Obédience : NC Loge : NC 21/03/2013


Rien de trop et nos symboles maçonniques

Si nous nous promenons du côté de Delphes, sur le vestibule du temple d’Apollon, attirera notre attention cette inscription sujet de ma réflexion d’aujourd’hui : « Meden Agan » = Rien de Trop. Enfin, attirerait, il y a plus de deux millénaires, car de nos jours, Delphes ressemble plutôt à une paisible région vallonnée qu’à un temple, dont quelques ruines rappellent la gloire passée.

Pas loin de cette inscription une deuxième : « Connais-toi toi-même », très souvent évoquée ici. Si de nouveau j’en parle, c’est pour l’associer, comme l’ont fait nos ancêtres, à la première et mettre l’accent sur le fait que non seulement il faut se contenir, mais que cette réserve, ce « métron » des anciens, nous ne pouvons espérer l’atteindre qu’en effectuant un travail assidu de connaissance de nous-mêmes. En faisant un effort pour expliquer et comprendre le pourquoi de nos comportements excessifs.

En F\ M\ cette démarche est primordiale : « Le troisième devoir est de progresser en persévérant dans la connaissance de vous-même » dit le V\ M\ au futur apprenti durant son initiation.

« Rien de trop » et « Connais-toi » constituent donc des principes de base de la F\ M\ et de l’esprit grec ancien qui nous invitait à prendre conscience de nos limites, afin de les respecter. La sagesse grecque a toujours pourfendu la démesure et considérait la limite, le « peras »,de manière positive : c’était ce qui définissait les choses, ce qui les faisait surgir du néant, alors que l’illimité le « apeïron » désignait l’ignorance.

Ainsi, l’enseignement Pythagoricien plus particulièrement, donnait à la mesure une toute première place la qualifiant de « salutaire ». Dans son 37ème vers d’or il est dit justement : « J’entends par juste mesure ce qui te sera toujours salutaire ».

S’exercer donc à « rien de trop » est également une clé pour la construction du Temple maçonnique et de l’Initié.

Cette injonction, éthique plutôt que morale, dénote l’amour pour la modération et l’harmonie qui se cache dans l’évitement de l’exagération et de la démesure. Jouir le plus et le mieux possible mais en intensifiant notre sensation et la conscience des sensations et pas multiplier démesurément les plaisirs, comme Gargantua, comme Don Giovanni, comme un alcoolique, un boulimique ou celui qui est constamment tourné vers des occupations frénétiques de l’extérieur. Comme ceux qui veulent plus et toujours plus et ne se contentent pas, même du trop ! Comme notre prétention à être quelqu’un d’important, qui a du poids, qui veut devenir, laisser sa marque au-delà de la mort…

Mais, sont aussi démesure les guerres mondiales, les camps d’extermination, les armes atomiques et le terrorisme mais aussi, le vide de l’existence, la massification sociale, l’atomisation des individus vidés de tout contenu substantiel. La raison devient déraisonnable, cesse d’être raison, elle est mal gouvernée, elle cesse de donner la mesure.

Se mettre au dessus des lois communes, commettre le pêché de la démesure était une faute grave et se nommait hybris chez les grecs. Les héros perdaient leur immortalité alors que les hommes périssaient sous la colère des Dieux qui envoyaient Némésis pour cette punition. Cette dernière était fille d’Erèbe (symbole du silence et de la nuit profonde), lui-même fils du Chaos et frère de la Nuit. Tout un programme, mais toute une symbolique aussi !

Cette invitation à « rien de trop » n’est pas, répétons-le, une invitation à la norme, ni une invitation à l’immobilité et la rigidité, en tout cas c’est comme ceci que j’aurais souhaité que nous la considérions. C’est une invitation au questionnement, et surtout à l’adaptation avec notre temps à nos exigences et nos besoins ainsi qu’à ceux de notre époque. Le passage suivant est assez évocateur. Je le cite : « Toutes les sociétés vivent à vrai dire le même partage entre la mesure et la démesure, l'une fournissant les repères rassurants que l'autre s'emploie à dénoncer en ouvrant des abîmes tout à la fois redoutés et convoités. La mesure même est issue d'une démesure originelle puisque, par un mouvement dialectique, la contestation de la norme engendre à son tour les cadres qu'une nouvelle exaspération du désir fera éclater ». C’est ainsi nous progressons…et réalisons aussi que la dualité fait partie d’UN tout !

Toute notre symbolique suggère l’attachement profond de la Franc Maçonnerie à « rien de trop », synonyme de travail assidu sur nous-mêmes, pour faire rayonner cette voie de sagesse :

L’ouverture du compas peut ainsi déterminer l’étendue de nos possibilités. Cette étendue, plus ou moins grande, symboliserait l’évolution, les acquis de chacun à chaque moment de son cheminement. Son tracé nous indique les bornes, les limites à ne pas franchir, à ne pas vouloir dépasser sans que nous soyons prêts pour cela. Car, justement, notre devoir est de déplacer les bornes et élargir l’ouverture de notre compas mais, tout en veillant à ne pas outrepasser nos possibilités du moment. Certains sont morts pour défendre cette idée !

La Règle Graduée qui figure sur le sautoir du Grand Expert tout comme le niveau, attribut du 1er surveillant, suggèrent eux aussi exactement cette même idée de rien de trop, de la recherche du juste milieu et de l’équilibre. Ces deux outils sont indispensables pour que l’œuvre soit parfaite.

Mais il ne faut ni trop peu ni beaucoup trop ! Le pavé mosaïque qui occupe une place centrale dans notre Temple est là lui aussi pour évoquer cette voie du juste milieu et de la sagesse, la voie de l’initié qui prend le chemin de la crête matérialisée par la jonction des carrés blancs et noirs toujours en équilibre parfait entre les deux extrêmes.

Il ne suffit pas de constater. Il faudrait aller plus loin. Il est essentiel d’effectuer un travail dans le sens de la compréhension. « Les vérités essentielles sont masquées par l’ignorance et les préjugés, la violence et la ruse qui dominent ». Ce sont justement ces métaux que notre rituel nous invite à laisser à la porte du Temple afin de pouvoir espérer ainsi ôter le voile épais qui couvre nos yeux.

Mais comprendre quoi au juste ? Eh bien que derrière ces manifestations de démesure, ces comportements excessifs, se cachent des besoins. Que nos besoins reposent sur des blessures de notre passé et que derrière ces besoins, les compensations, les dépendances et les blessures du passé, il y a la peur.

Ce sont peurs et besoins qui nous font danser dans tous les sens mais sur place. Ce sont les peurs qui programment nos comportements à travers les croyances et les besoins. Arrêter ce mouvement extérieur frénétique et désordonné c’est nous donner une chance d’entendre notre musique intérieure.

Pourquoi me suis-je donné une vie si exigeante ? Ne s’agissait-il pas pour rester dans le désir, pour ne pas faire face aux sentiments intérieurs qui auraient pu poindre en moi ? Pour ne pas buter sur ce sentiment vague et confus qui me rappelle que je suis resté loin de moi-même ?

Ces comportements ferment à clé la porte de notre prison. Pas de joie, pas de paix, pas d’amour, pas de liberté. Rien de consistant derrière cette agitation. Seulement un personnage qui a peur, qui craint de ne plus exister s’il s’ouvre, s’il partage, s’il s’abandonne, s’il se transforme, s’il se donne la permission et l’autorisation intérieure !

Ces paroles de H. Hesse trottent dans ma tête : « On a peur uniquement quand on n’est pas en accord avec soi-même. Les hommes ont peur parce qu’ils ne sont jamais parvenus à la connaissance d’eux-mêmes (…) de l’inconnu qui est en eux ».

Et si nous n’avons pas commencé à réaliser tout cela il faut travailler, travailler encore en nous servant des outils que la F\ M\ met dans nos mains, pour essayer de nous débarrasser de la tyrannie de notre personnalité, cette dictature sous la botte de laquelle nous vivons et qui nous rend étrangers à nous-mêmes. Et une fois que nous aurons effectué ce travail, nous comprendrons, peut-être, le sens symbolique profond de l’inscription V.I.T.R.I.O.L. qui dominait dans notre cabinet de réflexion. Nous découvrirons notre pierre cachée et nous pourrons nous contempler parfaits et intacts en réalisant qu’il faut se démembrer, se décortiquer et se reconstituer, renaître meilleurs pour participer véritablement et efficacement au progrès de l’humanité, notre but initiatique commun. Nous aurons ainsi peut-être compris, que les valeurs que nous défendons ont une importance pour nous parce que nous avons profondément saisi leur sens, nous les avons faites nôtres et donc choisi de les défendre.

En nous re-cueillant et en affrontant les épreuves de notre chemin jusqu’à ce jour, nous nous donnons la possibilité de retirer les projections et les intentions que nous avons prêtées aux autres, et qui nous appartiennent. Tout nous appartient, ce que nous voyons dans le monde n’est souvent le reflet de ce que nous sommes intérieurement.

Voilà ce que je voulais dire aujourd’hui. Tout ce que j’ai exposé ici fait partie de mon cheminement personnel, de mes sensations et de mes intimes convictions du moment.

Et pour conclure, je dirais que nous avons vu à travers cette esquisse l’importance de « rien de trop » dans la pensée philosophique et réalisé que le respect de cette injonction a une grande importance pour notre cheminement maçonnique. Les symboles mis à notre disposition nous incitent à l’observance de cette règle.

Cette vertu qui n’est pas une incitation morale mais éthique, nous pourrons l’acquérir et choisir de nous y conformer, seulement si nous faisons un effort de compréhension pour réaliser que nos débordements sont très souvent dus à des blessures passées qui créent besoins et peurs. Nous pourrons ainsi faire un pas supplémentaire vers la maîtrise dans le sens large du terme, en tournant notre regard vers notre monde intérieur.

C’est par la règle qu’on se donne qu’on est heureux, c’est par l’action libre qu’on est heureux, par la discipline acceptée en somme.

J’ai dit V\ M\

G\ Ax\


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