Obédience : NC Loge : NC 2002



Passage du 15 au 3

Prologue de Pierre le Chantre (XIII siècle) à ses commentaires sur le Livre de Job
(Commentaire rédigé pour l’EPHE)

Expliquer le passage du 15 au trois par la notation en chiffres romains me semble être une explication qui n’explique pas, car elle ne fait que repousser le problème et déplacer la question qui devient alors : pourquoi utiliser une notation en 4 caractères alors que la notation usuelle est à 2 caractères (XV versus IIIV) qu’il était d’usage dans ce genre de texte d’utiliser des abréviations ? Toutefois, elle a l’avantage de rappeler qu’il existait une notation « multiplicative » du nombre 15.

Ce nombre 15 ne figure qu’en deux occurrences dans l’Ecriture (I Rois 7,3 et Actes 27,28) et il n’est nulle part écrit qu’il existait 15 degrés pour accéder au Temple, qu’il s’agisse du Temple de Salomon ou de celui de la vision d’Ezéchiel. Partant, assimiler les 15 Cantiques des degrés (1) à 15 marches du Temple correspond déjà à une volonté interprétative mettant l’accent sur ce nombre et soulignant qu’il possède une valeur symbolique. Cette remarque permet de dire que le nombre doit ici être considéré selon sa valeur arithmologique et non pas arithmétique ou mathématique ; c’est-à-dire qu’il n’est pas représentatif d’une quantité mais est d’ordre purement symbolique. Cela conduit à penser qu’il doit en être de même de l’opération multiplicative. Elle ne devra pas être prise, dans ce texte, selon sa détermination mathématique, mais selon sa fonction traditionnelle de fusion de deux éléments symboliques, en l’occurrence le trois et le cinq.

Mais si nous voulions n’en retenir que l’expression arithmétique, il nous faudrait nous référer à la science des nombres telle quelle est enseignée par le de institutione arithmetica de Boèce et non pas par l’art de « l’abaque » ou « l’algorisme », c’est-à-dire par les techniques de calcul. Sur cette base nous constaterions que 15, dans sa forme géométrique, est un nombre triangulaire, donc correspondant à la figure symbolique parfaite du triangle équilatéral, si importante à l’époque médiévale (2), figure qui met le 3 et le 5 en évidence. (3)

La charge symbolique du nombre 15 est reprise par des textes divers à différentes époques. Ainsi, les Pères de l’Eglise rapportent souvent ce nombre à l’association des deux Testaments en le considérant comme la somme de 7 (Shabbat) et de 8 (Résurrection)-cf. St Augustin Ps. LXXXIV-10, CL-I ; St Hilaire Ps. CXVIII et St Ambroise Epist XLIV - ; Cornélius Agrippa y voyait le sceau des ascensions spirituelles et Jacob Boehme l’appelle « désirs de l’amour divin ». Nous devons aussi noter que, dans la liturgie chrétienne, il est fait mention des 15 mystères de la Vierge : 5 joyeux, 5 douloureux et 5 glorieux, réalisant une « fusion » de 3 et 5.

Il peut alors paraître judicieux de penser, que dans ce prologue, le passage du 15 au 3 se fait par un cheminement pouvant sembler déroutant aujourd’hui, le raisonnement symbolique n’étant plus d’usage, mais certainement évident à cette époque pour les lecteurs. Les 15 Cantiques des degrés participent de la démarche du pèlerin s’élevant spirituellement vers le Temple pour communier au Sacré ; et il importe peu d’ailleurs qu’on les assimile aux marches du Temple ou à des étapes du pèlerinage qui seraient des états d’évolution spirituelle. Sans s’appesantir sur la complexe et fort copieuse symbolique du 3 et 5, l’on sait que l’homme est figuré, dans sa nature et dans son apparence (dans le sens de Gen. 1,26), par le nombre 5 (cf. par exemple Hildegarde Von Bingen). La communion avec le Sacré est, par nature, une recherche de l’unité véritable qui pour être réalisée est traditionnellement trine ; or cette unité, dans le christianisme, n’est pas dissociable du concept de la Trinité divine 5 et 3 figurent alors les deux composants essentiels de cette démarche qui se réalise par le par le moyen de la multiplication - fusion. La façon dont procède l’auteur n’est alors pas autre chose qu’une exposition des composants de cette fusion, partant du principe qu’elle est évidente dans l’esprit du lecteur.

(1) encore nommés Cantiques des montées ; ce sont les psaumes 120 à 134 que l’on suppose être chantés par les pèlerins sur la route menant à Jérusalem.

(2) Selon Boèce, un nombre est dit triangulaire s’il peut être graphiquement représenté sous la forme d’un triangle équilatéral ; exprimé mathématiquement cela se traduit par : Un nombre n sera dit triangulaire si : a = partie entière de la racine carrée de 2 n est telle que : [a * (a+1)]/2 = n.

(3) Pour le nombre 15, le triangle est construit par une ligne de 5 points, une de 4 points, une de 3 points, une de 2 points et une de 1 point.

                      @
                   @  @                                            Chaque côté = 5
                @  @  @                                         au centre : 3 enserré dans 3 fois 5
              @  @  @  @
            @  @  @  @  @

Complément
Noter que :
15 = 3 x 5 = 3+5+7 somme imparfaite des impairs car il lui manque le 1
Et que :
15 - 1+5 = 6, 6ème jour création de l’homme 15+1 = 16 - 6+1 = 7
7ème jour, jour du retrait avec 1 - unité et 5 - souffle

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