croire que rien de cela ne va à l'encontre de cette éthique maçonnique qui m'est si chère, surtout dans le contexte bouillonnant de l'époque.
Donc, violemment anticlérical, mais cependant foncièrement déiste et spiritualiste, antiroyaliste et plutôt bonapartiste, la police de la Restauration n’a pas grand mal a obtenir la dissolution du Rit. Clandestin pendant une quinzaine d'années, il est restauré en 1838. Cette année voit la création par Jacques Etienne MARCONIS de NEGRE du Rite de Memphis.

En avançant sur la pointe des pieds, mes lectures et documents m'autorisent à penser qu'il s'agit d'une scission d'avec Misraïm, MARCONIS de NEGRE ayant été deux fois membre de Misraïm. Une première fois à Paris en 1833 et une seconde fois en tant que Vénérable de la Loge « la Bienveillance » à Lyon de 1835 à 1838. Selon notre défunt Frère Albert COOLS, son père Gabriel Mathieu ayant été lui-même Grand Hiérophante de Misraïm en 1816 et par ailleurs fondateur de la Loge des « Disciples de Memphis » de Montauban. Après la mort de Marc BEDARRIDE en 1846 et de Michel BEDARRIDE en 1856, leur succéda le Frère HAYERE qui communiqua un nouvel essor au Rite de Misraïm et sut lui rendre un caractère nettement initiatique. Caractère initiatique que le Rite n'avait pas ou peu. En effet, lors des Travaux consignés dans le Grand Livre d'Or dont j'ai fait mention ci avant, il est souvent fait rappel aux Frères élevés ou reçus à un Degré supérieur d'avoir à s'affilier à une Loge du Rite. En 1862, le Maréchal MAGNAN, Grand Maître du Grand Orient de France, d'accord avec son Conseil de l'Ordre, adresse à toutes les Obédiences, une circulaire en vue de l'unité Maçonnique en France. Le Frère HAYERE, Supérieur Grand Conservateur et Grand Maître du Rite de Misraïm qui a reçu la demande d'union, lui répond : « Le Rite de Misraïm tient trop à son indépendance, pour reconnaître vos pouvoirs et subir votre domination. Si  l'Empereur croit devoir nous supprimer, qu'il le fasse, mais nous ne nous soumettrons jamais. »

Bien sur cette parfaite et fière réponse ne facilita pas les rapports avec le Grand Orient, et dans l'art de s'en faire un ami, on peut faire mieux ! (Il est à noter que Memphis souscrivit à la demande, et que depuis cette époque les liens se sont maintenus entre les deux Ordres, même si c'est Memphis Misraïm qui l'a repris à son compte).
Ces temps-ci, selon certains propos dont je ne suis pas très sûr, les rapports ne seraient plus tout à fait les mêmes, le Grand Orient s'étant inquiété de l'orientation prise par Memphis-Misraïm (éclaté en trois courants (Gérard KLOPPEL, Georges VIEILLEDENT et Marcel LAPERRUQUE), alors que notre Rite serait « toléré ». (C'est beau la tolérance maçonnique !). Quelle chance nous avons !

Après la mort du Frère HAYERE en 1876, lui succéda le Frère GIRAULT jusqu'en 1884, puis le Frère OSSELIN père. Ce dernier très lié avec le Grand Commandeur du Rite Ecossais Ancien et Accepté Louis PROAL, su faire reconnaître, pratiquement pour la première fois, sur un pied d'égalité le Rite de Misraïm. Et le 04 août 1889 lorsque le Rite célèbre sa fête d'Ordre, c'est en présence des Frères PROAL et OPPORTUN (le bien  nommé), membre du Conseil de l'Ordre du Grand Orient. En cette même année, le Rite compte 3 Loges à Paris, 8 en province, 2 à New-York, 1 à Buenos-Aires et 1 à Alexandrie. Ceci sous la juridiction française, sans compter la juridiction italienne qui était indépendante à cette époque. Mais en 1890, un nouveau conflit éclate entre une minorité de Spiritualistes et une majorité de Laïcisants qui conduits par le Grand Secrétaire Henri CHAILLOUX se rallièrent au Grand Orient. Le Frère CHAILLOUX avait en effet annoncé dans un discours : « Si on peut lire dans notre déclaration de principe, imprimée en 1885 : Base fondamentale et immuable, l'existence de l'être suprême, l'immortalité de l'âme et l'amour du prochain; aujourd'hui on peut lire dans notre Constitution réformée : Autonomie de la personne humaine, justice et altruisme ».

Une telle prise de position à l'encontre totale des Statuts et des Principes du Rite en excluait ipso-facto son auteur. Néanmoins le rite de Misraïm perdura dirigé par le Grand Président Osselin et avec une seule Loge, Arc en Ciel (Loge Mère du Rite) et ce jusqu'en début de ce siècle. En étaient membres des ésotéristes de haute valeur, et c'est sous son patronage à cette époque que parut la « Bibliothèque Rosicrucienne » qui rééditait un certain nombre de grands classiques de l'occulte.

C'est aussi à cette époque que certains Martinistes en furent membres. En particulier SEDIR et Marc HAVEN. PAPUS (Dr Gérard ENCAUSSE) y sollicita par deux fois son admission en 1896 et en 1897. Admission qui lui fut chaque fois refusée. Ses convictions martinistes (de Louis-Claude de SAINT-MARTIN le Philosophe Inconnu) venant en opposition de celles martinésistes (de MARTINES DE PASQUALY) du Vénérable Abel HAATAN. SEDIR, Marc HAVEN et quelques autres Martinistes quittèrent alors le Rite et allèrent rejoindre Memphis-Misraïm (dont PAPUS devint Grand Maître en 1908).

MISRAIM en FRANCE au XXème siècle

Quelques mots sur la création de Memphis Misraïm vous serviront à mieux comprendre l'existence actuelle de Misraïm. En 1881 il y avait eu une alliance entre les Souverains Sanctuaires de Memphis des Etats-Unis, de Grande Bretagne et de Roumanie et le Souverain Sanctuaire de Misraïm de Naples dirigé par Jean-Baptiste PESSINA. C'est le Général Joseph GARIBALDI qui fut nommé Grand Hiérophante de l'ensemble. Ce qui dura peu, car il mourut en 1882. C'est de cette union que datent d'abord la réunion de Memphis et de Misraïm, puis la création du Rite de Memphis-Misraïm. Or la branche française du Rite de Misraïm ne participa pas à cette opération et conserva son indépendance. Le fait que Misraïm se soit mis en sommeil dès le début de notre siècle fit tomber cela dans l'oubli et l'on prit l'habitude de considérer que seul existait Memphis-Misraïm. Notre réveil actuel est dû à feu notre T\ Ill\ F\ Robert AMBELAIN Grand Conservateur des Rites Unis de Misraïm et de Memphis et dont il a transmis Patentes en 1994 à Jean-Marc FONT, actuel Sérénissime Grand Maître Général et Passé Maître Immédiat de la Loge Arc en Ciel de Paris. Il est toutefois à noter qu'il exista entre 1973 et 1978 une Loge « Les Sergents de la Rochelle » travaillant au Rite de Misraïm au sein de l'Obédience de Memphis-Misraïm, et dont le premier Président fut Robert AMBELAIN.

Misraïm continuant à cultiver le paradoxe, nous sommes fiers d'être à la fois Membres d'un des Rits les plus anciens et à ce titre porteurs d'un vieil et riche héritage et de l'Obédience sans doute la plus jeune. Le Présent ne peut envisager l'Avenir sans les enseignements du Passé. C'est ce Passé qui nous intéresse afin d'éviter  que notre Avenir puisse cesser de n'en être que la répétition des erreurs. Notre Rite, issu de notre Rit, doit poursuivre sa volonté Initiatique et tous, Membres de cette noble Institution, nous devons nous engageons à respecter le credo de cette Maçonnerie belle et simple faite de Fraternelle Tolérance non sélective et de Compréhensive et Studieuse Recherche. Toutefois toute la spécificité de Misraïm, outre l'égyptianisation dont nos rituels des trois premiers Degrés sont empreints de nos jours, existe toujours par ses « Hauts Grades » succédant aux Degrés de Perfection du 4° au 33°, mais point ne sont l'Heure et l'Age d'en parler ici.

Comme disait notre Frère Rudyard Kipling « Ceci est une autre histoire ». Si vous le voulez bien, je vais maintenant vous parler quelques instants des spécificités propres à notre Rituel.  Toutefois je serai très bref car ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de le dire : Un Rituel ne se raconte pas; il se vit. Donc pour nos FF\ non « Misraïmites » : bien venue ultérieurement sur nos CCol\.

J'ai dit

J\L\ R\

Bibliographie :

1. Les Cahiers de Misraïm, N°1 1er trimestre 1996.
2. Bulletin intérieur de Memphis Misraïm, spécial N°3 du 1er semestre 1988.
3. Bulletin intérieur de Memphis Misraïm, Loge de Recherche Constant CHEVILLON spécial N°5/90.
4. Les Rites Maçonniques de Memphis et de Misraïm de Gastone VENTURA.
5. Maçonnerie Egyptienne de Gérard GALTIER.
6. L'Ordre Maçonnique de Misraïm de Marc BEDARRIDE.
7. L'Egypte Ancienne et la Franc Maçonnerie, discours et conférence de Louis AMIABLE et Paul GUIEYSSE.
8. Divers fonds Maçonniques concernant Misraïm et provenant des Bibliothèques de Paris, Bordeaux et diocésaine de Chalons-sur-Marne.
9. Le Tuileur de VUILLAUME.
10. Recherches sur les Initiations anciennes et modernes par l'Abbé ROBIN (1779).
11. Crata-Repoa (réédition de 1821, traduction BAILLEUL).
12. Arcana-Arcanorum.
13. Diverses notes sur les Rites de Misraïm, de Memphis et de Memphis-Misraïm.
14. Cahier de l'Académie des hautes études Araucadiennes.


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