GODF Loge : NC 09/12/2009

La Transmission

Comme pour bon nombre d’entre nous, la F\ M\ m’a profondément transformé. Cette  transformation a, en outre, agi sur la perception que j’avais de moi-même, du groupe et de mes rapports avec l’autre.
 
Il y a quelques temps, je vous ai présenté deux travaux : le premier s’appelait « Construis-toi toi-même », et le second « l’Egrégore » ; ces deux travaux présentaient deux aspect importants de ce je que qualifierai comme « mon espace maçonnique » : le rapport de moi à moi, et l’expression du collectif. C’est ainsi dans l’idée de terminer une trilogie que je vous ai proposé de traiter ce soir de la transmission, qui dans mon espace maçonnique, s’inscrit dans mon rapport de moi à l’autre... Voilà pourquoi j’avais envisagé de vous présenter ce morceau d’architecture sur la transmission, nonobstant le fait que notre thème annuel soit « Transmission et Fraternité ».
Si la Transmission est un thème constamment présent dans nos esprits et nos mots en loge, étrangement, elle ne fait  l’objet d’aucun écrit des MAINGUY, BERESNIAK, WIRTH et consorts, si prolixes sur  les symboles,  outils, rites et grades de notre institution.
Pour aborder un sujet aussi vaste que la transmission, il convient de s’interroger sur l’utilité et la finalité de celle-ci, avant d’en étudier le contenu et la manière dont on transmet.

Nul ne doute que la F\M\ est une école de découverte et/ou de perfectionnement de soi. Elle permet, à celui qui la pratique de manière ésotérique comme nous le faisons, d’accéder à une dimension philosophique de son être, c'est-à-dire, littéralement,  à tendre vers une certaine sagesse.
Blaise PASCAL estimait que «  Philosopher c’est apprendre à mourir ». Apprivoiser la mort est un grand défi pour chacun d’entre nous : dès notre initiation, nous prenons conscience de l’aspect éphémère de notre existence à travers l’allégorie de la mort profane qui nous est proposée par le passage dans le cabinet de réflexion.

Le profane cherche souvent à ignorer ou repousser l’échéance finale. L’Initié lui, sait qu’au-delà de la dissolution organique de la matière, la permanence de l’idéal de perfection lui permet d’accéder à une dimension intemporelle qui donne ainsi du sens à sa démarche initiatique  et bien souvent à son existence elle-même.
Les Francs Maçons opératifs rejoignaient le chantier de la cathédrale au début de leur apprentissage ; comme la construction durait parfois plus de 100 ans, ils le quittaient à la fin de leur vie, bien souvent avant d’avoir vu  l’achèvement de l’édifice : cela ne les empêchait nullement de travailler avec ardeur, joie et liberté. La simple idée de participer à la construction de l’édifice était le moteur de leur motivation. Sans transmission de leur savoir aux générations suivantes, les cathédrales n’auraient pu être achevées par les francs maçons opératifs. Pour les Francs Maçons spéculatifs que nous sommes, apprendre et se perfectionner seraient vain sans capacité à transmettre notre éthique et nos connaissances à ceux qui nous rejoignent et travailleront sur le chantier d’œuvre encore après notre départ. Le chantier d’œuvre sur lequel nous travaillons est le symbole de notre idéal ; l’amélioration matérielle et morale, le perfectionnement intellectuel et social de l’humanité.          

A l’instar de la chaîne d’union, personne ne doit rompre la chaine de transmission, et chacun doit s’attacher à transmettre. L’apprenti doit s’insérer dans la chaine de transmission alors qu’il ne sait ni lire ni écrire donc, qu’il ne s’est pas encore approprié le Rite et ses symboles ; Par le simple fait de participer à  la chaine de transmission, chacun prend conscience qu’il y a quelque chose à transmettre ; ce quelque chose dépasse l’apparente organisation des rapports entre la matière et l’esprit que nous enseigne la F\ M\ . Cette chose vit, agit et survit au-delà de notre finitude, et chacun d’entre nous en est le garant. Afin de la transmettre dans les meilleurs conditions, il faut que notre communauté en comprenne globalement  le sens, même si, comme je l’évoquais, certains  d’entre nous  (et notamment les apprentis, voire les compagnons ou certains maîtres) ne sont pas encore en mesure de le faire individuellement.

En revoyant avec plaisir récemment le film «  le Seigneur des Anneaux », je n’ai pu m’empêcher de faire la comparaison  entre notre communauté et celle de l’anneau. Si, comme celle-ci nous avons conscience du fait que ce qui nous a été confié est précieux ; à la différence, nous cherchons à comprendre le sens de notre quête, et cela va au-delà du fait que le précieux est, pour nous, vertueux, donc nous le transmettons ; alors que pour la communauté de l’anneau, celui-ci est maléfique, donc, il faut le détruire.
Emprunter la voie de l’initiation, c’est, entre autres, se poser les deux questions  « qu’avons-nous reçu de si précieux que nous ayons le devoir impératif de transmettre ? » et aussi celle du  «  comment  transmettre notre joyau ? ».
Il n’est pas question pour moi, ici ce soir, d’avoir la prétention de vouloir répondre de manière distinctive au quoi et au comment transmettre, car ils sont indissociables. Le quoi est souvent contenu dans le comment, et vice versa ;  vouloir être exhaustif dans ce domaine serait suffisant de ma part. Ensuite, parce que la voie initiatique est ésotérique et donc par essence, indicible ; la maçonnerie est une école de l’éveil par la libération de sa conscience, il nous appartient d’y découvrir par nous-mêmes le sens de chaque chose. Je ne tenterai donc ce soir que d’aiguiser votre appétence au questionnement en vous faisant part de ma propre perception...

Je pense que ce que nous devons transmettre est du domaine de l’esprit, de cette essence spirituelle qui embaume le R\E\A\A\ . Elle participe intégralement  à l’organisation des rapports entre la matière et l’esprit, mais aussi à l’organisation humaine et matérielle de l’univers maçonnique.
La devise du  R\E\A\A\ est « ORDO AB CHAO », autrement dit « L’ordre issu du désordre ». Par sa méthode et  son contenu, notre Rite propose à l’adepte cherchant d’extraire une dimension spirituelle, sa dimension spirituelle, du chaos et de la confusion de sa pensée. Par le symbolisme et l’introspection, l’initié se libère de ce qui obscurcit son sens du discernement,  voit mieux en lui-même et donne ou redonne du sens à son existence.

La finalité de cette démarche d’introspection par la pratique du rite et l’étude des symboles n’est pas que le F\M\ garde pour lui ses découvertes et sa connaissance mais au contraire, les diffuse, les partage et les fasse vivre, autrement dit : les transmette ! Rappelons-nous encore une fois le but de la F\M\ : Améliorer les maçons, afin que par leur rayonnement, ils éclairent leur environnement : si, on ne s’initie jamais que par soi-même, le rite nous donne le devoir de transmettre sinon la démarche devient sclérosante ! Le F\M\ qui a reçu l’aptitude à l’auto amélioration ne l’a reçue que parce que d’autres FF\ l’ont éveillé sur ses aptitudes. On lui a enseigné que le travail n’est jamais achevé et que chaque situation conduit à la nécessité d’étudier, comprendre, rectifier avec humilité mais dignité. Cet enseignement permanent est un des aspects spécifiques à  la transmission ; Rompre cette chaine de transmission fait passer de l’aptitude à l’inaptitude ; Si le développement de la pensée symbolique se dévoile dans un champ intime et individuel, elle ne peut s’affirmer que dans la confrontation fraternelle et collective de la loge. En s’exonérant de transmettre, le F\M\ s’affranchit de cette confrontation fraternelle. En ne participant pas à la démarche de transmission, le « Cherchant » deviendrait vite « Sachant ». Cette attitude conduirait avec le temps, à se désintéresser à la démarche, et à terme déserter nos rangs.   

Le titre distinctif de notre Loge est « TRADITION ECOSSAISE » ; le substantif latin « TRADITIO » signifie  « acte de transmettre » et le verbe « TRADERE » veut dire «  faire passer à un autre, remettre ». La loge est le creuset d’expérimentation de la démarche initiatique ; elle se doit d’initier. Il y a donc un devoir impératif d’alimenter la loge d’un flux continu de candidats à l’initiation. Je n’ai pas dit que la loge doit initier systématiquement chaque candidat, mais chacun se doit de proposer  systématiquement la démarche initiatique à tout cherchant ou à tous ceux que nous estimons comme tels. Ce devoir s’impose à chacun sans aucune exclusive : les contraintes profanes ou une pseudo volonté d’élitisme sont des prétextes à ne pas faire, et/ou  une preuve de  pré somptuosité.

Tradition Ecossaise est, comme son nom l’indique, une loge où l’on pratique le R\E\A\A\, et son rituel de manière traditionnelle. Le rituel rythme et ordonne toute chose en loge. Il constitue l’espace d’apprentissage du lien de soi à soi, du soi à l’autre, et du soi au monde...
Il en est ainsi de la déclaration de principe avant l’ouverture des travaux qui permet de nous situer dans notre relation à la spiritualité.
De même, l’appel des FF\ en loge contribue à notre sentiment d’appartenance et exprime notre volonté de participer activement aux travaux de notre loge.
La lecture de l’article premier de la constitution du G\O\D\F\nous inscrit dans son histoire, ses valeurs et son éthique.
La progressivité contenue dans l’ouverture et la fermeture des travaux sacralise l’espace et le temps, sanctuarise les paroles prononcées,  rassemble les FF\. Elle permet  la spéculation en protégeant le temple du forum et la loge devient, ainsi, le  centre de l’union.

Transmis par mots signes et attouchements, pour exister et être transmis, notre rituel doit être incarné. L’incarnation du rituel, et  des mythes et légendes du R\E\A\ A\, ainsi que la pratique exclusive du symbolisme comme support de la pensée philosophique éveille chacun sur un processus de transformation qui est plus qu’une simple progression. Il s’agit d’une véritable « métanoïa » ,C’est-à-dire une conversion du regard posé sur soi-même, les autres et le monde. Si tout nous est donné le jour de notre initiation, chacun se familiarise avec les outils de cette conversion à chaque degré au moyen d’une  progressivité initiatique dont  la transmission s’effectue graduellement sur une échelle de 33 degrés. Cette méthodologie de transmission consiste à accéder à un degré supérieur lorsque les degrés précédents sont assimilés, elle permet d’incorporer des connaissances complémentaires à une base maitrisée, et donc de consolider nos acquits en permanence. La méthodologie de la transmission initiatique du R\E\A\A\ est par essence, garante d’une bonne transmission, et nous en sommes tous, individuellement et collectivement, responsables.

Le pasteur ANDERSON, inspirateur de la F\M\ spéculative  déclarait dans le chapitre V de ses constitutions «  On instruira un F\ plus jeune dans le travail pour que les matériaux ne soient point gâchés par manque d’expérience et pour accroître et consolider l’amour fraternel. ». Ainsi, comme je l’évoquais, la transmission n’est pas du seul ressort des MM\, Les COMP\ et les APP\ ont aussi en charge la responsabilité d’instruire les FF\ les plus jeunes ; non pas comme pourrait le faire leur SURV\, mais par transmission de ce qu’ils ont déjà reçu ; il en est ainsi, par exemple, pour l’installation du temple.

A l’instar D’ANDERSON, chacun est en mesure de comprendre que la transmission commence par l’initiation, se poursuit par l’instruction et l’appropriation progressive du symbolisme de chaque grade et se perpétue par sa participation active et l’exemplarité de son comportement. Chaque initié, guidé par ses ainés apprend, par la méthode symbolique, à se dégager de la matérialité et de l’éphémère,  à affronter son égo et à appréhender l’intemporalité. Il doit aussi prendre conscience, que tout ce qu’il reçoit, il devra un jour le transmettre enrichi de sa propre expérience. Mes FF\, j’attire votre attention sur le fait qu’il faut, contrairement aux apparences, parfois plus d’humilité pour donner que recevoir. Les APP\ et les COMP\ sont en droit de réclamer leur salaire, c'est-à-dire se demander ce qu’ils ont récolté après avoir assisté aux travaux. Les MM\ Maçons ont le devoir d’établir le bilan  de ce qu’ils ont transmis tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du temple. La connaissance ne peut briller que de l’intérieur, il s‘agit de la lumière initiatique entretenue par la chaleur de cœur. Le savoir, lui, n’éclaire que de l’extérieur et sa  lumière est froide. L’exemplarité, l’enthousiasme et la fraternité optimisent la transmission ; Le savoir, l’indifférence et la suffisance ont tendance à  l’annihiler. Khalil Gibran, le grand poète Libanais disait à propos de l’enseignement : « Le maître qui va, parmi ses disciples, à l’ombre du temple, ne leur transmet pas sa sagesse, mais plutôt sa foi et sa tendresse. S’il est vraiment sage, il ne vous invitera pas  à entrer dans le logis de sa sagesse, mais vous conduira bien plutôt jusqu’au seuil de votre propre esprit ».

Pour Conclure, V\M\, et avant d’inscrire pleinement ce travail dans notre thème annuel, je dirai que  les conditions nécessaires à une  transmission fidèle à l’esprit du rite et de nos fondateurs sont peu nombreuses, mais impératives, exigeantes et interdépendantes. Il faut un respect scrupuleux  du rituel, un esprit constructif dans une pratique incessante et féconde du Rite et du Symbolisme ; une implication zélée dans la vie de la loge ; un regard critique et fraternel, emprunt d’un doute permanent sur la pertinence de ses positions.

Au regard de notre thème de l’année, «  Transmission et Fraternité » sont, pour moi, corrélatives. Il ne peut y avoir de transmission sans fraternité, ni de fraternité sans transmission. Dépasser sa propre finitude pour participer au principe spirituel qui nous relie à l’autre et au monde ; accepter de se transformer soi-même pour pouvoir transformer l’humanité est une tâche exaltante mais ô combien exigeante, en terme d’amour, de fraternité et d’abnégation de soi. Mais, que ce soit pour nos propres enfants, nos FF\ maçons ou nos autres congénères frères humains, existe-t-il un projet plus grand et exaltant que de souhaiter les voir grandir, se développer en conscience et en  liberté afin qu’ils soient aptes un jour à transmettre les legs que nous leurs auront offert avec notre amour ? Jacques ATTALI  définit la fraternité ainsi : « La fraternité consiste à trouver du plaisir au bonheur de tout ce qui a vécu, vit ou vivra. C’est un altruisme universel qui s’adresse à l’autre et à tous les autres »

On a coutume de séparer l’inné de l’acquit. La fraternité fait partie de l’inné pour certains d’entre nous et  de l’acquit pour d’autres ; si elle n’est pas innée pour certains FF\, ce n’est pas de leur faute car, en matière d’amour,  on ne peut donner que ce que l’on  a reçu. Mais avec le temps un jeune FF\ arrivant parmi nous doit être en droit de penser que  la fraternité de chaque FF\plus ancien de Tradition Ecossaise est spontanée. Si ce n’est pas le cas, c’est que la chaîne de transmission de la fraternité aura été rompue, à un moment donné,   pour ce F\ semblant peu fraternel. Reste à savoir qui est responsable de la rupture: Je laisserai la réponse à votre sagacité, tout en citant à nouveau KHALIL GIBRAN qui disait : « Ne pensez pas que vous pouvez infléchir le cours de l'amour, car l'amour, s'il vous trouve digne, dirige votre cours ». Tâchons donc d’être toujours digne d’amour en transmettant de manière incessante avec amour...

D\ L\ 

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