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L'harmonie

Qu'est « l'Harmonie » ? Si j'ouvre mon dictionnaire je trouve la définition suivante : « Harmonie : concours heureux de son, de formes, de mots, de rythmes. Bon équilibre entre les parties, effet produit pare les ensembles dont les parties s'équilibrent, bonne entente entre les personnes ».

L'idée générale est celle d'un bon équilibre entre diverses parties selon des rapports plus ou moins numériques. Ne parle t'on pas de l'harmonie du monde ? De l'harmonie de l'âme, de l'harmonie des sons et des couleurs ?

Les Pythagoriciens le savaient bien déjà qui enseignaient que tout se crée et s'équilibre en fonction des nombres et de leurs rapports multiples. L'un des plus célèbres de ces rapport numérique est le « Nombre d'or » qui est la clé et de l'architecture et de la construction des formes naturelles dans le monde, y compris dans les formes vivantes. Le Nombre est, selon Pythagore, la base et la clé de toutes choses, et son usage adéquat ou Inadéquates rend les choses harmonieuses ou non.

Pour Platon, élève des Pythagoriciens, le nombre est le principe de toutes choses et la base de la création de l'univers, voir à ce propos le Timée section 27-69. L'Univers, le Cosmos (qui étymologiquement signifie « ordre ») et qui s'oppose au Chaos, inorganisé et ténébreux, est un tout organisé dont l'HARMONIE est réglée sur le principe de la proportion.

Selon les Pythagoriciens, l'Univers se compose d'un corps et d'une âme. Le corps du monde fut créé par le Démiurge, une sorte de  GADLU Grec, par la mise en proportion de quatre éléments : il prit d'abord du feu (sans lequel rien n'est visible) puis de la terre (sans laquelle rien n'est solide) et pour les unir dans une proportion (1), il prit deux moyens termes, l'air et le l'eau, de telle façon que ce que le feu est à l'air, l'air le soit à l'eau et que ce que l'air est à l'eau, l'eau le soit à la terre (feu ; air ; eau ; terre).

Dans sa description de l'âme du monde Platon montre sa maîtrise des proportions. Avant même que de former le corps nous dit-il, le Démiurge place au centre de l'univers l'âme afin qu'elle s'étende partout et englobe le corps lui-même. Pour la créer il combine trois éléments : « la substance indivisible qui se comporte toujours d'une manière invariable », « la substance divisible qui est dans le corps », les deux liées par une troisième, « sorte de substance intermédiaire comprenant et la nature du Même et celle de l'Autre ».

Selon les anciens philosophes grecs dont les Pythagoriciens en particulier, l'une des divisions les plus classiques du Monde comme de l'être humain ou de l'âme est la division tripartite si chère au Maçon et telle que la définissait Platon dès l'antiquité. C'est à Platon, plus précisément à son grand ouvrage intitulé La République, que l'on remonte toujours pour trouver le modèle de cette division tripartite de l'âme. « Mais ce qui est difficile, écrit-il, c'est de décider si tous nos actes sont produits par le même principe ou s'il y a trois principes chargés chacun de leur fonction respective, c'est-à-dire si l'un de ces principes qui est en nous fait que nous apprenons (Noos), un autre que nous nous mettons en colère (Thumos), un troisième que nous recherchons le plaisir de manger, d'engendrer... (Epithumia) ». Voici donc la tête, le cœur et le ventre, la tête étant le lieu de la raison, de la pensée, le ventre celui du désir. Il ne faudrait toutefois pas limiter le cœur à la colère au sens que nous donnons à ce mot. Le Thumos est en réalité le siège du courage, du sentiment de dignité, de fierté.

Avec une rigueur étonnante, Platon démontre que les divers actes que nous posons ne peuvent s'expliquer que si nous postulons l'existence de ces trois principes. Il fait correspondre ensuite chacune des trois parties de l'âme aux trois classes de sa cité idéale : la tête est associée aux gouvernants, le cœur aux guerriers, le ventre au peuple. C'est l'âme individuelle qui doit retenir notre attention. La formation consistera à faire régner l'harmonie entre les trois parties. Cette harmonie est aussi appelée justice. L'âme juste est celle où chacune des trois parties occupe sa vraie place dans un ensemble harmonieux : « L'homme juste ne permet pas [...] que les trois principes de son âme empiètent sur leurs fonctions respectives ; il établit au contraire un ordre véritable dans son intérieur, il se commande lui-même, il harmonise les trois parties de son âme absolument comme les trois termes de l'échelle musicale, le plus élevé, le plus bas, le moyen, et tous les tons intermédiaires qui peuvent exister ; il lie ensemble tous ces éléments et devient un de multiple qu'il était ; il est tempérant et plein d'harmonie, et dès lors, dans tout ce qu'il entreprend, soit qu'il travaille à s'enrichir, soit qu'il soigne son corps, soit qu'il s'occupe de politique, soit qu'il travaille avec des particuliers, il juge toujours et nomme juste et belle l'action qui maintient et contribue à réaliser cet état d'âme et il tient pour sagesse la science qui inspire cette action ; au contraire, il appelle injuste l'action qui détruit cet état, et ignorance l'opinion qui inspire cette action ».

Tout est dit : Et voici l'homme formé ! On n'a aucune peine à imaginer les applications de ces faits dans divers domaines aussi bien sacrés que profanes. De même qu'en musique il y a accord, unité entre les notes à condition que chacune conserve son identité et sa force, de même l'harmonie ne peut s'instaurer en nous que dans la mesure où chacune de nos parties conserve sa vigueur. Lorsque par exemple la tête impose sa loi au détriment du cœur et du ventre, il n'y a pas harmonie mais plutôt atonie ; il n'y a pas unité dans la diversité, mais uniformité.

Notons ici que le modèle platonicien, préfiguré par l'un des personnages les plus sains de la littérature universelle, Ulysse, contient tous les antidotes aussi bien contre un idéalisme ascétique qui confère à la raison un pouvoir démesuré, que contre un matérialisme qui déifie le ventre.

L'homme occidental moderne semble avoir souffert de son idéalisme ascétique à un point tel qu'il en est venu à discréditer jusqu'à l'idéal d'une hiérarchie intérieure accordant une place royale à la faculté royale: l'intelligence. Ce discrédit a fortement contribué à miner en son temps l'école profane tout comme diverses écoles initiatiques, dont la vocation première est de favoriser l'émergence d'une hiérarchie intérieure au sommet de laquelle se trouve l'intelligence au sens profane et l'intelligence spirituelle au sens initiatique. Le secret de l'harmonie réside dans l'art de permettre à la raison de commander au cœur et au désir, sans enlever au cœur son enthousiasme, ni au ventre son innocence.

Le Bien y règne sur la nécessité par la persuasion, dit Platon à propos de l'univers. Chez l'homme, la raison doit régner sur les parties inférieures par la persuasion plus que par la force. Dans la mesure du possible, ça va de soi ! Ces notions peuvent s'utiliser dans tous les domaines. Et si nous appliquons ce que nous avons vu ci-dessus à la Maçonnerie et à formation du nouvel initié nous pouvons faire des rapprochements intéressants avec ce qu'est l'éducation et la formation d'un enfant.

Chez l'enfant, comme chez le profane, les trois parties de l'âme forment un tout chaotique dominé par le désir. Le grand défi de l'initiation est alors, par la discipline qui limite le désir, par l'étude qui permet à la raison de se déployer, par la religion ou la sagesse qui enseignent à faire un usage purificateur de la souffrance, par la gymnastique spirituelle et l'ascèse spirituelle qui éveillent le courage de faire en sorte que chaque partie de l'âme émerge progressivement et apprenne à remplir sa fonction propre. L'étude, la discipline, la purification et la gymnastique ou ascèse spirituelle ne représentent toutefois que la moitié de l'œuvre formatrice ; la seconde moitié est assurée au moyen de ce qu'on pourrait appeler l'enveloppement de l'âme par des rites et des oeuvres d'art qui sont des manifestations d'harmonie. Dans la musique de Bach ou celle de Mozart, par exemple, le degré d'harmonie atteint est très élevé. La pensée règne sur cette musique, sans enlever au cœur sa chaleur ni au ventre son ardeur. Dans les temples maçonniques le décorum matériel tout comme la beauté et l'harmonie du rituel concourent à l'ascèse et au progrès spirituel.

Pour un Grec de l'Antiquité, il était évident que l'âme est extrêmement sensible à l'harmonie ou au manque d'harmonie de ce qu'on pourrait appeler son environnement symbolique. En divers endroits de son oeuvre, Platon, avec un luxe de détails techniques étonnant à nos yeux, montre comment tel type d'accord est de nature à développer le courage dans l'âme, tel autre à l'affaiblir, et il est si persuadé de l'importance de la musique dans la formation qu'il n'hésite pas à déclarer que le mal entre dans le monde par la musique. Pour désigner l'ensemble de la formation, celle qui provient de l'étude, de la discipline et de l'exercice et celle qui provient de l'environnement symbolique, les Grecs employaient le mot paideia (de pais, enfant). Dans un ouvrage magistral, paru au début du siècle (« Paideia ou la formation de l'homme grec ») l'helléniste allemand Werner Jaeger présente un tableau complet de cette formation.

On en tire un enseignement d'une importance extrême pour notre temps. Quand il y a accord entre la culture de la cité et les fins poursuivies dans les écoles, quand cet ensemble est unifié, comme c'était le cas au Ve siècle en Grèce, il n'y pas d'inconvénient à ce que l'école soit totalement ouverte sur la cité. Il en va tout autrement là où au lieu d'être une cité unifiée, le monde extérieur est caractérisé par la diversité pure, jusqu'à l'incohérence et au chaos. N'est-ce pas le cas presque partout en ce moment où la mondialisation achève d'introduire la diversité dans les quelques lieux où régnait encore l'unité? Comme la formation exige l'unité, ne faut-il pas en conclure que l'école initiatique, plus que jamais dans le passé, doit constituer un milieu capable de sécréter une unité et de la protéger contre les forces de fragmentation du monde extérieur ?

Pour revenir au Temple Maçonnique et à nos Rituels voyez comme un temple bien dressé et un rituel bien fait, avec amour et chaleur, réchauffe l'âme et fait passer le courant lors de nos cérémonies. Aussi importante est l'harmonie entre frères. Celle-ci est crée d'un coté très naturellement par les rituels et l'habitude que nous avons les uns des autres qui nous permets d'ajuster nos propres différences dans le sens du bien commun. Elle est crée aussi par l'usage de la fonction clé, l'intelligence, qu'elle soit celle du cœur ou celle de l'âme, qui nous pousse et nous permets de nous adapter les uns aux autres, de nous pardonner les uns les autres nos petites erreurs, si erreurs il y a, de voir les qualités de chacun d'un autre coté.

Pour conclure, je terminerais par quelques préceptes tirés du Code Maçonnique tels que le 18eme siècle nous les a livrés. Ces préceptes sont susceptibles, si nous les comprenons et les vivons vraiment, de faciliter et la connaissance et la compréhension de l'aspect spirituels de nos réunions, et de faciliter l'harmonie naturelle qui doit régner entre frères tout comme il doit régner à chaque niveau de la société, qu'il s'agisse de la famille ou de l'état.

« Préceptes Maçonniques :

1. Dis la vérité, pratique la justice, pense avec droiture.
2. Agis envers les hommes comme tu voudrais que les hommes agissent envers toi.
3. Aime ton prochain.
4. Ne fais point le mal ; fais le bien.
5. Laisses parler les hommes.
6. Le vrai culte consiste dans les bonnes mœurs et dans la pratique des vertus.
7. Fais le bien pour l'amour du bien lui-même.
8. Aime les bons, plains les faibles, fuis les méchants, mais ne hais personne.
9. Parle sobrement avec les grands, prudemment avec tes égaux, sincèrement avec tes amis, doucement avec les petits, tendrement avec les pauvres.
10. Ne flatte point ton frère, c'est une trahison ; si ton frère te flatte, crains qu'il ne te corrompe.
11. Ecoute toujours la voix de ta conscience, elle est ton juge.
12. Soulage les pauvres ; chaque soupir que ta dureté leur arrachera, sera une malédiction qui tombera sur ta tête.
13. Respecte l'étranger voyageur ; aide-le, sa personne est sacrée pour toi.
14. Evite les querelles, préviens les insultes, obéis toujours à la raison.
15. Si tu rougis de ton état, c'est de l'orgueil. Songe que ce n'est point la place qui honore ou dégrade l'homme, mais la manière dont il la remplit.
16. Lis et profite, vois et imite, réfléchis et travaille ; rapporte tout à l'utilité de tes frères : c'est travailler pour toi-même.
17. Sois content partout, de tout et avec tout, si l'honneur n'y est pas contraire.
18. Ne juge pas légèrement les actions des hommes; loue peu et blâme encore moins ; Pense que pour bien juger les hommes, il faut sonder les cours et scruter les intentions.
19. Respecte les femmes ; n'abuse jamais de leur faiblesse et meurs plutôt que de les déshonorer.
20. Si tu deviens père, réjouis-toi, mais comprends l'importance de ta mission.
Sois pour ton enfant un protecteur fidèle.
Fais que jusqu'à dix ans il te craigne,
Que jusqu'à vingt ans il t'aime,
Que jusqu'à la mort il te respecte !
Jusqu'à dix ans sois son maître, jusqu'à vingt ans son père, jusqu'à la mort son ami.
Pense à lui donner de bons principes plutôt que de belles manières ;
Qu'il te doive une droiture éclairée et non pas une frivole élégance !
Fais-le honnête homme plutôt qu'habile homme ».

Ce sont sur ces principes éternels et oh combien véridiques que je terminerais donc ce soir mon exposé.

J'ai dit, V\ M\


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