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Le Labyrinthe

Ce travail sur le Labyrinthe, s’est imposé à moi lorsqu’un jour, j’observais un résidant, qui cherchait pour me rejoindre, à ouvrir une porte vitrée qui nous séparait.
 Souffrant d’Alzheimer, il connaît la porte et son ouverture, mais il essayait obstinément de l’ouvrir en manipulant, non par la poignée mais le gond opposé. Dans sa pathologie de la mémoire, ce résidant autodidacte dans l’apprentissage de la langue allemande peut s’exprimer dans celle-ci à la demande, mais il ne sait plus ouvrir une porte. Il cherche comme nombre d’Alzheimer à dépasser avec insistance, voire force les limites de son environnement, il veut quitter le lieu où il est, veut-il fuir sa souffrance ? Sa pathologie de l’oubli efface par plaques ce qu’il a derrière lui. Il ne dispose plus des petits cailloux du petit Poucet, ni du fil salvateur, quand bien même il les posséderait, ses troubles cognitifs l’empêcheraient de savoir à quoi ils servent.
Voila un homme du 21° siècle touché par une maladie, fléau de notre époque et dont les liens au passé disparaissent et qui cherche inconsciemment la sortie de sa souffrance. Dans son labyrinthe de vie, on retrouve plus de 10.000 ans d’histoire des labyrinthes et des hommes. Promenons nous y.

Les 1ers L sont certainement issus de l’observation des spirales des coquillages, ou du mouvement des eaux, ou encore d’exploration des forets par les peuples nomades.
 On trouve les premiers dessins des méandres il y a 15.000 ans. Il y a 10.000 ans apparition simultanée de figures de L à plusieurs endroits de la planète.
 Il y a 55 siècles, le 1er L artificiel reconnu est cité aux abords du lac Moeris en Egypte. Monument funéraire destiné à interdire l’accès à la pyramide, tombeau du Pharaon Amenemhat 3.
 Plus tardivement, et issu du précédent, le plus connu des L est celui de la civilisation crétoise. Le L devient omniprésent sur la planète. A Babylone, chez les indiens Nuzcas du Pérou, indiens Hopis D’Amérique du nord, en Chine où les L d’encens mesurent le temps, ou encore les tibétains inventant les Mandalas. La Bible elle n’évoque qu’une fois le L qui aurait protégé Jéricho.
Avec le Christianisme, le L s’invite dans ses espaces sacrés : il est cité la 1ere fois en 328 Ste Réparate à Orleanville en Algérie, puis dans toutes les autres cathédrales de la chrétienté. Il est alors chemin unique menant de façon oscillatoire à un centre sans impasse.
Avec l’exercice  et la prise du pouvoir de la raison, le courbe et le sinueux sont chassés des espaces religieux et du quotidien. On ne le retrouve plus que sous formes d’amusements, jardins, jeux de salon et fête foraine.
 Aujourd’hui avec l’ère de l’informatique, bifurcations d’instructions binaires dans une économie de marché, où les modèles et les organisations changent et changent vite, le L ne reviendrait-il pas en puissance ?

Le L, griffonnage des premiers hommes, présent dans toutes les civilisations, appartient au langage d’avant l’écriture, est un des plus anciennes figures de la pensée humaine, désignant le complexe, la tragédie du destin, le temps dont on ne peut s’évader. Il aide l’homme à raconter son propre destin. Il est l’espoir d’atteindre un idéal par la force, la foi, la patience et la connaissance.
 Les premiers hommes, chasseurs itinérants risquaient leur vie dans des endroits périlleux pour y survivre et devenir plus forts ; ils ont  les premiers ressenti la réalité du L. Chez ces populations, la mort est un voyage. Le L exprime alors l’angoisse de l’homme devant le dernier voyage. Voyage du mort vers la terre Mère, il a alors un caractère fermé et sans retour.
Le L est le chemin d’accès à la résidence des morts dans beaucoup de cultures. Le centre est un lieu sacré. Les routes qui y mènent sont plus importantes que les autres. Trouver le centre de soi-même est l’épreuve la plus difficile.

Aux Nouvelles Hébrides, sur l’île MALEKULA survit un mythe lié au L. Le mort arrive au seuil d’une caverne où le gardien trace un L, laisse le mort regarder puis l’efface. Le mort doit alors le reconstituer grâce aux études sacrées faites de son vivant. S’il retrouve le chemin menant au centre, il entre dans la caverne, sinon il disparaît dans le néant. Apprentissage patient de secrets tout au long de sa vie est la condition nécessaire à l’éternité de l’âme.
 Chez les aborigènes se perpétue le mythe des sœurs WAGILAG. Chants relatant  l’histoire de sœurs maudites et de leur vivant labyrinthe représenté par le Python. On rappelle ainsi aux humains chassés pour avoir violé un tabou que la quête d’une terre promise exige le courage de traverser des déserts et la volonté d’affronter des L, dans l’espoir de trouver un chemin de rédemption.

Le Labyrinthe crétois. Minos roi de Crête devait la prospérité  de son île au taureau sacrifié rituellement en l’honneur de Poséidon. Une année Minos ne voulut pas sacrifier le magnifique  taureau destiné à l’offrande. Poséidon, séduisit alors Pasiphaé jeune femme de Minos et par un stratagème s’unit à elle,  de l’union naquit l’être mi humain mi animal : le Minotaure. Dédale construisit sur ordre de Minos le L pour enfermer le minotaure. Le L servait à dissimuler la barbarie. EGEE, roi d’Athènes devait tous les 9 ans envoyer en réparation  de la mort du fils de Minos, 14 jeunes garçons et filles pour être livrés au minotaure. THESEE, fils du roi voulant rompre ce cycle  se livrât au sacrifice. Ayant séduit la belle Ariane, fille de Minos, il reçut de sa part son fameux fil, à dérouler lors de sa progression, afin de pouvoir effectuer le chemin de retour après avoir tué le Minotaure. Thésée ayant tué le Minotaure et abandonné Ariane s’enfuit avec PHEDRE pour Naxos. Sur l’île de Délos, il inventa la danse, reproduction du L dominé.

Avec le L crétois et puis après beaucoup d’autres, l’histoire racontée nous éclaire sur l’identité de l’homme.
On retrouve toujours : 1 le voyage, 2 l’épreuve, 3 l’initiation, 4 la refondation, résurrection.
 1 le voyage : c’est prendre le risque de mourir, sera-t-il le dernier voyage ? 2 L’épreuve, épreuve d’un individu ou une collectivité. Elle décrit un meurtre fondateur. 3 L’initiation. Celui qui a traversé l’épreuve est initié, il entre dans une nouvelle vie. 4 refondation, résurrection. Revenu neuf pour un autre chemin.

Concernant la Bible, on ne peut  envisager le L que comme voyage de  l’humanité entière. Le Sinaï y est le lieu d’exode et support du L. Cette immensité du désert barre la route de la Terre Promise. « Le désert s’est refermé sur eux » dit Pharaon. Le veau d’Or y est le Minotaure, et Moise Thésée. C’est alors un peuple entier qui traverse le L et renaît en lui. Moise et les adultes meurent, le désert fait naître alors un peuple.

L et Chrétienté. L’Eglise s’approprie le L et devient la nouvelle Ariane. Jésus naît dans une grotte et son calvaire, chemin d’épreuves se termine par sa résurrection. Le fidèle pour atteindre son salut doit suivre le même chemin, le L tracé sur le sol des cathédrales est instrument pédagogique de foi. L’Eglise libère le pèlerin de ses angoisses dans le dédale de la vie. Le Christ remplace Thésée, le péché le minotaure. Le dédale explique le mystère de la grâce : c’est lorsque l’on croit s’en rapprocher qu’on en est le plus éloigné.

Le L des églises, chemin unique, menant de façon oscillatoire et sans impasse à un centre, est une figure géométrique.
Le L figure géométrique construite  pour établir et circonscrire un centre au cœur de ses circonvolutions est un symbole qui révèle tout en protégeant. Figure géométrique, il se réalise par les nombres.
Le parcours, ligne continue est le principe vital, unité de laquelle naît la multiplicité. Ariane, araignée cosmique tisse à partir de son propre fil toute l’architecture de l’univers ou comme de la couronne rouge de Pharaon sort la spirale de la vie.
 Le L est le perpétuel devenir de la spirale, déploiement de la création éternellement à l’œuvre à travers le jeu des nombres, outils de l’Origine. Manifestation du Principe par le passage de l’un au deux, alternance dynamique de création, le L est souvent bicolore, il renforce et réaffirme l’instant éternel de la démultiplication à l’infini de la génération du 2 par le 1. Le L, aïeul du pavé mosaïque ?
. Les L sont orientés, le voyage commence à l’Occident et se termine à l’Orient éternel, il débute par la conscience du défi que représente la mort et se termine par la notion de destin accompli. Dans le L, il faut avoir le courage d’entrer. Une fois dedans, il faut le considérer comme une solution et non pas un problème. Le L est lié au processus de la découverte ; s’approcher et s’éloigner sans cesse d’un réel inaccessible. L’égarement est la condition du progrès. Il faut être curieux des évènements. C’est en se perdant qu’on peut s’accepter.

Le L a été aussi source d’inspiration pour les alchimistes.
 Dans sa représentation, il est particulièrement intéressant car il présente parfois plusieurs voies. La première, celle qui ne mène à rien est celle du présomptueux qui cherche l’or mais pas la quête n’est que ruine. Pour les deux autres,  l’une est dite sèche, elle est celle du pauvre, courte et simple, elle mène directement au centre. La seconde est dite humide, est celle du riche, est lente et progressive. Ces deux voies sont inséparables et riches d’enseignement. En effet elles ne sont pas contradictoires, elles reflètent les deux natures existant en chaque  initié où les deux possibles, apparemment contraires contiennent le germe l’un de l’autre. Toute quête ne peut se vivre que dans l’harmonie d’une proportion des deux voies. Eau ignée, feu aqueux, deux facettes du don, elles flambent et noient.
 Pour les alchimistes, l’essentiel n’est pas l’apparence d’un élément qui est changeante par nature mais le principe, l’essence en lui. Les éléments sont des états de la matière. La connaissance de la matière induit celle de l’esprit des éléments.
 Le L est le chemin qui mène au cœur de la vie ; au centre se trouve la force pour servir l’œuvre. Il faut rendre la matière en capacité de manifester l’esprit quelle contient. Le processus alchimique consiste à nommer, purifier et ensuite rassembler et rendre au ciel ce qui lui appartient.
 Revenir et sortir du L pour formuler ou témoigner et faire perdurer le chemin de la connaissance. La matière est pure puissance, capacité à tout devenir, dans cette matière, l’or y vit ou vitriol. FATA VIAM INVENIENT.

A l’avènement de la raison et des sciences, le monde n’est plus à accepter tel qu’il est mais il faut le construire.
Une révision théologique s’opère, elle oriente le croyant vers le choix d’un cheminement sur une voie simple, droite, conduisant à la perfection voulue par Dieu. Le L est l’antre du Mal. La nature de l’homme est dénoncée comme Labyrinthique. Le seul moyen d’échapper au L de la condition humaine  est de l’oublier par la seule force de la foi et de l’esprit. Les voies labyrinthiques du péché s’opposent à la voie rectiligne de la vertu : les L sont progressivement effacés des cathédrales.

Ne survivent alors que des dédales de jardins, transformant la nature hostile en jeu maîtrisé. Au 19° siècle, le L n’est plus présent qu’en jeu de sociétés et fêtes foraines. Dans la société industrielle, se perdre c’est perdre. Mais dans le jeu subsiste un des messages du L : l’initiation. L’initiation comme recréation d’une autre vie doit être un jeu. Néfertiti jouait au Senet avec  l’Invisible dans son initiation aux mystères de la vie. Voyons comment  le jeu de l’oie nous aide à conserver une des richesses du L.

Le jeu de l’Oie est inspiré directement du L crétois, il a été inventé lors du siège de Troie pour divertir les soldats.
Les pions, transposition de l’homme sur le plateau de 63 cases avancent au gré du hasard et des dés. 63 cases forment une spirale partant de l’extérieur vers l’intérieur, du 1 au 63, de l’ombre à la lumière. 14 Oies sur le parcours, rappel aux 14 athéniens sacrifiés.
Avançons dans le jeu. La 1ere case est une grotte, nous sommes dans le cabinet de réflexion. Engagement choisi de progresser dans le L. 5° case une oie.
Toutes les cases représentant des oies  nous permettent d’avancer sans travail ; cases de repos, on peut profiter ou réfléchir. Les Oies, sont elles celles qui par leur retour au printemps annoncent le renouveau de la nature, de notre volonté de nous transformer,  ou sont elles la résurgence des oies gardiennes du Capitole, les gardiennes de notre progression ?
 En 6 un pont ,nous relie t’il aux autres cherchant ?. Deuxième oie en 9 : 9, 7*9, 63 cases, 7 périodes dans notre progression. Au 15 retour au 10 : méditons sur notre impatience. 19 une auberge : se nourrir, assimiler, un temps de réflexion passons notre tour. 31 le puits : cherchons un moment de notre vérité au plus profond de nous, exerçons Vitriol. Avec un jet de 6 nous sortirons rafraîchis par l’eau du puits. 39, retour en 33, ascension trop rapide. 42 le L, nous ne sommes pas prêts, retour au 3. 52 la prison, réflexion sur notre parcours, 2 tours en attente. 58 la Mort, retour au départ. Nouveau cycle de la nature.
 62 Le point le plus prêt peut être le plus éloigné car avec un jet de dé de 6, on retourne au 58 la Mort .Les apparences sont souvent trompeuses.
 63 On ne peut y arriver qu’avec le nombre juste, pas plus pas moins. Le Château, mystérieux protecteur nous propose alors un autre plateau de 64 cases ; c’est un échiquier, la partie continue ?
Le jeu de Mère l’Oie ou Loi mère est celui de notre transformation, adaptation aux épreuves de la vie. Ce jeu nous propose un vrai parallèle à notre parcours de recherche  fait de progressions, de pauses et de détours.

Aujourd’hui, après ce cantonnement aux jeux, le L réinvestit progressivement notre quotidien. L’illusion de la ligne droite est battue en brèche  dans tout les secteurs de recherche, de la physique (mouvement des particules, théorie des cordes),des mathématiques, de la biologie et de la génétique (ADN, alphabet de 64 combinaisons de 3 lettres de 4 nucléotides).Les défis environnementaux bouleversent et bouleverseront des régions, les hommes devront s’adapter  aux réalités toujours changeantes et devront savoir extraire des difficultés un ferment de perfection et le transmuer en forces vives. Cette alchimie, moyen contre lequel rien ne prévaut est la persévérance.
La persévérance est l’attitude du cherchant, elle nous est rappelée dès le cabinet de réflexion. Elle s’alimente de notre soif de connaissance. Persévérance est fil d’Ariane, fil de notre propre cœur qui nous permet d’aller chercher au bout de nous même. La persévérance n’est pas un acharnement, elle nous demande de profiter du souffle du cheminement. Comme les chinois l’avaient expérimenté avec les L d’encens, le L c’est du temps transformé en espace. Il ne s’agit pas de l’économiser mais de l’utiliser pleinement. Le L nie l’urgence par le jeu des hésitations et des retours. Persévérer c’est sortir du temps réglé par les autres pour chercher le sien propre.

Ainsi depuis 15000 ans les hommes gravent des messages de survie de l’espèce humaine par des L. Ils permettent de nous explorer, de descendre au plus profond de nous, de nous apprendre à vivre le temps comme un espace, à puiser une force dans l’égarement, de nous adapter aux nouvelles situations, à le faire en esprit de jeu et en curiosité, à nous perfectionner et à nous préparer à l’ultime voyage. Mon résidant de début de propos inscrit dans son dédale de l’oubli et à l’errance obstinée, n’est plus dans le persévérant voyage d’apprentissage du L. Le tunnel de l’oubli a tué l’Homme en lui. Soyez sur que comme l’avant dernière case du jeu de l’oie peut vous renvoyer à la mort, que l’on est jamais aussi éloigné du centre que lorsque qu’on croit y accéder.

VM j’ai dit
 
E\S\ D\

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