GLCS Loge : Tradition et Fraternité – Orient de Paris Date : NC

Judaïsme et Franc-Maçonnerie

Roi de Judée et d’Israël fils de David, Salomon règne sur un territoire qui va de l’Euphrate à l’Egypte. Au Xe siècle avant notre ère, la capitale du royaume est déjà Jérusalem, là où Salomon fait construire le premier Temple des juifs grâce à la main-d’œuvre d’esclaves taillables et corvéables à merci. Le roi est le roi, son autorité est sans partage, son jugement supposé inspiré de Dieu. Les ouvriers sont légion: dix mille hommes coupent les cèdres du Liban, cent cinquante mille hommes portent et taillent les pierres; comme il se doit, une minorité, trois mille trois cents hommes, surveillent ceux qui travaillent. Le Temple est bâti en une trentaine d’années, sur le mont Moriah, la montagne de Sion. « Vanité des vanités, tout est vanité», dit cependant la Bible.

Le Temple est endommagé plusieurs fois, avant d’être détruit en -586 par Nabuchodonosor. Au retour de captivité des juifs de Babylone vers -536 le temple est reconstruit, puis Hérode le Grand le fit agrandir et embellir, jusqu’à ce que Titus, au 1 siècle de notre ère, le réduise définitivement en cendres. Rome a raison de Jérusalem.

Dix-sept siècles plus tard, des Européens un peu fous rêvent de reconstruire le temple de Salomon. Toutefois, ils ne sont ni juifs ni ouvriers. Ils décrètent donc que la reconstruction

sera symbolique. Pour ce faire, il faut des outils. Ceux des maçons sont là : l’équerre, le compas, le fil à plomb, la truelle, le maillet, le ciseau. Des outils trop lourds à porter cependant, trop difficiles à manier pour des intellectuels. Qu’à cela ne tienne, ils seront déclarés « symboles ».

Ces Européens, Anglais et Ecossais pour la plupart, s’appellent francs-maçons entre eux et veulent que le monde les reconnaisse comme tels. Salomon pouvait compter sur l’aide d’un habile fondeur, un dénommé Hiram. Au XVIIIe siècle, Hiram n’est plus, il faut le remplacer. Mais que faire d’un fondeur, même s’il peut ériger les colonnes du Temple? Mieux vaut s’adjoindre un architecte digne de ce nom, un maître ès constructions.

D’autant que le projet de reconstruction a pris cette fois des proportions démesurées, proprement titanesques : ce n’est plus seulement le temple de Salomon qu’on ambitionne de construire à nouveau, c’est l’humanité tout entière! Une véritable utopie, un vent de folie qui souffle sur le Vieux Continent.

Pour un temps, Rome l’avait emporté sur Jérusalem. Les temples étaient détruits, anéantis.

Les Romains avaient tué Jésus, le roi des Juifs. Mais c’était sans compter sur les francsmaçons, qui allaient prendre le relais, épouser la cause des juifs, devenir comme eux le vecteur de l’histoire. Reconstruire l’humanité! Il faut des centaines et des centaines, des milliers et des milliers d’architectes, des clones d’Hiram qui forment la chaîne d’union, de génération en génération, qui se transmettent le message. Reconstruire l’humanité! Eh quoi! II y a bel et bien une alliance objective entre juifs et francs-maçons! Rien à voir avec la judéo maçonnerie chère aux antis maçons et aux antisémites de tous poils. Rien à voir avec un complot ourdi dans le secret des loges ou dans les arrière-salles des synagogues. Juifs et maçons devaient se rencontrer, se prêter main-forte, unir leurs efforts pour qu’advienne la Jérusalem céleste... terrestre et universelle à la fois.

La lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas comprise», disent ensemble l’évangile de Jean et le rituel maçonnique. Longtemps, les chrétiens n’ont pas reconnu les juifs. Longtemps, les maçons ont été chrétiens. Mais que des frères bénéficiaires d’une élection humaine n’aient pas vu tout de suite dans les juifs leurs frères, bénéficiaires d’une élection divine, voilà peut-être le paradoxe biblique. Elire, c’est choisir. Choisis par Dieu ou choisis par les hommes, sortis du lot de la commune humanité, juifs et maçons ne pouvaient que susciter l’incompréhension et la jalousie, avant d’être les victimes de la haine meurtrière.
C’est le sort réservé aux minorités actives, naturellement élitistes parce que élues. Les dictateurs et les dogmatiques de tous les temps ne s’y sont pas trompés: en pourchassant juifs et maçons d’une même vindicte, ils ont donné corps à leurs fantasmes. Investis d’une mission qui les dépasse et qu’ils ne parviennent pas à remplir, les boucs émissaires sont désignés coupables. Coupables de n’avoir pu reconstruire le Temple, coupables de n’avoir pu arracher l’humanité à l’ignorance, au fanatisme, à la superstition.

Justement, mon F, parle nous de la rencontre des Juifs et des FM.  Fut elle d’emblée harmonieuse?

Tordons d’emblée le cou à une idée reçue : entre juif et FM, la tolérance fut loin d’être une vertu naturelle qui s’imposa spontanément lors de la création de la FM, une institution pourtant fondée au début du XVIII siècle sur cette idée généreuse. Et pour cause… la  difficulté de la pratique de la tolérance vient en réalité de ce qu’elle met en jeu l’acceptation de l’Autre, du différent, du dissemblable. L’étranger est étrange. Tolérer c’est accepter ce qui nous est étranger.

Lorsqu’ils se rencontrent pour la première fois, juifs et francs-maçons ne se reconnaissent pas d’emblée. Leurs yeux mettent du temps à se dessiller. Des rabbins s’étonnent que certains de leurs coreligionnaires souhaitent sortir des murs étroits de leur ghetto. Parce qu’ils sont juifs.

Des chrétiens rechignent à initier des juifs. C’est à croire que tous feignent d’ignorer que les rituels maçonniques sont construits autour d’épisodes bibliques, que des hébraïsmes sont utilisés à foison, que le calendrier maçonnique s’inspire de la chronologie juive, que la Kabbale est juive avant d’être chrétienne. Au XVIIIe siècle, il était de bon ton d’être francmaçon, si l’on avait de l’estime pour soi-même et si l’on voulait tenir son rang. Princes et nobles, philosophes et scientifiques, prélats et religieux, tous voulaient en être : on payait cher quelquefois les passages à des degrés supérieurs. Pour cette élite en mal de fraternité, l’égalité n’était qu’un mythe. Pour les juifs de l’Ancien Régime qui voulaient compter dans la société, l’entrée dans une loge maçonnique constituait un vecteur d’émancipation en même temps qu’un lieu de sociabilité hors du commun. Pour eux, la franc-maçonnerie aura été ce creuset idéologique et philosophique où se préparaient leur émancipation et l’acquisition de leurs droits civiques. Que les trois siècles d’histoire de la maçonnerie soient jalonnés de préjugés anti-juifs et de réactions antisémites ne doit pas cacher cette réalité.

Reprenons d’ailleurs l’origine de la franc-maçonnerie spéculative

Elle a vu le jour au XVIII siècle, dans l’Europe du siècle des Lumières. Ce n’est pas un hasard. Sous la forme qui était la sienne alors, et qui annonçait le visage qu’elle offre aujourd’hui, elle n’aurait pu qu’au prix d’insurmontables difficultés naître un siècle ou deux plus tôt. Seule l’émergence des Lumières a pu permettre l’éclosion d’une société aussi originale et novatrice. Pour autant, si la maçonnerie est fille des Lumières, elle conserve une place singulière au sein du large mouvement d’affranchissement des esprits qui caractérise cette époque. C’est qu’elle s’affiche comme résolument pluraliste, ainsi que l’ambitionnent ses fondateurs, les protestants Anderson, Desaguliers et l’équipe qui, avec eux, travaille à la rédaction dès Constitutions de 1723.

Rappelle nous le texte de l’article premier de la deuxième partie des Constitutions, les « obligations» du maçon.

Cet article célèbre, intitulé «concernant Dieu et la religion », renseigne sur la conception de la franc-maçonnerie naissante que partageaient les fondateurs. Il évoque en particulier l’orientation philosophique et religieuse de la jeune société maçonnique. On comprend dès lors qu’il concerne au premier chef l’étude des rapports entre judaïsme et franc- maçonnerie.
Très souvent cité et abondamment commenté, il mérite d’être reproduit ici in extenso «Un Maçon est obligé, par son engagement, d’obéir à la loi morale, et s’il comprend correctement l’Art, il ne sera jamais un athée stupide ni un libertin irréligieux. Mais quoique dans les temps anciens, les Maçons fussent obligés, dans chaque pays, d’être de la religion de ce pays ou nation, quelle qu’elle fût, aujourd’hui, il a été considéré plus commode de les astreindre seulement à cette religion sur laquelle tous les hommes sont d’accord, laissant à chacun ses propres opinions, c’est-à-dire d’être des hommes de bien et loyaux ou des hommes d’honneur et de probité quelles que soient les dénominations ou croyances religieuses qui aident à les distinguer, par suite de quoi, la maçonnerie devient le Centre de l’Union et le moyen de nouer une amitié fidèle parmi des personnes qui auraient pu rester à une perpétuelle distance.»

Que nous enseigne ce texte fondateur ?

Ce texte comprend deux idées essentielles et fondatrices. Il y est dit d’une part que la franc-maçonnerie naissante est une institution qui ambitionne de réunir des personnes diverses dans une fraternité pluraliste et d’autre part que la religion du maçon est le déisme.
Les Constitutions consacrent à leur façon le principe de la religion naturelle en n’ouvrant les loges qu’à ceux qui partagent «la religion sur laquelle tous les hommes sont d’accord».
Les ateliers maçonniques sont alors composés de chrétiens de toutes confessions, de quelques rares juifs et de musulmans, et les athées y sont plutôt rares au XVIII siècle. Mais on aurait tort de n’expliquer le caractère relativement pluraliste de la nouvelle société maçonnique que par le seul jeu du déisme partagé peu ou prou par tous les membres.

Mon F peux tu m’expliquer pourquoi certains éléments bibliques se trouvent présents dès les origines de la franc-maçonnerie ? En effet comment nier ou ignorer cette influence au regard des éléments symboliques proprement juifs, des hébraïsmes qui donnent aux rituels un accent particulier et qui empêchent de concevoir la maçonnerie comme une société exclusivement chrétienne et par ailleurs n’y a-t-il qu’une influence de la tradition juive

Il ne faut pas sous-estimer l’influence du protestantisme en ce domaine. Au XVIII siècle, l’Ancien Testament est à l’honneur, les prénoms bibliques à la mode et le pluralisme théologique encouragé, sur fond de tolérance sur le terrain du déisme moralisateur, judaïsme et christianisme réformé peuvent facilement se rejoindre l’Alliance» bien proche de celle du  judaïsme. Dans ce contexte, on peut concevoir que les fondateurs de la franc-maçonnerie moderne soient des protestants pétris de culture biblique pour lesquels l’hébreu n’est point une langue incompréhensible, ni la Bible juive un livre qui ne peut être lu et interprété qu’à la lumière du Nouveau Testament.

Cette influence ne se fait elle pas plus sentir aux degrés supérieurs ?

En effet, aux différents degrés de la franc-maçonnerie, les références aux textes sacrés restent des références d’ordre traditionnel, sans aucune liaison à la pratique d’une quelconque religion. Les rituels maçonniques et leurs récits initiatiques et légendaires trouvent une authenticité dans un rattachement à des textes sacrés, mais c’est l’interprétation ésotérique et non religieuse, qui prime et leur donne une haute valeur symbolique »
Au rite écossais ancien et accepté, cinq degrés se référent à la construction du temple de Salomon : le maître secret (4e), le maître parfait (5e), le secrétaire intime (6e), le prévôt et juge (7e) et l’intendant des bâtiments (8e). Le treizième degré du rite écossais ancien et
accepté est celui de Royale Arche ou chevalier de Royal-Arche. De quelle arche parle- t-on?
De celle de Noé, mais aussi de l’arche d’alliance de Moïse et de l’arche du saint des saints du temple de Salomon. On trouve aussi dans ce degré des références multiples à la Kabbale, notamment à « l’arbre des sefirot ». Lors de l’initiation à ce degré, les noms des sefirot sont prononcés en hébreu. Le treizième degré est sans doute celui qui est le plus empreint de la tradition ésotérique juive.
Au trente-deuxième degré du rite écossais ancien et accepté, le Sublime Prince du Royal Secret, le nom sacré de l’Eternel est évoqué.
La Bible servira de cadre au déroulement rituel et graduel de la maçonnerie, mais aussi les légendes nées autour des événements bibliques. Parmi ces légendes : Hiram, la reine de Saba, le forgeron Tubalcaïn et le roi Salomon dont il est question dans des rituels anglo-saxons, la
franc-maçonnerie constitue une des formes d’expression de la tradition judéo-chrétienne au sens où elle unit le judaïsme et le christianisme, les deux Testaments :
L’usage de l’hébreu pour les mots sacrés, les continuelles références aux temples de Salomon et de Zorobabel, le calendrier lunisolaire, le travail tête couverte au 3e degré, la datation rituelle coïncidant à peu de chose près avec la datation hébraïque, tous ces indices et bien d’autres sont là pour attester l’importance du trésor symbolique hérité des fils de l’ancienne alliance.
 
Peux tu nous expliquer quelle différence y a- t- il entre le calendrier maçonnique et le calendrier juif ?

Le calendrier maçonnique fait débuter l’année au ler mars de l’année civile ou profane à laquelle on ajoute 4000. Ainsi, le ler mars 2000 est-il le ler jour du 1er mois de l’an 6000 pour les maçons alors que pour les juifs il représente le 24e jour du mois d’Adar de l’an 5760, qui
s’écrit Adar 24, 5760. Dans le calendrier maçonnique, cette adjonction de 4000 ans serait due à Anderson lui-même qui fait remonter la création du monde à quatre millénaires avant Jésus-Christ. Dans le calendrier juif, des calculs savants basés sur les données bibliques ont amené des rabbins, dès avant le IX siècle, à fixer la date de la création du monde à 3761 ans avant notre ère.

Que peut on dire des hébraïsmes dans la franc-maçonnerie ?

Les hébraïsmes dans la franc-maçonnerie, qui se bousculent au gré des degrés pratiqués, et dont la présence semble incongrue tant leur signification échappe à la plupart de ceux qui les utilisent? C’est une question qui taraude les esprits des maçons depuis le siècle précédent.
Certes, la critique historique aurait tôt fait, aujourd’hui, de démonter l’hypothèse mythique d’une origine templière, hébraïque ou égyptienne de la maçonnerie.

Certains auteurs prétendent trouver l’origine des mystères de la FM en remontant à l’époque des croisés.

En effet , on ne serait pas surpris que ceux qui s’armaient en vue de reconquérir la Terre sainte, d’y planter l’étendard de la foi catholique, ayant trouvé les mystères conservés dans cette partie de l’Asie par le peu de chrétiens qui y étaient encore, les aient adoptés comme un lien qui les unissait plus étroitement à des hommes qui pouvaient et qui devaient leur être fort utiles.Il ne serait pas étonnant, disons-nous, que les nouveaux initiés eussent adopté, avec la langue des premiers, le projet même de la reconstruction du temple de Jérusalem, construction qui est toujours l’objet des voeux du peuple juif, et que, par cette raison, ils se fussent désignés sous le titre de maçons libres. Cela posé, il nous semble facile de concevoir comment la maçonnerie a puisé dans la Bible les moyens et les titres de son organisation, Certains termes ont été empruntés au Zohar ou à d’autres livres majeurs de la Kabbale.
Souvent, les mots hébreux présents dans les rituels sont déformés, les rendant incompréhensibles pour un hébraïsant. Pour celui qui ne connaît pas l’hébreu, ce qui devrait être le cas pour une majorité de maçons, de telles déformations ne font pas obstacle à une compréhension qui demeure, de toute façon, pour le moins difficile...
Le Grand Architecte de l’Univers pourra lui être représenté par l’étoile flamboyante à cinq branches, ou encore par un triangle, le delta lumineux, qui figure à l’orient, au-dessus de l’autel du vénérable. Pareil symbole n’est pas une création maçonnique. On trouve par exemple sur le fronton de l’église Notre-Dame des Victoires à Paris un triangle renfermant le Tétragramme divin.

Mon cher F, tu viens de nous dire que certains termes ont été emprunter à la kabbale peut on parler d’une influence de la kabbale sur la FM ?

En réalité il est difficile d’affirmer que la kabbale telle quelle est ait une influence directe sur la FM
D’abord parce que les juifs ne furent admis dans les loges que tardivement et en tout cas après la formation de la FM spéculative, laquelle hérita d’un corpus spirituel et philosophique déjà forme, ensuite pour cette raison que nul ne peut pénétrer la kabbale sérieusement sans un bagage religieux et linguistique adéquat hors ce n’était pas le cas de la majorité des mâcons du XVIII siècles.

Pour juger de la place réservée à la Kabbale dans la franc maçonnerie, de l’usage qui en est
fait, et déterminer comment cette tradition va affleurer dans le monde maçonnique, il importe de retracer rapidement les grandes étapes de son histoire.
Tradition ou transmission : c’est ce que signifie littéralement la Kabbale (du mot hébreu Qabbalah), Mais le mot vient aussi d’un verbe hébreu (qibbel qui signifie « recevoir par tradition». Réception et transmission forment bien la trame de toute tradition. La Kabbale s’est donc constituée au fil des siècles, enrichissant son patrimoine littéraire, charriant au passage son cortège de légendes et de mythes.
En réalité, la Kabbale n’est rien d’autre que la principale tradition mystique du judaïsme, tradition souterraine, ésotérique, réservée d’abord à une poignée d’initiés, transmise oralement de maître à disciple, et qui quelque fois s’achoppe à l’orthodoxie et aux autorités rabbiniques.
Elle est donc aussi une gnose, une connaissance de type ésotérique, marquée par le secret

Quelles sont les oeuvres importantes de la K

Il existe un nombre considérable d’œuvres mais les plus importantes restent le Livre de la Création (Sefer Yetsirah), et le Zohar ou Livre des splendeurs.
C’est dans le livre de la création, difficile à dater, où, pour la première fois, il est question des fameux sefirot sur lesquels les kabbalistes des siècles futurs spéculeront à l’envi : le Dieu créateur exprime sa volonté au moyen de trente-deux mystérieux sentiers de la sagesse, qui sont les dix sefirot et les vingt-deux lettres de l’alphabet hébraïque. Les dix sefirot sont partout à l’oeuvre: on les retrouve dans la création du monde, dans les dix commandements, et jusque dans le corps de l’homme, animé par la volonté, l’intelligence et la pensée (la tête), la grâce et la victoire (le bras et la jambe droits), la rigueur et la soumission (le bras et la jambe gauches), enfin l’harmonie, le fondement et la royauté (le cœur et le sexe). D’autres traductions françaises des termes hébreux donnent : la Couronne suprême, la sagesse, l’intelligence, la bonté, la force, la beauté, la royauté, le fondement des âmes, le triomphe et la majesté. Remarquons déjà que le triptyque maçonnique Sagesse - Force - Beauté, désignant les trois piliers qui soutiennent la loge, est bel et bien présent...
Mais l’événement le plus considérable dans l’histoire de la kabbale est l’apparition vers 1270 en Espagne d’un livre fameux qui rapidement et pour longtemps va devenir la bible des kabbalistes le Zohar ou livre des splendeurs .
Son influence sur toute la tradition ésotérique occidentale va être déterminante jusqu'à nos Jours

Alors où chercher le chaînon manquant, comment les maçons sont ils rentrés en contact avec la kabbale ?

Par la kabbale chrétienne bien entendu, des chrétiens, des humanistes de la renaissance ont importé la kabbale que l’on revisité a partir du XV siècle ,les italiens Jean Pic de la Mirandole , Paul Ricci un juif converti , le français guillaume Postel traducteur du Zohar s’en servent à des fins apologétiques pour tenter de prouver la véracité de la seule religion chrétienne et partant pour convaincre les juifs de la nécessité de se convertir . Ainsi tentent ils de prouver par le jeu des valeurs numériques des lettres hébraïques que le christ est bien le messie. On se trouve manifestement ici devant des lectures de la K qui tiennent davantage d’une tentative de récupération que d’une exégèse authentique De nombreuses exploitations de la kabbale par des traditions qui lui sont étrangères vont se faire jour :

Alors que dés le siècle des lumières elle commence à sentir le souffre, que le XIX siècle la tient pour un vestige de l’obscurantisme, certains ésotéristes s’en emparent sous sa forme chrétienne principalement pour l’intégrer dans leur construction hasardeuse d’un occultisme de bazar ou se mêlent, magie, tarot, spiritisme et divination.

Qu’est ce que la kabbale peut en définitif enseigner au mâcon ?

Peut être comme le disait Léon Ashkenazi, fin connaisseur de cette tradition : une morale pratique plus qu’une métaphysique abstraite.

Quel sort était réservé aux juifs dans la maçonnerie de la France de l’Ancien Régime?

Après l’expulsion des juifs d’Espagne en 1492, on assiste au retour des juifs en France, qui en avaient été chassés en 1394. Ce sont des séfarades qui, dans une semi clandestinité, viennent s’établir dans le sud du pays. Au XVIII siècle, la France contrôle l’Alsace, puis la Lorraine en 1766.
Nonobstant l’acceptation des principes généraux de la FM, la question des juifs n’est pas résolue pour autant. On se demande alors si la religion juive est ou non un obstacle à l’assimilation et à l’intégration de ceux qui la pratiquent .
De la même façon, les Devoirs enjoints aux Maçons libres (1735), «premier texte constitutionnel de la maçonnerie française », transforment le texte d’Anderson concernant Dieu et la religion dans un sens exclusivement chrétien.
Les statuts du comte de Clermont affichent un catholicisme des plus orthodoxes et n’admettent en loge que «des gens d’une naissance honnête, de bonne vie et moeurs, craignant Dieu et ayant le baptême ». Faut-il y voir une marque d’ostracisme vis-à-vis des nonchrétiens, des juifs et des musulmans en particulier? Nullement Pierre Chevallier n’explique cette évolution, pour le moins étonnante, que par le changement qui s’est opéré alors dans le recrutement des loges. A Paris, la bourgeoisie a pris la place de l’aristocratie et cette bourgeoisie est «catholique romaine, pieuse, voire dévote, sinon janséniste ».

Une autre publication marquante dont il faut tenir compte est L’Etoile flamboyante (1766) du baron Théodore de Tschoudy.

En effet, conseiller d’honneur au parlement de Metz, vénérable d’une loge de la même ville, Tschoudy écrit à propos des futurs initiés: «Il sera requis en eux qu’ils soient au moins convaincus des mystères saints de la religion chrétienne.» Ce qui laisse évidemment peu de latitude aux juifs qui voudraient entrer dans ce type de loge écossaise, même si Tschoudy ajoute : «Ce n’est qu’exceptionnellement, par respect pour l’Ancien Testament, qu’un juif peut être, en de rares occasions, admis à y prendre part.»
Attachante est la personnalité d’un théosophe d’envergure, d’un mystique même, Martines de Pasqually, un catholique d’origine juive sans doute, qui entend animer les loges d’un nouveau souffle mystique. Pour atteindre ce but, il fonde un ordre des Chevaliers maçons élus Cohen de l’univers (en hébreu, le mot Cohen signifie prêtre). S’il n’est plus juif, Pasqually ne manifeste pas pour autant une stricte orthodoxie catholique.

En 1773, la création du Grand Orient de France, obédience qui allait s’inscrire dans un
courant nettement plus rationnel et libéral, puis en 1791 l’octroi de la citoyenneté manifestent une évolution déterminante et irréversible vers une coexistence beaucoup plus heureuse entre les mondes juif et maçonnique, et, d’une certaine manière, entre mondes juif et chrétien. En même temps, ces événements se distinguent nettement des réactions négatives observées dans d’autres pays et font figure de précurseurs.
Par conséquent, on peut affirmer que, en dépit du tournant nettement chrétien pris par la Grande Loge de France et de quelques rares épisodes de conflits, l’admission des juifs au sein des loges françaises ne semble pas, la plupart du temps, avoir été prétexte à controverses et à débats au cours du XVIII siècle.

A la fin du XVIII siècle, trois événements d’une portée considérable vont définir l’évolution
ultérieure de l’histoire des juifs.
D’abord les partages successifs de la Pologne.
Ensuite, la Déclaration d’indépendance américaine.
Enfin la Révolution française. Elle va accorder à son tour l’égalité civile et politique aux juifs. En Angleterre et dans les colonies, où le fait précéda le droit, l’émancipation fut plus une question de mentalités que de légalité.

Peut on affirmer alors que la FM et le judaïsme libéral partage les mêmes valeurs ?

Dans le cas de la France, Jean-Marc Chouraqui considère qu’il existe un lien évident entre le discours éthique et les valeurs communes que partagent la franc- maçonnerie et le judaïsme libéral.
Aux yeux de ce dernier, accorder le judaïsme avec les nécessités de la vie moderne, c’était notamment interpréter la loi en la confrontant à la raison et à la science.

Et il n’est pas étonnant de retrouver ici la marque de la franc- maçonnerie, qui partageait avec 
le mouvement libéral et réformateur du judaïsme une même inclination vers l’universel. De surcroît, la franc- maçonnerie, comme certains éléments du judaïsme libéral et du protestantisme, visait à un dépassement des clivages confessionnels pour atteindre une religion unique, universelle suivant des voies variables selon qu’elle fût spiritualiste ou
positiviste.

On constate donc une normalisation progressive de l’accès des juifs à la franc-maçonnerie
dans les pays d’émancipation après 1830, dans un siècle et des régions où la francmaçonnerie devient véritablement universaliste. C’est le cas en France, où dominera sur la scène juive et sur la scène maçonnique la figure d’Adolphe Crémieux.
C’est le cas enfin en Grande Bretagne, où Moses Montefiore, qui donnera son nom à plusieurs loges, devient le deuxième parlementaire juif anglais et se donne la stature d’un dirigeant juif international - il dirigera le Board of Deputies of British Jews de 1838 à 1874.

La Grande-Bretagne a cette particularité de connaître des loges juives : il en est ainsi peut-être de la loge Hiram, de la United City Lodge et de la Mount Moriah - dans laquelle Moses Montefiore sera initié en 1812 - et certainement de la Lodge of Israël, la plus ancienne loge dite juive enregistrée par la Grande Loge d’Angleterre Fondée en 1793, elle accueille des membres juifs - surtout ashkénazes - et non juifs, mais ne se réunit ni durant le shabbat ni durant les fêtes juives et respecte les interdits alimentaires du judaïsme.

En France, avec le saint-simonisme - rappelons au passage qu’Adolphe Crémieux fut
l’avocat des saint-simoniens -, la franc-maçonnerie demeura longtemps un des seuls cadres de sociabilité réels pour les juifs. Dans une société encore marquée par le critère de l’appartenance ethnique et religieuse, les salons, les cercles littéraires, les clubs restent en réalité relativement fermés aux juifs.

Un autre maçon, juif et marocain, le docteur Samuel Guitta, représente une figure importante 
de cette époque. Pendant vingt-cinq ans, ce président honoraire de la Ligue des droits de l’homme est le vénérable de la loge Morayta, rattachée au Grand Orient espagnol. Cette loge va connaître une scission : plusieurs frères, juifs et non juifs, vont quitter l’atelier, dénonçant la mainmise de frères juifs sur les fonctions d’officiers de la loge! Ils s’en iront fonder la loge Samuel Guitta n° 360 à Casablanca.

Un épisode révélateur de l’antisémitisme en France, l’affaire Dreyfus, devenue l’Affaire, tant
elle a ébranlé le pays tout entier. En toile de fond, un antisémitisme issu des milieux conservateurs et cléricaux, symbolisé par la parution, en 1886, d’un livre de Drumont ; dans La France juive, Edouard Drumont tente de faire croire que juifs, protestants et francs-maçons sont unis dans une même volonté de détruire la France bien-pensante des traditions catholiques et nationalistes qui s’accommode mal de la laïcité républicaine.

Comment les maçons français vont-ils réagir face à l’Affaire?

Alors que la Grande Loge de France se retranche dans le mutisme de l’indifférence, le Grand Orient de France s’engage activement, bien qu’avec un peu de retard, dans la défense du capitaine lors du convent de septembre 1898.

Peut on imaginer une influence quelconque de la FM sur le judaïsme ?

L’influence de la franc-maçonnerie sur l’évolution religieuse du judaïsme au XIXe siècle n’est peut-être pas négligeable. La réforme religieuse juive fut proche, sur le plan esthétique comme sur le plan doctrinal, de ce que professait alors la franc-maçonnerie. L’on retrouve des parentés dans les références symboliques, dans l’orientalisme, dans l’usage même du terme de temple, qui montre certes une évidente analogie avec le protestantisme, mais qui peut aussi être interprété comme une référence au temple de Salomon, patrimoine partagé avec la maçonnerie. Le discours libéral juif semble lui aussi marqué du sceau de la franc-maçonnerie, par la promotion de l’universalisme et d’une seule religion idéale de l’humanité, par le rapprochement au sein d’une alliance religieuse universelle aussi, par le pont que jeta la franc-maçonnerie entre protestantisme libéral et judaïsme libéral enfin.

Outre le grand rabbin Elie Aristide Astruc en Belgique ou Samuel Hirsch, affilié aux Enfants de la Concorde fortifiée -dont il est orateur entre 1845 et 1854 et grand rabbin de Luxembourg -de nombreux rabbins réformés furent maçons, L’influence supposée de la maçonnerie sur la réforme du judaïsme se lit aussi dans l’esthétique nouvelle - temple, symbolisme, orientalisme - du judaïsme LIBERAL, qui n’est pas exclusivement marquée par l’empreinte chrétienne. L’influence de la franc-maçonnerie, en particulier de l’adoption maçonnique, est aussi sensible dans les formes et l’esprit de la cérémonie religieuse juive de l’initiation telle qu’elle est pratiquée par nombre de communautés israélites modernistes dès le début du XIXe siècle.

Même si elle correspond
autant à la volonté délibérée d’acculturer une partie de la liturgie et de l’esthétique du culte, en puisant dans le cérémonial des cultes chrétiens, qu’à celle de confiner la pratique traditionnelle de la bar mitsvah au domaine privé, cette cérémonie peut selon nous avoir une
réelle inspiration maçonnique.

Dans le cadre du judaïsme traditionnel quelles furent les réactions du judaïsme à la présence de juifs en maçonnerie, et en particulier l’attitude des rabbins à cet égard ?          
 
Il est difficile de l’établir. Le peu d’éléments connus témoignent sans doute du fait que cette présence ne constitua en rien un enjeu dans la vie juive.

D’autre part le judaïsme,
organiquement, n’était pas appelé à se prononcer à ce sujet. N’étant ni structuré ni hiérarchisé
à l’image du catholicisme romain, le judaïsme n’eut pas d’attitude globale à faire entendre, n’eut pas d’excommunication à prononcer au même titre que l’Eglise. En réalité, il se marqua toujours beaucoup plus par un silence sympathique à l’égard de la maçonnerie - en raison même du nombre de rabbins et de responsables communautaires juifs en son sein - que par une réprobation bruyante.

Il est toutefois probable, sinon sûr, que les préventions des rabbins, à quelques exceptions
près, devaient demeurer importantes, surtout au XVIII eme siècle et au début du XIXe siècle.
En effet, non seulement la maçonnerie pouvait paraître contribuer à éloigner socialement certains juifs de leur communauté d’origine, mais encore elle constituait une sorte de substitut qui transcendait les clivages religieux traditionnels - à la fois imposés par les aléas de l’histoire mais aussi facteurs de contrôle social. Comme pour les catholiques et les protestants, l’élément rabbinique traditionaliste ne devait sans doute que modérément apprécier qu’une forme de spiritualité ou à tout le moins d’accomplissement spirituel s’exerçât en dehors du cadre religieux habituel.

Car si certains juifs francs-maçons eurent à subir les foudres de certains rabbins ou des
courants conservateurs au sein de leur propre communauté, en raison de leurs opinions modernistes, il est fort difficile de faire la part des reproches qui leur étaient adressés. Le fait qu’ils fussent maçons n’ajoutait vraisemblablement rien ou presque au catalogue des blâmes qu’ils encouraient.
Par ailleurs, la présence de symboles a priori chrétiens dans la maçonnerie a peut-être découragé certains candidats juifs à l’initiation, non tellement pour des raisons religieuses, mais en raison de l’impact très profond sur les consciences juives du temps des conversions au christianisme.

Le mythe du complot judéo-maçonnique

La théorie du complot est une figure dominante de nos sociétés contemporaines. Toute menace intérieure ou extérieure, toute atteinte à l'ordre moral inspiré par l'Eglise, tout vecteur de la modernisation de la société ont systématiquement été perçus par l'opinion réactionnaire, depuis la Révolution française, comme les effets d'une puissance occulte qu'il s'agissait de diaboliser. La franc-maçonnerie fut particulièrement visée de ce point de vue.

Avec les années
1860, en Allemagne puis en France, le discours antimaçonnique va s'emparer de la thématique juive pour fustiger la conspiration antichrétienne qui serait à l'oeuvre dans la modernité européenne. L'antijudéo-maçonnisme sera d'abord essentiellement théologique puis, avec l'encyclique papale Humanum genus (1884), qui en lancera le mot d'ordre, se fera politique.

C'est en effet avec l'encyclique de Léon XIII, qui se donnait pour objectif de mettre bas les 
masques, que le discours antijudéo-maçonnique sera popularisé, jusqu'à la caricature. Il nous a semblé utile d'interroger ici les figures de ce discours sur le complot, là où Juifs et maçons sont associés pour incarner la coalition diabolique chargée de mettre à mal la civilisation chrétienne : la Synagogue de Satan, métaphore du lieu du secret des maçons et du lieu du pouvoir des Juifs, sert de fil rouge à un discours où Juifs et francs-maçons sont visés comme vecteurs d'une oeuvre diabolique de trahison de l'ordre social.

L'expression Synagogue de Satan, qui est appliquée à la franc-maçonnerie avec l'encyclique
Etsi Multa de Pie IX (1873), sert ainsi ce discours sur le secret, l'obscur, le souterrain, le démoniaque, cette vision crépusculaire du monde : c'est le combat du monde visible contre le monde invisible. Le dévoilement du complot se fait en sondant les ténèbres : Mgr. Meurin en fera le titre d'un de ses ouvrages (La Franc-maçonnerie, Synagogue de Satan - 1893), qui connut une grande diffusion. Il popularisera l'expression en la fixant dans l'imaginaire catholique, servant une mobilisation politique et théologique qui visait à faire du Juif  l'incarnation du maçon, celui que le secret ne permettait pas d'identifier.

Dans cette triste mouvance disons quelque mots du non moins triste « Protocole des Sages de Sion »

Les Protocoles des Sages de Sion apparaissent au tout début du XXe siècle. Ce document se présente sous la forme de vingt-quatre conférences comme une copie d'un plan de campagne, méthodique, cynique, mis sur pied par les juifs dans le but de détruire les sociétés existantes.

Ce plan est accompagné du programme de l'ordre nouveau que ce peuple imposerait au
monde, après le chaos général. Les Protocoles dévoileraient l'objectif caché du peuple juif : Asseoir une domination sans partage sur le monde.

Le document rapporte, dans le plus grand désordre, les moyens que les juifs seraient amenés à
utiliser pour parvenir à leurs fins. Il s'agirait pour eux de discréditer la religion, la franc-maçonnerie étant l'un des fers de lance de ce combat - de répandre des idées subversives, pour entretenir la haine entre les classes sociales - d'encourager le luxe, pour abattre les capacités de résistance - de développer l'industrie, pour anéantir l'agriculture et l'aristocratie traditionnelle - d'entretenir des crises économiques, pour encourager les révoltes - de faire main basse sur l'or, pour acquérir de la puissance - de posséder les organes de presse, pour manipuler l'opinion - de répandre la doctrine libérale, pour corrompre le peuple et désagréger les nations - d'instrumentaliser les partis politiques, pour instiller les mêmes idées - de diriger l'enseignement, pour endoctriner la jeunesse - de faire éclater un conflit mondial, pour hâter le règne des chefs d'Israël... Une fois ces manœuvres accomplies, les conjurés n'auraient plus qu'à récolter les fruits de la déstabilisation générale et à prendre les rennes du pouvoir mondial.

La force de ce document réside dans sa simplicité. En focalisant l'attention sur un groupe
humain particulier, il donne une explication unique aux maux dont souffre la société. Il rend l'histoire contemporaine " intelligible ", selon le mot de Taguieff, en expliquant le passé récent, en rendant possible le décryptage du présent et en permettant le déchiffrement de l'avenir. Le tout en stimulant l'imagination. Un autre de ses atouts est de se présenter comme écrit par les chefs juifs eux-mêmes, les Sages de Sion. Ce serait un document de première main, un aveu émanant des comploteurs. La France fut, avec l'Allemagne, l'un des pays où les Protocoles rencontrèrent le plus vif succès. La Libre Parole d'Edouard Drumont, la Vieille France d'Urbain Gohier, La Revue internationale des sociétés secrètes de Mgr Jouin, tous trois férocement antisémites, en firent leurs choux gras. Léon Daudet, dans la royaliste Action Française, crut également à leur authenticité.
Les Protocoles furent traduits en suédois, en danois, en roumain, en espagnol, en arabe... Henri Rollin, en 1939, écrivait : « On peut donc considérer les Protocoles comme l'ouvrage le plus répandu dans le monde après la Bible »

Nous dirons quelques mots de la maçonnerie en Israël.

Il y aurait aujourd’hui en Israël plus de trois mille maçons et plus de soixante-dix loges.
Pourtant, la franc-maçonnerie s’y est implantée avec quelque difficulté, et seulement depuis la seconde moitié du XIXe siècle.

Dans les années 1860, Robert Morris, un maçon américain qui fut grand maître de la Grande
Loge du Kentucky, se met en tête de rechercher des traces de l’existence de loges maçon niques à l’époque biblique. Pour tenter d’asseoir une si brillante intuition, il se rend en Terre sainte. Las, non seulement il ne découvre aucun indice d’une quelconque présence maçonnique aux temps bibliques, mais en outre il ne rencontre sur son chemin aucun maçon ni aucune loge en activité. Morris fait contre mauvaise fortune bon coeur: puisqu’il n’y a pas la moindre franc-maçonnerie en Palestine, il va la mettre sur pied. A Jaffa, il aperçoit le bateau Lord Clyde de la marine britannique et va aussitôt à la rencontre du capitaine et de ses officiers. Cette fois, son intuition le sert: il se trouve bel et bien des frères parmi eux. Et que font des maçons en déplacement à l’étranger lorsqu’ils se rencontrent? Ils tentent d’organiser une tenue maçonnique.

C’est ainsi que le 13 mai 1868 se tient sans doute la première
réunion maçonnique à Jérusalem, dans la grotte de Sédécias située près de la porte de Damas et dont l’entrée ne fut découverte qu’en 1852. Cette caverne - située à l’emplacement des fondations du Temple! -, on la connaît sous le nom des carrières du roi Salomon...

Aujourd’hui encore s’y déroule chaque année une tenue internationale des maîtres de la
Marque. Mais Morris ne s’arrête pas en si bon chemin. Il faut aller de l’avant, donner un caractère permanent à la loge. Ce sera chose faite en 1873.

La première loge maçonnique implantée sur le territoire d’Israël est donc celle du Roi
Salomon, reconnue en 1873 par la Grande Loge du Canada.

La plupart de ses membres sont
des colons américains de Jaffa appartenant à l’Eglise du Messie, un mouvement chrétien à tendance sectaire. Elle accueille aussi des résidents palestiniens. Elle cesse cependant ses activités au début du siècle. Puis, a Jaffa, autour de 1890, des frères arabes et juifs fondent la loge Le Port du temple du roi Salomon, travaillant en français. C’est un atelier qui va connaître un certain succès auprès des ingénieurs français venus construire la première ligne de chemins de fer en Israël celle qui relie Jaffa à Jérusalem.

Avant l’indépendance de l’Etat d’Israël en 1948, il se trouve donc déjà des loges qui
travaillent soit en hébreu, soit en anglais et qui sont rattachées soit à la Grande Loge d’Egypte, soit à la Grande Loge d’Ecosse ou à la Grande Loge unie d’Angleterre, soit encore au Grand Orient de France. Fondées pour la plupart dans les années trente, elles se réunissent à Jérusalem, à Haïfa, à Tel-Aviv ou à Jaffa. La première obédience maçonnique en Israël la Grande Loge nationale de Palestine, est constituée en 1932 mais les loges anglophones refusent de s’y rallier.

La Grande Loge de l’Etat d’Israël voit le jour le 20 octobre 1953, elle a son siège à Tel-Aviv, où se réunissent régulièrement 22 ateliers. La plupart travaillent en hébreu (14 exactement), tandis que les autres loges se réunissent en anglais, en français, en espagnol, en turc et même en roumain.

Notons la présence d’une loge d’expression française à Jérusalem, la bien
nommée France, fondée en janvier 1993 en présence du grand maître de la Grande Loge nationale française (obédience régulière). Au total, on peut dire que la majorité des maçons d’Israël sont juifs (orthodoxes ou non), mais qu’il est aussi des maçons chrétiens, musulmans ou Druzes

On retrouve cet esprit de tolérance jusque dans le rituel des loges où ce sont trois volumes de
la Loi sacrée qui sont ouverts côte à côte : la Bible hébraïque (Tanakh), la Bible chrétienne et le Coran. Sur le sceau de la Grande Loge de l’Etat d’Israël figurent la croix chrétienne, le croissant musulman et l’étoile de David. Et il y a au sein de la direction de l’obédience trois chapelains : un juif, un chrétien et un musulman. Cette harmonie s’est par ailleurs concrétisée en 1981 par l’élection d’un Arabe chrétien à la fonction de grand maître. Enfin, la loge n° 16 dite Elie le Prophète, à Haïfa, a pour tradition de travailler aussi bien en hébreu qu’en arabe.

En conclusion quels sont les points de vue communs entre le judaïsme et la FM

Après tout, il n’est pas interdit de tenter de trouver des points communs entre la franc-maçonnerie et le judaïsme... Réhabilitons le concordisme, mais de manière douce, sans forcer les interprétations convergentes. Si donc l’on veut bien s’attarder sur les similitudes de nature entre la franc-maçonnerie et le judaïsme, on découvre au moins trois thèmes à explorer.

D’abord la valeur du travail

On sait que le maçon est invité à travailler sur lui-même, à polir sa pierre brute, à se perfectionner avant de songer à améliorer le monde. La symbolique maçonnique, avec les outils du constructeur et le tablier, témoigne de cette orientation primordiale. Mieux, tout l’appareil symbolique de la franc-maçonnerie est d’abord là pour enseigner des vérités morales. Trois siècles de littérature maçonnique témoignent de la fonction moralisatrice du symbolisme maçonnique Le judaïsme connaît lui aussi cette valorisation du travail, qui prend évidemment sa source dans la Torah. Avant même d’être chassé du jardin d’Eden et de devoir travailler à la sueur de son front, Adam devait déjà entretenir le jardin. Alexandre Safran peut écrire, dans une étude sur la conception juive du travail, que «le travail n’a pas été conçu uniquement pour répondre aux nécessités immédiates de l’homme, pour lui assurer sa subsistance, pour lui donner un gagne-pain, mais pour lui permettre d’atteindre un but moral, qui concerne autrui et se projette dans l’avenir qui est le Bien ».
En découle une foi commune en la perfectibilité de l’homme. La franc-maçonnerie constitue une formidable utopie de la modernité, elle croit que l’homme peut s’améliorer et améliorer le monde, en dépit de la notion de progrès qui, depuis Auschwitz et Hiroshima, a du plomb dans l’aile. La franc-maçonnerie a souvent inscrit cette notion de progrès dans ses textes fondateurs. Le judaïsme reconnaît semblable ment que si l’homme est corruptible il est néanmoins tourné vers le bien. L’homme travaille à son perfectionnement éthique. Juifs et francs-maçons affichent une même foi en l’avenir de l’humanité, qui ne trouve certes point la même origine. «Fidèle à l’action prophétique, le judaïsme, écrit le grand rabbin Safran, ne saurait admettre que l’homme renonce à instaurer le royaume de Dieu sur terre. E...] Mais les jours du Messie s’édifient dans la vie présente »

Enfin l’absence de dogme
ou l’adogmatisme. La franc- maçonnerie ne propose ni n’impose aucun dogme. Elle a même érigé en dogme cette aversion pour le dogme! La francmaçonnerie n’a pas de doctrines, elle n’est qu’une méthode d’appréhension de soi et du monde. Elle n’est en rien théologique. Elle se contente de favoriser le cheminement et la réflexion personnels, au départ de l’initiation. Elle veut faire de l’initié un nouvel homme, même si elle n’y parvient pas toujours... Le judaïsme n’a pas plus de dogmes. La Torah n’est pas un traité théologique, elle relate seulement des expériences religieuses. C’est encore Alexandre Safran qui écrit « Le judaïsme ne saurait avoir de dogmes; il se propose de connaître la volonté de Dieu, et non Sa nature; il n’impose donc pas aux croyants de vérité ni de foi toute faite; il encourage la recherche personnelle de la foi »

Nous voudrions terminer sur cette note, qui n’a rien de moralisateur : judaïsme et franc-maçonnerie sont condamnés à s’entendre et à unir leurs efforts pour réaliser un monde
meilleur. Si les francs-maçons veulent bien reconnaître que leur société est née en terre chrétienne et qu’elle demeure un véhicule de la symbolique judéo-chrétienne, ils comprendront alors sans peine l’idée centrale émise par Franz Rosenzweig (1886-1929) dans son grand livre L’Etoile de la rédemption: c’est par l’amour que le monde sera sauvé. Or la vie juive est au cœur de l’étoile de la rédemption, tandis que les chrétiens en constituent les rayons. Ne peut-on imaginer que les maçons soient les nouveaux rayons de l’amour fraternel, et qu’ils doivent tout faire pour que le cœur de l’étoile continue à battre? Voilà qui dessinerait ainsi les contours du visage de la « judéo-maçonnerie» du je siècle.

Au total, le bilan historique est largement positif, si tant est que l’on puisse établir une comptabilité en pareil domaine. La plupart du temps, juifs et francs-maçons ont harmonieusement cohabité, réunis dans le partage de mêmes valeurs. Si l’idéal fédérateur de la maçonnerie n’a que partiellement réussi à faire éclater les murs de la méconnaissance et de l’incompréhension, au moins a-t-il patiemment construit une école de la tolérance. Là où, dans la société globale, chrétiens et juifs se méprisaient ou s’ignoraient, dans les ateliers maçonniques ils apprenaient au moins à se connaître. Le résultat n’est pas mince. Peut-être faut-il y voir une résurgence du dialogue inter religieux auquel seules quelques figures de proue avaient jusque-là participé. A ceci près que ces rencontres prennent, dans le cadre maçonnique, un caractère relativement stable, non éphémère, à défaut d’être institutionnel.

A l’heure où les vieux démons de la droite la plus bête et la plus extrême ne cessent de se réveiller dans une Europe amnésique et balbutiante, il est urgent de faire mémoire d’un passé lourd d’incompréhensions et de restituer le visage d’un présent porteur d’espoir

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