GLAMF Loge : NC 15/11/2013


 

 VITRIOL

3040-H-1

Quand il m'a été demandé de travailler sur ce sujet, j'étais plutôt enthousiaste à l'idée de réfléchir sur un thème alchimique, mais en réalité la tâche fut beaucoup plus ardue que je l'avais prévu.

J'ai lu énormément de choses, pour la plupart que je n'ai pas comprises et le sujet en vérité s'ouvrait de plus en plus au rythme de mes recherches. Je me suis rappelé ma formule de potache : S et K, soufre et potasse !

Il m'a fallu synthétiser et choisir. J'ai besoin de votre aide, mes chers Frères, pour me dire si ma compréhension du sujet va dans la bonne direction.

Pour commencer, un peu d'histoire

A première vue, le mot vitriol est un nom bien connu de qui a fait des études secondaires. Mais que vient faire un terme chimique dans la caverne sombre qu'est le Cabinet de Réflexion ? Mon contact personnel avec le VITRIOL, c'est-à-dire le découvrir en grosses lettres dans cet endroit improbable avec des points entre les lettres, m'a causé un choc. J'étais à mille lieues de m'imaginer que le monde des symboles dans lequel je me préparais à rentrer avait quelque chose à voir avec l'Alchimie qui m'intéresse par ailleurs dans sa dimension théorique depuis plusieurs années.

Une encyclopédie nous apprend que le mot vitriol est dans son sens commun une substance chimique. Il vient du latin « vitriolum », mot de la même famille que « vitrum », le verre, nommé ainsi car les sels de ce produit ressemblent au verre.

Ce vitriolum désigne au Moyen Âge et à la Renaissance diverses substances d'aspect huileux ou vitreux, liquides ou solides. C'est un terme générique synonyme de sulfates métalliques qui désigne maintenant un acide dangereux et très puissant, l'huile de vitriol ou acide sulfurique.

L'acide sulfurique est un puissant oxydant, surtout quand il est concentré et chaud. Il attaque les métaux (peut-être ceux que je dois laisser à la porte du temple) en les transformant en sulfates métalliques.

Cet acide est à la base d'une puissante industrie chimique dont je ne parlerai pas ici. Par contre, l'alchimie, entre autres termes dont la signification semble très éloignée du sens commun, parle à de nombreuses reprises du vitrio - vitriolum.

Quel rapport aurait cette substance avec les travaux qui nous préoccupent ? Nous sommes des bâtisseurs, pas des chimistes ! En faisant un parallèle avec le mode agissant d'un acide, que fait le vitrio-vitriol ? Il dissout ? il sépare ? il fait ressortir les éléments fondamentaux ? Serait-il l'agent d'une transmutation d'éléments « ordinaires » en d'autres plus nobles ?

Et puis, agit-il seulement sur l'externe, comme sur l'enveloppe humaine qu'on vitriolait autrefois pour défigurer ou pourrait-il agit plus symboliquement à l'intérieur, sur l'âme humaine ?

Rapidement, une petite plongée dans le corpus lexical alchimique et hermétique nous confirme cet éloignement du sens commun : on lit ici et là des allusions au vitriol des sages, au vitriol des philosophes, on découvre notamment chez un certain Basile Valentin des vitriols de toutes les couleurs et même une allusion à un « lion vert » chez Eugène Canseliet. Et puis, on découvre qu'il n'y a pas que dans le Cabinet de Réflexion que le mot est écrit sous forme d'acronyme et même d'anagramme.

Le mot apparaît dans le cabinet de réflexion, lequel contient et représente tous le chemin du Maçon et donc de l'Homme. Ce n'est pas anodin et nous invite à lui porter une attention toute particulière. Pour continuer, effleurons un peu l'alchimie ou l'Art hermétique.

L'objectif de l'alchimie est, dit-on, de fabriquer de l'or avec de la matière vulgaire en utilisant la Pierre Philosophale et d'accéder à l'immortalité grâce à la Panacée. C'est son aspect exotérique, c'est ce qui a permis à des esprits forts de la traiter de tissu d'âneries.

Fort heureusement, tout cela a été repris par des chimistes, des vrais ce coup-ci, avec diplômes et touti quanti, pour obtenir effectivement de l'argent et cela de manière beaucoup plus rapide. Quand on creuse un tout petit peu, on perçoit un objectif caché qui permettrait de faire évoluer les Hommes vers un état de conscience supérieur, lentement, mais plus rapidement que dans le cadre d'une évolution naturelle.

Quelques recherches

Je me suis un peu appuyé sur les travaux de Tripied (« Du vitriol philosophique et sa préparation ») qui m'a semblé une bonne introduction au sujet pour essayer de dégager le premier sens du mot vitriol.

La notion de VITRIOL est décrite dans les travaux de Paracelse sur le pur et l'impur de chaque substance. Suivant lui, en toutes choses, il y a l'âme de cette chose qu'il appelle « l'élément prédestiné ». Cet élément prédestiné qui se compose, toujours d'après lui, de sel, de soufre et de mercure, est comme noyé et disséminé dans une masse formée de flegme et de terre morte qui nous donne ainsi le corps tel que nous le voyons.

Les métaux ont ainsi en eux un grain pur enseveli sous les fèces noires, et c'est ce grain pur, cette âme non encore complètement fixe, que l'art hermétique se propose d'aller chercher, pour l'élever à une condition supérieure, au moyen de l'art de la transmutation.

Il s'agit de dégager le vitriol pur de l’impur, acte qui est le commencement de l’œuvre hermétique. Selon Eugène Canseliet, le vitriol a pour synonymes le « lion vert » ou encore « l'émeraude des sages ». C'est pour lui le dissolvant secret capable de dévorer les sept métaux et l'or.
En dernier lieu, citons Basile Valentin, et j'arrêterai avec lui les références alchimiques. Il a écrit dans son « Testament » (en substance) :

« Le Vitriol est un notable et important minéral auquel nul autre, dans la nature, ne saurait être comparé, et cela parce que le Vitriol se familiarise avec tous les métaux plus que toutes les autres choses [...] Car, bien que tous les métaux et minéraux soient doués de grandes vertus, [...] le Vitriol est seul suffisant pour en tirer et faire la bénite pierre [philosophale], ce que nul autre au monde ne pourrait accomplir seul à son imitation ».

Pour lui, également, la matière première du grand œuvre est indiquée dans l'acronyme V\I\T\R\I\O\L\. C'est une indication à peine voilée qui montre qu'il ne s'agit pas d'un simple mot mais bien d'une formule, qui nous entraîne dans une direction plus symbolique, vers un sens nouveau.

D'agent dissolvant, le vitriol est promu – en plus – matière première et procédé.

Vers quoi tout cela peut-il nous mener ?

Il y a bien un secret alchimique comme il y a un secret maçonnique. Ces secrets ne peuvent être révélés : ils doivent être découverts soi-même grâce à son propre parcours personnel. Le but, ce n’est pas forcément arriver quelque part, c'est parcourir le chemin. Cela confirme que c'est bien l'acronyme qu'il faut étudier, d'autant plus que le Cabinet de Réflexion est formel : un point suit chaque lettre.

La recherche de la pierre philosophale, conduite dans la durée, a pour effet de transformer le Philosophe. Qu'il trouve ou non la Pierre, qu'il atteigne ou non le succès dans le monde matériel, de nombreux auteurs s'accordent à dire qu'il se pourrait bien qu'il trouve une pépite en lui-même.

La Franc-Maçonnerie qui vise à prendre des pierres brutes et à en faire des pierres parfaitement taillées qui s'inséreront dans un temple, a la même finalité. D'un être ordinaire, elle vise à en faire un Homme avec un grand H. Cette transmutation n'est pas une opération magique, mais est le fruit d'un travail intense et prolongé.

L'anagramme

Les alchimistes donnent au terme « vitriol » une signification ésotérique, en l’interprétant comme un acronyme de la phrase « Visita Interiora Terrae Rectificandoque Invenies Occultum Lapidem », mots latins signifiant, littéralement, « Visite l'Intérieur de la Terre, et en Rectifiant tu Trouveras la Pierre Cachée ».

Le premier à le signaler est, semble-t-il, Gérard Dorn, un disciple de Paracelse, en 1581.

L'acronyme, placé dans le Cabinet de Réflexion, doit être à l'évidence en rapport intime avec l'élément Terre, ce que confirment notamment des textes alchimiques. Il comporte 7 lettres qu'on peut regrouper en 2 groupes de 3 lettres autour du R central, exprimant ainsi trois temps.

Le premier groupe de lettres : V.I.T., le Cabinet de Réflexion et les temps d'introspection V.I.T. – Visita Interiora Terrae visita : visite, examine, fouille, représente une phase active de recherche qui peut prendre du temps.

Interiora Terrae se rapporte à l'endroit qu'il faut inspecter : c'est dans la terre, c'est dans la prima materia, c'est aussi le dedans de l'homme qu’il faut regarder, car finalement, c'est peut-être bien d'une introspection dont on parle ici, pour trouver l'élément de base sur lequel il va falloir travailler.

La commande qui nous est faite ici consiste à trouve la matière première et à l'extraire.

En Alchimie, il s'agit de trouver la matière première. Pour nous, Maçons, l'épreuve de la Terre est une descente en soi-même, une descente dans la matrice d'où il faudra ensuite se relever volontairement. C'est une invitation à l'introspection pour trouver en soi cette « primera materia » sur laquelle il va falloir œuvrer. Il me faut cerner en moi ma partie essentielle. En d'autres termes, je dois appliquer à moi-même un principe écrit sur le fronton du temple de Delphes : « Gnothi Seauton », c'est-à-dire « connais-toi toi-même ».

Plongé dans le cabinet de Réflexion, il m'a fallu réfléchir sur ma vie et rédiger mon Testament Philosophique (tiens ? Philosophique?) ...Je m'aperçois que pour cela j'aurais dû entrer encore plus profondément en moi...car sur le moment, j'en étais bien loin. J'étais plus en train de me demander ce qui allait se passer ensuite.

Je viens juste de me rendre compte que l'Initiation avait déjà commencé, que ce qu'on attendait en fait de moi lors de cette première épreuve de l'initiation : c'est bien de « V\ I\ T\ » visiter l'intérieur de la Terre.

La lettre centrale : R. - le travail sur soi

R. – Rectificandoque

Il tient la place centrale, c’est donc une étape pivot. Il y a un « avant » et un « après ».

Une virgule le suit dans la phrase latine. Une virgule est une respiration, un temps d'attente : nous sommes invités à explorer cet intérieur suffisamment longtemps, en prenant le temps nécessaire. Il n'existe pas de graines donnant directement des chênes centenaires.

Dans cette seconde partie, après avoir trouvé un « quelque chose » qu'il fallait trouver, nous sommes invités à rectifier ce « quelque chose ».

Dans un premier sens, rectifier, c'est corriger, modifier. Il faut séparer et modifier afin de purifier et de ne garder que l'esprit de la matière. Cette phase correspond à la taille de la pierre brute et à l’œuvre au noir des alchimistes, au cours de laquelle il s'agit d'éliminer les « impuretés ». Dans un second sens, c'est rendre droit comme le suggère la perpendiculaire qui est d'ailleurs le bijou du Surveillant de mon âge. « Rectifie ta position », m'a-t-on déjà dit dans d'autres lieux et en d'autres temps...

Dans un troisième sens, rectifier, c'est aussi tuer. D'ailleurs, beaucoup d'alchimistes se sont faits « rectifier » en assemblant des substances diverses, causant ainsi empoisonnements, explosions et incendies divers et variés amenant leur perte. Pour ma part, je me sens rassuré dans ma quête de rectitude : j'ai mon tablier, mes gants et l'accompagnement bienveillant de tous mes Frères.

C'est aussi ce qu'exprime le Cabinet de Réflexion, il faut mourir pour renaître à la lumière. Peut-on y voir comme objectif la mort du petit MOI, de l'EGO ? Et ce travail n'est pas facile. Je suis du signe zodiacal du cancer, je sais ce qu'est une carapace et combien il est difficile de la fendiller. Mais au cours de l’œuvre, la matière meurt. Un philosophe a dit qu'il faut savoir mourir avant de mourir, et de toutes manières, philosopher, c'est apprendre à mourir. Cette mort symbolique se traduit dans la modification de l'âme de l'homme, dans sa correction, dans l'extraction du principe supérieur caché dans la gangue et se poursuit par un élan droit vers le ciel le long du fil à plomb.

Le travail de construction commence par un travail de démolition. Il a fallu rendre la matière « liquide », évaporer des humeurs pour obtenir le vitrum, un des aspects du vitriol, dont on a parlé tout à l'heure. Alors, l'Alchimiste peut séparer et purifier les différents éléments de la matière, sel, mercure et soufre, qui, sans doute par un pur hasard, se trouvent aussi dans le Cabinet de Réflexion. Alors, ordo ab chao, il s'agira de recomposer les produits purifiés et sublimés pour obtenir la quintessence.

Pour nous, Maçons, rectifier, c'est ce que nous invitent à faire les outils de l'Apprenti. Cette phase correspond au travail précis du ciseau appliqué avec la fermeté du maillet sur la pierre brute, séparés par des moments de contrôle avec l'équerre, le niveau et la perpendiculaire.

Le second groupe de lettres : I.O.L. : la progression et la récompense I.O.L. - invenies occultum lapidem

Tu trouveras la pierre cachée. Cette « rectification » de la matière grossière aura pour but de dévoiler une pierre cachée, une sorte de pépite. En suivant les deux premiers principes, c'est sûr, on trouvera une chose insoupçonnable, une chose cachée de grande valeur, une pierre précieuse ou peut-être tout modestement une belle pierre cubique, bien taillée, se rapprochant d'une forme en rapport avec sa destination.

Cette Pierre Philosophale nous couvrira d'or et nous assurera l'immortalité, nous promet-on. Peut-être, tout simplement, dévoilera-t-elle l'Homme (encore une fois avec un grand H) qui a toujours existé, qui existera toujours, mais qui n'était pas révélé parce qu’empêché par les vibrations grossières de la matière ordinaire.

Qu'y a-t-il au fond de moi ? Quel germe divin pourrait y résider, telle la pierre brute qui contient déjà le résultat et que le sculpteur ne fait que dégager ? Qu’y a-t-il qui ne demande qu'à s'exprimer ?

J’ai peut-être commencé à percevoir ce qu'est la matière première, j'ai peut-être compris que la récompense est la transcendance de l'être, voire. J'ai surtout compris qu'il n'y aura jamais de cesse pour rectifier et qu'il me faudra encore et encore retourner dans mon Cabinet de Réflexion à moi. Et cela se fait aussi, Tenue après Tenue, dans le creuset-athanor qu'est le Temple consacré.

Le vitriol se tient au cœur de l'athanor comme l'acronyme se tient au centre du Cabinet de Réflexion. On l'a vu, parler de vitriol évoque de manière quasi-automatique l'Alchimie, l’Œuvre avec une majuscule.

La Maçonnerie et l'Alchimie sont deux procédés évolutifs basés sur l'expérimentation directe, transmis de manière hermétique au moyen de symboles. L’œuvre au noir, qui consiste à débarrasser la matière de ses impuretés, me semble comparable aux travaux de l'Apprenti quand il dégrossit sa pierre brute.

V\I\T\R\I\O\L\, c'est une invitation à chercher, en partant de l'observation de l’intérieur de la Terre et qui promet une récompense si l'on suit un mode opératoire précis. Tout commence dans le cabinet de réflexion, qui est la première épreuve de l'initiation. J'étais dans la terre dans laquelle on se putréfie pour renaître sous une forme différente et sublimée au moment de l'initiation. Au-delà des voyages symboliques qui montrent le chemin en accéléré, il s'agit d'exprimer de cette matière première, de cette « terre », les éléments nobles qui métaphoriquement désignent l'Homme accompli.
Ainsi, le vitriol est à la fois le début, la fin et le procédé. Il est à la fois le moyen et le but, il exprime la finalité de la quête intérieure : dégager l'homme vrai de l'homme ordinaire, ce qui le rend immortel.

V\I\T\R\I\O\L\, c'est la glorification du travail concret et de son influence sur l'esprit et sur l'âme.

V\I\T\R\I\O\L\ est la clé du processus alchimique. Par analogie, l'introspection, le retour en soi, la purification sont la clé de la transformation personnelle et le but du travail Maçonnique. Il me faudra encore bien des visites dans mon Cabinet de Réflexion intérieur. Il faut se laisser le temps de digérer, d'intégrer, de laisser germer, en un mot, de grandir.

En conclusion

Le mot vitriol est riche de sens et surtout de sens cachés. Pour exemple, Pierre-Jean Fabre, médecin et alchimiste de Castelnaudary, dans son Abrégé des secrets chymiques (en 1636) lut dans « vitryol » l'anagramme de « l'or y vit ».

De mes réflexions personnelles, j'y vois pour ma part une injonction : « VIT - Va à l'Intérieur de Toi », une clé « R - Recueille-toi, Réfléchis, Redresse-toi, Rectifie » et une promesse « IOL - Invite l'Or et la Lumière ».

Je terminerai avec la dernière strophe d'un poème de René Pierre Amselle, justement intitulé « VITRIOL ».

Toi qui dans ce Temple entreras,
Le vrai secret n'est pas là :
Plonge dans la fange de ton être,
Alors, après, tu pourras renaître.

J'ai dit.

J\ A\


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