Obédience : NC Loge : NC 03/02/2015

 

Le Grand Architecte de l’Univers dans la Tradition Ecossaise

Avec un tel sujet, il est difficile de faire plus maçonnique, vous en conviendrez aisément. En effet, on aborde-là un point central, voire fondamental, de notre ordre. Le concept de Grand Architecte de l’Univers est une notion propre à la Franc-Maçonnerie en général, et à la GLDF en particulier. C’est aussi un élément historique qui va donc nous entraîner dans l’Histoire de la Franc-Maçonnerie, avec un grand H, celle de la création de la F\ M\ spéculative. Nous devrons également aborder le thème crucial entre Dieu et le GADLU, entre Déisme et Théisme ; vaste programme, n’est-il pas vrai ?

Et avec cette notion de GADLU, nous serons aussi obligés de revenir sur le sujet de la « régularité » des obédiences maçonniques, sujet là-aussi éminemment sulfureux.

Alors, allons-y pour un retour en arrière qui nous ramène au XVIIème siècle et même bien avant.

En effet, les Old Charges (Anciens Devoirs) s’adressaient à une Confrérie Catholique, constructrice d’édifices sacrés, pour laquelle Dieu est le GADLU. Mais nous sommes-là aux temps de la F\ M\ opérative avec une pénétration religieuse permanente. Il est toutefois important de s’imprégner de cette « religiosité » pour comprendre ce qui va suivre.

En remontant aux sources de la F\ M\ spéculative, les Pasteurs Anderson et Desaguliers, affirment dans le premier article des Constitutions de 1723 : « Un Maçon est obligé, en vertu de son titre, d’obéir à la Loi Morale et, s’il entend bien l’Art (l’Art Royal bien entendu), il ne sera jamais un Athée stupide ni un Libertin irreligieux ».

Si vous lisez bien cet article, ni le mot Dieu, ni le terme GADLU, ne sont employés. Pour retrouver cette expression de GADLU, nous devons remonter dans le préambule historique qui précède l’énoncé des Articles des Constitutions proprement dites. On peut y lire la phrase suivante « Adam, notre premier ancêtre, créé à l’image de Dieu, le Grand Architecte de l’Univers ».

L’équivalence entre Dieu et le GADLU sera la cause de la division de la première Grande Loge de Londres, fondée en 1717. D’un côté les Anciens, partisans des Old Charges et de l’autre les Modernes, représentés par Anderson et ses amis. D’un côté une vision théiste, doctrinaire, énoncée dans les Constitutions de la Grande Loge des Anciens, Constitutions que l’on nomme Ahiman Rezon, et de l’autre une conception non dogmatique, déiste et tolérante partagée par Anderson et Désaguliers. D’un côté, un Dieu révélé, et de l’autre une Loi Morale que l’on pourrait appeler Loi Naturelle et Universelle.

En 1736, le Grand Maître Dervenwater cru devoir modifier le texte d’Anderson de 1723 en précisant « Un Maçon ne sera jamais un Athée ni un libertin sans religion ». Cette position, en régression par rapport à celle d’Anderson, restera celle de la Maçonnerie Anglaise. Durant plusieurs années, en 1738, en 1756, en 1784, les Modernes tenteront de modifier le texte original de 1723 comme autant de concessions aux Anciens. Les deux sensibilités continueront cependant d’exister jusqu’à la fusion des Anciens et des Modernes, le 27 décembre 1813, qui consacre la victoire des Anciens et la disparition des Modernes par la création de la Grande Loge Unie d’Angleterre dont les Constitutions seront publiées en 1815.

Dans ces Constitutions, Dieu est nommé et l’article premier est on ne peut plus clair « Par obligation d’état, un maçon est tenu d’obéir à la Loi Morale et, s’il comprend bien l’Art, il ne sera jamais athée stupide ou libertin irreligieux. De tous les hommes, il doit le mieux comprendre que Dieu voit autrement l’homme ; car l’homme voit l’apparence extérieure alors que Dieu voit le cœur ».

C'est ainsi que l'obligation n°1 des Constitutions de la Grande Loge Unie d'Angleterre, publiées en 1813 à la suite de la fusion des deux Obédiences dites des « Anciens » et des « Modernes », prescrit que : « Quelle que soit la religion d'un homme, ou sa manière d'adorer Dieu, iln'est pas exclu de l'Ordre, pourvu qu'il croie au Glorieux Architecte du ciel et de la terre ».

Ce dogme est précisé comme suit :

« La maçonnerie est un culte pour conserver et répandre la croyance en l'existence de Dieu, pour aider les maçons à régler leur vie et leur conduite sur les principes de leur propre religion quelle qu'elle soit, à condition que ce soit une religion monothéiste, qui exige la croyance en Dieu, comme Etre suprême, et que cette religion ait un Livre Sacré, considéré comme contenant la volonté révélée de Dieu, et sur lequel l'initié puisse prêter serment à l'Ordre ».

Il s'ensuit donc que le maçon anglais doit avoir un Dieu personnel, et croire à des dogmes. Cette position théiste est confirmée par le célèbre écrivain maçonnique Mackey qui estime que le « landmark » essentiel est la croyance en l'existence de Dieu comme Grand Architecte de l'Univers et en la résurrection en une vie future.

Tout cela pose un réel problème et ce n’est pas la position officielle de la Grande Loge de France, qui dès ses origines s’est clairement prononcée pour une dissociation de principe entre Dieu et le GADLU.

La Grande Loge Unie d'Angleterre, qui se dit la Grande Loge-mère de la Maçonnerie, en raison de l'antériorité de sa fondation, se veut la gardienne des us et coutumes traditionnels de la maçonnerie régulière. Dans un mémoire en date du 4 septembre 1929, relatif aux critères de
régulation des Obédiences, elle proclame : « La croyance en Dieu, Grand Architecte de l'Univers, et en sa volonté révélée est une condition essentielle pour l'admission de ses membres ».

En France même, la Grande Loge Nationale Française, créée en 1913 par deux loges issues du Grand Orient, est la seule puissance maçonnique reconnue par la Grande Loge d'Angleterre. Elle déclarait dans un manifeste de septembre 1960 : « La première condition pour être admis dans l'Ordre et pour faire partie de la Grande Loge Nationale Française est la croyance en l'Etre Suprême et en sa volonté révélée. Cette règle est essentielle et n'admet aucun compromis ».

En 1961, cette même Obédience précisait qu'il ne peut y avoir de maçonnerie régulière en dehors des principes « ne varietur » suivants : « Croyance en Dieu, Grand Architecte de l'Univers, croyance en sa volonté révélée exprimée dans le Livre de la Sainte Loi, croyance en
l'immortalité de l'âme ».

Enfin, en 1967, elle adoptait la définition suivante : « La franc-maçonnerie est une fraternité initiatique qui a pour fondement traditionnel la Foi en Dieu, Grand Architecte de l'Univers ».

Nous ne pouvons que constater que, négligeant l'évolution de la pensée humaine depuis la création de la maçonnerie spéculative, ces obédiences qui se disent « régulières » sont en retrait par rapport au texte constitutif de l'Ordre que sont les Constitutions d'Anderson de 1723.

Chaque forme maçonnique se considère régulière. C'est pourquoi les obédiences anglo-saxonnes « excommunient » volontiers les puissances maçonniques qui n'admettent pas leur conception étroite des landmarks qu'elles ont elles-mêmes définis.

L'Ecossisme, Ordre initiatique traditionnel, quant à lui, ne prétend pas détenir la Vérité révélée et n'aspire pas à un monopole de la régularité maçonnique. Il n'a pas non plus la prétention d'imposer son propre point de vue aux autres rites, car il pratique un large esprit de tolérance.

Dans la ligne de l'esprit libéral qui le caractérise, il désigne le Dieu, allégué par Anderson par ce concept fondamental : le Grand Architecte de l'Univers. Issu de la Tradition, ce concept constitue la clef de voûte du Rite qui travaille à le glorifier, ce qui signifie que l’Ecossisme rend un éclatant hommage de respect et d'admiration au Grand Architecte de l'Univers, sans jamais chercher à le définir. Cela est un point fondamental, mes Frères !

Toutefois, ce concept relève exclusivement de la conscience de chaque maçon écossais, étant admis que la pratique scrupuleuse des rituels, l'étude du symbolisme et le travail personnel demeurent les seuls moyens d'accès du contenu initiatique de l'ordre.

Henri Tort-Nougués, dans son ouvrage, l'Idée maçonnique, écrit : « L'idée du Grand Architecte a un sens. Les francs-maçons manifestent ainsi leur attachement à un univers où le sens l'emporte sur le non-sens, l'Etre sur le Néant », fin de citation. Car, pour le maçon écossais, le Grand Architecte est un Principe Créateur, dynamique par excellence, organisateur de l'Univers. Mais aucun dogme ne s'y rattache.

Il peut l'entendre comme l'organisateur, l'ordonnateur, le géomètre, la force d'ordre qui lutte contre le chaos - Ordo ab chao - et lui substitue une harmonie, c'est-à-dire un principe d'ordre. Il peut aussi l'admettre comme un Dieu créateur, principe d'existence. Ce peut être le Dieu des philosophes du XVIII ième siècle, aussi bien que le Dieu des religions révélées. Il justifie toujours la lutte de l’esprit de l'homme contre la matière, le hasard ou le destin.

Le symbole du Grand Architecte de l'Univers n'étant lié à aucune croyance exprime donc la foi du maçon écossais dans la totale liberté de conscience. Il se place tout naturellement dans le cadre de l'initiation sur un plan idéal transcendant le chaos, exaltant les valeurs spirituelles les plus hautes, donnant le goût du sacré et conduisant au voyage vers l'invisible.

Pour le maçon écossais, le Grand Architecte de l'Univers n'est donc pas nécessairement une personne divine dont la volonté révélée serait visible en loge et se serait exprimée une fois pour toutes par le texte immuable d'une loi écrite. C'est un principe supérieur qui n'exige aucun credo.

Au Convent universel des Suprêmes Conseils du Rite Ecossais Ancien et Accepté de Lausanne, les Suprêmes Conseils ont adopté, le 22 septembre 1875, divers textes à ce sujet ; textes qu'il me paraît opportun de rappeler.

Dans un document intitulé Définitions, il est précisé : « La Franc-Maçonnerie a pour doctrine la reconnaissance d'une Force Supérieure dont elle proclame l'existence sous le nom de Grand Architecte de l'Univers ». Dans la Déclaration des Principes, il a été arrêté :

« La Franc-Maçonnerie proclame l'existence d'un Principe Créateur sous le nom de Grand Architecte de l'Univers ».

Enfin dans le Manifeste, il est déclaré :

« Pour relever l'homme à ses propres yeux, pour le rendre digne de sa mission sur la terre, la Maçonnerie pose le principe que le Créateur Suprême a donné à l'homme comme le bien le plus précieux la Liberté, patrimoine de l'humanité toute entière, rayon d'en haut qu'aucun pouvoir n'a le droit d'éteindre, ni d'amortir et qui est la source des sentiments d'honneur et de dignité ».

La devise des Suprêmes Conseils : « Deus Meumque Jus » (Dieu et mon Droit) montre la relation reconnue par le Rite Ecossais Ancien et Accepté, entre Dieu et l'Homme, ce dernier ne se voyant imposer, en sa qualité de maçon, aucune autre voie que celle choisie par sa
conscience.

La position officielle de lEcossisme a donc été parfaitement définie. Elle n'a jamais varié, offrant une conception du Grand Architecte de l'Univers à la fois plus ample et plus restreinte que celle du Dieu des différentes religions.

Relativement au Volume de la Loi Sacrée, l'attitude de l’Ecossisme est également parfaitement claire. Ce livre est la première des trois grandes Lumières du Rite, non pas comme expression de la volonté révélée de Dieu, mais comme pur symbole de la plus haute spiritualité humaine.

L'interprétation du symbole du Grand Architecte de l'Univers est, malheureusement à la base de la division et de la séparation des Obédiences, faisant éclater en diverses institutions ce qu'il est convenu d'appeler la « Franc-Maçonnerie universelle ».

Les Obédiences, qui se prétendent seules « traditionnelles », sont théistes et devenues au fil des ans conformistes, intolérantes et plus ou moins sectaires, en exigeant la croyance en un Dieu personnel.

Par contre, l'Ecossisme est demeuré indubitablement déiste, libéral et tolérant. Il est resté fidèle à la Tradition d’Anderson, tout en tenant compte de l'évolution spirituelle de l'humanité au cours de ces deux derniers siècles.

Face à la conception rigide et sclérosée des « landmarks » anglo-saxons, le Rite Ecossais Ancien et Accepté oppose sa compréhension vivante et enrichissante du concept fondamental de l'Ordre, témoignant par là-même de sa haute valeur initiatique. Pour ses adeptes, l'interprétation écossaise du concept du Grand Architecte de l'Univers les aide à poursuivre leur cheminement sur la voie de la Connaissance, à l'aide de l'initiation qui les libère des dogmes.

C'est le meilleur témoignage de la capacité du Rite à pratiquer une réelle tolérance active, même dans le domaine métaphysique. C'est un véritable retour aux sources, c'est le fondement de la Régularité des maçons écossais.

Cependant, le Rite Ecossais Ancien et Accepté ne peut que partager l'opinion de la maçonnerie anglaise sur le postulat suivant : une société initiatique doit respecter un minimum de principes intangibles si elle ne veut pas dégénérer peu à peu et se transformer en un groupement de clubs plus ou moins fermés ou politisés, mais devenus profanes en raison de la nature même de leurs motivations, de leurs travaux ou de leurs interventions publiques. Etant donné que les Anglais dénient toute valeur symbolique au concept de Grand Architecte de l'Univers et qu'ils imposent une croyance, il semble qu'ils conçoivent la Maçonnerie comme une pratique « élargie » de leur religion, en quelque sorte un culte complémentaire.

Pour les maçons du Rite Ecossais Ancien et Accepté, cette attitude n'est pas compatible avec la Tradition de l'Ordre et de sa nécessaire évolution. En ce domaine, plus encore qu'en d'autres, la recherche de la vérité nécessite une absolue liberté de pensée et de conscience, conjuguée avec son indispensable corollaire : le respect de l'homme. C'est pourquoi l'Ecossisme est contraint, quoiqu'il lui en coûte sur le plan de la Fraternité, de rejeter le « landmark » imposé par la Grande Loge Unie d'Angleterre : la croyance en un Dieu personnel et en sa volonté révélée. Il reste ainsi fidèle à la conception libérale des premiers créateurs des Obédiences maçonniques.

Pour conclure, il me semble important de rappeler la recommandation du Manifeste du Convent de Lausanne de 1875 ainsi énoncée :

« Aux hommes, pour qui la religion est la consolation suprême, la maçonnerie leur dit » : « cultivez sans obstacle votre religion, suivez les aspirations de votre conscience, la franc-maçonnerie n'est pas une religion, elle n'est pas un culte ».

Dans cet esprit, les maçons écossais peuvent continuer, sans restriction, à travailler à la Gloire du Grand Architecte de l'Univers.

J’ai dit, V\ M\.

J\-L\ Y\

Sources :
Les Constitutions d’Anderson par Louis-François de La Tierce, traduction de 1732 à 1742.
PVI n°102
Ordo Ab Chao

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