DH Loge : NC 24/11/2006


    
Les Grenades
Si je demande qu’est ce que le sirop sage ou quelle est la formule du Se BRU 11, peu connaissent la réponse.
Autre question : sous quel arbre Roméo s’abrite t-il pour chanter une sérénade à Juliette ?
Ensuite, si je demande quel est le point commun entre les différentes oeuvres de Botticelli à savoir :
La vierge et l’enfant et 5 anges(1470), La madone à la roseraie ou encore la madone du Magnificat

La vierge à la grenade

Ou encore quel thème est commun à Théodore Aubanel, Paul Valéry, Guillaume Apollinaire, André Gide ou encore Victor Hugo, chacun comprendra qu’il s’agit de la grenade, ainsi évoquée par Mallarmé :

« Tu sais ma passion, que pourpre et déjà mure
Chaque grenade éclate et d’abeilles murmure »

La grenade inspire aussi les poètes étrangers ainsi cette devinette turque qui parle de la fiancée comme d’une rose pas sentie, d’une grenade pas  ouverte ou encore cette poésie galante persane : «  ses joues sont comme la fleur du grenadier, et ses lèvres comme le sirop de grenades; de sa poitrine d’argent poussent 2 grenades »

Appelée aussi pomme d’amour, la grenade de son nom latin « punica granatum » de la famille des  punicacées ou granatacées est le fruit d’un arbuste de 2 à 5 m de haut originaire du proche orient en particulier de Phénicie( Liban) d’où le nom de «  punica », Présente sur des bas reliefs, les Egyptiens fabriquaient avec elle  un vin léger au goût de framboise si bien décrit par André Gide dans son poème initiatique «  ronde de la grenade » :

Nathanaël te parlerai-je des grenades ? leur jus est aigrelet comme celui des framboises pas mûres, leur fleur semble faite de cire ; elle est de la couleur du fruit. Trésor gardé, cloisons de ruches, abondance de la saveur, architecture pentagonale. L’écorce se fend ; les grains tombent, grains de sang dans  des coupes d’azur et d’autres, gouttes d’or dans des plats de bronze émaillé

Importée par les Berbères( les Maures)  en Europe, elle s’est  acclimatée dans le bassin méditerranéen dans les mêmes zones climatiques que l’olivier et  a donné ainsi son nom à cette ville andalouse célèbre par son Alhambra qu’est Grenade

De la taille d’une orange, la grenade est une grosse baie ronde de couleur rouge ou jaune, dont l’écorce dure et coriace constitue  une protection efficace pour la pulpe et lui permet d’être transportée sur de  longues distances

Sa structure, faite de cloisons épaisses délimite des espaces remplis de nombreux pépins Le mot latin «  granatus » signifie d’ailleurs  « abondant en grains »

Les grains sont  de couleur rouge rubis de forme caractéristique appelée le gemme de rubis.

Chaque pépin est enrobé d’une pulpe gélatineuse de chair rouge sucrée ou âcre selon les variétés. 

Si le sirop de grenadine a longtemps et fait encore la joie des petits mais aussi des grands, il est aujourd’hui non plus préparé à partir de la grenade mais de fruits rouges.

Quant au jus et au concentré de grenade, ils participent à  la confection de plats spécifiques  tels le fessenjan en Iran ( = canard +noix hachées +grenade et riz) ou au Liban  où le sirop de grenadine appelé Rab er’remane sert à la réalisation de mets tels que la pizza à la viande « lahm d’ajine »  ou encore les aubergines à la crème de sésame  « mtabbal »

Dotée de propriétés thérapeutiques,  la grenade  est supposée augmenter la libido, elle est active sur les toux persistantes, efficace en cas de  diarrhée et a des propriétés antihelminthiques notamment sur le ténia.   Hippocrate en  conseillait le jus  contre la fièvre et comme fortifiant

Notons que les recherches actuelles ont permis de lui découvrir des propriétés antioxydantes avec une action positive dans l’athérosclérose, l’hypertension et dans l’involution de  certains cancers

Enfin la grenade entre dans la composition de certains cosmétiques et notamment des shampoings destinés aux cheveux colorés

Quant à la  mythologie grecque elle ne manque pas de références à la grenade.

Ainsi, Cybèle déesse de la terre serait devenue enceinte en touchant un grenadier,
Héra épouse fidèle de son mari et  frère Zeus, fut considérée comme la protectrice du mariage légitime  et de fait représentée avec des pommes et des grenades

Toutefois, la représentation le plus caractéristique de ce mythe de la grenade est symbolisée par Perséphone, fille de Zeus et Déméter.

Dans ce mythe que je rappellerai succinctement :

 Déméter, protectrice des moissons et des cultures se promène avec sa  fille Perséphone, vierge du printemps. Hadès, Dieu des enfers s’éprend de Perséphone et pour cela il l’enlève tandis qu’elle est en train de cueillir des narcisses A cet effet, un gouffre s’ouvre sous ses pieds, un serpent lui mord le talon et  le char d’Hadès l’emporte dans le royaume des Ombres.

Déméter désespérée s’envole et 9 jours durant parcourt les horizons et apprend par Apollon, le soleil qui voit tout que sa fille « est aux enfers »  Elle quitte donc l’olympe le laissant.

dans la plus grande désolation : plus de fruits, plus de verdure, plus de nourriture, la famine s’installe.

 Zeus envoie son messager Hermès à la recherche de Perséphone qu’il trouve près de son époux Hadès.

A la vue du messager Perséphone s’élance mais Hadès  la convainc de lui accorder son indulgence  si elle accepte de sa main un grain de grenade, ce qu’elle fait.  Et ayant absorbé ce grain elle est liée à tout jamais à son époux

Hermès amène cependant Perséphone au jour afin que le cas soit jugé par le tribunal des dieux et c’est Rhéa, la grand- mère qui porte le verdict. Le royaume des morts ne gardera Perséphone que pendant un tiers de l’année. Aussi, pendant 4 mois Perséphone disparaît : c’est l’hiver, la végétation s’endort et au printemps elle revient, la végétation se réveille et est productive. Déméter veille de nouveau sur les moissons

 Ainsi commence le cycle des saisons, avec à nouveau alternance de naissance de la mort et de résurrection.

La grenade, nous rappelle bien évidemment la pomme qu’Eve a croquée  dans le jardin d’Eden. C’est une nouvelle fois la femme seule qui consomme le fruit défendu.

C’est une nouvelle fois le fruit de la tentation, mais c’est surtout le désir de connaissance pour celui qui cherche.

La grenade, c’est donc ce fruit mur, que l’on récolte à l’automne et qui donnera une nouvelle graine qui poussera de nouveau au printemps redonnant de  nouvelles fleurs puis de nouveaux fruits. Car au final qui existait en premier, le fruit la graine ou la fleur ?

En réalité il n’y ni commencement ni fin. C’est tout simplement le cycle de la vie : naître pour mourir et mourir pour renaître.

Mais  ne pourrait-on pas également faire une analogie entre les 3 stades évolutifs de  ce 1er végétal proposé au x nouveaux initiés avec les 3 niveaux que ceux de -l’apprenti, du compagnon et du maître ?

Car pour nous francs- maçons la grenade est un symbole présent  à la fois sur le tapis de loge mais aussi en haut des 2 colonnes à la porte du temple : 3 sur chacune d’elles ; fermées sur la colonne Boaz et ouvertes sur la colonne Jakin. Allusion au temple de Salomon, ces grenades sont mentionnées dans  sa construction et  ainsi décrites dans  la Bible à 2 endroits.

Le1er dans  Livre des Rois : chapitre 7 verset 15 à 22 : « Il coula les 2 colonnes de bronze… il fit 2 chapiteaux coulés en bronze destinés au sommet des colonnes.. Il fit un treillis pour un chapiteau et un autre treillis pour l’autre chapiteau ; Il fit les grenades : il y en avait 2 rangées autour de chaque treillis, en tout 400… Les chapiteaux qui étaient au sommet des colonnes étaient en forme de fleurs ; il dressa les colonnes devant le vestibule du sanctuaire ; il dressa la colonne de droite et lui donna le nom de Yakin ; il dressa la colonne de gauche et lui donna pour nom Boaz.

et le 2ndi dans le Livre Les chroniques chapitre  3 (15-17) devant la salle, il fit 2 colonnes longues de trente cinq coudées que surmontait un chapiteau de 5 coudées. Dans le Débir il dressa des guirlandes qu’il disposa au haut des colonnes  et cent grenades qu’il mit dans les guirlandes.

La grenade comme la loge comporte beaucoup de grains dans les diverses cloisons du fruit tels les frères et sœurs de loge en leurs divers grades, bien rangés comme les pierres brutes qui se sont polies au fil du temps et qui s’imbriquent bien dans l’édifice La pulpe les lie  et prend le nom de solidarité, de fraternité. Elle est le liant. Si  d’ailleurs, l’un des grains est défectueux, c’est tout l’ensemble qui en pâtit et la graine peut pourrir.

Chaque grain isolé a ses particularités ses différences et c’est la cohésion de tous les grains qui assure la force et la beauté du fruit comme nous ensemble qui tentons de construire le temple de l’humanité. Vaste prétention certes mais qui suppose que chacun apprenne à vivre en toute harmonie avec son voisin et ce au prix d’une grande tolérance

Car de fait, la loge , microcosme de la société est riche de sa diversité, faite d’êtres plus ou moins grands , plus ou moins petits, plus ou moins obèses , plus ou moins maigres , plus ou moins bavards , plus ou moins réservés , plus ou moins introvertis ou extravertis , plus ou moins silencieux, plus ou moins passionnés . Elle est faite  d’êtres qui pour certains parlent trop souvent , qui parlent à la place des autres  , ou encore qui ne parlent pas ceux que j’appelle les abeilles travailleuses sur qui l’on peut toujours compter et agissant dans l’ombre  Tous et toutes  ont leur place parmi nous  et nul n’est de trop ici . Je, nous les appelons FF et SS  sans omettre ces grains que l’on appelle officiers , ceux qui n’ont pas de pouvoirs mais des responsabilités ,responsabilités qui se déclinent tel une partition musicale en plusieurs gammes de tonalité et intensité variable

Quant à l’écorce de la grenade, pour nous francs- maçons ne délimiterait-elle pas la loge ?

En effet, son aspect dur et coriace ne  signifierait-il pas que nous sommes bien protégés, bien à l’abri pour nous-mêmes, afin de faciliter nos travaux en ayant laissé nos métaux à la porte du temple et donc à l’abri de l’extérieur afin qu’aucun profane ne vienne troubler ce travail.

Cette écorce peut symboliser cette porte qui fait la différence entre «  dans le temple » et  « le hors du temple » entre le sacré et le profane, entre le secret et le divulgué.

Mais, la grenade,  de par la multitude de ses grains, symbole de fécondité  peut aussi signifier le rassemblement de toutes les loges d’une obédience mais aussi l’ensemble des obédiences lui donnant ainsi  à la franc- maçonnerie son caractère universel

La maturation du fruit dans des conditions normales provoque l’éclatement de la peau libérant les graines prêtes à être ensemencées tels les francs –maçons portant à l’extérieur le fruit de leurs réflexions

Néanmoins, si la pression est trop forte, le fruit explose libérant les graines qui pourront s’échapper en tous sens, signes de débordement, de tension entre les uns et les autres, de scission, de démission, de trahison. Alors l’écorce qui éclate.. est- ce une nécessité ?

La grenade c’est  donc ce symbole double  fait de l’un extérieur et de l’autre intérieur, dualité du symbole représentée par Hadès dieu des ombres, à la fois  dieu de la mort et Déméter, dieu de la vie mais aussi par le fruit aux propriétés bénéfiques tandis que la racine est toxique Le fruit reflète lui- même cette ambivalence car l’un contient l’autre tout comme le tout renferme la multitude, le nombre,  et ainsi signe de fécondité.

Une autre caractéristique de ces graines est leur couleur : le rouge.

Qu’est-ce que cela peut signifier pour nous ?

Le rouge, c’est la couleur du feu, de la lumière, de  la passion mais aussi de  la violence,  de la colère ne dit-on pas  « voir rouge »

Pour l’alchimiste, le rouge est la couleur de la pierre philosophale, la pierre qui porte le signe du soleil.

Le rouge couleur sang c’est à la fois la  couleur chaude de la vie mais aussi celui de la mort car pour vivre le sang circule dans les veines de l’homme  . Par contre, si l’homme perd son sang, il meurt . L’ambivalence de cette couleur se retrouve peut- être dans  la lampe rouge des maisons closes, signe à la fois d’appel et de l’interdit

Ici cependant, il s’agit d’un rouge rubis, symbole de bonheur depuis l’antiquité

Quant à nos grenades , pourquoi sont-elles ainsi placées en haut des colonnes à l’entrée du temple ?

En fait, la décoration avec des grenades était de mode à l’époque de la construction du temple de Salomon. Leur position en haut des chapiteaux, leur fermeté et leur stabilité en font de parfaits symboles de  la pérennité et de la fécondité de la tradition des bâtisseurs.

Par ailleurs, le 2nd élément  qui consistait à brûler de l’encens dans les récipients disposés au haut des colonnes correspondait au besoin de différencier le monde dans lequel on allait pénétrer, le  passage du profane au sacré, du matériel au spirituel.

Quant à ces colonnes, situées devant l’entrée du temple, ne supportant rien, établissant un simple lien entre la terre et le ciel, entre le dehors et le dedans, l’ancien testament (1erlivre des Rois) nous rapporte que celles du temple de Salomon faites d’airain, étaient destinées à renfermer les instruments de géométrie et le trésor pour payer les ouvriers mais aussi des objets cachés tels le livre sacré, le tracé du temple et ses symboles. Elles avaient également une autre ouverture au dos permettant d’y déposer les métaux et objets profanes ne devant pas pénétrer dans le temple

Enfin, si selon Adam, les hommes pour se protéger du déluge et du feu ont bâti 2 colonnes ; l’une en brique et l’autre en pierre, l’eau ne pouvant ni attaquer cette pierre ni effacer les inscriptions gravées,  ceci était fait dans le but d’assurer la transmission, véritable devoir pour ceux qui pratiquent le métier, devoir qui est sans doute aussi le nôtre, notre œuvre n’étant probablement faite pas de la pierre de nos carrières mais du travail que nous aurons effectué sur nous-mêmes et que nous laisserons à notre descendance

Pour conclure, je voudrai avec quelques mots sans doute maladroits mais profondément sincères  vous dire en toute simplicité, moi la campagnarde sans grand talent oratoire  que ces grenades si elles sont symbole de fécondité elles sont surtout  pour moi celui de fraternité cette  fraternité qui fait que ma présence ici en loge se situe bien au- delà d’une quelconque boule  noire ou blanche placée dans une urne, que l’affection que je porte à chacun et chacune se place bien au- dessus de toute polémique ou règlement de compte, que je suis  convaincue que chacun a en lui quelque chose de bon et de positif qu’il exprimera à sa manière  et saura partager avec pour mémoire ces quelques mots de Jorge Semprun : la fraternité n’est pas seulement une donnée du réel. Elle est aussi surtout un continent à découvrir. Une fiction pertinente et chaleureuse.

A\ B\


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