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L’Eau


Lors de mon dernier travail sur le miroir, je vous avais menacé de faire une planche sur l'eau, enfin qui traiterait de l'eau. Vous avez eu tort de ne pas prendre ma menace au sérieux, car nous y voici.

Le dictionnaire des symboles contient au moins 10 pages sur ce sujet, et je vous ferai grâce d'extraits que vous avez ou que vous pourrez consulter au gré de votre curiosité que je sais très grande.  Je vais essayer de vous emmener ailleurs, mais c'est chose difficile car tout nous y ramène…et vous invite donc à une promenade informelle sur l'eau, au fil de ma plume ou plus exactement mon clavier capricieux.


L'eau est un des quatre ou cinq éléments.

Avant d’aller plus loin, nous pouvons rappeler que les éléments qui sont au nombre de quatre pour les grecs, de cinq selon la doctrine Hindoue ( le cinquième n’étant pas admis par toutes les doctrines),  que les chinois en retiennent 5, ignorent l’air et y ajoutent le métal et le bois.

Quant à l’ordre dans lequel ce  classement doit être effectué, il serait hasardeux de vouloir classer les éléments les uns par rapport aux autres.
Toutefois, les lois naturelles nous amènent à la classification suivante: air, feu, eau, terre …   et l’éther ou l’esprit, serait le cinquième, peut-être est-ce   l’esprit de Dieu qui  régnait sur les eaux avant la création des éléments.
.Mais c’est un autre débat ... Il a commencé il y a longtemps … s’est poursuivi  avec Pythagore, Platon et Aristote relayés par Bachelard, Jung et bien d’autres, dont Jules Boucher qui retient  l’ordre suivant :  la Terre d’ou sort le Candidat apprenti, l’air, l’eau et le feu , sans à ma connaissance retenir la théorie du cinquième élément. Ce débat n’est pas clos …et ce n’est pas ce soir qu’il le sera.

Nous rappellerons également  que les 5 éléments reconnus par  la doctrine Hindoue  sont les suivants:
l’éther, l’air, le feu, l’eau et la terre. Cet ordre est celui de leur développement à partir de l’éther qui est l’élément primordial ce qui rend logique la correspondance avec les 5 sens, l’eau étant le goût, l’air le toucher, l’éther l'ouïe, le feu la vue,  la terre l’odorat. 
Les auteurs maçonniques n’ont pas manqué de  mettre en correspondance les 4 éléments et les différents âges de la vie, les quatre points cardinaux, les quatre métaux ( or- agent- airain- fer) les quatre évangélistes, etc...

L'eau
Elément de la vie quotidienne, l'eau est si familière que l'on en oublie souvent l'importance et son originalité. Elle doit à  ses caractères physico-chimiques très particuliers son rôle de premier plan à la surface du globe. Sans l'eau la terre ne serait qu'un astre mort, semblable à ce que la lune est restée depuis sa formation. Si la terre a été  conquise, elle le fut là ou l'eau existait ; et le désert, général au premier temps de l'histoire de la terre se limita aux endroits ou il n'y a pas d'eau.

L'eau est le deuxième voyage de l'apprenti…

Je commencerai par citer Lord Byron :" Jusqu'à ce que la douleur le lui enseigne, l'homme ne sait pas quel trésor est l'eau "

Il suffit d'une simple année sèche pour rappeler à l'homme une dépendance oubliée.

De toutes les questions d'environnement  qui se posent à l'homme à l'aube du troisième millénaire, celle de l'eau est la plus importante. Parce que l'eau y est liquide que notre planète est habitée car l'eau  ne manque pas dans le système solaire, des givres de Mars a la carapace de glace des satellites de Jupiter, ou à la boule de glace sale que serait la comète de Halley. Si nous devions découvrir que nous ne sommes pas seul dans l'univers, c'est qu'il y aurait de l'eau liquide ailleurs, dans d'autres planètes, dans d'autres systèmes solaires.

L'eau est décidément un beau sujet.

"Au commencement Dieu créa le ciel et la terre"

La terre était informe et nue et l'esprit de Dieu était porté sur  les eaux…
Dieu dit aussi : que le firmament soit fait au milieu des eaux et qu'il divise les eaux d'avec les eaux.

L'eau a toujours hanté l'esprit des hommes, peut être parceque les eaux pour interpréter  la genèse ont été crées en même temps que la terre, ou selon Mircea Eliade et bien d'autres, avant la terre…
Les eaux symbolisent la somme universelle des virtualités, le réservoir de toutes possibilités d'existence, elles précèdent toute forme et supportent  toute création. Et, quand on dit "tout est dans tout", on peut penser à l'eau.

Une des images exemplaires de la Création que j'ai trouvé dans la bible,  est l'île qui soudainement se "manifeste" au milieu des flots. L'émersion répète le geste cosmogonique de la manifestation formelle. En revanche , l'immersion qui  symbolise la régression dans le preformel équivaut à la dissolution des formes, la réintégration dans le monde indifférencié de la préexistence. Cette image se rapproche avec celle que les anciens Egyptiens avaient de la création du monde. Ils pensaient que le monde était né dans le Nil , qu'un œuf  en était sorti dont l'éclosion avait donné naissance à l'humanité.
C'est pour cela que le symbolisme des eaux implique aussi bien la mort que la renaissance. Le contact avec l'eau constitue toujours une régénération parce que la dissolution est suivie d 'une "nouvelle naissance" et que l'immersion fertilise et multiplie le potentiel de vie.

.Dans quelque ensemble religieux qu'on les rencontre les Eaux conservent invariablement leur fonction : elles désintègrent, abolissent les formes,  lavent les péchés. Leur destin est de précéder la création, de la résorber, incapables qu'elles sont de se manifester dans les formes. L'eau n'a pas de forme propre, mais une prodigieuse capacité à s'étendre dans les formes qui lui sont proposées…

Dans toutes les religions, dans toutes les civilisations, dans tous les mythes, l'eau est source de vie, moyen de purification ou de regénerescence, promesse de développement. Elle représente l'infini des possibles. Elle est un symbole universel de fécondité et de fertilité; symbole de  pureté de sagesse, de grâce et de vertu. Elle est l'origine et le souffle de toute vie, le souffle vital. En mouvement perpétuel, elle ne cesse de se transformer en vapeur, pluie, glace, neige,  en onde douce des ruisseaux et des fleuves et en eau salée de l'immense océan.
Multiple et singulière, diverse et unique, informe et proteiforme, l'eau déchaîne l'imaginaire au coeur de nos croyances  et nos peurs séculaires.
La pluie doit d'ailleurs pour représenter les influences spirituelles être regardée comme une eau céleste, et l'on sait que les cieux correspondent aux états informels; l'évaporation des eaux terrestres par la chaleur solaire  est d'ailleurs l'image d'une transformation  de sorte qu'il y a là comme un passage alternatif des eaux inférieures aux eaux supérieures et inversement.

On dit que l'eau est une force "yin" dite féminine, et c'est probablement la raison pour laquelle elle est si dure a dompter. Quand on croit l'avoir fait, elle se réveille et rend les coups avec la plus grande brutalité. L'eau est d'ailleurs symbolisée par un triangle inversé qui est le symbole féminin.
Ne voyez pas poindre dans cette réflexion  un embryon de misogynie, mais la triste constatation d'une navrante réalité.

Au cœur du Paradis, tel que les peintres de la Renaissance le racontent, il y a une fontaine qui porte des noms multiples, fontaine de jouvence, qui jaillit tantôt des hauteurs, tantôt des profondeurs assurant la conjonction du ciel et de la terre. Dans un tableau de Bouts, on voit un ange guidant des pèlerins  traînant  leurs fatigues et leurs vêtements usés vers un bassin pour que dans l'eau rédemptrice ils se lavent de leurs misères. Cette figure de la fontaine au centre  du jardin d'Eden  est le miroir de notre espérance : trouver de l'eau qui nous rendra à notre condition première, à notre innocence égarée, ou qui métamorphosera notre chair et notre âme pour les rendre semblables à des Dieux.

Découvrir la source qui nous est de toute éternité promise…Cette quête est liée à notre première demeure, ce ventre dont nous sommes sortis. Pour certains, cette obsession de la source est le désir de retrouver cette matrice première ou nous avons vécu la grande métamorphose.

"Après le septième jour, Dieu n'avait encore pas fait pleuvoir sur la terre, mais s'élevait une fontaine  qui en arrosait toute la surface. De ce lieu sortait un fleuve qu'il divisa en quatre canaux, Phison, Gehon, Tigre et Euphrate.

Ces fleuves s'écoulent horizontalement sur la surface de la terre (selon Guenon) et non pas verticalement, mais ils prennent naissance au pied de l'arbre de vie qui naturellement est encore l'axe du monde. C'est la rivière céleste, rivière de vie qui dans la Kabbale hébraïque trouve sa correspondance dans les canaux de l'arbre sephirotique, par lesquels les influences du monde d'en haut sont transmises au monde d'en bas.
Ils évoquent  effectivement le symbolisme de la traversée, de la remontée  et de la descente du courant, celui du pont et bien entendu de la navigation et de la porte qui est l'embouchure de la rivière…..

A l’origine de l’existence, l’eau est symbole universel de fécondité et de fertilité. Dès la plus haute Antiquité égyptienne , les cultures paléolithique ou néolithiques précolombiennes, ce don du ciel, représenté dans les hiéroglyphes, par une ligne sinueuse ou la spirale d’une conque, détermine l’image de la pure fécondité. Les enfants naturels étaient parfois appelés, dans divers peuplades, "fils des fontaines". Les danses de la pluie relèvent des rituels les plus sacrés, des prières et des oraisons les plus ferventes, elles sont un lien causal entre le Divin et ses créatures. L’eau féconde, fertilise, nourrit et désaltère. Elle devient, tour à tour, récompense implorée ou punition redoutée, signe de la colère, du pardon ou de la grandeur de Dieu. "La beauté du désert, c’est qu’il y a toujours un puits quelque part" chante Saint-Exupéry dans Terre des Hommes.

Source de toutes choses, elle est la manifestation de Yahvé qui apparaît et parle aux prophètes près des puits et des sources où tout se noue et se dénoue du destin du peuple élu. Pour les tribus en errance, elle est toujours synonyme de bénédictions, oasis de paix et de lumière. L’eau bénie tombant du ciel est un signe d’Allah dans le Coran où les jardins du Paradis apparaissent baignés de ruisseaux et de sources d’eaux vives. Allah a créé l’homme "d’une eau se répandant" et le présent est "comme l’eau que le vent dissipe". Si l’eau sanctifie, elle détruit aussi, elle est l’instrument de Dieu qui s’abat sur les hommes, donnant le signal des épreuves. Quand elle se déchaîne comme les vagues salées de l’océan en furie, elle devient synonyme de mort, de désordre, du mal. Elle tue, ravage, engloutit, maudit, punit, change la joie en amertume mais cette main de Dieu n’atteint jamais que les pécheurs et épargne toujours les Justes.
 Le déluge est à la fois cataclysme vengeur et fin purificatrice d'un monde corrompu. Allah s'adressant à Noé : "construis l'arche dont nous t'avons donné les plans, et n'éléve plus ta voix en faveurs des pervers; ils doivent périr par les eaux".Toujours selon Eliade, " les méchancetés, les péchés finiraient par défigurer l'humanité; vidée de germes et des forces créatrices  l'humanité s'étiolerait." Au lieu de la régression lente en formes sous humaines, le déluge amène la réabsorption immédiate dans les eaux desquelles naîtra l'humanité nouvelle. On peut en rapprocher l'effondrement des continents sous les eaux  comme le mythe géographique de l'Atlantide. Le déluge est souvent lié à des fautes de l'humanité, morales ou rituelles, péchés ou manquement aux lois et aux règles.
Dans le contexte mythologique Irlandais le déluge biblique a été adapté aux origines du monde et il symbolise la limite entre l'histoire et la préhistoire puisque toutes les races antérieures ont été détruites .Le seul Fintan homme primordial y a échappé.

Les pères de l'église n'ont pas manqué d'exploiter le symbolisme de l'eau  et pour Tertullien  l'eau a été ,la première " le siège de l'esprit divin". Toutes les espèces d'eau, du fait de l'antique prérogative qui les marqua à l'origine, participent donc au mystère de la sanctification, une fois Dieu invoqué sur elles.  Ainsi sanctifiées, elles s'imprègnent du pouvoir de sanctifier à leur tour, permettent le baptême dont Jean Chrisostome écrivait " qu'il symbolisait la mort, la sépulture, la vie et la résurrection" Le vieil homme meurt et donne naissance à l'homme nouveau.
Dans la valorisation du baptême, le Christ, nouveau Noé, devient le chef d'une race nouvelle après l'anéantissement de l'humanité pécheresse. Le Christ est aussi mis en parallèle avec Adam dans la théologie de Saint Paul  " par le baptême, l'homme récupère  la ressemblance de Dieu et permet le retour à l'innocence primitive , à la condition d'Adam avant la chute. C'est ce qui explique la nudité du baptême sur les tableaux et gravures, l'homme retrouve la nudité adamique.

Il n'en finirait pas de remonter l'histoire du monde pour au fil de l'eau, énumérer les nombreux exemples  qui permettent de souligner l'importance vitale de l'eau dans l'histoire de l'humanité, du Coran à la Bible, en passant par l'anthologie sanscrite, l'Iliade et l'Odyssée et les métamorphoses d'Ovide et j'en oublie…

L'ouvrage en tout point remarquable " Moise" d'André Chouraqui  contient dans son développement toute la symbolique de l'eau.
De la naissance jusqu'à la mort Le Nil accompagne la vie des peuples d'Egypte suspendue aux crues du Nil, à ses caprices et ses colères. Moise est sauvé par l'eau qui l'a épargné, est élevé au bord du Nil, inspire ses colères pour délivrer son peuple et sépare les flots de la mer rouge…lui et son peuple ne survivent que grâce à l'eau…

Si l'on fait une plongée au" cœur des mythologies en suivant les Dieux" avec Jacques Lacarriere nous retrouvons dans toutes les traditions l'idée d'un principe générateur et fécondant qui est l'eau probablement parce qu'il est le seul élément qui est matériel et informe et peut être qu'à ce titre il peut se prêter à toutes les spéculations .Il est curieux de constater que dans la plupart des grands mythes de la création du monde, l'eau est le premier des éléments. Il a fallu pour créer l'univers une matière première préexistante à tout, et l'eau la représente à merveille. Elle est matérielle en ce sens qu'elle n'est pas vide comme l'air ou le feu qui sont par nature insaisissables et échappent au toucher. Elle est en même temps informe, indifférenciée et susceptible de prendre toutes les formes possible. L'eau est en fin de compte une matière assez solide pour contenir des éléments étrangers à elle même, au point que l'idée d'une vie en suspension dans l'eau est commune aux mythes et aux biologistes.
 Deux civilisations furent particulièrement sensibles aux pouvoirs de l'eau, c'est l'Inde et L'Islam.

Pour certains reveurs, l'eau est le mouvement liquide qui vous invite au voyage jamais fait, comme  Baudelaire dans ce   vers " o mort vieux capitaine, il est temps! …Levons l'ancre"   et  Lamartine dans ses rêveries  au bord du lac.

Je conclurai enfin

L'eau est  le plus parfait de tous les éléments, le préféré du divin. Elle est instrument de purification rituelle dans toutes les croyances ou religions . Libre et sans attache, l'eau coule et se fraye un chemin vers l'espace ouvert, ne se laissant jamais arrêter par des obstacles, qu'ils soient naturels ou crées par l'homme. Elle est K'an, l'insondable, l'un des 64 hexagrammes du Yi King livre des transformations, recueil de toute la sagesse millénaire de la Chine. Constamment elle atteint son but en coulant sans interruption Elle remplit chaque creux avant de continuer son cours, mais ne s'accumule nulle part. Elle passe à travers les endroits dangereux et poursuit pas à pas sa  nature authentique et sure.

Ainsi fait l'homme noble déclare le Yi King.

Je terminerai par une citation  tirée du Tao Te King, de Lao Tseu chapitre 8 et 78 :
L'eau est bienfaisante elle sert à tous sans différence, coule ou personne ne séjourne et se trouve tout près du Tao; Rien n'est plus souple et faible au monde  que l'eau. Pourtant pour attaquer ce qui est dur et fort, rien ne la surpasse et personne ne pourrait l'égaler.

 J'ai dit

B\ G\

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