OITAR Loge : NC 20/06/1995


La colonne d'harmonie


Ce Mardi 20 Juin 1995 de l’E.V., nous célébrons la fête de la musique. Ici, dans notre île, la Martinique la musique est très importante. A cette occasion, je dois vous entretenir de la colonne d’harmonie, office que j’occupe depuis un an et demi, qui consiste à faire vivre la musique en même temps que le rituel.

Dans un premier temps, je parlerai de l’office que te tiens ; ensuite, je devrai exalter la musique en vous faisant découvrir ou redécouvrir ce qu’elle est. Qui dit musique dit aussi écoute, très important en loge. Quelles sont les fonctions de la musique ? Puis, mes recherches me permettront de vous parler de l’origine de la musique. La symbolique de quelques instruments de musique terminera mon propos.

L’harmoniste.
Selon notre livre coutumier, le rôle de l’harmoniste consiste à choisir les colonnes d’harmonie circonstanciées à chaque cérémonie rituelle ou circonstance particulière à la loge, nécessitant son intervention. Il dirige aussi les chants.
Il est l’un des cinq officiers assistants avec le Maître des banquets, le député Maître, l’Intendant et le Bibliothécaire. Il peut être choisi parmi les compagnons.

N’existant pas d’office moins important qu’un autre, l’harmoniste doit assurer son office comme les autres officiers, afin que circule l’énergie. Il s’engage devant le G.A.D.L.U., la communauté et devant lui-même à remplir l’office qui lui est confié. Son office est comme les autres, une voie d’accomplissement. Il doit, tout comme les autres officiers, transmettre à son successeur ce qu’il a vécu et perçu.
C’est ce dont je vais vous entretenir à présent.
Une colonne est, dans toute construction, un élément essentiel de l’architecture ; la colonne est support ; elle relie les différents niveaux de la construction. Elle symbolise la solidité d’un édifice ;

Ce temps passé à cet office est très riche. Vois d’accomplissement certes. J’ai mis en pratique entre autre chose, le devoir d’assiduité et de fraternité. Je ne devais pas priver mes SS et mes FF non seulement de ma présence mais également d’une partie du rituel.
La musique, partie intégrante du rituel, accompagne plus qu’elle ne comble les temps morts. Elle joue un rôle important dans la préparation et le conditionnement mental des adeptes. Elle est utilisée ici à des fins de détente, de méditation. Elle participe aussi à l’expansion de l’égrégore.

Quelle musique choisir ? Je dirai toute musique à condition qu’elle contienne le rythme propice à cet état de grande réceptivité de l’enseignement, qu’elle soit dite sacré, ou qu’elle soit caractérisée de profane, cosmique même. Pourquoi ? Aujourd’hui, il n’y a pas de compositeurs de musique maçonnique. Il y a eu MOZART, HAYDN,LISZT, plus près, PUCCINI, SIBELIUS. Nous, maçons, fidèles à nos coutumes, cela ne nous empêche pas d’accepter et d’apprécier le progrès en utilisant à la place d’instruments, le disque, la cassette, la musique synthétique ; mais à la condition :
·        qu’elle ne dévie pas l’attention ;
·        qu’elle n’influence pas négativement l’atmosphère et l’égrégore ;
·        qu’elle se trouve en harmonie avec le rituel de manière à l’exalter car elle doit rehausser et parachever les travaux.
Faut-il passer les mêmes morceaux de musique d’une tenue à l’autre ? Selon moi, certains moments sont très forts, je pense à ceux contenus dans les cérémonies d’initiation ; bien entendu, lors des tenues : l’entrée du V.M.O. Les mêmes morceaux devront frapper l’esprit ; sinon, pourquoi pas un divertimento comme savait les composer MOZART et qui n’était pas de la musique rituelle ?

Qu’est-ce que la musique ? Quelle est son origine ? Quel est son pouvoir ?
Je ne prétends pas être exhaustive dans cet exposé. J’aurai peut-être le privilégié un aspect ; d’autres pistes vont compléter l’étude. Je pense être mélomane mais pas musicologue. La musique ne doit pas être analysée, expliquée, mais vécue. Elle est non seulement à écouter, mais bue, respirée, savourée. Elle est sensuelle, c’est-à-dire qu’elle parle à nos sens.
Selon l’étymologie, la musique tire son nom du grec " mousike " de " musa ", muse. Au début, le mot désignait l’ensemble des arts, et par la suite, il désigna l’art des sons. Muse désigne donc la partie la plus profonde de la musique. La musique a toujours servi à exprimer les sentiments de l’homme : ses joies, ses peines, les cris de sa révolte, les rites de la naissance et de la mort, les différents éléments de la vie ( la chasse, les fêtes, etc.)

Le plus ancien recueil de sagesse de l’humanité considère que le monde naquit de l’agencement des sons. Cela me fait penser immédiatement au célèbre verset de l’évangile de Jean qui affirme que : " Au commencement était le Verbe ". Le verbe, ou Parole, ou son. Le son est donc à l’origine du Cosmos par l’effet des vibrations rythmiques du son primordial.

Tout est vibration, l’homme aussi.
Cette incursion nous montre que la Création agit comme un Grand Souffle et que ce souffle est le rythme qui fonde les choses en particulier les âges, les saisons, les jours. Toutes ces manifestations se répètent selon un mouvement cyclique. Le rythme est nombre. Pour PYTHAGORE, le nombre 4 est la source de l’arrangement éternel du monde : l’Orient, l’occident, le Septentrion, le Midi. A chaque point de la voûte céleste, les Anciens ont eu l’idée de faire correspondre les saisons, les âges de l’humanité, etc.

La musique est une découverte des sages philosophes dont PYTHAGORE est l’archétype. Au Moyen-âge, on considérait avec foi qu’il entendait la musique des sphères, " ce chant des mondes en mouvement ". C’est la théorie selon laquelle chaque planète, lorsqu’elle est en mouvement, émettrait un son. Plus la planète était éloignée de la terre, plus le son était aigu. C’est ainsi qu’on a déterminé la gamme musicale planétaire, d’où le nom de musique des sphères. La musique des sphères ne se perçoit pas avec l’oreille physique mais ien plutôt avec l’oreille psychique lorsque nous sommes en harmonie avec le cosmos.
La dernière sonate pour piano op. 111 de BEETHOVEN surnommé " Il testamento " et qui dure plus de 15 minutes se termine sur une variation qui peut faire soupçonner que BEETHOVEN dont l’oreille ne percevait plus aucun son terrestre, a été élu pour nous " faire entendre l’inouï "

Je pourrais également parler de la correspondance entre la gamme planétaire et les jours de la semaine ( 7 jours, 7 planètes), entre les jours de la semaine, les notes de musique et les planètes :
Lune Lundi DO
Mars Mardi FA
Mercure Mercredi SI
Jupiter Jeudi MI
Vénus Vendredi LA
Saturne Samedi RE
Soleil Dimanche SOL

Les notes sont disposées de quarte en quarte en montant ( une quarte est un intervalle de 4 sons). Or, n’oublions pas que PYTHAGORE reconnaissait au chiffre 4 la source de l’arrangement éternel du Monde. Cependant, je voudrais souligner que PYTHAGORE ajoute une 8° corde à sa lyre, symbole pour lui de l’harmonie du monde. Le nombre 8 qui est le produit de 2 par 4 ; formé de la juxtaposition de deux cercles en position horizontale afin d’en faire le signe de l’infini en même temps que de la totalité, c’est-à-dire le 1 ;
Juste une information ; au 11° siècle, un moine utilisa la première syllabe de chacune des moitiés de vers l’hymne dédié à St jean, et a déterminé ainsi le nom des 6 notes de musique que nous utilisons encore aujourd’hui. Le voici :
" UT queant laxis FAmuli tuorum
REsonare fibri SOLve polluti
MIra gestorum LAbii reatum " 
En 1684, le 7° vers a donné naissance à la note SI.

J’ajouterai que la fête de la Saint Jean correspond à quelques jours près à la fête du solstice de l’été alors que le soleil est à son zénith ; celle-ci partage l’année en deux périodes de six mois. Or, la note SOL en latin se traduit par soleil, qui représente la symbolique chrétienne de la lumière.

PLATON demandait à ses apprentis philosophes d’étudier les quatre Arts Libéraux du Quadrivium, dont la Musique ou Harmonique ( les trois autres étant la mathématique, la Géométrie et l’Astronomie). Arts Libéraux car ils sont l’expression de la Vérité, ils libèrent l’homme. Selon lui, c’est par le nombre que la musique participe à la structure de l’Univers , elle met l’homme en communion avec celui-ci. PLATON a reconnu à la musique des influences bonnes ou mauvaises; la religion chrétienne a utilisé son pouvoir incantatoire et de nos jours, la musicothérapie est une preuve vivante de son immense pouvoir. Rappelons-nous l’effet lénifiant des berceuses que l’on chantait pour endormir les enfants agités : " dodo, l’enfant do… ", " pô piti man zè zizi…( berceuse créole) ", etc.

Comme tout son, même le plus monotone, la musique met en mouvement des molécules d’air et cette vibration est enregistrée par la peau, les cheveux, les membranes du corps, le tympan, le diaphragme. Les molécules de l’organisme se mettent à vibrer en partie à l’unisson avec la musique qui à son tour déclenche des signaux nerveux. On n’a pas besoin que de l’ouïe ; n’avons-nous pas déjà ressenti lors d’un concert, l’impression de sentir résonner les basses dans la région du bas-ventre ? La musique est donc mouvement.
BOECE, un intellectuel de l’Antiquité, féru des doctrines de PYTHAGORE, distinguait trois sortes de musique, qui sont autant de symboles :
·        La musique du monde à laquelle correspond l’harmonie des sphères issue de leur mouvement, la succession des saisons et le mélange des éléments. Les sept planètes se meuvent et leur mouvement produit un son mélodieux. Ceux-ci sont d’autant plus aigu que le mouvement est rapide, et d’autant plus grave que le mouvement est plus lent ;
·        La musique humaine, celle qui régit l’homme, et c’est en lui-même qu’il la saisit. Elle suppose un accord entre l’âme et le corps, dont l’analogie se trouve dans le rapport entre les sons aigus et les sons graves. Cette musique du microcosme concerne encore les facultés de l’âme et l’harmonie des éléments qui composent le corps à savoir les organes. Nous avons dit maintes fois qu’il existait des analogies entre le microcosme et le macrocosme. En observant le mouvement circulaire des planètes et la régularité des cycles, des saisons, on ressent cette résonance dans tous les rythmes de notre corps, le pouls, la circulation et on sent sa propre activité soumise au rythme de la nature et aux rotations des planètes. " Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ".
·        C’est ici que j’ai envie de parler du pouvoir de la musique sur l’homme et sur l’humanité.

La musique renferme une force très puissante pour impressionner les caractères plus que les croyances religieuses ou autres préceptes de morale. Elle agit sur l’esprit et sur les émotions par le truchement de la suggestion. Il est certain que nous sommes entraînés à la mélancolie en écoutant de la musique mélancolique, dans la gaieté en écoutant de la musique gaie ; " ainsi dans la vie, de même dans la musique ". La musique suggère, alors que l’auditeur n’a aucune conscience de ce qui se passe. Il réalise seulement qu’elle éveille certaines émotions et sentiments sollicités par les mêmes compositions ou compositions similaires.
·        On pourrait faire l’étude analytique des œuvres de HAENDEL à STRAUSS en passant par BEETHOVEN, CHOPIN, WAGNER et voir combien celles-ci ont agi sur chacune des époques ; on peut aussi les étudier du point de vue ésotérique.
·        Quant à la musique instrumentale, comme le terme l’indique, fait usage d’instruments.

La musique nous accompagne tout au long de notre vie maçonnique. Quand le profane gravit les marches du temple sous le bandeau, il ne peut entendre que les mots et s’imprégner de la musique. C’est comme non-voyant que nous commençons notre vie maçonnique ; notre écoute n’est que plus efficace et nous ressentons d’autres émotions et sensations.
Nous avons vu que la musique était mouvement. Elle est également silence. Sans silence, nous ne pourrions écouter la musique. Comme instrument d'écoute, le silence nous renvoie au symbolisme d’un des cinq sens : l’ouïe.

Les adeptes de la tradition considèrent l’ouïe comme supérieure notamment à la vision. La révélation était un phénomène fondamentalement oral auditif, même si elle était accompagnée parfois de visions. Le fait d’entendre un message implique une intériorisation et une assimilation qui équivaut à l’acquisition d’une connaissance. En arabe et en latin, écouter, entendre, c’est obéir, se soumettre au moins un instant à celui qui parle. L’auditeur est plus parfait dans son état que l’orateur, l’audition est une sorte d’humilité.

Il existe trois sortes d’écoute en musique :
·        on peut écouter les paroles d’une musique et en tirer un enseignement ;
·        on peut écouter de manière discriminatoire et avec son cœur présent ;
·        et on peut écouter la mélodie qui est la nourriture des esprits ; quand l’esprit obtient la nourriture, il parvient à sa propre station spirituelle.
·        La musique ne s’adresse pas à l’intelligence ; elle fait sur l’âme une impression étrange dont il est difficile de décrire les effets bizarres. L’impression est causée uniquement par le rythme (bien qu’il ne soit pas chose intelligible) comme cela se passe pour les instruments à cordes, la flûte, le tambour. Leur audition porte sur la mélodie seule.
L’audition de la musique a pour but de faire accéder à un état de grâce ou d’extase, ou plus simplement d’amener à méditer, plonger e soi-même, de nourrir l’âme. En écoutant la musique, l’homme perçoit le rythme et l’harmonie. Le chant grégorien jumelé à l’art roman comporte à la fois les paroles, cette harmonie et ce rythme dont a parlé PLATON qui entraîne l’esprit vers le eau et le Bien.

Je ne voudrais pas terminer cette partie sans parler de MOZART, Frère Maçon ou de la symbolique dans l’œuvre de MOZART. Je ne dirai que quelques mots, car ici encore, il faudrait en dire beaucoup.
De plus une illustration serait utile à la compréhension du discours. Sachez que bon nombre de ses œuvres contiennent un langage ou une influence maçonnique si l’on perçoit la présence de symboles ou la référence qui en est faite. Bien qu’elles ne soient pas destinés à la pratique de rituels ou à des cérémonies de loge, elles n’en sont pas moins maçonniques par leur inspiration et leur architecture. En fait, sa production est pénétrée par son sentiment maçonnique. Sa profonde croyance en l’idéal maçonnique lui avait révélé que l’accession à la lumière, à la beauté, à un monde hors du profane devenait possible par le vécu des symboles.
La plupart de ses œuvres sont écrites à des fins précises, explicitement maçonniques. Les profanes peuvent aisément les reconnaître comme telles car elles chantent un texte glorifiant une pensée maçonnique exprimée à découvert, sans référence à des symboles. D’autres, par contre, sont celles qui illustrent musicalement un moment de la cérémonie ou un des éléments rituels (le nombre 3, l’espace, du chaos à la rigueur, de l’ombre à la lumière, l’accession aux différentes marches, le pied déchaussé, etc.) Dans ce cas, il n’est pas fait appel à la voix humaine, seuls interviennent les instruments à vent (flûte, hautbois, clarinette, cor de basset, basson, cor) qui composaient dans les ateliers ce qu’on appelle encore les colonnes d’harmonie. On peut remarquer que de tels instruments sont précisément par leur nature, directement liés au souffle de l’homme, lui-même symbole de la vie.

Symbolique de quelques instruments de musique
Comme je l’ai un peu plus avant, la Musique était associée au son primordial qui créa l’Univers. La musique symbolisant l’ordre et l’harmonie qui président à la Création, il était logique de l’utiliser pour évoquer les dieux. Dans l’Indouisme, l’épouse de Vishnu, Laskmi est sensée résider dans les instruments de musique.

Le rythme du tambour et de la danse sont supposés imiter le processus de la création, rapprochant les participants de leur nature originelle.

La lyre. Connue surtout comme l’instrument d’Orphée qui charmait ainsi les oiseaux et les plantes, a lyre était également un des attributs d’Apollon, Dieu grec de la musique. Elle symbolisait l’harmonie cosmique. C’est le bijou de l’harmoniste.

La harpe. Dagda, Dieu celte de l’abondance l’utilisait pour rythmer les saisons. Elle représentait aussi l’au-delà.

La trompe. Le son annonçait les événements historiques et cosmiques : la fin du monde ou dans es traditions méditerranéennes, l’approche de l’ennemi. Une circumambulation silencieuse alternant avec des sons de trompettes fait effondrer les murailles de Jéricho ( Josué 6 1-4).

La flûte de roseau ( dans la tradition soufie) ou ney. On l’attribut à David. Le ney est une allégorie de l’essence de l’homme qui est la vie divine suprême. Ses neufs trous sont une allégorie des neufs niveaux du cœur. " Métaphore de l’homme parfait, libre de tout égo, ne vibre que par le souffle divin qui l’anime, ne parle que touché par les lèvres de l’aimé, enfin a abdiqué toute volonté propre pour ne manifester que la volonté divine ". 

Conclusion
La Musique est une voie parmi d’autres pour essayer de comprendre l’Univers.
Je voudrais terminer ce propos par cette citation : " Tant qu’il n’y a pas mélodie, l’âme ne peut entendre. L’Univers est cette mélodie que le Maître Eternel a jouée ".
Sélection MOZART
·        Ode funèbre ( K 477)
·        Jupiter ( K550)
·        Quintette pour clarinette (K 581)
·        Ave Verum (K618)
·        La flûte enchantée (K620)
·        Enlaçons nos mains (K 623 a)

Traduction des derniers vers : " Vénérer la vertu de l’humanité, Apprendre l’Amour de soi et d’autrui, Que ce que soit toujours le premier devoir, Alors, non seulement à l’Orient et au Couchant, Mais aussi au Sud et au Nord, ruissellera la Lumière ".

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