Obédience : NC Loge :  NC Date : NC

 
Raison, République, Laïcité, Solidarité

ou Arthur Groussier et la « Nuit des Musées »
 

Mesdames, Messieurs,
Bonsoir,
 
Au nom du Grand Orient de France, je vous souhaite la bienvenue dans son Temple emblématique dénommé Arthur GROUSSIER.
L’Hôtel Cadet, qui nous accueille ce soir, est acheté en juillet 1852 pour le Grand Orient de
France par le prince Lucien MURAT, Grand Maître depuis quelques mois. Il est le fils du
Maréchal d’Empire Joachim MURAT, et le cousin de Napoléon III.
La réalisation d’un Grand Temple » pour les Tenues exceptionnelles et les grandes cérémonies fut un des éléments majeurs des aménagements nécessaires pour adapter l’immeuble à ses nouvelles fonctions maçonniques. Dans un style néo-classique très académique, il est construit au dernier niveau du bâtiment en fond de cour selon un plan dit « basilical », et couvert d’une charpente dite « à la Philibert de l’Orme ». Son décor intérieur reprend le même style corinthien qu’à l’extérieur. A l’Orient, l’allégorie de la Franc-Maçonnerie instruisant les peuples, peinte sur l’abside est l’œuvre du Frère POISSON, peintre de fresque. La disposition générale de ce Temple avec son style Napoléon III a traversé les époques sans modifications majeures. Mais en septembre 2009, un incendie a détruit le Temple sans trop atteindre heureusement sa structure. Inutilisable pendant 18 mois, il est inauguré en mars 2011 après avoir été restauré à l’identique.
 
Depuis 1854 et jusque dans les années 1970, le Grand Temple est le lieu de l’un des temps forts annuels de la vie du Grand Orient de France, le Convent, c'est-à-dire l’assemblée législative qui réunit les délégués de toutes les loges.
 
Un Temple maçonnique, à quoi ça sert ?
Le temple est avant tout un symbole à lui tout seul. On dit ici que tout est symbole.
Description du Temple
- orientation
- réplique du temple de Salomon
- Ouvert sur le monde- Symbolique des constructeurs de bâtiments en pierre-> temple idéal de l’Humanité
- Temples maçonniques = symboliques identiques partout
- Fondés sur des mythes et légendes universels
 
Le Grand Orient de France est une vieille dame de près de 300 ans. C’est une institution philosophique et de progrès, en ce sens qu’elle permet à chacun de mieux se connaître, d’une part, et de mieux appréhender le monde dans lequel il vit, d’autre part. Prendre conscience de sa finitude et travailler au progrès humain sont les deux pôles d’un même engagement personnel et librement consenti.
 
Adhérer aux valeurs de la Franc-maçonnerie du Grand Orient de France, c’est adopter une démarche républicaine et laïque, à la fois symbolique et sociale, toujours humaniste.
Voilà pourquoi on peut comparer le Temple maçonnique à un creuset alchimique en proposant à celui ou celle qui le souhaite un cheminement initiatique symbolique. Passer des ténèbres à la Lumière. Mourir pour renaître. Goethe parle du « meurs et demeure ».
Mais je suis désolé, il n’y a pas de révélation divine au cours de cette démarche, mais des questionnements humains, beaucoup de doutes, peu de réponses. Si ce n’est celle de comprendre que le temple idéal est d’abord et avant tout en soi. C’est l’objet du voyage initiatique tel que le proposait Socrate bien avant la maçonnerie : mieux se connaître soi-même d’une part, grandir, s’ouvrir à la connaissance pour participer, d’autre part, au progrès de l’humanité.
 
Le Temple maçonnique est un lieu de rassemblement d’hommes et de femmes qui confrontent leurs idées, leurs connaissances, leurs vécus, un lieu où l’on essaie de maîtriser ses libertés. Le temple est une demeure universelle où tous les hommes libres se reconnaissent par-delà leurs différences. Il ne peut être bâti qu’à la seule gloire de l’Homme et de la Raison.
Le Temple maçonnique est un outil d’émancipation qui permet à l’Homme de se pencher depuis trois siècles sur les questions de société.
 
Dès lors, le nom d’Arthur GROUSSIER pour ce grand Temple prend tout son sens.
 
Si ce Temple est un lieu de mémoire pour l’obédience, il l’est aussi pour tous les Français. Les gênes du Grand Orient de France, vous les trouvez ici même ! En effet, dans la seconde moitié du 19e siècle, la plupart des mesures qui transformeront la France en une démocratie moderne a commencé par être débattue par les francs-maçons dans ce haut lieu de la Franc-maçonnerie.
 
Ce Temple a abrité dans la seconde moitié du 19e siècle, nombre de francs-maçons qui relient la France à la Franc-Maçonnerie. La liste est longue de ceux qui ont foulé ce plancher, parmi lesquels des hommes emblématiques de l’école populaire :
Jean MACE, le fondateur de la Ligue de l’Enseignement en 1866 ;  Emile LITTRE, le célèbre lexicographe qui est initié ici même, en 1875, avec Jules FERRY, l’auteur des lois qui rendent l’instruction publique obligatoire.
 
Pourquoi Arthur GROUSSIER ?
 
Une vie de près d’un siècle (1863-1957) pleinement consacrée dans sa première moitié à l’action publique et, dans sa seconde, à l’action maçonnique. Ingénieur des Arts et Métiers, Arthur GROUSSIER s’engage, pour la cause du peuple, dans l’amélioration de la condition ouvrière.
 
Syndicaliste, il participe à la constitution de la Fédération nationale des métallurgistes dont il devient en 1890 le 1er secrétaire.
Politique, ami de Jean JAURES et de Jules GUESDE, il est élu député de Paris (Parti socialiste ouvrier révolutionnaire, Alliance communiste, puis SFIO) pendant une trentaine d’années jusqu’en 1924. Il sera 1er vice-président de la Chambre.
 
Arthur GROUSSIER se veut positif et concret. C’est un parlementaire qui, au quotidien, privilégie la question ouvrière, faisant montre d’un réformisme sans faille, artisan et partisan d’une évolution sociale patiente et raisonnée de la société. Il s’implique dans l’élaboration de lois de progrès social sur les accidents du travail, sur l’hygiène, la sécurité des travailleurs…
 
Il est aussi celui qui permet aux femmes de siéger dans les conseils de prud’hommes. Mais sa grande réalisation, celle à laquelle il attache son nom, c’est la mise en œuvre du Code du Travail, une réforme qu’il a préparée pendant de longues années… Ce qui le rend populaire auprès des maçons.
 
C’est à l’âge de 22 ans qu’Arthur GROUSSIER est initié au Grand Orient de France. En 1907, il entre pour la première fois au Conseil de l’Ordre où il siègera pratiquement sans interruption jusqu’à la seconde guerre mondiale. A partir de 1924 sa présence s’y confond avec l’exercice de la Grande Maîtrise. Personnage incontournable du Grand Orient de France, Arthur GROUSSIER est un des hommes clefs de l’histoire de la Franc-maçonnerie et de la IIIème République. Léon Blum dira de lui : « On ne peut le connaître sans le respecter. On reconnaît en lui l’homme qui n’a jamais menti, l’homme dont toutes les pensées ont été bonnes et dont tous les actes ont été justes… et l’on sent aussi, dans la tranquillité et la simplicité de l’apparence, l’homme inflexible, incorruptible, qui n’a jamais transigé avec une conviction ou avec un devoir ».
 
Je le répète : s’engager avec le Grand Orient de France, c’est s’engager, d’une part, dans un cheminement initiatique à la fois personnel et universel, toujours humaniste, où la raison critique prime sur toute posture ou révélation dogmatique. Mais c’est adhérer, d’autre part aux valeurs républicaines et laïques dont le Grand Orient de France est l’un des plus ardents défenseurs.
 
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Nous avons l’habitude de présenter la Franc-Maçonnerie comme étant fille de la raison, sœur de la République, mère de la laïcité
 
La FM est fille de la Raison
 
Quand MONTAIGNE dit que « l’homme n’est pas seulement à l’image de Dieu, il est aussi porteur de la totalité de l’humaine condition », c’est une Révolution où l’homme devient capable de se prendre en charge et devient maître de son destin. C’est la Raison, l’esprit critique qui l’emporte sur le dogme, sur la vérité révélée.
 
La Franc-maçonnerie y prend sa source, fille de cette pensée Renaissante portée par MONTAIGNE au 16e siècle, par DESCARTES au 17e, par la philosophie des Lumières, celle des MONTESQUIEU, VOLTAIRE, DIDEROT, ROUSSEAU ou CONDORCET... Ce qui permet d’affirmer aujourd’hui que la Raison critique est le socle fondateur de la franc-maçonnerie.
 
La FM est sœur de la République.
 
Car l’histoire de la FM et l’histoire de France se confondent.
Certes, la FM n’est pas à l’origine de la Révolution de 1789, mais sous l’ancien Régime, les réflexions des loges vont contribuer à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789
-> Tableau à Reims représentant les 3 Ordres (Clergé, Noblesse, Tiers Etat) devant un Temple Maçonnique.
 
Les loges maçonniques proclament la devise Liberté, Egalité, Fraternité, depuis les années 1790. Elle est reprise par la 2ème République de 1848.
 
Le buste de Marianne, dont vous avez un exemple derrière moi, va orner pendant des décennies toutes les mairies de France. Permettez-moi de m’arrêter quelques instants sur son histoire.
 
Ce buste est l’œuvre du sculpteur franc-maçon Paul LECREUX, dit Jacques FRANCE. C’est en janvier 1881 que l’on demande au frère Paul LECREUX de réaliser un buste à l’effigie de la République. L’œuvre connaît un rapide succès dans le milieu maçonnique. Elle est adoptée officiellement par le Grand Orient de France le 9 janvier 1882, puis par beaucoup de ses loges.
 
Sous la présidence de Victor Hugo, un « Comité Central des Bustes de la République » est constitué la même année. On y retrouve tous les grands noms du parti Républicain dont beaucoup de Maçons : Emmanuel ARAGO, Louis BLANC, Camille PELLETAN, Frédéric DESMONS, Gustave MESUREUR… Associé à la Ligue de l’Enseignement et au Grand Orient, le Comité diffuse alors « cet admirable buste de la République ». Il y eut deux versions de la Marianne de Jacques FRANCE, la « République maçonnique » avec un cordon de maître, orné de symboles maçonniques, et la « République des Communes » dont le cordon affiche les trois grandes dates : 1789, 1848, 1870, à l’usage des institutions municipales.
 
Comme le confirme Maurice AGULHON, ancien ministre de la culture, la Marianne de Jacques FRANCE fut un des bustes de la République les plus populaires. Elle devint l’effigie classique de la démocratie française sous la Troisième République et prendra peu à peu sa place dans toutes les mairies jusqu’à ce que Brigitte BARDOT, Catherine DENEUVE, Mireille MATHIEU, Laetitia CASTA et d’autres la détrônent. Quoique !
 
Dès les années 1850 dans les loges, les idées de PROUDHON ou de FOURRIER participent à la socialisation des esprits.
 
Depuis la proclamation de la Commune de Paris en 1870 jusqu’à la déclaration de guerre de 1914, c’est la maçonnerie qui inspire les Lois fondamentales sur les Libertés : presse, association, affichage, divorce, et instaure l’enseignement gratuit et obligatoire pour les garçons bien sûr, mais aussi et surtout pour les filles.
 
Durant ces décennies, on parle dans les loges de congés payés, de coopératives, de Code du Travail, d’entraide sociale, comme de solidarité entre les générations, de dignité des hommes et des femmes, du principe d’égalité entre eux… La charte du Conseil National de la Résistance en 1944 et la Constitution de la 4e République en 1946 inscrivent ces valeurs et principes nés, pas seulement, mais surtout dans les loges maçonniques à la fin du 19e siècle.
La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme reprend à sa manière en 1948 dans son article Premier la devise de la maçonnerie et de la République, la trilogie Liberté - Egalité - Fraternité : Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. Fille de la Raison et sœur de la République, la FM se reconnaît aussi en 1958 dans l’Article 2 du Titre 1er de la Constitution de la 5e République, indivisible démocratique, sociale et laïque.
Car, la FM est mère de la laïcité
Les francs-maçons du Grand Orient de France sont des militants de la laïcité ! Ce ne sont pas les seuls ! (Libre Pensée 1848 et Ligue de l’Enseignement 1866)
 
1877, les francs-maçons s’émancipent de la notion d’Immortalité de l’âme et abandonnent la Référence à Dieu. C’est une REVOLUTION INTERNE dans un Grand Orient de France qui date alors de 150 ans ! La Laïcité est en marche !
Et en 1905, la France traduit dans une loi émancipatrice les nouveaux rapports entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. Ce que Victor Hugo traduisait 60 ans tôt par ce raccourci génial :
Je veux l’Etat chez lui, l’Eglise chez elle !
 
La loi de séparation des Eglises et de l’Etat est une victoire pour la Franc-maçonnerie, un tournant pour la République, un peu comme un nouvel acte fondateur qui permet au citoyen, d’être libre en conscience, et à l’Etat de rester neutre à l’égard des religions.
 
Quarante ans plus tard, la Franc-maçonnerie, persécutée, spoliée et résistante durant la guerre, renaît à l’automne 1944. Elle se reconnaît, je le répète, dans la Charte du Conseil National de la Résistance comme dans le préambule de la Constitution de la Quatrième République.
 
Sont proclamés :
   La restauration des libertés publiques et privées,
   l’égalité entre les hommes et les femmes,
   la solidarité entre les générations,
   et, dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme,
   le droit à la liberté, à l’égalité et à la dignité des êtres humains quels qu’ils soient.
Car le débat sur la République et ses valeurs, le débat sur la laïcité et sur la liberté de conscience, ou le débat sur l’Identité nationale, tous ces débats, Mesdames, Messieurs, tous ces combats se sont passé les armes à la main durant la seconde Guerre mondiale ! Deux idées de la France se sont confrontées alors ; et ce sont les idéaux de la Résistance qui ont gagné, ceux de 1789 !
 
C’est le groupe Manoukian, résistants français d’origine étrangère, à qui Louis Aragon rendra hommage dans ce magnifique texte qu’est « l’Affiche rouge », c’est Manoukian et son groupe qui ont gagné et non leurs bourreaux!
C’est le pacte social et républicain fondé sur les valeurs du Conseil national de la Résistance qui a gagné.
C’est la patrie de ceux qui ont fui l’oppression et la misère, Espagnols, Italiens, Polonais, Algériens, Tunisiens, Marocains, Vietnamiens, Cambodgiens, Congolais, Sénégalais et tant d’autres qui sont venus parce qu’ils ont cru à nos rêves et les ont épousés.
C’est cette France-là qui a gagné! La France humaniste et généreuse pour celles et ceux qui naissent sur son territoire, comme pour celles et ceux qui souhaitent le rejoindre et adhérer, aujourd’hui comme hier, aux références et aux règles de conduite communes aux citoyens, en épousant les valeurs de la République, quelles que soient par ailleurs leurs origines et leurs convictions personnelles.
 
Ces références et ces règles sont issues pour une bonne part de la période révolutionnaire et de la philosophie des droits de l’Homme où la solidarité prend toute sa part.
La solidarité, c’est la morale de la laïcité.
Les maçons ont toujours lié les deux.
 
La Solidarité, elle est en effet au cœur de l’histoire et de la démarche maçonnique. Elle implique une réflexion sur les devoirs et les dettes que nous avons les uns envers les autres.
Avant 1717, les loges sont des structures de secours mutuel, organisées en corporations de métier. Pendant 150 ans, elles vont peu à peu s’émanciper des pensées dogmatiques. Nous avons vu que c’est au milieu du 19e siècle, que la Franc-maçonnerie moderne naît en même temps que la République sociale où les idées de Proudhon, de Fourrier, de Saint Simon, de Benjamin Constant font flores.
Quelles sont ces idées ?
1- La société doit vraiment jouer un rôle de justice universelle et immuable
2- Le système de solidarité doit se situer au niveau de la Nation
 
Justice universelle et solidarité nationale sont les fondements de l’Etat moderne,
L’Etat républicain, garant des droits politiques et des droits sociaux sur lesquels les francs-maçons du Grand Orient de France ne cessent depuis d’être les vigiles et un exemple pour leurs frères en humanité, conscients d’une dette à l’égard du passé (leurs parents) et de l’avenir (leurs enfants).
 
Pour illustrer mes propos, je voudrais ne citer qu’un seul franc maçon, le prix Nobel de la Paix de 1920, Léon Bourgeois.
 
Pendant plus de 40 ans, son parcours public impose le respect. Ce ne sont que des postes et des titres prestigieux. Je vous rappelle les principaux : président de la Ligue de l’Enseignement, ministre de l’Intérieur, des Affaires étrangères ou de l’Instruction public, président du Conseil, président de la Chambre des députés, président du Sénat… Premier président de la Société des Nations en 1919.
On lui doit une nouvelle philosophie politique, le solidarisme.
 
Arrêtons-nous un instant sur ce que recouvre le solidarisme.
 
Philosophiquement, c’est la responsabilité mutuelle qui s’établit entre deux ou plusieurs personnes, un lien fraternel qui oblige les êtres humains les uns envers les autres, se faisant un devoir d’assister ceux de leurs semblables qui sont dans l’infortune.
 
Politiquement, le solidarisme s’inscrit entre le libéralisme individualiste et le socialisme collectiviste. C’est le radicalisme.
- Il peut seul favoriser la construction de la République, celle de la main tendue contre le poing fermé, celle de la mutualité règle suprême de la vie commune contre la charité réduite à une pitié agissante.
- Il suggère le principe d’un devoir social que chacun devrait remplir.
Les solidaristes nous légueront la législation du travail, la sécurité sociale, ou le système des retraites.
Léon Bourgeois, ce n’est pas un hasard, si le Grand Orient de France en tant qu’association loi
1901 porte son nom !
Jusqu’aux années 1970-1980, on croyait que la pratique de la solidarité sociale allait de soi.
Mais aujourd’hui, la montée des égoïsmes, du chacun pour soi, dans un monde qui zappe, qui exploite et qui retient son souffle … révoltent les francs-maçons et avec eux, Stéphane HESSEL.
Son cri, « Indignez-vous », est une révolte philosophique, mais c’est aussi une posture morale.
La société va mal. Paradoxalement, le monde de la finance ne s’est jamais aussi bien porté !
Voilà des années que le Grand Orient de France dénonce le dogmatisme du monde financier, et son emprise sur la démocratie. Serait-ce la nouvelle religion du 21e siècle ? Poser la question me paraît légitime quand nous voyons en Europe des éminences grises de Goldman Sachs occuper des postes clés. Je peux parler du président de la Banque Centrale Européenne, Mario DRAGHI, du président du Conseil italien, Mario MONTI, ou du grec Lucas PAPADEMOS, premier ministre encore pour quelques jours. Aucun de ces trois hommes est élu par le peuple !
Ce dogmatisme des marchés est redoutable. Il glorifie, il consumérise, il succestoryse… mais il exploite, il précarise, il marginalise, il replie sur soi, il communautarise, il exclut …. Il suicide …. Quand, dans le même temps, il enrichit sous le manteau.
 
Sommes-nous revenus au temps du marché noir des années 1940, mais sous une autre forme ?
« Salauds de pauvres ! », gueulait Jean Gabin dans « La Traversée de Paris ». Aujourd’hui, plus besoin de valise pour faire des « affaires » louches à travers le monde, quelques clics suffisent !
Et, recevoir des leçons par ceux-là même qui profitent du système, c’est insupportable.
Indignons-nous avec Stéphane HESSEL ! Comment, en effet, ne pas s’indigner, comment ne pas être révolté quand en France - un des premiers pays producteurs de richesses au monde - on compte tant de précarité et de chômage ?
   - 8 à 9 millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté
   - 4,5 millions de chômeurs
   - de plus en plus d’emplois à temps partiel
   - de moins en moins d’emplois à temps plein
   - des jeunes ou des retraités délaissés
   - 3,5 millions de foyers dont l’hébergement est vétuste, voire inexistant
   - 11000 suicides par an, 3 fois plus de morts que sur la route ! 11000 suicides dont on ne parle pas ! Est-ce un hasard ?
La République indivisible, démocratique, laïque et sociale doit protéger ses citoyens, à commencer par les plus faibles.
Cela s’appelle le devoir de solidarité nationale qui est une démarche laïque, à ne pas confondre avec l’action caritative qui relève du droit de chacun. La solidarité ressort d’une démarche laïque à laquelle le Grand Orient de France est fondamentalement attachée.
Cinq Républiques issues du Siècle des Lumières plus tard, le Grand Orient de France poursuit aujourd’hui sa mission qui est de renforcer la cohésion sociale dans le pays. Rien n’est jamais acquis. A preuve, nombre de citoyens ont perdu les repères républicains et laïques : ceux qui donnent envie de vivre ensemble, non de se replier sur soi.
 
Comment leur expliquer que la laïcité conjugue cet espace de liberté, auquel nous tenons tous comme à la prunelle de nos yeux.
Le Grand Orient de France propose à cet effet trois valeurs de base :
- le libre examen, la primauté de l’individu et la cohésion sociale - qui sont l’expression morale de la devise républicaine, Liberté, Egalité, Fraternité ?
- Le Libre Examen : c’est la base de la liberté absolue de conscience qui fonde l’autonomie de l’Homme, qu’il soit croyant, agnostique ou athée. La liberté de conscience, c’est refuser le principe d’autorité ainsi que tout dogmatisme qui impose une fois pour toute ce qui est vrai, ce qui est beau, ce qui est bien. Dans la devise républicaine, la valeur du libre examen correspond au mot LIBERTE
- La primauté de l’individu : c’est l’affirmation du caractère sacré de la Personne humaine, les droits imprescriptibles et sacrés de tout être humain dans la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Nous sommes « tous uniques, tous différents, tous égaux ». Dans la devise républicaine, la primauté absolue de l’individu correspond au mot EGALITE
- La nécessité de la cohésion sociale. Elle se fonde sur la tolérance réciproque et le respect mutuel. La cohésion sociale institue la primauté de certaines valeurs du groupe devant lesquelles doivent s’effacer les exigences individuelles. La solidarité est le fondement du bien vivre ensemble, de la paix sociale : dans la devise républicaine, elle correspond au mot FRATERNITE
 
Je voudrais, pour conclure, laisser la parole à un Frère ô combien éminent, Henri CAILLAVET, ancien ministre, sénateur, président d’honneur de l’Association du Droit de Mourir dans la Dignité.
C’est lui qui est à l’origine dans les années 1970 - 1980 de projets ou de propositions de loi concernant l'interruption volontaire de grossesse, le divorce par consentement mutuel, le tribunal de l'informatique qui deviendra la CNIL, l'euthanasie, l'acharnement thérapeutique, l'homosexualité et le transsexualisme …. Henri CAILLAVET est à l’origine de la première loi sur les greffes d'organes en 1976. Voici ce qu’il nous dit sur son appartenance à la Franc-maçonnerie :
 
Il y a donc maintenant plus de 75 ans que j’appartiens au Grand Orient et que j’ose espérer avoir été fidèle à mon engagement…
Je pense que la maçonnerie, et particulièrement notre Obédience, est une association libre mais sans dogme. Un maçon est par nature un humaniste. Pour lui, tous les hommes sont revêtus d’une tunique de dignité. Personne n’a le droit de la souiller.
 
Par ailleurs, le maçon est un nomade de l’esprit. Les différents travaux que nous avons en Loge nous ouvrent des perspectives très différentes et de nature à nous enrichir. Par ailleurs encore, le maçon est parfois un rebelle. Il refuse l’injustice. Beaucoup ont refusé la honte de l’armistice et l’injure faite à la patrie et à la Franc-Maçonnerie par le Maréchal Pétain.
Nous avons donc payé très chèrement notre enthousiasme patriotique... C’est pourquoi à la Libération nous pouvions avoir la fierté d’avoir aidé directement ou indirectement à la liberté de notre patrie.
 
Il est évident que certains couvents ou des temples protestants très anciens, abritent aujourd’hui nos travaux et ce après des convulsions véritablement révolutionnaires. Il est vrai que dans ces cadres historiques, il est aisé de réfléchir et de proposer. Ce sont des lieux autrefois religieux et aujourd’hui ouvert à la laïcité. Cette dernière d’ailleurs, n’est pas pour nous simplement la séparation des églises et de l’Etat mais, une philosophie de l’espérance.
Dans nos temples qu’ils soient de construction très ancienne ou plus moderne, nos travaux sont souvent d’avant-gardes. D’aucun parle d’utopie. La chaîne d’union qui nous relie au passé et tend vers l’avenir, prend ici une ampleur spirituelle majeure.
 
Je conclurais en disant que les francs-maçons où ils travaillent et où ils siègent, ont été et seront toujours les avocats de SOCRATE ».
 
Henri Caillavet, 2011

Publié avec l'aimable autorisation de ; Jean-Philippe Marcovici

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