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Le mythe de l’Eternel retour est-il
compatible
avec celui de progrès ?

Parler d’un « éternel retour » laisse supposer que tout ce qui fut sera  puisque choses et événements ne seraient que le fruit d’un éternel recommencement. Mais croire en même temps au progrès, c’est croire que les choses évolueront, donc changeront dans un sens positif, c’est se projeter en avant dans un futur plus ou moins lointain. Comment rendre compatibles ces deux notions apparemment contradictoires ? Bien plus, il apparaît que la perception du temps varie selon les traditions dans lesquelles on se place et la notion elle-même de progrès est des plus fluctuantes.

L’ « Eternel retour » :

a) L’âge d’or :

Le thème d’un retour vers un âge d’or est présent dans toutes les civilisations. Il s’agit toujours d’un moment vécu par l’humanité et décrit comme étant celui de l’abondance dans une nature généreuse où tout pousse sans travail, où les animaux domestiques vivent en paix entre eux et avec les hommes. Ces derniers vivent pacifiquement, dans l’amitié, la concorde, la justice, en une totale communauté. Ce thème, susceptible de multiples variantes fournit la trame de nombreux mythes et utopies. Il connote la nostalgie d’un paradis perdu, où l’homme, soumis à l’influence divine, ne connaissait ni le malheur, ni la maladie, ni les affres de la mort. Dès l’Antiquité gréco-latine, ce mythe est lié au temps cyclique : les révolutions des astres et leur retour à leurs conjonctions premières entraînent une succession des « âges ». On constate que dans toutes les traditions cet âge d’or est synonyme de liberté, de vie facile, de paix, de longévité, voire d’euthanasie, puisque Platon décrivant cette période dans « le Politique » déclare : « les hommes, joyeux et souriants, s’abandonnaient à la mort comme à un doux sommeil… ».

La littérature présente une autre vision de l’âge d’or, celle d’un Paradis « pour plus tard » qui caractérise l’utopie. Cette dernière est liée non plus à un temps cyclique, refermé sur lui-même, mais à un temps ouvert sur un avenir linéaire, infini dans son déroulement et aboutissant à un autre monde. La pensée juive apporta à la pensée hellénique l’élément très nouveau d’un temps apocalyptique non plus humain mais débouchant sur l’immortalité et le divin. C’est cette substitution au retour à l’âge d’or d’une catastrophe  finale, comme condition d’une définitive transfiguration, dépouillée au cours des siècles de son aspect religieux, qui a donné naissance au paradis des socialistes, un règne de l’homme sur la terre qui sera le paradis, non plus de « l’avant » mais de « l’après ». C’est ainsi que les utopies devinrent des projets de sociétés où les conditions de la vie permettront l’instauration d’un nouvel âge d’or.

Ces deux visions qui ne sont pas véritablement « l’éternel retour » traduisent un « mal être » chronique de l’humanité qui aspire donc soit au retour pur et simple d’un état de béatitude passé soit à l’avènement à la fin des temps d’une ère nouvelle similaire à cet état de béatitude vécu à l’aube des temps.

b) Le temps cyclique :

Si l’on se penche sur la représentation traditionnelle du temps, on constate que nous sommes toujours en présence d’un temps cyclique :

Toute société traditionnelle vit au rythme de rites qui ponctuent les moments de la journée (rituel du matin au lever du soleil, rituel du repas, rituel qui accompagne le travail, rituel des cérémonies, etc).  L’origine philologique de ce terme nous éclaire sur le sens qu’il faut lui prêter : le mot « rite », issu du latin « ritus » (cérémonie religieuse), vient lui-même du sanscrit « ritli » (allure, disposition, usage) dont on trouve l’origine dans la racine indo-européenne «  ». Ainsi, le rite est une invite à aller, à suivre un chemin pour se diriger vers un but. Le rituel est une invitation et une célébration qui renvoie l’homme à l’Origine, telle qu’elle a été pensée dans les mythes fondateurs. Le rite effectue la répétition d’un acte sacré. La répétition rituelle, c’est le retour circulaire du temps, l’éternel retour  au Même, contre le changement dans le Devenir.

Dans la religion des Indous, le brahmane, au moment où il récite la prière au soleil, surya namaskar, répète un geste dont l’origine remonte aux temps védiques. Au moment où il accomplit un rituel, il n’est plus dans le devenir ordinaire de la vie, mais dans le temps sacré de la création.

La cérémonie du sacre d’un roi, le rajanya, est « la représentation terrestre de l’antique consécration que Varuna, le premier souverain a fait à son profit… si le roi fait le même geste, c’est parce que à l’aube des temps, le jour de sa consécration, Varuna a fait le même geste ». (M.Eliade).

Au sein même de nos loges nous vivons un  phénomène analogue:  en effet,  la première fonction de tout rituel d’ouverture est de sacraliser le lieu où s’effectueront les  travaux :  ce dernier doit recevoir une  légitimation surnaturelle, il  doit être délimité, consacré, car il est chargé de puissance numineuse. Après s’être assuré que l’espace sacré n’a pas été profané, le Président qui dirige les travaux fait confirmer le paysage du lieu sacré dans sa valeur hiérophanique par une série de constructions symboliques  puis procède  par une série de  questions-réponses avec les  surveillants au découpage du lieu. L’espace sacré devient alors  point de référence absolu, le centre du monde qui est recréé  à partir de ce  lieu.  Le Temple devient l’endroit où se pratiquent   les rites, les gestes archétypaux  devant régénérer le monde. Pour les Frères, demeurer dans l’espace sacré, c’est se retirer des lois du monde profane et accéder à une pureté inviolable.

L’espace étant délimité, il ne reste plus qu’à déterminer le temps du travail qui fait l’objet d’une différenciation analogue à celle de l’espace. Le temps des activités profanes est suspendu. Les coups  de maillet et les batteries ponctueront désormais l’écoulement d’un temps immuable,  du Grand Temps Mythique, d’un temps sacré, caractérisé par la suspension des habitudes  ou des normes du temps de labeur. Ce temps sacré se confond avec le temps mythique des dieux, le «  Grand Temps » dont parle Dumézil, « celui durant lequel sont survenus les éléments primordiaux ». Ce Temps Sacré est la répétition du Grand Temps et le Franc-Maçon est ainsi  le contemporain  du temps des origines, il  en capte la force pour assurer  la rénovation de la société.

La tradition est fondée sur cette répétition des archétypes sacrés. Elle ignore le temps dans ce qu’il comporte de changeant, de valeur de l’Autre, dans ce qu’il possède de neuf et d’imprévisible, dans ce qu’il peut avoir d’unique. Elle est axée sur la répétition et la permanence du Même.

Cette représentation cyclique du temps a reçu bon nombre de critiques sévères qui sont autant de manières d’affirmer en contre-pied la suprématie de la représentation linéaire du temps : Chez Hegel, par exemple, ce rejet repose sur la dualité séparant l’ordre de la nature, le Temps de la nature où tout se produit et se répète, et l’ordre de l’histoire, le temps psychologique, le temps humain des faits historiques qui est marqué par la non - répétition. La représentation cyclique du temps doit essuyer toutes les critiques : du point de vue anthropologique, elle serait un mode de pensée « archaïque », opposé à la « pensée moderne », du point de vue de la philosophie politique, la représentation cyclique du temps est suspectée d’avoir un caractère « réactionnaire » qui va à l’encontre du mouvement « révolutionnaire » de l’histoire et du point de vue épistémologique, elle aurait un caractère « anti-scientifique ». Quant à la psychanalyse freudienne, elle y trouve une attitude de régression infantile.

c) Mythe ou réalité ?

Si cette appréhension du temps telle qu’elle apparaît dans l’idée d’éternel retour est bien mythique, en ce sens qu’elle s’appuie sur le mythe, quelles qu’en soient les critiques, elle s’appuie cependant également sur la réalité, le mythe étant la représentation de faits ou de personnages réels, déformés ou amplifiés par l’imagination collective : la science nous montre en effet que la Nature fonctionne essentiellement dans des cycles : cycles de la reproduction, cycles biologiques, cycles des climats, etc. Un cycle suppose une évolution circulaire et non pas linéaire. C’est bien cette représentation du temps qui a dominé dans les cultures traditionnelles. Le temps ne fonctionne pas en suivant une ligne mais un cercle.

Pourtant, notre conception moderne de la durée est dominée par l’image de la ligne : il y a en arrière du temps une longueur de temps qui s’étire à l’infini et notre petite existence ne tient que sur un petit segment de droite, la demi-droite d’un futur qui nous reste inaccessible. Nous propulsons notre vigilance en avant, dans la visée d’une intention, sorte de flèche dirigée vers un but, de sorte qu’entre nous même et la cible c’est encore une ligne que nous pensons. Il semble donc naturel pour l’homme de penser que le temps est une ligne qui s’étend du fond du passé jusque dans le futur.

Le temps linéaire 

a) Passé, futur et présent :

Cette analogie de la ligne est-elle pertinente ? Elle suggère en effet que le passé et le futur ont des similitudes (demi-droites), qu’ils ont en commun une réalité qui serait l’infinité de la durée. Quant au présent, il n’est qu’un point entre deux infinis, le tout de la durée. Dès lors, quelle réalité devons-nous accorder au passé, au présent et au futur ? Faut-il considérer que la ligne du temps établit le rapport véritable des dimensions temporelles ? Ou bien faut-il voir dans cette métaphore une trahison de l’expérience, une sorte de traduction abusive du temps et des valeurs de l’espace ?

Le passé parvient à notre conscience à travers nos souvenirs. Sans acte de rétention, il n’y aurait pas de conscience du passé. Le souvenir, en restituant ce qui a été, introduit dans l’histoire personnelle du moi. Le passé est d’abord conscience et non une réalité au sens ordinaire. Cf. Saint Augustin, quand il écrit : «  Quand nous racontons véridiquement le passé, ce qui sort de la mémoire, ce n’est pas la réalité même, la réalité passée, mais des mots, conçus d’après ces images qu’elle a fixées comme des traces dans mon esprit en passant par les sens. Mon enfance qui n’est plus,  est dans mon passé qui n’est plus, mais quand je me la rappelle et me la raconte, c’est son image que je vois dans le présent, image présente en ma mémoire ».

Le passé paraît donc être un mode qui appartient en propre à la conscience. Saint Augustin parle dans son langage « d’extension de l’âme ». Il nous est aisé de nous représenter le passé parce qu’il est structuré dans le présent à travers le flux de la conscience : nos pensées viennent et s’en vont sous forme de brefs éclairs. Ce qui fait le passé, ce n’est pas la réalité mais la présence des souvenirs. Partant, quelle réalité lui accorder ? Celle qui désigne le mode de conscience du passé : le passé désigne un plan essentiel de la réalité, le Devenir. En effet, si rien ne devenait, si rien ne changeait, si tout restait immobile, il n’y aurait pas de passé. C’est le Devenir qui fait que le passé tombe de lui-même dans la nuit et qu’il s’enfuit.

Qu’en est-il alors du futur ? Peut-il avoir un statut différent de celui du passé ?

Le futur est notre « à-venir », il se manifeste dans nos consciences, dans nos attentes. Si nous n’attendions rien de lui, si nous n’avions ni espoir, ni crainte, ni angoisse, il n’aurait aucun sens  car alors nous serions sur le même plan que l’animal, dans un présent végétatif. La conscience qui se rapporte à un futur contient en elle la dimension du « pro-jet », ce qui nous tire en avant et cristallise l’avènement de nos désirs. Le futur est la temporalité même de l’action et de la volonté (vouloir, c’est vouloir que le futur soit). Le projet est en outre la continuité entre aujourd’hui et demain, ce qui fait dire à Paul Valéry : « l’avenir est la parcelle la plus sensible de l’instant ».

Il y a donc entre passé et futur de grandes similitudes, une même conscience qui retient ou se projette, une réalité qui s’en va ou n’existe pas encore, deux néants qui bordent l’être du présent. On pourrait dire avec Saint Augustin : « ce qui m’apparaît maintenant avec la clarté de l’évidence, c’est que ni l’avenir ni le passé n’existent ». Le présent devant la puissance du passé et du futur fait pâle figure et est loin d’être à la hauteur des exigences de l’ego. Il n’est qu’un point de passage.

b) Pourquoi cette représentation c’est imposée  à nous :

La représentation linéaire du temps a fini par s’imposer en Occident : les premières traces de cette conception apparaissent lors d’un Concile qui a posé les fondements du dogme chrétien, ceci pour marquer  la différence entre « les croyances païennes » et la foi chrétienne. Les Pères de l’Eglise décidèrent alors l’abandon de l’hypothèse de la renaissance et l’interprétation cyclique du temps (croyances pourtant admises par les premiers chrétiens) ce qui aurait conduit à justifier l’insoutenable, admettre la répétition de ce qui engendra les souffrances du Christ et devoir renouveler le Sacrifice. Désormais le Christ était mort sur la Croix une seule fois et l’humanité sauvée une fois pour toutes. Dès lors, le temps apparaissait dans la représentation chrétienne comme une ligne sur laquelle sont marqués les événements : la genèse, la chute, la révélation faite à Moïse, la naissance du Christ, la montée au Calvaire, la Résurrection et, dans les temps à venir, la Cité de Dieu, comme le dit Saint Augustin. Il fallait alors imaginer à côté des débuts des temps, une fin des temps, l’Apocalypse, ce qui n’a de sens que dans une conception du temps sous forme de droite. Aujourd’hui encore, la théologie chrétienne reste attachée à cette représentation linéaire du temps et quand il s’agit de mettre en valeur la vision chrétienne du monde pour en montrer la supériorité, il est d’usage de prendre le contre-pied de la représentation cyclique du temps et d’affirmer la valeur d’une représentation linéaire du temps.

Le progrès

a) S’agit-il d’un mythe ?

Ce qui est assez curieux, c’est  l’extraordinaire métamorphose subie par la représentation linéaire du temps, léguée par le christianisme, le « mythe du progrès », à l’aube de la techno -science moderne :  La croyance rationaliste en un futur orienté vers le progrès est la composante majeure de l’idéal du siècle des Lumières et si l’on conserve l’image de la ligne, il suffit de remplacer le début, les étapes et la fin :  Après les débuts de la pensée en Grèce, après l’obscurantisme du Moyen Âge, nous voyons apparaître le renouveau de la modernité et les lumières de la science accompagnées de ses techniques. L’avenir paraît radieux, devant les hommes s’ouvre la grande route droite du progrès. Le passé révolu peut être considéré comme une masse de superstitions grotesques, une errance de l’humanité dans une barbarie révolue ! Pour Condorcet, l’humanité avance d’un seul pas vers l’avènement de la raison, par l’instruction du genre humain dans les sciences. Pour Auguste Comte, on va de « l’état théologique » de la société vers « l’état métaphysique » pour, finalement, parvenir à « l’état positif ». Pour Hegel, l’Histoire avance vers l’avènement de « l’état Dieu », manifestation suprême de l’esprit. Pour Marx , le terme de l’histoire sera la société sans classe et le mouvement du progrès s’accomplit dans la lutte des classes.

Apparemment donc, il n’y a de progrès que si l’on s’inscrit dans cette représentation linéaire du temps, et  il y aurait, semble-t-il,  incompatibilité avec le mythe de l’éternel retour qui s’appuie, quant à lui, comme on l’a vu, sur une représentation cyclique du temps.

La philosophie des XVIIème, XVIIIème et XIXème siècles  nous a légué l’héritage majeur qu’est l’idée de progrès, une  idée laïque , s’écartant résolument de la pensée médiévale qui expliquait tout par la volonté de Dieu, proposait une théorie forte et durable, permettant d’ordonner et d’interpréter l’ensemble de la vie passée, présente et future de l’humanité.

Le nouveau concept était d’une extrême simplicité : toute société se déplace régulièrement vers « le Haut », le long d’une voie qui l’éloigne de la pauvreté, de la barbarie, du despotisme et de l’ignorance pour la conduire vers la richesse, la civilisation, la démocratie et la Raison (incarnée par la science).

C’est cette idée du mouvement du mauvais vers le bon, de l’ignorance vers la connaissance, qui a donné à ce concept son éthique porteuse de promesses, son caractère optimiste et son élan réformateur.

Mais qu’en est-il en réalité ? Au vu de l’état du monde peut-on réellement parler de progrès ? N’est-ce pas plutôt un mythe ?

Si l’on compare les premiers âges de l’humanité à notre monde actuel, le progrès matériel est évident et l’on voit bien en quoi il consiste. Cependant, sans négliger de rendre hommage à tous les inventeurs, de l’humble artisan au plus grand savant, on peut se demander en voyant coexister le meilleur et le pire, si après tout, l’humanité est vraiment bénéficiaire de cet immense progrès matériel.  

b) Le progrès moral

Ceci  nous amène à la notion de progrès moral, celui que nous avons principalement en vue lorsque nous disons que la Franc - Maçonnerie est une institution progressive : cette affirmation résulte de la simple constatation que les progrès de la morale doivent dominer en quelque sorte les progrès matériels et intellectuels, sous peine de voir ces derniers se retourner finalement contre l’Humanité elle-même.

Lorsqu’il est question de morale, les opinions sont souvent contradictoires, elles évoluent avec le temps et à une même époque elles varient selon les milieux. C’est ce que constatait déjà Montaigne au XVIème siècle quand il écrivait : « Il n’est chose en quoi le monde soit si divers qu’en coutumes et en lois… Telle chose est ici abominable qui apporte recommandation ailleurs… ». Pascal reprenait la même idée au siècle suivant : «  On ne voit presque rien de juste ou d’injuste qui ne change de qualité en changeant de climat… Vérité en deça des Pyrénées, erreur au-delà ».

Mais depuis ces affirmations qui traduisent un très grand scepticisme, l’Humanité a vu naître et se développer la science moderne et des méthodes de pensée efficaces pour atteindre à des informations sans cesse plus exactes et à la découverte de vérités sur lesquelles l’accord d’un nombre de plus en plus grand d’esprits devient possible. Cette évolution spirituelle, commencée il y a quatre cents ans environ, lors de l’abandon partiel de l’autorité absolue des Anciens a fait lever un grand espoir et  permet d’entrevoir aujourd’hui avec netteté la possibilité certaine du progrès dans tous les domaines et spécialement dans celui de la morale. C’est ainsi que la Franc- Maçonnerie a fait sienne l’image de Pascal : «  Toute la suite des hommes, pendant le cours de tant de siècles, doit être considérée comme un même homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement ».

La spirale du temps

La seconde figure du temps cyclique est celle non du cercle mais de la spirale du temps. L’image de la spirale combine celle du retour circulaire, mais avec à chaque spire un léger décalage linéaire comme par exemple dans la théorie indienne des kalpa : le temps n’existe pas en soi, il est un concept de la Manifestation relative. Cette Manifestation est cyclique et suppose tout à la fois un pouvoir de Création, de Maintien et de Destruction dans un équilibre instable, tout au long du processus de Devenir. Selon Mircéa Eliade, cette représentation cyclique du temps n’a rien d’une spéculation gratuite. Elle ouvre des perspectives radicalement différentes de la représentation linéaire du temps. Elle est profondément significative et n’a rien d’absurde, de primitif, d’archaïque ou d’infantile. Elle fait partie d’un héritage immémorial de l’humanité, elle est présente dans toutes les civilisations. Elle enveloppe un sens du Sacré qui justement fait défaut à la représentation linéaire du temps historique :

Si l’on s’en réfère aux textes sacrés ou bien à la sagesse de nombre de penseurs, il apparaît qu’en fait la progression de la vie, liée à la vie de l’univers suit effectivement les lois d’une spirale. Tout dans la vie croît sous l’image de la spirale, depuis le système solaire jusqu’à l’évolution de la feuille. Il semble bien que tout se transforme en cycles progressifs  et que le progrès naturel ne peut suivre une ligne droite, quant à suivre un chemin uniquement circulaire, c’est-à-dire que si tout n’était soumis qu’à un éternel retour qui ne s’exercerait que dans un seul plan, cela équivaudrait à un éternel recommencement, sans évolution possible. Il y aurait donc là aussi incompatibilité avec toute notion de progrès, voire même d’évolution.

En effet, pour qu’il y ait vie, l’évolution doit s’effectuer sur un chemin à trois dimensions, et c’est bien le cas de la spirale qui toujours s’avance en tournant et en s’élevant. C’est d’ailleurs à mon sens l’un des symboles majeurs exprimés par les voyages maçonniques lors des différentes élévations de grades : Au cours de ces voyages, toujours en un même lieu, cet espace sacré qu’est le temple, l’impétrant retourne, régulièrement aux mêmes endroits, quels que soient les grades auxquels il est élevé – Pourtant à chaque passage, il acquiert une sagesse nouvelle qui le construit, l’enrichit et l’élève véritablement à un autre niveau. Il parcourt une spirale ascendante qui le fait évoluer – ce qui a été ne sera plus jamais – lors de chaque voyage, il est enrichi de ce qu’il vient de vivre mais en même temps il vit une certaine mort, il disparaît pour renaître à une autre vie. Il s’agit là véritablement d’un éternel retour avec toujours un certain décalage spatial, dont il se trouve enrichi : Chaque cycle se termine par une disparition qui est en même temps un recommencement à un niveau supérieur. Nous continuons notre progression, enrichis de nos expériences passées.

Conclusion

L’Eternel retour n’est pas un mythe, ou plutôt, s’il est mythique, c’est  en ce sens qu’il s’appuie sur des traditions et des mythes : comme nous l’avons vu, ce n’est pas le retour d’un  âge d’or qui serait une sorte de Paradis Perdu, un état de bien être absolu dans lequel aurait baigné l’humanité à l’aube des temps, ce n’est pas non plus une sorte de Paradis futur qui se réaliserait à la fin des Temps. L’Eternel Retour s’inscrit dans une conception cyclique du temps qui s’oppose à une vision linéaire dans laquelle le progrès apparaît davantage comme une évolution des techniques et de la science.  Si l’on considère que le progrès doit être moral (les Francs – Maçons travaillent à l’amélioration matérielle et morale de l’humanité), il n’y a pas d’incompatibilité avec un éternel retour qui suivrait l’évolution de la spirale :

Le retour aux origines nous fait passer de nouveau en un point que nous avons connu, mais en même temps il nous élève, nous disparaissons à une certaine vie, renaissons  et poursuivons notre chemin sur un plan supérieur, enrichis des leçons du passé – loin d’être incompatible avec la notion de progrès, l’éternel retour pris en ce sens me paraît en être la condition sine qua non.

Bibliographie :
Mircéa Eliade, « le mythe de l’éternel retour »
Ligou, « dictionnaire des Francs-Maçons »
Revues, « la Chaîne d’union » ; « humanisme »
J. Chevalier « dictionnaire des symboles »

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