Obédience : NC Loge : NC 10/01/1999

Réflexions sur la mort

Il existe deux façons d’aborder le problème de la mort ; réciter tout ce que l’on croit ou tenter d’exprimer le peu que l’on sait. Savoir effectuer la distinction afin de ne pas se raconter d’histoire est le propre de la méthode initiatique. Je ne livrerai donc que deux réflexions, car elles forment le peu que je sais.

Antonin Arthaud a merveilleusement exprimé ce que je ressens depuis toujours. " Il y a un mystère dans ma vie dont la base est que je ne suis pas né à Marseille le 4 Septembre 1896, mais que j’y suis passé ce jour-là, venant d’ailleurs, parce que, en réalité, je ne suis jamais né et que je ne peux pas mourir. Pour les ânes médicaux-légaux, c’est du délire ; pour certains de la poésie, pour moi c’est de la vérité comme un bifteck aux pommes frites ou un coup de vin blanc au comptoir d’en face. " Aussi loin que ma mémoire remonte, je sais cela. Je ne suis jamais né, je ne mourrai pas, je ne fais que passer. Et quand j’observe ce monde, ici, maintenant, ce qui me surprend le plus, c’est de m’y voir. A 42 ans, je ressens toujours la même perplexité à me voir là que lorsque j’avais trois ou quatre ans.

Ma seconde réflexion ? Parfois, je m’éveille à moi-même. Je me souviens hors du temps. Par instants, c’est comme une autre mémoire qui fonctionne. Une mémoire éternelle, intemporelle. Comme si j’avais quitté cet état humain depuis une éternité. Ma belle-sœur a eu deux jumeaux il y a six mois. C’est un fait actuel. Pourtant, pendant quelques fractions de seconde, cette naissance de deux jumeaux n’est qu’un ancien souvenir, un faible écho qui me rappelle quelque chose qui se situe si loin, si loin.

Si je regarde une émission de télévision, mon attention est captée par l’émission. Une fois l’émission terminée et le poste de télévision éteint, je suis le même après qu’avant l’émission. Ce qui a changé n’est pas moi, mais la télévision. Et je pense à Cagliostro, impliqué dans un procès bien réel à propos de l’affaire du collier de la reine. Face à des juges qui n’y comprenaient rien, il osait commencer son plaidoyer par cette phrase sublime : " Je ne suis d’aucune époque ni d’aucun lieu ; en dehors du temps et de l’espace, mon être spirituel vit son éternelle existence et, si je plonge dans ma pensée en remontant le cours des âges, si j’étends mon esprit vers un mode d’existence éloigné de celui que vous percevez, je deviens celui que je désire… "

Tout cela, chacun le sait au plus profond de lui. Même si l’émission de télévision capte son attention au point de lui laisser croire qu’il est dans l’émission et qu’il s’éteindra avec elle. C’est en vous. Comme l’écrivait encore Cagliostro, " Me voici : je suis Noble et Voyageur ; je parle, et votre âme frémit en reconnaissant d’anciennes paroles ; une voix, qui est en vous, et qui s’était tue depuis bien longtemps, répond à l’appel de la mienne. "

Nul ne peut jurer de ses réactions face à la mort, le jour venu. Mais je pense que la plupart des gens n’ont pas réellement peur de la mort. Ils sont plutôt, et c’est légitime, terrorisés par la souffrance. Si la souffrance m’est épargnée, j’ose penser que je vivrai mes derniers instants dans un curieux sentiment de perplexité mêlé de l’impression de retrouver ma véritable nature, hors de toute distraction. En me sentant aussi détaché du problème que je me suis senti étranger à cette vie.

Denis L\


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