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Le Pavé Mosaïque

Ma vision du Pavé Mosaïque m’est propre. Elle est celle d’un très récent apprenti, qui, muet et attentif, décrypte petit à petit, lentement, prudemment, tenue après tenue, les mystères et les arcanes de notre réflexion philosophique, humaniste et philanthropique.  Cette vision ne s’éduque heureusement pas dans la solitude et est nourrie du tronc commun de la connaissance de mes aînés en maçonnerie.

Etymologiquement, pavé et pavage viennent du latin « pavare » qui désignait l’action de niveler le sol, en battant la terre pour l’aplanir. La mosaïque vient du grec « mouseion » par le latin « musiuum opus », qui signifie «ouvrage des muses ». C’est un art décoratif où l'on utilise des fragments de pierre, d'émail, de verre ou encore de céramique, assemblés à l'aide de mastic ou d'enduit, pour former des motifs ou des figures.

La définition maçonnique du Pavé Mosaïque est: « Sur le sol du Temple, un pavement noir et blanc rappelle les oppositions que l’on rencontre dans la vie. Contrairement à une opinion erronée, ce n’est pas un lieu sacré, mais le sol sur lequel on chemine. »

Sa disposition est différente selon les rites. Dans certains Temples, comme le nôtre, il ne recouvre que l’espace délimité par les trois piliers de la Force, la Sagesse et la Beauté.

Il est un symbole et un emblème mais contient lui-même des symboles : la ligne droite, entre les pavés, me fait penser à une règle. C’est la rectitude, qui doit être l’attitude morale et physique de l’Apprenti que je suis ; l’angle droit, entre les pavés, me figure l’équerre, qui permet l’assemblage parfait des pierres taillées ; l’alternance parfaite des pavés noirs et blancs m’enseigne l’égalité.

Son emplacement dans notre Temple est également symbolique. Sa position est tridimensionnelle. Il se trouve au centre de trois axes, dans les trois dimensions : dans sa longueur, entre l’Occident et l’Orient, il indique la direction de la Lumière à celui qui pénètre dans la Loge ; dans sa largeur, entre le Septentrion et le Midi, il délimite la frontière entre la lumière dans laquelle se trouvent les Maîtres et les Compagnons et l’ombre dans laquelle se tiennent les Apprentis ; dans sa verticalité, il représente l’assise du Temple, ses fondations puissamment enracinées dans le sol, comme les dalles gigantesques des lieux sacrés.

Il est relié à la voûte céleste par le fil à plomb, qui relie ainsi le Nadir et le Zénith, le matériel et l’immatériel, le terrestre et le céleste, l’humain et le divin.

La première chose que je vois en contemplant le Pavé Mosaïque est l’opposition des carrés noirs et blancs. C’est une évocation évidente de la dualité : noir et blanc, ombre et lumière, spirituel et matériel, plein et creux, masculin et féminin, Yin et Yang, le dur et le souple, le rigide et le faible, la mort et la vie, la vérité et le mensonge, le bien et le mal. Cela m’apprend, que tout et son contraire existent et cohabitent. Tout n’est pas noir, tout n’est pas blanc. Nous sommes fait de la co-existence continuelle des contraires, qui, sur le Pavé Mosaïque, sont parfaitement équilibrés. Cela me donne-t-il une vision binaire de la vie ou une vision duale ? Je dirai une vision duale, car je ne suis jamais tout noir ou tout blanc, tout bon ou tout mauvais. Cela m’apprend que la voie de la sagesse se situe sans doute entre mes contraires et que cette voie est symbolisée par la ligne qui sépare les pavés noirs et blancs. Si je marchais sur le Pavé Mosaïque comme sur un jeu de marelle, je passerais du blanc au noir et du noir au blanc de façon tout à fait binaire. Pourrais-je vivre cela sans devenir schizophrène ? Je passerais continuellement de la crête au creux de la vague. N’aurais-je pas le mal de mer ? Il me faut suivre la ligne droite entre les pavés et j’aurai alternativement un pavé blanc à droite et un noir à gauche, puis l’inverse. « Connais le masculin, adhère au féminin. Sois le Ravin du Monde…Connais le blanc, adhère au noir. Sois la Norme du Monde. Connais la gloire, adhère à la disgrâce, sois la Vallée du Monde… », écrivait Lao-Tseu, dans le Tao-tö king. En pratiquant l’ouverture vis-à-vis de chacun, en acceptant la différence, en m’éveillant à mes contraires, en donnant la parole à ceux que j’ai cru être mes ennemis, moi, l’Apprenti, je m’ouvrirai au monde et me perfectionnerai dans l’indulgence vis-à-vis d’autrui et la compréhension de l’autre. En travaillant sur mes défauts, en les reconnaissant et les acceptant pour mieux les combattre, moi, l’Apprenti, je travaille sur ma propre pierre brute et à mon amélioration vers la maîtrise de mon être et de mes pensées. Voilà le premier enseignement que je reçois du Pavé Mosaïque.

La deuxième chose que me montre le Pavé Mosaïque, c’est la rupture. Le blanc devient noir et le noir devient blanc. Il ne peut y avoir de plus nette rupture. Le Pavé Mosaïque, c’est l’alternance de l’obscurité et de la lumière, c’est le symbole de la rupture entre ma vie de profane et celle d’initié. A la question : « Pourquoi t’es tu fait recevoir Franc Maçon », j’ai répondu : « Parce que j’étais dans les ténèbres et que je recherchais la Lumière ». Cette rupture, c’est celle de mon éveil à la conscience, celle de mon illumination par la lumière, au sortir de l’obscurité, comme lorsque l’on sort en voiture d’un tunnel par une belle journée d’été. On est ébloui et c’est pour cela que l’Apprenti prend place au Septentrion, pour ne pas être ébloui. La rupture, c’est la seule chose qui sollicite ma conscience, c’est ce que je recherche, moi, l’Apprenti afin que la lumière que j’ai demandée illumine ma conscience. La monotonie de ma vie de profane endort ma conscience et la rupture de l’initiation m’a fait prendre conscience. Cette rupture, on la retrouve partout dans nos loges, sur le Pavé Mosaïque, dans la Lune et le Soleil, dans la pierre brute et la pierre taillée, entre le parvis et le Temple, dans l’obscurité du Temple et les feux qui y sont allumés. Moi, l’Apprenti, je dois vivre pleinement cette rupture à chaque fois que j’abandonne mes métaux, me gante, ceint mon tablier et pénètre dans le Temple. Voilà le deuxième enseignement que me donne le Pavé Mosaïque.

La troisième chose que me révèle le Pavé Mosaïque, c’est le lien. Comment cela est-il possible puisqu’il nous montre la rupture. Il n’y a pas de rupture s’il n’y a pas quelque chose avant. Il n’y a pas de lumière sans obscurité, il n’y a pas de plein sans creux, il n’y a pas d’après sans avant et pas de futur sans présent. Pour qu’il y ait un univers, il faut le paradigme de la rupture du Big Bang. La grande question est : qu’y avait-il avant ? Il y avait forcément un avant, sans cela il y aurait eu « rien » et on ne bâtit pas un univers sur « rien ». Ce qu’il y avait avant, seul le Grand Architecte de l’Univers pourrait nous le dire. Dans notre Pavé Mosaïque, le lien entre nos contraires, c’est cette fine ligne droite qui départagent nos carreaux noirs et blancs. A l’origine et dans le monde profane, c’est du ciment, du mortier. C’est cela qui donne sa solidité à l’ensemble. C’est grâce au mortier que nos cathédrales sont encore debout après mille ans. La pierre résiste, mais le mauvais mortier s’effrite et le mur s’écroule avec le temps. A l’origine, le Pavé Mosaïque représente la base, le fondement du Temple et sa solidité est garante de celle de l’ensemble. Si la pierre est solide et pérenne, comme le granite, mais si le mortier est mauvais, l’ensemble ne résiste pas. Et bien le Pavé Mosaïque m’apprend la même chose, c’est le mortier qui tient les pierres et ce mortier, dans la communauté des hommes, s’appelle la solidarité et la fraternité. Quand elles n’existent plus, c’est la haine de l’autre et la guerre qui apparaissent. Moi, l’Apprenti, qui contemple le Pavé Mosaïque, je vois le carré noir lié au carré blanc et c’est ce lien entre les contraires que je dois apprivoiser en moi et qui me construira dans ma quête de l’autre. Voilà le troisième enseignement que m’offre le Pavé Mosaïque.

La quatrième réflexion a laquelle me mène le Pavé Mosaïque est la similitude entre ce nom et celui de Moïse. Le rapprochement en aurait été fait au Moyen Age. L’un des hauts faits de Moïse a été de réunir les douze tribus d’Israël. Il les a rassemblées, elles qui étaient éparpillées et a ainsi donné son existence à un peuple qui n’existait pas en tant que tel avant lui. Il a montré la voie à suivre pour rassembler ceux qui étaient dispersés en leur faisant dépasser leurs oppositions et en faisant vivre une nouvelle fraternité. Le Pavé Mosaïque me semble, alors, le symbole de ce rassemblement, puisqu’il fait cohabiter pavés noirs et pavés blancs. Je dois faire cohabiter mes contraires et rassembler dans la fraternité ceux qui sont dispersés. Voilà le quatrième enseignement que je retiens du Pavé Mosaïque.

Enfin, la cinquième lumière que m’apporte le Pavé Mosaïque est sa position entre les trois piliers de la Sagesse, de la Force et de la Beauté. Est-il le sol construit et solide dont sont issus ces trois piliers si importants ou sont-ce les trois piliers qui délimitent un champ sacré ? Je crois que, dans le premier cas, le Pavé Mosaïque, unitaire, donne vie à l’alternance des pavés noirs et blancs, binaires, qui donnent vie au trois piliers, ternaires. « Le Tao engendre Un, Un engendre Deux, Deux engendre Trois, Trois engendre tous les êtres du monde » disait encore Lao-Tseu. Le Pavé Mosaïque est alors, pour moi, le symbole du commencement et permet à l’Apprenti que je suis de comprendre l’élévation qui doit être la mienne depuis les fondations du Temple, qui représente l’humilité jusqu’à la Sagesse, le Force et la Beauté. Dans le second cas,  des piliers vers le Pavé Mosaïque, c’est la Sagesse, la Force et la Beauté qui me semblent donner vie au Pavé Mosaïque et lui insufflent sa sacralité, en le couvrant du Tapis de Loge qui contient tous les symboles de notre atelier. Partir des piliers pour descendre vers le Pavé Mosaïque, c’est, me semble-t-il, adopter l’attitude du Créateur. Ce double cheminement contraire me montre que mes démarches et mes réflexions doivent être complémentaires, que je ne peux concevoir le haut sans connaître le bas et que le bas n’existe que par le haut. Il me ramène à l’infiniment petit et l’infiniment grand pascaliens. Il me rappelle que sans construction, mon humilité est stérile et que sans mon humilité, ma construction n’est qu’illusoire et factice. Voilà le cinquième enseignement que m’apporte le  Pavé Mosaïque.

Il est étonnant de découvrir combien un simple damier rectangulaire et bicolore peut induire de vérités différentes et cependant complémentaires. Le Pavé Mosaïque m’apparaît unitaire, binaire, dual, ternaire par les piliers qui l’entourent. Je le vois en même temps carré et long. Il me semble plat mais profond. Je le vois noir, mais aussi blanc. Il me mène à la voûte étoilée et m’enracine dans le sol. Il trace ma route vers l’Orient. Il me sépare des Compagnons et Maîtres. Il est mes contraires. Il est ma rupture. Il est mon lien. Il est celui qui me rassemble. Il est celui qui me commence. Il est celui qui me finit. Il est la base de ma construction de l’Oeuvre. Il est mon aboutissement terrestre de la création du Maître d’œuvre.

Il est mon ouverture puisqu’il m’a permis d’y réfléchir, d’y penser, de m’endormir avec lui, de me réveiller en le sentant à mes cotés, de veiller tard et d’être le sujet de mon premier véritable travail de réflexion maçonnique. Il fut mon compagnon de longues et passionnantes soirées de recherches dont je ne peux vous faire partager toutes les découvertes en si peu de temps, mais qui me permettront de progresser et m’ont donné, si besoin était, le désir d’approfondir encore et encore ce que je n’ai fait qu’effleurer.

J’ai dit.

Jean-Christophe D\


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