GLFB | Loge : Etre et Devenir - Orient de Namur | 02/2008 |
Ce que la mort nous apprend On vit mieux ce qu’on affronte que ce qu’on esquive. En maçonnerie comme dans la plupart d’autres rites initiatiques on va donc ‘jouer au mort’ car la meilleure manière de se familiariser avec elle, c’est d’en adopter son masque. Est-ce que ce jeu démarre déjà dans le cabinet de réflexion ? Certes, la méditation sur la mort nous est inspirée par le crâne, le sablier, par le testament philosophique…etc, mais le cabinet de réflexion n’est pas un tombeau. Nous y symbolisons le grain, celui qui va germer lors de l’initiation et même si celle-ci peut être vécue comme une seconde naissance, on ne peut pas dire qu’il y a eu mort mais métamorphose! Par contre, lors du passage au 3è, la mort est subie par identification à Maître Hiram. Elévation après élévation, nous allons vivre le meurtre, la mort et la renaissance. Nous serons à la fois traître, héros, assassin, victime… nous porterons l’arme qui tue et les gestes qui régénèrent. Nulle part dans le monde le fait de naître suffit pour définir un enfant car la naissance naturelle n’est pas socialement valable ! Il faut renaître grâce à l’action du groupe réuni. Ces 2 naissances sont hiérarchisées, la première naissance sera dévaluée et la seconde exaltée. Et il n’en n’est pas seulement ainsi dans les sociétés traditionnelles, il n’y a pas si longtemps encore chez nous, même les renégats faisaient baptiser leurs enfants ! Notre rituel aussi, met en scène ce combat entre 2 mondes antagonistes, un monde biologique et un monde où on appartient au groupe. La mort n’ y est pas une fin : ce qui est, change d’aspect mais ne se détruit pas ! Ce questionnement sera plusieurs fois répété : tout au long de notre vie profane ou de notre cheminement maçonnique, nous serons invitée à mourir à nous-même. Vivre c’est perdre. A chaque instant, on meurt à soi, aux autres, au monde et au temps. C’est à travers ces différentes expériences que se construit notre cohérence, que nous nous habitons et disons ‘je’. Pour des raisons de survie sans doute, cette conscience là, comprend une sorte de folie des grandeurs qui nous fait croire que notre image est belle. Donc d’autant plus difficile à remettre en question ce ‘moi’ pour lequel nous avons mis tant de temps et de souffrances à construire Tant de facteurs nous retiennent : l’image que je me donne, qu’on me donne, mon confort, mes habitudes. Nous ne sommes pas nées biologiquement avec la connaissance, la tolérance, la sincérité ou la fraternité….ces ‘vertus’ s’acquièrent à coup de blessures et de souffrances, par des rejets ou des pertes. Je ne pense pas que nous changeons pour le plaisir de devenir meilleures ou parce qu’on nous dit que c’est ‘bien’ de changer. Je laisse cette option aux saints et saintes. Nous changeons à cause de contraintes internes ou externes, à cause de valeurs supérieures bonnes ou moins bonnes liées à notre santé psychique ou physique. Ce qui nous fait changer c’est la peur de perdre des liens affectifs importants. Si je ne change pas bye bye ma, santé, mon mari, mon copain ou mon amie. La maçonnerie est une école de paradoxe. A la fois elle stimule la toute puissance par sa hiérarchie ses rubans et flonflons et en même temps, elle nous exhorte à laisser nos métaux à la porte du temple. Pas évident de faire le tri. Entre la mort symbolique et la mort réelle, la différence dans le cheminement de la pensée est mince et penser à la première amène nécessairement des considérations sur la seconde. La mort est omniprésente dans la nature, autour de nous, et généralement nous excluons la nôtre de notre réalité. Nous vivons comme si nous étions immortels. Nous aimons nous raconter qu’il y a des ‘pour toujours’ et éviter les chutes par « du plus jamais » En amassant, nous croyons être immortels comme s’il s’agissait de faire des provisions pour plus tard. Or, chaque jour, nous laissons derrière nous un peu de notre vie, à chaque instant, nous mourrons à quelque chose. Changer c’est mourir. La mort, on n’en connaît rien, bien sûr, on en a une idée quand elle nous enlève des êtres chers. La mort de mes parents, celle d’amis proches, la fin de ma vie qui s’approche donne à l’instar de mon corps, des rides à d’anciennes valeurs et croyances. L’essentiel d’hier est futilité d’aujourd’hui et l’accessoire du passé prend enfin son l’ampleur au présent! Penser à la mort est un acte de vivant. La mort d’un proche me renvoie l’image de ce que pourrait être la mienne mais sa disparition me confirme que je suis toujours là, vivante Mais l’anéantissement de nos semblables et notre propre fin ne sont pas comparables. Je connaîtrai sans doute l’agonie, l’expiration de mon dernier souffle, mais là encore ce seront des manifestations de la vie. Ma propre mort m’est donc impossible à appréhender, je peux en dire beaucoup mais je n’en sais rien. ! C’est la mort de proches qui m’apprend, me questionne et donne du relief à ma vie. Je ne résiste pas au plaisir de dire quelques mots d’une lecture difficile mais passionnante d’un livre d’un biologiste JC Ameisen,: ‘la sculpture du vivant’. La mort n’est pas une usure de la vie mais est incluse dedans ; une partie de nous est sans arrêt en train de mourir et une autre de renaître. C’est la mort de nos cellules qui a façonné nos formes, nos creux, les trous de notre corps Dans chacune de nos cellules, il y a un protecteur et un destructeur. Pour qu’une cellule reste vivante, il faut que le protecteur empêche le destructeur de faire son œuvre létale. Le protecteur ne sera stimulé que grâce aux cellules voisines qui lui envoient le signal de vie. Si ces dernières n’envoient pas le bon signal, le protecteur ne fonctionne plus et le destructeur commence son suicide cellulaire. Vivre au niveau d’une cellule, c’est être empêchée de mourir. Nos cellules ne meurent pas de vieillesse mais elles se tuent sur décision des cellules voisines ; c’est pour cela qu’on parle de suicide cellulaire La règle du jeu c’est que nous demeurons égaux face à la mort : entre le pauvre, le malade, le bon et le méchant, la mort ne fait aucune différence, personne ne la corrompt. Elle est d’une parfaite équité. La peur est-elle la compagne obligée de la mort ? Aujourd’hui on ne souffre plus ou peu physiquement. Si nos cerveaux sont programmés pour vivre, fuir le danger ou la souffrance que se passe t’il si je ne souffre plus ? D’accord si j’allais brûler éternellement en enfer…mais si je n’y crois pas en cet enfer ? Comment vais-je me comporter au moment de la mort ? Sans doute que toutes les hypothèses à ce sujet n’auront pas beaucoup de rapport avec l’ultime expérience… Alors pourquoi s’angoisser ? Il restera des choses non terminées certes… Mais pourquoi pas ne commencer à en achever déjà certaines aujourd’hui ? Je sais que la grande faucheuse aura le dernier mot. Elle vole la vie et je lui appartiens déjà. Tôt ou tard, elle tranchera le fil de mes jours et suspendra mes projets ou aspirations. Je serai transformée en petites poussières de carbone recyclées par le gazon, les pâquerettes et par les insectes… tant qu’il y aura de la vie ! S\ V\P\ |
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