Obédience : NC Loge : NC Date : NC


Les quatre voyages du rituel de consécration d’une loge
Etude de la symbolique des quatre espèces : le Bible, le Vin, l'Huile et le Sel.

Il y a presque un an se déroulait la cérémonie de consécration de cette RL, beaucoup d’entre-nous y assistait et ont donc pu apprécier le déroulement de ce rituel, tout à fait particulier à la Maçonnerie régulière, qui est en ce qui me concerne l'un des plus beaux et des plus riches en symboles que nous ayons à pratiquer. Peut­ être parce qu'il recrée l'ordonnancement de cérémonies religieuses telles qu'elles étaient pratiquées au Temple du temps de Salomon, maintenant ainsi un lien étroit entre la Franc ­Maçonnerie et le sacré.

 Pour éviter toute personnalisation excessive de cette réflexion je précise tout de suite que n’ayant rien pu inventer qui ne fut dit et écrit avant moi sur le sujet j’ai bien sur travaillé à la lumière de divers auteurs dont Pierre BENZAQUEN dont je ne sais rien d’autre sur l’identité mais qui a signé l’essentiel  de ce  travail remarquable sur le sujet dans un article publié par les cahiers de Villard de Honnecourt.

Nous évoquerons, à travers les quatre voyages de ce rituel, tous les thèmes qui fondent la réalité de la Franc-Maçonnerie d'aujourd'hui, celle qui s'appuie sur des symboles dont le message, clair et compris de tous, doit pouvoir se lire dans nos actes de chaque jour. La force du rite est de construire l'histoire et de façonner la mémoire. Nous, maçons théistes, nous avons la mémoire originelle. Elle doit donc, par les symboles que nous avons en commun, nous permettre de vivre de façon particulière notre fraternité universelle.

Le rituel de consécration d’une Loge et son déroulement. Au début de la cérémonie le TRGMP précise « Cette cérémonie n’est pas un arrangement improvisé. Elle a une profonde signification. Elle rappelle que l’entreprise de former une Loge tire sa valeur maçonnique d’un rappel des efforts de ceux qui entreprirent la construction du Temple de Jérusalem, à l’appel du roi Salomon. Elle évoque les personnages légendaires du Roi Salomon, D’Hiram, d’Hiram Habi, de Jakin et de Boaz. Elle regroupe et énonce les textes bibliques qui s’y rapportent, extraits essentiellement du livre des Rois ».

Ayant beaucoup perdu de ma pratique de l’hébreu gâchée par une vie intense de lecture de documents administratifs pourtant réputés rédigés souvent dans cette langue,  les citations bibliques le seront en français. Donc à l’ouverture après que les F\ F\ pétitionnaires rangés autour de la planche tracée aient entendu la pétition et regagné leurs places le F Hospitalier citant le Psaume  l33 de David dit : (Oh! qu'il est agréable, qu'il est doux pour des frères de demeurer ensemble).

Puis c'est avec la lecture du passage du Second Livre des Chroniques que se met en place toute la symbolique de la Consécration : construire un Temple à la Gloire de l'Eternel. Pour ceux qui l'auraient oublié, rappelons que ce Temple avait pour vocation d'abriter l'Arche d’Alliance. Quand l'Arche d'Alliance était nomade, la Parole de Dieu n'avait pour tout abri dans le désert qu'une tente bien fragile. La Parole était alors tout près des hommes, elle marchait avec eux.

Et voilà qu'en construisant un Temple à la Gloire de l'Eternel, on va donner une Maison à la Loi, on va la sédentariser. Quel enseignement pouvons-nous tirer de cette révolution considérable ? Si, en effet, la Loi a eu besoin de se fixer, n'est-ce pas pour permettre aux hommes de prendre le relais et d'être à leur tour les traducteurs vivants et itinérants de la Parole en actes ?

Les quatre voyages que vont entreprendre les Grands Officiers Installateurs ne sont pas sans nous rappeler les voyages et les épreuves que va subir le futur initié. Cependant, il faut noter que les quatre espèces qui sont invoquées dans le rituel de consécration viennent toutes de la terre : le blé, le vin, l'huile et le sel. Nous pouvons déjà dire que tout ce qui vient de la terre  et par-là même du travail des hommes-ne doit pas être compris comme notre propriété, mais comme le fruit du partage. Thème que nous retrouverons tout au long de cet exposé.

C'est donc dans cet esprit d’Eucharistie et sa traduction hébraïque qui signifie  louange que nous allons accompagner le Grand Maître, qui porte la corne d'abondance contenant le blé, et le premier Grand Surveillant, qui porte l'amphore contenant le vin, dans les deux premiers voyages de Consécration. Durant ces voyages on parle d'une légende où pleuvaient le blé, le vin et l'huile. Cette manne nous apparaît donc comme celle dispensée par Dieu lors de l'exode dans le désert (manne se traduit en hébreu par « qu'est-ce que c'est »). Ne peut-on pas imaginer que les Hébreux aient, pendant quatre ans dans le désert, mangé du « qu'est-ce que c'est », consommé du « questionnement ». Alors, apprenons à notre tour, comme eux, à goûter de la  question. Puisque nous puisons notre symbolique dans ces épisodes bibliques, il faut savoir que la manne ne devait satisfaire que les besoins vitaux quotidiens, les réserves n'étant pas permises. On pourrait donc résumer ces voyages par l'adage bien connu : « aide-toi, le ciel t'aidera ».

Avant d'étudier chacune des espèces, analysons ce couple tout à fait particulier entre le produit du blé qu'est le pain et le produit de la vigne qu'est le vin. Le pain apparaît pour la première fois dans la Genèse (3,19) quand Dieu dit à Adam : « Tu mangeras du pain à la sueur de ton visage. Le vin est évoqué un peu plus loin avec Noé dans la Genèse (9,21) : Il planta une vigne et il en but le vin, s'enivra et se trouva nu. Le pain et le vin apparaissent donc séparément et dans des contextes particulièrement négatifs. Puis, au chapitre 1,4, ils apparaissent ensemble, en même temps que Melkitsedeq (le Roi de Justice, melekh : roi et tsedek justice) quand il offre à Abram (qui n'est pas encore Abraham) le pain et le vin en guise d'hospitalité. Pour certains d’entre-nous, un peu de nostalgie, rappelons nous la pratique du rite de Melkisedeq sur le parvis après nos tenue du RER à Epinal. Dans ce chapitre, le pain et le vin forment un couple tout à fait particulier, aussi liés entre eux que le ciel et la terre. Un Maître du Zohar écrivait d'ailleurs que les cieux et la terre ont été engendrés par le pain et le vin. Nous verrons comment ce couple pain/vin va nous apprendre à appréhender avec prudence l'homme qui se pose comme sujet premier de l'histoire, comme s'il occultait sa mémoire et la mémoire des leçons de la Création. La religion, dans son sens de religare, nous incite à ne pas nous fier seulement à la mémoire de l'autre, mais à travailler notre propre mémoire d'histoire pour élaborer un projet de vie commune. Ce travail est à faire chaque fois que nous devons entrer dans l'Alliance. Dans ce cas, c'est le bon vin qui fait travail de mémoire ; le mauvais vin l'efface. Le pain, lui, construit l'histoire, il est l'art du partage du monde, il tisse le lien social et permet de « faire l'histoire ensemble ». Ce couple pain-vin devient donc nécessaire pour briser l'individualisme, celui créé par le manque de transmission et qui nous fait nous demander que faire de la parole des pères ? »

Nous devons donc apprendre à ne pas couper l'arbre mémoire des racines de l'histoire et comment envisager, dans le principe de partage, de donner sens à la communauté et à l'aspect inaltérable du lien social. Pour bien comprendre ce symbole du partage, de la brisure, on part de la préparation du pain et du vin. Pour faire le pain, on sépare l'écorce de la graine et pour faire le vin, on sépare la pulpe de la peau. On ne peut donc obtenir ces produits que par séparation. Il s'agit là d'un thème majeur, car le paradoxe de la séparation, de la brisure, c'est l'Alliance (Alliance et brisure s'entendent en association dans le mot hébreu Brith-mila).

On retrouve d'ailleurs ce paradoxe dans l'étymologie du mot symbole : sum-bolon : remettre ensemble ce qui était séparé, comme la brisure qui appelle à la reconstitution, à l'alliance. Voilà pourquoi à l'opposé de « symbolique apparaît diabolique », mot qui vient de dia-bolon : laisser séparé ce qui est séparé, ce qui implique cette impossibilité diabolique d'être ensemble. De la même manière, avec le couple pain-vin nous allons apprendre à réconcilier les phases du temps. Le pain est le symbole du temps présent, il a une durée de vie limitée, il doit être consommé dans l'instant ; le vin au contraire a besoin du temps, il a besoin de vieillir, il est comme la sagesse, le symbole du futur. On peut ainsi mieux comprendre, peut-être, le sens du symbole : Ce n'est pas le principe de totalité, mais bien la brisure qui permet toutes les réconciliations possibles : être ensemble, harmoniser le temps, associer les couleurs et les sentiments, etc. Nous existons dans ces espaces que suggère le dialogue, nous nous construisons dans les silences du Texte.

Essayons maintenant de comprendre la signification de chacune des espèces, à travers les différents voyages.

Premier Voyage. Le Grand Maître répand du blé en signe de fécondité et d'abondance.

Tiré du psaume 72, de la catégorie des psaumes royaux, l'épi de blé symbolise le roi Salomon ses attributs divins et, dans ce premier voyage Il est représenté par le TRGMP qui, tel une divinité de la fécondité, va rendre la Loge fertile. « Je répands du blé dans cette Loge en signe de fécondité et d’abondance. Puissent les bienfaits de la morale s’accroître sous ces auspices et fructifier au centuple ».

Pratiquement toutes les traditions ont donné un sens au blé ou à l'épi de blé :

- L'épi de blé représente l'Arbre de la Connaissance, dans tout ce qu'il implique comme symbole du cycle mystique de la mort et de la résurrection.

- On le retrouve comme emblème d'Osiris, dieu mort et ressuscité.

- Les mystères d'Eleusis l'évoquent à travers le personnage fabuleux de Déméter.

- Jean, dans sa parabole du grain de blé, le représente comme germe de mort et de vie éternelle.

Le blé peut être compris comme un rite de manque plus que de présence ; il est rite du manque de Dieu. En effet, dès les moissons on rappelle l'absence par une symbolique particulière, les gerbes tombées des charrettes à blé ne doivent pas être relevées, elles appartiennent aux pauvres. Du blé, après qu'il a été moulu, doit être prélevée la dîme et, quand le pain est cuit, doit se faire le partage. Tous ces rites marquent l'absence. Le monde ne m'appartient pas et en obéissant aux lois je me dépossède du pouvoir absolu. C'est le sentiment d'absence qui est divin en Dieu, plus que sa présence.

Le blé, évoqué 106 fois dans la Bible, doit aussi être interprété à partir du produit de sa séparation, à savoir le pain. Le pain est fait pour être partagé, il n'est pas ma propriété absolue. Sa fraction est une qualité essentielle, car le pain ne peut m'appartenir que dans le partage. Manger le pain me ramène à la manducation de l'Arbre de la Connaissance : manger me permet de satisfaire un besoin, connaître me permet de m'ouvrir à quelque chose au-delà de moi-même. Manger du pain, c'est donc dénouer cette confusion entre satisfaire un besoin et connaître pour transmettre.

Tout le rituel a pour objectif de sortir de la gratification du quant-à-soi pour entrer dans le souci de l'autre. Tous ceux qui dans l'histoire se sont rassasiés ont disparu, parce qu'ils ont mélangé manger et connaître. De la même manière, le pain, dans la tradition chrétienne, représente la présence de Dieu. Le partage permet la construction de la communauté qui devient, comme dans l'Eucharistie, le corps de la Parole de Dieu. Avec la Cène, on apprend que Jésus fractionna le pain azyme, celui de la Pâque juive qu'il célébrait, et le partagea avec ses disciples. Puis, avec le levain de chaque communauté, ensemble ils firent lever le pain. Ainsi le pain engage dans une relation à l'autre par le partage, c'est la notion de transmission qui est enjeu.

La Parole de Jésus Faites-le en souvenir de moi est évoquée une seule fois pour le pain par Luc (22,19) et deux fois pour le pain et le vin par Paul (Epître aux Corinthiens 11,23). Se souvenir se dit, dans l'hébreu de Jésus, zekher ; c'est le rappel d'un devoir ou l'invocation de la Parole. Invoquer la Parole par le souvenir, c'est donc lui rendre sa signification symbolique par le rituel, qui évoque ce qui est en moi sans que je l'aie oublié.

Quand je pratique le rituel de Pessah en souvenir de la Sortie d'Egypte, comme cela fut fait lors de la Cène, je donne toute sa signification au pain azyme, au pain sans levain. Je fais revivre la mémoire de la transition entre l'esclavage et la liberté, celle qui me contraint à m'assumer.

Le pain azyme symbolise la rupture d'avec tout ce qui était la pâte d'hier, car tout pain levé implique qu'il a perdu toutes les autres manières de lever par l'effet d'un seul levain. Faire lever la pâte humaine, c'est encore un moyen d'interpréter la Parole comme les façons infinies de faire lever le pain. C'est avec le levain des autres, dans la communauté, que je peux participer au lever de la pâte, au polissage de ma pierre pour qu'elle prenne sa place parmi les autres pierres de l'édifice. Mais fraction et partage ne se conçoivent qu'à partir de ce que l'on a vu du rituel, qui est à la fois résurrection et signification, au-delà de la mémoire, comme le double sens donné au mot religion : relire et relier, c'est-à-dire savoir transmettre tout ce qui nous relie par la relecture.

 

Deuxième Voyage : Le Vin.

Pendant que le Grand Hospitalier lit Néhémie 10-39, le Premier Grand Surveillant dit « Je verse du vin dans cette Loge, en signe de joie et d'allégresse ». Là aussi toutes les traditions se sont emparées du vin et de sa symbolique, aussi riche que délirante. Dans des rituels anciens, il symbolise l'intelligence, Il est le « sang de la vigne », breuvage plein du feu vital, 3000 ans avant J.C. il représente les « yeux d'Horus » :

- Avec Dionysos ou Bacchus, il relevait d'une pratique cultuelle et devait provoquer l'union avec le dieu de I 'Extase.

- Sous la devise « in vino veritas », il servait à démasquer les menteurs.

- Les alchimistes appellent parfois Hermès le vendangeur de l'élixir de longue vie et ils nomment le vin eau de vie qui brûle. Cette conjonction de deux principes antagonistes de l'eau qui brûle, renvoie à la définition des deux éléments, l'eau et le feu, et au thème de l'androgyne primordial et éternel.

En Islam, s'il est un don malfaisant des anges, il permet aux élus d'Allah de s'abreuver au fleuve du Paradis d'où coule le vin qui ne rend pas ivre :

- Cependant chez les mystiques soufis, le vin est exalté comme le symbole de l'accès à l'amour de la divinité. Un grand soufi disait : « avant qu'il y eut en ce monde un jardin, une vigne et du raisin, notre âme était déjà enivrée du vin immortel ».

- Enfin dans la Bible, le vin est employé 209 fois, 177 fois dans le Premier Testament et 32 fois dans le Deuxième. Nous allons donc essayer de déchiffrer quelques-uns des symboles et des allégories qui s'y rattachent.

Comme nous l'avons vu en introduction, le vin apparaît pour la première fois dans la Genèse (9). Noé découvre la vigne et s'enivre de vin au moment où toute la Création est sous les eaux du Déluge. Alors que devenir, que transmettre après la catastrophe ?

Une des possibilités serait de fuir, de quitter l'histoire des hommes, mais Noé choisit de fuir dans l'ivresse, comme pour prendre distance d'avec la complexité du monde. De plus, au lieu d'aider ses enfants, Sem, Ham et Japhet à supporter l'après Déluge, il fait comme ses ancêtres, Adam face à Eve et Cain face à Abel, il ne parle pas, il dort, il offre le silence. Pour rattraper ce dysfonctionnement, le vin sera interprété plus tard comme une réparation. Le vin est donc à la fois un dysfonctionnement et une thérapie, à la fois confusion, puis rémission des péchés.

Voilà comment, après l'histoire de Noé, le vin sera plus tard étroitement lié à la volonté de réhabiliter l'identité paternelle, le sang de la descendance. Ne plus boire, c'est transformer le vin en sang. « Ceci est mon sang a dit Jésus, comme pour inscrire la Parole dans l'ordre de la transmission. Le commentaire talmudique dit que le vin est une nourriture unique qui alimente en même temps le corps et l'esprit. Tout comme la respiration dans sa double fonction : à l'inspiration je reçois et à l'expiration je transmets. Le relais se passe donc entre la mémoire, celle du souffle, et l'histoire, celle de la transmission. Concernant la transformation de l'eau en vin, évoquée seulement par Jean (2,1-12) dans son récit des noces de Cana, on constate que la transformation s'est opérée dans six jarres. Pourquoi 6 quand on sait que c'est le chiffre 7 qui définit l'accomplissement ? Les six jarres seraient donc, comme les six Jours de la Création, le signe de l'inaccompli. Il appartient donc aux disciples, ceux de Jésus comme ceux de l'humanité, de parachever l’œuvre divine. C'est par l'acte des serviteurs » que les miracles s'accomplissent.

Chaque épisode miraculeux a ses relais entre la Parole et ceux qui exécutent la Parole. L'homme est l'artisan de l'histoire. Ainsi, la transformation de l'eau du Nil en sang est exécutée par Moïse ; la multiplication des pains et la transformation de l'eau en vin fut faite grâce à la médiation des disciples, etc.

Le Talmud dit que le monde futur est celui dans lequel on retrouvera le goût du vin gardé dans les grains de raisin depuis la Création. Et comme, aujourd'hui, le goût du jus que nous avons dans la bouche n'est pas celui qui est dans le grain, nous devons viser à retrouver le goût originel. Telle est la leçon du 2eme voyage du rituel de Consécration.

Troisième Voyage : L’huile.

Lorsque le Grand Hospitalier prononce les versets 25 et 26 du chap. 30 du Livre de l'Exode, le deuxième Grand Surveillant déclare : « Je donne à cette Loge l'onction d'huile comme symbole de paix et de concorde ». L'huile fut aussi symbole de lumière, comme, par exemple, avec la fête juive de Hanoucca, mais nous resterons dans cette étude à l'évocation de l'onction, comme symbole également d'abondance, de fécondité ou de purification. En effet, à l'époque biblique, tous les objets destinés à une fonction rituelle étaient consacrés par une onction d'huile ; les prêtres faisaient de même lors des cérémonies d'initiation à la fonction royale ou prophétique. Jacob versa de l'huile sur les colonnes du site d'une révélation divine. La pierre sur laquelle Jacob reposa sa tête et eut la vision de l'Echelle s'appelle la Pierre de l'Onction, Jacob la consacra en l'oignant d'huile. Le Temple de Jérusalem fut oint intégralement, comme le furent la tente d'Assignation et l'Arche du Témoignage. Chez les Grecs il y eut des pierres commémoratives ointes d'huile, comme la pierre de Kronos à Delphes.

L'Evangile de Marc évoque l'acte des Apôtres qui versaient de l'huile sur les malades avant de les guérir. C'est d'ailleurs en se fondant sur cet exemple que l'Eglise fit dans sa liturgie une grande place aux onctions (par exemple avec le saint chrême, cette huile spécialement consacrée). L'eau de la cérémonie chrétienne du baptême va remplacer l'huile de l'onction sacrée. Mais, là encore, les auteurs de notre rituel de Consécration ont voulu marquer profondément la présence de Dieu par ce symbole de l'huile parfumée.

« Tu feras une huile pour l'onction sainte, composition de parfums selon l'art du parfumeur ». L'odorat revêt ici une importance particulière, qui ne manque pas de rappeler le souffle de Dieu dans les narines d'Adam. C'est par les narines que l'homme primordial, l'Adam Kadmon, va recevoir l'âme. Le souffle divin, c'est l'esprit donné à l'homme. Le parfum révèle donc tant la présence divine que l'histoire de l'homme sorti de la glaise pour entrer dans le temps sacre. L'art du parfumeur, celui qui officie pour la composition de l'onction sainte nous montre l'importance de la « praxis ». Cette symbolique nous enseigne « l'art royal », celui qui désigne la Maçonnerie, que certains associent à « l'art sacré » et qui fait transparaître le travail qu'il faut accomplir pour parvenir à la perfection de l'Art. Même emprunté à la maçonnerie opérative, nous devons trouver là toute la force du message de notre Maçonnerie spéculative traditionnelle. Si on retrouve l'huile citée 223 fois dans la Bible, l'onction en tant que telle n'a plus aucune fonction dans le rituel juif depuis la période du Second Temple et n'a plus jamais été utilisée par la suite.

Quatrième Voyage : Le sel.

 Le Grand Hospitalier prononce le verset 13 du chap. 2 du Lévitique et le Grand Maître dit: « Je répands du sel dans cette Loge pour symboliser l'hospitalité et l'amitié. Puissent la prospérité et le bonheur régner dans cette Loge jusqu 'à la fin des siècles ». Parmi les quatre espèces, le sel est celui qui est le moins cité dans la Bible, puisqu'il n'apparaît que quatre fois, mais il n'en revêt pas moins une grande importance effective et symbolique. Le sel, qui doit accompagner toute offrande (Lév 2,13), a une vertu de conservation. Mais « stériliser », dans le sens de purifier, a pu aussi être interprété dans le sens négatif de « stérilité ». Certains conquérants répandaient du sel sur les terres conquises pour les rendre à jamais stériles. La transformation de la femme de Loth en statue de sel pouvait, elle aussi, signifier cette volonté de « stériliser » la mémoire des temps de Sodome et Gomorrhe et ce dans les deux sens : purifier le temps de l'histoire et rendre stérile l'espace de l'avilissement de l'homme.

Le sel rentre également dans cet esprit de partage que nous avons évoqué pour le pain : Tu partageras le pain et le sel. Si le pain a une durée de vie éphémère, le sel, par sa capacité à conserver, vient apporter le complément indispensable à tout élément duel. Le couple pain-sel trouve ainsi sa justification dans le cadre de l'hospitalité, celle du partage dans la durée. Le sel avait sa chambre dans le Temple ; il servait à chaque sacrifice : l'offrande devait être saupoudrée pour la conserver. Ainsi, dans la mesure où le sel est l'espèce qui permet de conserver, une alliance éternelle est décrite, dans le Livre des Nombres, comme « une alliance par le sel ».

La Loi juive exige de saupoudrer de sel le pain mangé au début d'un repas. Outre la justification que nous pouvons trouver dans ce nouveau couple pain et sel, selon l'explication populaire il s'agit d'un acte symbolique qui, après la destruction du Temple, fait de la table du repas un substitut de l'autel où l'on salait les sacrifices. Le sacrifice étant un « repas » offert à Dieu, il devait avoir le goût du sel, tout comme la saveur de l'Alliance éternelle, dans son esprit de conservation-purification perpétuelle. C'est la saveur du sel qui dure dans le temps. On pourrait noter que l'hospitalité et l'amitié sont souvent prétextes à de savoureux repas. Dans le Deuxième Livre des Rois, Elisée purifie une source en y jetant du sel et Jésus, dans son Sermon sur la montagne, dit à ses disciples vous êtes le sel de la terre ; cependant que saint Jérôme appelle le Christ lui-même « sel de la délivrance ».

Le sel apparaît dans pratiquement toutes les mythologies. Homère le considérait comme une substance divine ; il était employé dans les sacrifices expiatoires en signe de purification symbolique, considéré comme l'offrande la plus agréable aux dieux. Les mythes syriens rapportent que l'homme a appris l'usage du sel par les dieux eux-mêmes. Les démons sont censés détester le sel. Le langage alchimique assimile le sel à un troisième principe originel principe neutre, celui de la cristallisation qui représente la partie stable de l'Etre, du point de vue intellectuel, moral et physique.

En alchimie, le sel est aussi appelé sel universel et il est parfois opposé à l'esprit, à son aspect évanescent. Et Si le sel figure parmi les « instruments » du Cabinet de Réflexion, il justifie alors pleinement, pour le futur Initié, le symbole d'hospitalité que nous venons d'évoquer et il sera plus tard pour lui symbole de pondération.

Les mots français « salaire » et anglais « salary » découlent de l'expression « salarium argentium », par laquelle on désignait les rations de sel spéciales dont étaient munis les soldats romains. Ne vient t’on pas en maçonnerie pour pour y recevoir notre salire, rappelons nous la fermeture des travaux au REAA « F\ Second Surveillant où les apprentis reçoivent-ils leur salaire ? »

Puis cette partie de la consécration se poursuivra par le rituel de l’encensement du Temple qui atteste la présence de Dieu au sein de la Loge, présence « cachée » comme doivent rester cachés le Visage et le Nom de Dieu. La cérémonie se terminera par la deuxième partie de la prière dédicatoire.

En conclusion il me semble qu’ils nous appartient de toujours nous considérer comme les symboles que nous « manipulons » pour mieux connaître notre propre spécificité. Et chacun de nos actes doit en permanence nous laisser dans cette perspective de signifier les attributs, les évocations ou les descriptions de ces symboles. Si nous ne faisons que les évoquer lors de la « récitation » de nos rituels sans en sentir le sens profond et sans les intégrer pleinement, nous manquons notre mission de Maçons.

En consacrant notre Loge, le Grand Maître et ses Grand Officiers Installateurs ne font que nous rappeler notre condition d'hommes ouverts au partage, à l'hospitalité, dans la joie, la paix, la concorde et la fraternité.


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