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Lumière et Vérité

MICHEL

Notre initiation se rattache à la tradition de la Lumière. Nous étions dans les ténèbres, et nous désirions recevoir la Lumière. Mais comment la reçois-t-on ? Nous apporte-t-on la Lumière comme un produit fini, comme un dogme déjà ficelé et définitif ? Nous pensons plutôt que la tradition de la maçonnerie étant de construire, nous sommes invités à construire notre Lumière, et de découvrir que cette Lumière est « l’expression de la divinité cachée et mystérieuse » dont parle la tradition égyptienne.

Même si le vénérable donne la Lumière, lors de l’initiation, il donne en réalité au nouvel apprenti le pouvoir d’aller ouvrir le chantier qui conduit à la Lumière.

Nous passons donc des ténèbres de la « profanité » à la pénombre qui entoure l’initié et l’apprenti, puis au midi où le soleil sera au zénith. Les outils que l’on aura ne seront que les catalyseurs de la Lumière, et notre devoir sera de découvrir en nous grâce au symbole du Fil à plomb, mais aussi grâce à la formule hermétique V. I. T. R. I. O. L., la Lumière qui est en nous.

Ainsi, il nous faut définir ce que l’on entend par Vérité, et ce que l’on entend par Lumière, en ne perdant pas de vue que notre démarche est fondée sur le libre arbitre, et que la sentence « cherchez et vous trouverez » de certains rites nous rappelle que nous sommes des bâtisseurs et des cherchants, et que la Lumière et la Vérité sont à notre portée, à condition que nos yeux s’ouvrent et que nous voulions bien faire l’effort de regarder.

JEAN-MARC :

La notion de vérité est extraordinairement complexe ! C’est un terme difficile à définir car il existe plusieurs aspects de la vérité :

Pour le dictionnaire, la vérité, du latin « Veritas » est la qualité d’être conforme à ce qui est ou de ce que l'on dit. L’on y voit déjà une première difficulté car ce que l’on dit avec des mots n’est pas nécessairement la parfaite réflexion de ce que l’on pense et ceux à qui les mots sont destinés ne perçoivent pas nécessairement le sens que l’on avait voulu leur donner.

Pour l’ontologie (1), la vérité consiste en l’accord de l’intelligence avec une chose, en l’adéquation d’un jugement avec son objet. La vérité d’un jugement suppose donc que nous ayons d’abord accès à la chose elle-même pour que nous puissions en juger. La vérité devient ce qui rend possible tout discours vrai par une concordance de la pensée avec la réalité… Alors : « La » réalité ou « une » réalité ? …car il y a deux mille cinq cent ans, Anaxagore disait déjà « Nous sommes impuissants à distinguer la vérité à cause de la faiblesse de nos sens ». Pour lui, notre perception étant limitée et de là incomplète, la vérité nous échappera toujours.

Pour la Logique, les vérités (car il y en a des multiples) sont vraies seulement en vertu de la signification des termes qui y figurent. Dans ce contexte, il doit y avoir cohérence des propositions entre elles mais aussi avec les prémisses et les axiomes posés préalablement.

Pour la Morale, une vérité n'est pas d'ordre scientifique : elle dépasse donc le cadre de l'expérience car le domaine de la pensée reste ouvert au-delà de celle-ci (2). La pensée, en dépassant l’expérience, élabore la métaphysique, qui n’est constituée que d’idées pures.

En Ethique et en Politique par exemple, la vérité renvoie à des valeurs telles que la justice et la sincérité quoique dans ce dernier domaine, tout un chacun à tendance à rire lorsqu’il ou elle entend un homme politique vous dire en vous regardant dans les yeux : « je vais vous dire la vérité »…

Enfin Pour la Science, les vérités sont celles qui peuvent être vérifiables expérimentalement. Et pourtant… : cette science dérangeante qu’est la mécanique quantique à démontré qu’un observateur participe non seulement à la création de la réalité qu’il observe mais que l’acte de mesure confère une réalité à la particule qu’il observe seulement par une probabilité de son existence et ce, sous la forme éprouvée par lui. Et pour les neurophysiciens, la notion de qualia défini comme la plus petite unité d’expérience subjective et/ou objective ressentie des éléments extérieurs montre que ces qualias feront percevoir une même réalité de façon différente par deux personnes. Dès lors on pourra se poser la question de l’existence d’une réalité intangible, indépendante de celle de l’observateur.

En somme, ce que l'homme appelle vérité, reste toujours sa vérité, c'est-à-dire l'aspect sous lequel les choses lui apparaissent. Nous possédons une rigueur intérieure qui nous pousse à rejeter tout ce qui ne semble pas vraisemblable à nos yeux et ce en fonction de nos expériences personnelles. Il y a autant de « vérités » que d’êtres humains. Cette vérité, qui est ce à quoi l’on croit, n’est jamais une vérité absolue et devient une opinion qui est un mélange de vérité et d’erreur.

La vérité en elle-même est elle donc impossible à trouver parce que cela suppose un travail de l'esprit qui serait capable de distinguer le vrai du faux. Pour Heidegger (3) une chose n’est pas vraie ou fausse, mais réelle ou irréelle. Avant lui, Spinoza (4) et encore bien plus tôt Aristote (5) affirmaient que la vérité est la caractéristique d’une proposition, d’un énoncé ou d’un jugement qui seuls peuvent être dits vrais ou faux. Et Lao-Tseu lui, disait « Les mots de vérité manquent souvent d'élégance et les paroles élégantes sont rarement vérités ».

Nous savons tous qu’à force de marteler avec conviction une opinion, elle deviendra vraie à nos yeux. Des convictions qui ne peuvent être étayées que partiellement deviennent par là même des « dogmes qui glissent vers l’intolérance ». Nietzsche affirma (6) « la croyance forte ne prouve que sa force, non la vérité de ce qu’on croit ». Il se référait à ceux qui acceptèrent de mourir pour une vérité dont ils se considéraient comme détenteurs. La vérité marquée par l’intolérance devient mensonge.

Alors dirons-nous avec Sextus Empiricus (7) que le sceptique doit rester dans l'ignorance de la vérité en n'admettant rien qui ne soit douteux ? Doit-il se garder de ne jamais formuler d'hypothèses et laisser toujours ouverte la possibilité d'une réfutation ?

Mais n’est ce pas là la démarche d’un Maçon que de dire que la pensée humaine ne peut se déterminer sur la possibilité de la découverte de la vérité et que jamais il ne devra interrompre sa recherche en prétendant être parvenu à la vérité absolue ?

Dans la Bible, la vérité est un fondamental de Dieu (8) et le Nouveau Testament personnifie Jésus comme vérité(9). Alors, le Maçon, cet éternel cherchant n’est-il pas en train en désirant la vérité, d’aspirer à la divinité ?

Celui qui le plus s'est approché de la Vérité Absolue acquiert une part d'intemporalité dit la Cabbale…la Vérité est hors de notre espace mais aussi du temps ; hors de la création et est donc du domaine du Créateur.

MICHEL :

« La vérité est lumière, ne soyons pas aveugle de nous-mêmes » : Cette affirmation de Saint Luc nous permet de faire une courte transition vers la seconde partie de notre réflexion qui porte sur la Lumière.

La maçonnerie a conservé la tradition de la Lumière et notre rôle de Maçon, du moins dans notre tradition obédientielle, n’est pas seulement de militer pour l’amélioration de l’individu pour améliorer la société, mais aussi comme le disent nos rituels, de chercher la Vérité et la Lumière. Nous sommes des loges de Saint Jean, et le prologue nous dit que la « Lumière était la Véritable Lumière qui en venant dans le monde, éclaire tout homme. Elle était dans le monde, et le monde a été fait par elle, et le monde ne l’a point connue ». Ce qui semble vouloir signifier, et c’est d’ailleurs dit plus loin dans le prologue, que la lumière, c’est à ceux qui en ont conscience de la révéler pour qu’elle soit accessible aux hommes.

Le terme Lumière a des significations différentes selon les époques. Au 17ème siècle, il signifie foi, ou clarté de l’esprit. Au 18ème siècle, appelé le siècle des lumières, c’est la clarté qui doit se propager dans toute l’humanité pour faire triompher la raison contre la superstition, l’intolérance et l’obscurantisme. L’humanité plongée dans les ténèbres de l’ignorance, de l’arbitraire et de l’obscurantisme religieux s’éveille, grâce aux penseurs, dont certains sont par ailleurs des Francs Maçons, à l’humanisme et la démocratie.

Pour nous Francs Maçons, qui avons, en profanes, contribué à la libération des peuples dans d’autres temps et d’autres lieux, la lumière est l’expression de la divinité cachée et mystérieuse, que l’on peut aussi appeler loi de l’univers, énergie universelle ou aussi Loi Unique et Multiple que nous redécouvrons au cours d’une libération de nous-mêmes, dans un cheminement initiatique qui va des ténèbres à la Lumière. Tout homme porte en effet en lui la Lumière, mais il ne la perçoit pas ou partiellement, et notre Devoir est justement de la révéler, de la construire, car nous sommes des bâtisseurs, en partant des ténèbres pour devenir des êtres éveillés, au sens bouddhiste du terme.

La conscience d’être dans les ténèbres implique par ailleurs le désir de la Connaissance et de la Lumière. C’est pourquoi nous pouvons penser que notre initiation ne peut être que le déclenchement d’une dynamique de recherche et que la Lumière s’acquiert petit à petit, par étapes, par étincelles qui jaillissent dans notre pénombre. La Lumière, n’existe que parce qu’il y a les ténèbres, et nous sommes nous-mêmes et Ténèbres et Lumière. La Lumière ne serait - elle pas d’ailleurs à la fois ténèbres et lumière, à l’image de ce tableau de loge que vous regardez au centre de notre athanor. Entre la Lumière et les ténèbres, entre le Yin et le Yang, existe en fait la synthèse qui est, comme le ciment entre le carré blanc et le carré noir du Pavé mosaïque, cette voie du milieu, ce chemin vers la Connaissance et la Lumière. Pour nous réaliser ce chemin est nécessaire et ce chemin est bien constitué de ténèbres et de lumière.

Allons plus loin : les ténèbres sont notre subconscient et la Lumière notre Surconscient. Entre les deux, la pénombre nous permet de cheminer sans être aveuglé et de devenir l’Homme Esprit, l’Etre surconscient. Nous sommes le FIAT LUX de la genèse, l’illumination qui ordonnance le chaos en nous même, pierre brute, par une vibration créatrice que nous venons initier en loge, dans cet athanor que le V\ M\ clos par un coup de maillet après que les profanes ne soient éloignés.

JEAN-MARC :

La Lumière est-elle donc pour les yeux ce que la Vérité est pour l’esprit ? Et si cette lumière, la seule, la vraie, l’unique Lumière est donc divine, tentons-nous de nous en rapprocher pour finir avec les autres composants de l’humanité dans cette noogénèse chère à Teilhard de Chardin ? Tentons-nous cette évolution vers une spiritualisation progressive de la matière ? Si c’est le cas, l'homme en est la clé et Dieu, le point initial et final, l'Alpha et l'Oméga de l’Univers.

Mais alors quelle est la voie qui y mène ? Nous, Francs-Maçons n’acceptons aucun dogme par principe. Nous apprendrons à accueillir toutes les opinions, mais à ne les déclarer justes que si elles apparaissent telles à notre examen propre. Cette voie nous aurons à la tracer et à la trouver nous-mêmes. Elle est pour chacun d’entre nous déjà présente mais nos yeux à peine ouverts ne peuvent que l’entrevoir aujourd’hui.

Concluons donc mon Frère Michel en paraphrasant Hermès Trismégiste « Il fut un temps où, « sages parmi les sages » les enfants de la Lumière vivaient parmi les hommes et ils étaient puissants parce que leur pouvoir venait du feu éternel (10). Et il ajoutait : « Nous ne sommes pas de la terre, mais des enfants de l’infinie lumière cosmique. Ne vois-tu pas, O homme, quel est ton héritage ? Ne vois-tu pas que tu es lumière véritable ? Soleil du Grand Soleil tu seras. Lorsque tu auras acquis la Sagesse tu deviendras conscient de ton appartenance à la lumière (11) ».

ENSEMBLE

Nous avons dit, mes Sœurs et mes Frères,

J\-M\ Ch\

(1) En philosophie, l'ontologie est l'étude de l'être en tant qu'être, c'est-à-dire l'étude des propriétés générales de tout ce qui est.
(2) Kant.
(3) « L’Essence de la vérité » (Questions I, 1943).
(4) Pensées métaphysiques (1663).
(5) Dans sa Métaphysique.
(6) Humain, trop humain, 1878.
(7) Philosophe, astronome et médecin grec, chef de l’école sceptique empirique et qui fut actif vers 190 après JC.
(8) Psaume 31.6 : Je remets mon esprit entre tes mains ; Tu me délivreras, Éternel, Dieu de vérité.
(9) Jean 14.6 : Jésus lui dit : Je suis le chemin, la vérité, et la vie.
(10) Hermès Trismégiste, Tablettes d’Émeraude de Thot : 1.3.
(11) Tablettes d’Émeraude de Thot : 4.5.

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