Obédience : NC Loge : NC Date : NC


Mes frères me reconnaissent pour tel

 
Quand le Second me l’a attribué, ce sujet m’a tout de suite plu. Il y a là quelque chose de plaisant. La phrase est simple, elle suscite des sentiments positifs, et l’on y sent un aspect réfléchissant, à la fois comme miroir et comme pensée.
Cependant au départ c’est un petit bout de phrase inscrit dans la ritournelle du rite. On peut l’entendre 20 fois sans y prêter grande attention, bien qu’il ouvre les travaux au grade d’apprenti. Permettez moi T.V et F:. 1er Surv d’emprunter une seconde vos offices.

Le T V : F 1er Sur , êtes-vous Maçon ?
Le F 1er Sur : Mes FF me reconnaissent pour tel, TV.
Le T V : Quel est le premier devoir des Surveillants en Loge ?
Le F 1er Sur : TV, c’est de s’assurer si la Loge est couverte extérieurement et intérieurement.
Etc.
Apparemment tout est logique mais en fait si on le décompose c’est un étrange dialogue: on pourrait tout d’abord comprendre, puisque c’est l’ouverture des travaux qu’il s’agit d’une question visant à s’assurer que le Vénérable s’adresse bien à un maçon, pour ensuite l’enjoindre au travail. Ce serait alors une question purement rhétorique quand des vérifications bien plus effectives sont par ailleurs mises en place: l’obtention du mot de passe par l’architecte, l’examen de la position à l’ordre par les surveillants, la porte par le couvreur. Mais surtout, prise au pied de la lettre, cette question à l’endroit du Premier n’a pas de sens. Imagine-t-on demander, à chaque tenue, avec un soupçon de suspicion:” TV êtes vous bien maçon?”
S’agit il alors d’une façon de lui dire: “ bon, puisque tu me dis que tu es maçon, alors qu’est-ce que t’attend, fais ton boulot” Mais c’est aussi impropre puisque le premier devoir d’un surveillant ne découle pas du fait qu’il est maçon, mais Surv. 
De plus, s’il ne s’agissait que d’obtenir une réponse à cette question, “êtes vous maçon?” il eut suffit de répondre: oui. 
Bref, de quelque façon qu’on le prenne, ce dialogue ne tient pas debout, sauf à le considérer comme une petite mise en scène entre le V et le Premier, afin d’amener cette parole et la placer au premier plan du rituel, en marquer le seuil, comme si elle en était le résumé ou la condition.
 
Alors approchons nous et regardons de plus prés. Des mots dont est elle faite le plus fort est le verbe reconnaître. Re-connaître, c’est répéter l’expérience de la connaissance et ainsi l’affermir. C’est dépasser la première impression. La première fois on te connait maçon, la seconde, on peut juger si tu en as les qualités. Cela marche comme un miroir, et même un miroir sans teint: pour connaître vraiment il faut voir au-delà de la première image, sonder la profondeur, voir qui se cache dans le noir. Du point de vu de l’apprenti il signifie que par delà le reflet flatteur de sa propre image - je me connais maçon - il doit regarder dans le miroir de ses frères pour voir si eux le reconnaissent maçon. Ce jeu de image-mirage-miroir est un des moments les plus frappant de l’initiation.
Un autre mot est intriguant, c’est la préposition pour. En effet pourquoi pas comme? Par exemple on dit: “- est-ce un bon médecin? - il est reconnu comme tel”. Donc, Mes frères devraient me reconnaître comme tel.... Alors est-ce une tournure héritée d’une façon 19eme de s’exprimer où faut il y voir une intention? Difficile de trancher, pour ma part je crois qu’il s’agit d’attirer notre attention sur ce que ce pour élude. Car si mes frères aurait pu me reconnaître comme maçon, ils doivent dans ce cas me reconnaître pour être maçon.
Certes ce n’est qu’un léger glissement sémantique mais il renforce l’idée suivante: je ne possède pas l’état de maçon, ce n’est ni un titre, ni une fonction, c’est une façon d’être.
 
Pour autant, l’opinion de mes frères est il un but? Non, nous nous efforçons d’être des hommes libres, chacun doit conserver précieusement son libre arbitre et nous pouvons toujours avoir raison seul contre plusieurs. Par ailleurs le regard que mes frères portent sur moi ne doit pas être intrusif. Et ce que mes frères doivent juger en moi, ce ne sont pas mes opinions, à l’exception de celles qui s’opposent à nos valeurs fondamentales, bien sur. 
La voie est donc bordée de fossés, d’une part le manque d’humilité sans laquelle on ne peut recevoir un enseignement et d’autre part la simple soumission qui ferait de nous des bigots ou des hypocrites.
Je découvre là une parole exigeante et politique, je dirais même sur-politique. Toute révolution commençant par soi même, la leçon du miroir et sa devise “mes frères me reconnaissent pour tel” est peut être la révolution numéro une, car celui qui dit “je” en permanence, sans offrir la preuve de ce qu’il est, ni se soucier d’autrui est un enfant. Or nous sommes dans une société gagnée par la puérilité, où trop souvent il suffit de dire pour être, et d’avoir pour exister.
 
Voilà donc une petite phrase qui articule une règle fondamentale, véritable clé de voute de la FM : tailler sa pierre, c’est aspirer à une réalisation personnelle dans une démarche collective, fraternelle et harmonieuse, et ça n’est qu’à ce titre qu’on est maçon.

Mais je disais en préambule de cette réflexion, qu’à l’énoncé de cette phrase “mes frères me reconnaissent pour tel”, il m’avait paru que quelque chose la dedans sonne bien, qui résonne agréablement au fond de moi. Or dans ce que je viens de vous exposer, il y a plutôt de l’analyse, surtout de la morale, rien qui relève de ce premier sentiment... je viens de vous servir un plat où les ingrédients principaux y sont, c’est à peu près cuit, mais il manque l’essentiel... le goût. Evidemment comme c’est une sensation, c’est plus difficile à décrire... Enfin voilà ce qui est à mon sens le sel de l’histoire: La reconnaissance de mes frères c’est aussi la gratitude qu’ils éprouvent à mon égard, comme moi j’en éprouve pour eux. C’est de la même nature que ce que ressent un chanteur dans une chorale, quand il joint sa voix aux autres, pour devenir ensemble quelque chose de plus grand, en éprouver un immense plaisir et grâce à cela, simplement grâce à cela, devenir meilleur.
 
Sachant cela, j’espère mes Frères, que ce soir et demain encore vous me reconnaitrez pour tel.

J’ai dit TV

J\P\ T\

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