Les grenades m'ont toujours fascinée car elles me ramènent à mon enfance, une enfance heureuse passée en Tunisie, où les grenadiers poussent à profusion. Il me suffit de fermer les yeux un bref instant pour me voir jouer avec ma petite sœur et avec mes camarades, à la mariée, avec ces magnifiques fleurs d’un rouge si profond, piquées dans ma chevelure sombre. Pour me revoir assise, près de la table de cuisine où trônaient en permanence, dès septembre, plusieurs grenades que nous mangions au dessert.

Les grains de ces grenades ressemblaient à des gemmes taillés de mille facettes dont leur teinte couvrait toute la gamme des rouges, du rose pale à peine coloré au rouge le plus profond. Maman nous les servait, noyés dans un vin rosé, légèrement sucré et rafraîchi. Et je me rappelle encore la douceur de ces grains qui fondaient dans la  bouche, avec en prime, une cuillère à café de ce rosé qui nous faisait briller les yeux et chatouiller nos papilles d’enfant.

Mais avant d’en goûter ces saveurs inégalables, il nous fallait égrainer ce fruit, qui ressemblait à une drôle de pomme, ronde et bosselée, de couleur beige, légèrement empourprée et surmontée d’une minuscule couronne. Nous l’appelions « la pomme du Roi » peut-être à cause de sa couronne mais nous ne pouvions comme la pomme, y mordre à pleines dents. Non seulement, maman nous l’interdisait car son écorce contient une substance toxique utilisée à ce jour en médecine, mais son amertume très prononcée nous laissait très prudentes. Maman l’ouvrait alors légèrement avec la pointe de son couteau et nous avions alors la délicate tâche, ma sœur et moi, de séparer les grains sans les écraser. Ce n’était pas, non plus, une mince affaire. Après la première protection de cette coque qui ressemble vaguement à du cuir mais qui en est aussi dure, les grains sont enveloppés de peaux blanchâtres qui lui servent de deuxième protection et dans laquelle l’amertume de l’écorce s’ imprègne. S’il nous arrivait, trop souvent au goût de maman, d’écraser quelques grains trop serrés, c’est que notre gourmandise prenait le pas sur ses recommandations . Malgré le goût de l’amertume des peaux et de l’écorce qui se mêlaient au breuvage sucré qui coulait alors sur nos doigts, nous léchions ceux-ci  consciencieusement.

Cet arbuste épineux, à feuillage persistant, pousse tout autour du pourtour de la Méditerranée. Il s'accommode sans problèmes des terrains incultes et pleins de pierres de notre Provence. Bien loin de nous,  en Chine, de nombreux empereurs l'ont utilisé pour orner les cours et les jardins de la Cité interdite de Pékin Ses fleurs d’un rouge vif sont déjà  un régal pour les yeux avant que ses grains aux mille facettes n’enchantent notre palais. Bien à l'abri dans sa coque dure et dans ses alvéoles blanches, ses grains défiant le temps , arrivent lentement à maturité en passant par toutes les teintes du rouge clair au cramoisi, du rouge grenat, au rouge rubis.

La F\ M\ a repris le mythe d’Hiram et a conservé comme symbole le T\ que le roi Salomon bâtit à Yahvé. Les colonnes de notre T\ sont surmontées elles aussi de grenades entrouvertes, au nombre de 3 seulement qui nous ramène au ternaire, dont les maçons en ont fait l’un de leurs principaux symboles.

Essayons d’oublier la signification guerrière de la grenade pour réfléchir ensemble au  symbolisme de ce fruit.

La Grenade, symbole de fertilité  :

Fruit d’arrière saison, au symbolisme de fécondité et de postérité nombreuse, dans la Grèce antique,  il est l’attribut d’Héra et d’Aphrodite, déesses du mariage et de l’amour  car sa coque éclatée ressemble à une vulve. Il est également consacré à Déméter et à Perséphone et devient alors de la symbole de la stérilité car le pépin de grenade qu’avait absorbé la fille de Déméter l’avait vouée aux Enfers, et par une contradiction du symbole, condamnée à la stérilité.

Dans la tradition chinoise, on offre une grenade aux nouveaux époux en guise de promesse d'une nombreuse descendance.

En Turquie, les jeunes fiancées sont considérées comme des grenades pas ouvertes. Dans la  poésie galante, la grenade évoque le sein

La mystique chrétienne transpose ce symbolisme de la fécondité de la grenade au plan spirituel puisque St Jean de la Croix fait des pépins de la grenade, le symbole des perfections divines dans leurs effets innombrables; à quoi, il ajoute la rondeur du fruit comme expression de l'éternité divine et la suavité du jus comme celle de la jouissance de l'âme aimante et connaissante."

Selon la tradition arabe, il n'y a pas une grenade "dans laquelle il n'y ait un grain des grenades du Paradis" ou "qui n'ait été fécondée par une goutte de l'eau du Paradis".

Dans le secret du fuit, le mystère de la vie s'accomplit. la valeur sexuelle des colonnes du T\ représentant un phallus érigé et le caractère de la grenade qui évoque le mystère de la génération nous ramène alors au mystère de la Vie.

Dans le secret de notre être, le vieil homme mort donne naissance à un être nouveau, débarrassé des gangues du monde profane.

Ambivalence de cette grenade, car la couleur blanche de ses alvéoles représente primitivement la couleur de la mort et du deuil. Mais comme dans toute pensée symbolique, la mort précède la vie et toute naissance étant une renaissance, le rouge de ses grains cachés représente la vie. Et ce rouge découvert et amené à la lumière du jour, associé au blanc, constitue un symbole de la force vitale.

Ambivalence de cette grenade, fruit des pays chauds, grains bien à l'abri dans sa coque toxique. Fruit de la mort et fruit de la vie car si la nocivité de sa coque peut empoisonner et apporter la mort, le sucre rouge de ses grains peut donner la vie.

Fruit donc magique qui contient tout à la fois et qui contient le tout.

Ambivalence de cette chaleur qui fait mûrir biologiquement le fruit et spirituellement l'homme. Ambivalence de cette chaleur qui s'associe alors physiquement à la lumière comme l'Amour à la connaissance intuitive.

La Grenade et le Rituel :

Il n’est pas fait mention de grenades dans le rituel et pourtant les grenades sont bien visibles dans le T\ au dessus des colonnes B\ et J\ à la porte d'Occident.  Mais le néophyte ne les découvrira qu'en dernier, peut-être lorsqu'il lui faudra se retourner pour voir son reflet dans le miroir et découvrir ensuite la présence amicale et fraternelle de son parrain ou de sa marraine, ou alors, à la fin des travaux, lorsqu'il quittera le T\ entre les deux colonnes.

C’est le premier symbole végétal  dans le T\  proposé à l’apprenti  et à son regard . C'est aussi le seul symbole qui soit comestible.

La Grenade et la Loge :

Grenade, à la coque dure, comme nos T\ qui ne s'ouvrent pas facilement et qui nous permettent de travailler bien à l'abri des indiscrétions pernicieuses du monde profane.

Grenade qui ne se laisse si difficilement ouvrir qu'à l'aide d'un couteau et qui nous rappelle les outils nécessaires au maçon pour travailler sa pierre brute.

Grenade, aux mille grains à facettes, eux mêmes protégés par une peau blanchâtre transparente, lassant entrevoir leur petit noyau, entouré d'une pulpe limpide. Peau blanche qui rappelle le tablier immaculé de l'apprenti dans son premier étant initiatique. Amertume de cette peau et saveur sucrée des grains qui nous ramène au symbolisme des trois coupes.

Grenade, fruit de la sagesse qui se compartimente et ne contient pas tous ses fruits dans une même enceinte. Tout comme notre Obédience, le Droit Humain, mixte et international, composé de tant de loges si différentes entre elles par les FF\ et SS\ qui en font partie, mais transparentes parce qu'elles nous permettent non seulement les visites mais aussi les échanges.

La Grenade, symbole de la solidarité universelle :

Grenade au symbolisme ambigu qui, pour Oswald Wirth,  représente le signe de l'amitié parce que le rangement symétrique des graines fait songer à la famille maçonnique "dont tous les membres sont harmonieusement reliés par l'esprit d'ordre et de fraternité"

Grenade aux grains polyédriques à facettes, chacune si bien taillée qu'elle s'adosse exactement à la facette d'un autre grain, se ressemblant tous, mais si différents les uns des autres. Et si les grains de la grenade ont chacun leur propre morphologie, le parallèle avec le FF\ et SS\ est aisé. Puisqu'on peut discerner aussi dans l'infinité des grains, l'image d'un ensemble "d'êtres, tous semblable en apparence, venus frapper un jour à la porte du Temple, tous différents , avec leur propre individualité et leur  propre liberté de pensée et d'actions, unis dans une même recherche et d'expression de la vérité..

Grenade qui évoque alors le fruit que la Maçonnerie offre actuellement à ses adeptes : la recherche d'une même philosophie, la même façon d'appréhender les problèmes, la même harmonie.

La Grenade , symbole d'humilité :

En effet, qui devinerait que derrière cette écorce rugueuse, dure, astringente et amère, se cache une multitude de grains rubis si juteux et sucrés ?

Pour Jules Boucher, "l'écorce et la racine du grenadier étant toxiques, la grenade nous montre les Francs - Maçons, issus d'un monde mauvais par essence, et cherchant à s'élever à une état de perfection."

Et le dictionnaire Ligou nous dit aussi :"Isolés dans une housse fragile, mais pullulants dans l'enceinte des cités, les hommes sont comme les grains de la grenade, source jaillissante de vie et centre secret des réalités éternelles. Même si le passé dont ils émergent est toxique comme les racines du grenadier.

Il faut donc avoir la Connaissance pour deviner, derrrière,  ce qui est caché. N''est-ce pas là notre méthode symbolique? N'est-ce pas là la démarche de l'initié ? Voir au delà des apparences, des préjugés.

Conclusion :

Grâce à la conception du symbole, le F\ M\ pénètre mieux les grandes lois universelles. Le symbole est image, il est pensée et le récipiendaire "mis sur le chemin de la sagesse" devra pouvoir briser, en toute liberté " sa coque mentale" pour accéder à la véritable initiation. Et cette liberté que nous prônons en maçonnerie, cette liberté qui nous permet d'examiner d'abord nos propres pensées et avec tact et altruisme les pensées d'autrui, nous amène tout naturellement à l'Amour.

Et parce que nous prônons l'Amour Universel, nous apprenons dans nos Loges à connaître ceux et celles que nous appelons Frères et Sœurs. Nous apprenons à savoir les écouter, nous apprenons à faire taire notre "Moi" égoïste pour laisser parler le "Soi" profond. Nous cherchons à améliorer le présent qui nous appartient pour que le futur soit le meilleur possible. Nous apprenons à construire le grand temple de l'humanité.

Alors cette grenade, dont nos Devanciers se sont attribués, m'apparaît alors comme un des symboles les plus forts de la Connaissance et de l'Amour. Car l'Amour est la loi suprême, l'Amour conduit à la Lumière et à la Vie.

V\ M\ et vous tous, mes FF\ et SS\ en vos grades et qualités, j'ai dit.

C\ G\