GLFB Loge : Etre et Devenir - Orient de Namur 09/2009


La maçonnerie est-elle une psychothérapie ?

La connaissance de soi est recherchée à la fois par la maçonnerie et la psychologie.
Mais  « connaissance » et « soi » sont des termes particulièrement ambigus et je laisse à votre curiosité et courage la consultation des définitions du petit Robert ou de Wikipédia.

Etant une modeste pratiquante de maçonnerie et de psychologie, je vais tenter de vous montrer que l’étude des symboles n’a pas de fonction psychothérapeutique (encore que dans les sciences humaines, les séparations entre catégories sont loin d’être étanches).

Elles sont toutes les deux filles de notre culture grecque et chrétienne imprégnées toutes deux de dualisme corps et âme, esprit et matière, etc…,  et pour laquelle,  la descente en soi, autrement dit la dimension de l’intériorité, est valorisée à l’extrême.
La notion de péché, ébauchée chez les tragiques grecs, approfondie chez les stoïciens et les chrétiens, correspond  ainsi à l’aboutissement du processus d’intériorisation du mal.
L’âme est définitivement souillée par les aspects biologiques de l’homme : ses pulsions, ses passions seront liées au sale et au mal et seule sa raison lui permettra de parvenir à la perfection en le guidant dans le chemin du bien.
Mais, le salut est difficile et douloureux et passe par la voie de la souffrance et de mortification. Ainsi l’âme (ou la Vérité) pourra se libérer au terme de nombreuses opérations par la purification, la prière, l’introspection ou la méditation.
 
Jadis, l’univers mental est relié à l’univers religieux (possessions, sorcellerie, exorcismes …)  et va, petit à petit, se transmettre des prêtres aux médecins.
(D’ailleurs, comme l’a montré si bien Vinciane Despret, le cabinet de consultation du psy a quelques relents de confessionnal)
Et puisque dans la pratique médicale, la maladie à une cause, la guérison psychique sera, elle aussi, subordonnée à la recherche de causes.

Ce qui donne en résumé : les causes du mal sont à rechercher à l’intérieur de soi et par un travail long et douloureux, leur compréhension amènera le changement !

Même si on ne fait pas référence explicite à l’âme, cette conception est partagée par la maçonnerie et par les psychothérapies à tendances psychanalytiques.

Je vais maintenant analyser en quelques points ces 2 disciplines et montrer que leurs objectifs ne sont pas de même nature.

1 - La Maçonnerier

Si, à ses débuts, la maçonnerie pratique la philanthropie et les beaux arts, elle va  progressivement se doter d’un aspect initiatique autrement plus palpitant.
Dans son rituel, elle va inclure des symboles et thèmes empruntés à l’alchimie, l’astrologie, la kabbale, la bible et autres gnoses diverses.

L’initié maçon va chercher la lumière grâce à la ‘Connaissance’ afin de transcender son état humain. Il va pratiquer le rituel et le travail  sur les symboles.
Pour y parvenir il va s’introspecter (VITRIOL) et arriver au sommet de la Connaissance et à l’Unité.  Le chemin est décrit comme étroit et la progression difficile!

La maçonnerie est une voie initiatique (même un Ordre !) et comme toute voie spirituelle, elle demande une présence à soi centrée, ainsi qu’un engagement à se débarrasser des illusions de l’ego.

Dans les démarches spirituelles, la souffrance ou les limitations ne viennent pas du passé mais sont construites ici et maintenant par l’ego.
Celui-ci est l’outil avec lequel on nomme, juge, étiquette, généralise ou sélectionne... c’est ce qui fait qu’on déforme la réalité et qu’on fabrique des catégories : bon/ mauvais, intelligent/stupide, beau/laid.....
L’ego n’est jamais impartial... il n’aide pas à accéder à la ‘Connaissance’ mais tente d’avoir raison !
En renonçant à son ego, le cherchant va acquérir la liberté intérieure et ne sera plus dépendant des conditions extérieures. Il va se libérer de ses passions, arrêter d’être conditionné par ce qu’il aime ou n’aime pas, de ce qu’il domine ou ce par quoi il est dominé ;
Il abandonne le contrôle, le paraître et les faux semblants et accepte ‘juste ce qui est’. C’est ce qu’on appelle aussi le lâcher-prise.

Le disciple d’une voie spirituelle passe de l’état de réaction à celui d’action et se libère des angoisses existentielles comme la tristesse, l’absurde, la solitude et la peur de la mort.

Il porte des signes d’appartenance de son groupe et doit montrer digne d’y appartenir.
(Ceci n’implique pas une idée d’élite : celui qui chemine n’est pas au-dessus des autres car se mettre en avant n’est qu’une des illusions de l’ego).

Dans beaucoup de voies spirituelles, le disciple est confié à un maître extérieur (suffisamment) dépourvu d’ego…celui-ci accompagne son discipline de manière à ce que ce dernier développe sa propre voie et puisse s’en reférer à son maître intérieur.

Inutile de dire que ce genre d’ascèse n’a rien de facile, d’autant plus que les lignes de pentes de notre société valorisent l’ego à l’extrême !
De plus, en maçonnerie l’option : ‘se débarrasser de son ego’ n’est pas partagée (sur le terrain en tous cas) par la majorité des maçons pour qui la mise en évidence ostentatoire de leur ego via leurs titres maçonniques, leurs diplômes ou leurs savoirs,…  reste un ‘must’.
Pourtant, on peut imaginer que grades, décors et flonflons ne sont pas là pour flatter l’ego mais  justement,  faire prendre conscience de leur vanité.

La maçonnerie peut être envisagée comme  voie spirituelle avec la communauté de sa loge comme maître extérieur. Dans celle-ci, le maçon va trouver écoute et fraternité.
Il va pouvoir s’y exprimer, mais de manière codifiée pour éviter d’être guidé par ses passions, Son nombre de prises de parole est limité pour canaliser, avec plus ou moins de bonheur, les débordements de son ego.

Selon l’orientation de son obédience ou son atelier, l’aspect spirituel sera plus ou moins présent et si certains maçons se prennent pour des grands prêtres se réclamant de la doxa, d’autres considèrent que le symbolisme n’a que peu d’importance et l’aspect rituélique est juste un morceau de folklore.

Pour devenir maçon, l’initié expérimente une métamorphose, un accomplissement d’un autre ordre : le vieil homme est mort et une nouvelle naissance s’opère.
Tout au long de son cheminement maçonnique, le maçon vivra de multiples morts et renaissances symboliques.

Pourquoi entre t’on en maçonnerie

L’homme est à la recherche de sens et de certitudes dans un univers qui possède de moins en moins ni l’un ni l’autre.
Souvent les postulants ont conscience que la vie ne se résume pas à courir après des réussites matérielles et sont en recherche... mais de quoi ? Ils avancent donc fréquemment des raisons vagues : se connaître, s’améliorer, se découvrir, vivre une fraternité.
La demande initiatique est rarement exprimée car souvent méconnue.

Comment se perfectionne t’on ?

La maçonnerie demande à l’initié de renoncer à ses préjugés et ses dogmes.
Elle fait sienne la pensée d’Augustin qui propose : ‘Au lieu d'aller dehors, rentre en toi-même : c'est au cœur de l'homme qu'habite la Vérité’.
L’initié pratique la démarche introspective grâce aux symboles mis à sa disposition et entreprend un travail de discrimination entre ce qu’il est réellement et ce qu’il croit être.

Il devra être simultanément un observateur et un témoin impartial et pour que son analyse soit valable il doit abandonner ses préjugés.
Or comment faire puisqu’il est juge et partie ? Comment espérer quelque neutralité et tracer les frontières entre rêves, désirs, délire et narcissisme ?

Les psychologues sociaux ont démontré que nous n’arrêtons pas de nous comparer aux autres et cette recherche d’information est destinée à maintenir une évaluation positive de nous-même.  Nous avons donc une tendance certaine à nous surévaluer (et il semblerait, d’ailleurs, que seuls les déprimés ont une image un peu plus objective de qui ils sont)

Néanmoins, même si fort imparfaite et source de multiples fourvoiements (notamment les rationalisations), l’introspection reste la première phase d’accès de chacun à sa propre conscience.

La démarche maçonnique est individuelle mais se pratique en groupe. Par l’étude des symboles, le maçon apprend la tolérance car chacun peut y mettre ce qui fait sens pour lui.
Grâce à la triangulation, il  peut  dépasser les oppositions binaires,  faire co-exister les différents niveaux et expérimenter l’Unité.

Par le rituel, il est encouragé à pratiquer des valeurs de fraternité, d’amour, d’humilité, de courage et de justice.
 Il va ainsi devenir un homme de bien et travailler au perfectionnement de l’humanité.

Ici, pas d’obligation de résultats, le maçon est seul juge de ses progrès dans la voie du perfectionnement.
Malheureusement souvent, sous le couvert de fraternité ou  peur de générer des conflits, la confrontation directe est évitée et les commérages de corridor sont fréquents.

En maçonnerie, la quête de perfection est infinie et sauf démission, exclusion ou décès, on y reste toute sa vie.

2- Les psychotérapies

Le robinet des psychothérapies est, aujourd’hui,  intarissable ; On en recense environ 500.
Elles mangent à tous les râteliers et mélangent allègrement doctrines spirituelles, ésotériques, orientales, corporelles, médicales, psychologiques et autres.

Leurs théories sont parfois contradictoires et aussi quelques fois tout à fait fumeuses !
Je viens d’apprendre la naissance d’une petite dernière : l’ecopsychothérapie : aider les anxieux des dérèglements climatiques et de la pollution.
La psychothérapie c’est aussi du business !

A l’opposé de la maçonnerie, on entre en psychothérapie comme dans un moulin… seules des incompatibilités de techniques ou de personnes peut décourager le psy ou le patient à persévérer.

On confond régulièrement psychothérapie, psychanalyse ou psychiatrie
Ces trois disciplines d’occupent de soins à la psyché et traitent le mal-être.
Elles s’occupent de pathologies plus ou moins lourdes mais sont de plus en plus soucieuses aussi d’améliorer le bien-être des individus.
Seul le psychiatre qui est un médecin est habilité à prescrire des médicaments.

Remarque : selon l’école psy, on parlera de client ou patient.
Pour simplifier l’écriture je n’utiliserai que le mot patient.

De la psychanalyse en particulier

Pendant de nombreuses années la psychanalyse a été la reine incontestée des psychothérapies.
Elle s’appuie sur le présupposé suivant : des désirs n’ont pas été acceptés par la personne dans son enfance, ceux-ci sont refoulés et deviennent inconscients. Ils feront un retour plus tard de manière cryptée sous forme de symptômes.
Le psychanalyste va aider le patient à conscientiser ses désirs refoulés, et va lui permettre  de découvrir la vérité sur lui-même (et rendre donc ses symptômes inutiles).

Cette hypothèse est donc extrêmement attractive car elle permettrait une voie d’accès royale à la compréhension de soi.
Ce credo va influencer la culture psychothérapeutique pendant les ¾ du 20è siècle. Il sera  repris largement par les médias et ainsi, la terminologie psychanalytique va passer dans le domaine courant avec ses abus et ses clichés, favorisant diagnostics et interprétations empreintes de concepts galvaudés.

Un petit mot de la psychanalyse lacanienne : elle a été la seule psychothérapie française reconnue jusqu’à la mort de Lacan en 1984 et a imprégné tous les aspects de la vie culturelle française.

On peut inclure les psychanalyses dans les psychothérapies même si les psychanalystes, héritiers de Freud, Lacan, Jung,. etc… continuent de se battre pour avoir un statut particulier !
                                   
Des autres psychothérapies

A la fin du 20ès, on a vu émerger d’autres manières de considérer la souffrance dont certaines se sont tout à fait détachées du modèle freudien :
- on ne recherche plus la souffrance dans la petite enfance
- on le fait plus le lien compréhension des causes = guérison.

Chaque type de psychothérapie a ses propres postulats et dans les principales on retrouve:
-la puissance de l’inconscient : la psychanalyse, l’hypnose
-la rigidité de comportements acquis : les thérapies cognitivo-comportementales, la PNL
-l’importance de l’environnement : les thérapies systémiques et familiales
-l’unicité et le respect de chaque individu : les thérapies humanistes
-la libération des émotions : les thérapies corporelles et émotionnelles
-suite au nombre croissant de populations émigrées : le travail avec ‘les esprits’: l’ethnopsychiatrie.

Pourquoi consulte t’on un psy ?

Le patient consulte d’abord parce qu’il souffre ou vit des difficultés existentielles ou relationnelles (angoisse, solitude, impuissance, échec, obésité, chagrin, dépression,...).

Aujourd’hui, cet usager-consommateur, veut diriger sa vie comme il l’entend et est de plus en plus avide d’outils de gestions : comment bien élever mon enfant, être une meilleure épouse, un gagnant, un battant, mais aussi apprivoiser mon hippopotame etc. (créneau que les coachs se sont avidement appropriés).

Comment guérit t’on ?

Le but des psychothérapies en général est de recadrer les difficultés du patient, de lui permettre d’utiliser d’autres ressources et de faire des nouvelles expériences.

La démarche psychothérapeutique est souvent individuelle, quelques fois elle se pratique en groupe.

Le patient s’attend à la réalisation d’objectifs et le thérapeute  va ‘éprouver’ par le questionnement ou la confrontation, si le résultat souhaité est obtenu (sauf pour la psychanalyse pour qui la ‘guérison’ n’est pas un objectif).

La psychothérapie ne vise pas à créer un homme « meilleur », ni à travailler au bien de l’humanité.
On peut être guéri et rester raciste, égocentrique, borné… bref garder allègrement ses idées préconçues et ses préjugés.
(Ceci est moins vrai dans certaines thérapies de groupe où la confrontation des autres participants bouscule beaucoup plus les cadres de référence).

En psychothérapie, le thérapeute et son patient croient qu’on guérit en fonction du modèle thérapeutique.
Or de plus en plus, il semble que la théorie proposée par le psy est surévaluée (en fait elle n’interviendrait qu’à 15% des facteurs de guérison) et qu’en plus elle contribue à la fabrication des symptômes, qui, en retour, seront expliqués par la théorie.

Cette vision de l’influençabilité de l’être humain donne un coup de pied au grand mythe de l’homme occidental doué de libre arbitre et exerçant en toute autonomie sa volonté.
L’être humain, surtout en position de faiblesse ou de souffrance, est éminemment influençable.

Quelles qu’elles soient, toutes les psychothérapies rencontrent des succès et des échecs, toutes à peu près dans les mêmes proportions.

Une psychothérapie est en principe limitée (même si jadis et peut-être toujours aux USA ?) certaines psychanalyses peuvent durer des dizaines d’années (cf Woody Allen).

En conclusion
 
Si pour certains une psychothérapie est une étape préalable à une démarche spirituelle du type maçonnique ; pour d’autres, la démarche spirituelle suffit car elle implique une dimension de changement nettement plus vaste. (Ce qui est théoriquement possible mais se remarque peu dans la pratique).

Car, si nous avons tous  éprouvé des états de sérénité, de bienveillance et de liberté totale où nous nous sentions unifiés, souvent ce ne sont que des ‘moments de grâce’!
Le chemin sur la voie spirituelle est exigeant et dans nos régions le sage se rencontre très rarement (aussi bien dans la vie profane que dans la vie maçonnique).

On peut assimiler la maçonnerie à une démarche verticale qui vise la métamorphose de l’initié. Elle proclame ‘meurs et deviens’ ; La psychothérapie serait une démarche horizontale qui vise le changement, la diminution de la souffrance et proclame ‘deviens qui tu es’.
Comme le dit A Desjardin : la psychothérapie guérit l’ego, la spiritualité guérit de l’ego.
           
Sylvie Van P\

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