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Du Zéro à l'Infini

ll est difficile de dater le premier zéro de l'histoire, puisque les plus anciens documents connus contenant ce signe ne remontent pas au-delà du IIIème siècle avant J.C.
Cela ne signifie pas qu'il n'ait pas été utilisé dès avant cette époque, mais quoi qu'il en soit, ce signe ne fut jamais conçu, dans l'esprit des savants babyloniens, dans le sens de "nombre zéro".

En effet, chez eux le zéro est représenté par un double clou (ou double chevron) qui eut certes la signification du "vide" (plus exactement de la place vide à l'intérieur d'une représentation chiffrée), mais il ne semble pas qu'il ait été pensé dans le sens de "rien".

Dans un texte mathématique, le scribe, ne sachant pas exprimer le résultat d'une soustraction, conclut ainsi: 20 moins 20…tu vois.

De même, dans un autre texte mathématique de Suse, alors que l'on s'attend à trouver un résultat égal à zéro, le scribe écrit: le grain est épuisé.
Vide et rien étaient déjà conçus, mais n'étaient pas encore considérés comme des synonymes.
Si l'on est sûr à l'heure actuelle que ce sont les Indiens qui ont bien inventé le concept du zéro, auquel ils ont su donner non seulement le sens de la "place vide" mais aussi celui de "nombre nul", il faut noter que les symboles numériques indiens ont été utilisés depuis la fin du VIème siècle jusqu'à une date relativement récente.

La plus ancienne inscription sanskrite du Cambodge (et par ailleurs de toute l'Asie du Sud Est) date de l'an 598 de notre ère.
Le zéro y est représenté par le mot "amvara" qui signifie "espace".
Dans d'autres documents, il sera signifié par les termes "vide", "ciel", "atmosphère", "éther", "point", "infini", "voyage sur l'eau", "pied de Vishnu", "plénitude, totalité, intégrité, "achèvement"…

Le plus ancien document authentifié actuellement connu faisant usage du zéro, remonte à l'année 458 de notre ère.
Il s'agit du Lokavibhâga (ou "Les parties de l'Univers"), traité de cosmologie Jaina.

L'expression "moins un" y est rendue par rûponaka (mot à mot : "diminué de la forme") et le concept de zéro y est désigné par shûnia ("vide"), ou encore kha, gagana, amvara ("ciel, atmosphère, espace").

L'éther, "âkâsha", était le dernier et le plus subtil des 5 éléments de la philosophie hindoue, l'essence de tout ce qui est supposé incréé et éternel, l'élément qui pénêtre tout, l'immensité de l'espace, voire l'espace lui-même.

Après les Babyloniens, et certainement avant les Mayas, les savants indiens venaient d'inventer le zéro.
Pourquoi l'ont-ils représenté sous la forme d'un cercle et non d'un point, puisque ils le nommaient verbalement ainsi quelquefois (bindu)?

Dans les dessins et les pictogrammes , le cercle est regardé, depuis toujours, comme la figure même du ciel et de la voie lactée dont il indique symboliquement à la fois l'activité et les mouvements cycliques.

Le point est certes la figure géométrique la plus "insignifiante" qui soit, cette figure constituant elle-même un cercle réduit à sa plus simple expression, puisqu'il s'agit d'un cercle réduit à son centre.
Mais pour les Hindous, le bindu est le symbole de l'univers dans sa forme non manifestée, et donc une représentation de l'univers avant sa transformation en monde des apparences. Or, selon les philosophies indiennes, cet univers incréé serait doté d'une énergie créatrice, capable de tout engendrer: ce serait donc bien le point causal. C'est la figure géométrique la plus élémentaire, mais qui est susceptible d'engendrer toutes les lignes et toutes les formes possibles.

Le point graphique en est venu à constituer lui aussi une représentation du zéro dans certains systèmes et notations vernaculaires de l'Asie du Sud-Est (chiffres shâradâ du Kashmîr et inscriptions khmer du Cambodge ancien…).

Le shûnia signifie alors non seulement le vide, l'espace…, mais aussi le non-créé, le non-produit, le non-être, la non-existence, le non-formé, la non-pensée, le non-présent, l'absent, le néant, la non-substantialité, le peu de chose, l'insignifiance, le négligeable, le rien, le nul, la nullité, la non-valeur, le peu de valeur, le sans-valeur et le rien qui vaille. Tout cela au-delà du concept éminemment abstrait que représentait cet opérateur arithmétique.

Jusque là symbole numérique ou signe graphique ne servant qu'à marquer l'absence des unités d'un certain ordre, il devient synonyme de ce que l'on appelle aujourd'hui "nombre zéro" ou "quantité nulle", et se trouve rangé dans la catégorie des nombres (samkhyâ).

Espace, infini (ananta). Dans la philosophie Hindoue, l'ananta désigne un immense serpent représentant l'éternité et l'immensité de l'espace. Il est montré reposant sur les eaux primordiales du chaos originel et supporte Vishnu couché, lorsque celui-ci se repose entre deux créations du monde, flottant ainsi sur "l'océan d'inconscience". On le représente toujours lové sur lui-même, en une sorte de 8 couché (semblable au symbole ∞). IL est considéré comme le grand roi des nâga (serpents).

Le nom du serpent est ainsi devenu synonyme de zéro.
Les nâga sont considérés comme des esprits des eaux. Ils sont aussi considérés comme les princes de la poésie, mais censés avant tout être les maîtres des nombres. Egalement princes de l'arithmétique, ils symbolisent la multitude indénombrable et sont mis en association avec le rythme des saisons et les cycles du temps.

Shesha, le Nâga aux sept têtes, c'est étymologiquement le "vestige", "celui qui reste". C'est le serpent originel, fils de l'immortalité, vestige des univers détruits et germe des créations futures. Il représente ainsi la nature primordiale, la durée sans limite de l'éternité et l'immensité sans bornes de l'infini.
Les sept têtes représentent le royaume souterrain des nâga, chacune étant associée à l'un des sept enfers qui constituent les "mondes inférieurs" qui se situeraient juste en dessous du "Mont Meru, le centre de l'univers, composé lui-même de sept faces, orientées chacune vers l'un des sept "océans" et vers l'une des sept "îles-continents".

Le Mont Meru, montagne mythique et sacrée des religions indiennes, et qui se trouve associée symboliquement au nombre sept, reçoit ses feux précisément de l'étoile Polaire, située exactement sur la même ligne que cet "axe du monde".
Esprit de l'eau première, le serpent est l'esprit de toutes les eaux, que ce soit celles du dessous, celles qui courent à la surface de la terre ou celles du dessus.
"Tous les serpents possibles, écrit H. Keyserling, forment ensemble une unique multiplicité primordiale, une indénombrable chose primordiale, qui ne cesse de se détériorer, de disparaître et de renaître. "
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Le serpent symbolise donc la vie.
En arabe, le serpent se dit "al hayyah" et la vie "al hayat". René Guénon ajoute, ce qui est capital qu'al Hay , l'un des principaux noms divins, doit se traduire non par le vivant, comme on le fait souvent, mais par le vivifiant, celui qui donne la vie ou qui est le principe même de la vie.
Le serpent visible n'apparaît donc que comme la brève incarnation d'un Grand Serpent invisible, causal et intemporel, maître du principe vital et de toutes les forces de la nature. C'est un vieux dieu premier, qui anime et qui maintient.

Tout finit par retourner au chaos fondateur. Telle est la signification de l'Ouroboros, serpent qui se mord ou qui "avale sa queue".
Cercle incarnant l'Eternel retour, indiquant qu'un nouveau retour coïncide avec une fin, dans une éternelle répétition, ou encore que le terme d'une voie et son début sont une seule et même chose, dans une autre dimension.

A travers sa mue, le serpent semble rajeunir perpétuellement, mais au-delà de cette renaissance sans fin, il signale l'existence d'un indifférencié d'où toutes choses sont sorties et à laquelle elles retournent.
Passant sans cesse par la même phase de "mort et résurrection", projection de cet Ouroboros sur terre, l'homme est supposé atteindre à cet indifférencié divin qui se tient au-delà de toute dualité pensable, non plus dans un face à face de la créature face à son créateur, mais dans un retour à l'Un qui vit au plus profond de lui.

En alchimie, l'Ouroboros désigne à la fois le principe et la finalité de l'oeuvre, qui est la découverte de l'Un, et à la fois au-delà et en deçà de cet Un, d'un "Un qui n'est pas", d'un "Néant Suressentiel" dont surgit cet Un, tel qu'il apparaît dans le plus vieux traité alexandrin d'alchimie appelé le "Traité de Cléopâtre".

Les philosophes musulmans portaient un intérêt particulier à ce "non-être", à ce "non-existant", à ce "néant créateur" exprimant ainsi ce que Maître Eckhart appellera "la Déité d'avant Dieu"

On revient au zéro des Mayas qui le représentaient sous la forme d'une coquille ou d'un escargot (lui-même symbole de régénération périodique). Dans la mythologie du Popol-Vuh, le zéro correspond au moment du sacrifice du Dieu-Héros du maïs par immersion dans la rivière, avant qu'il ressuscite pour monter au ciel et devenir le soleil. Soleil symbole de résurrection et d'immortalité.

Il ne s'agit pas de retourner au néant, mais bien à la vacuité du fana des soufis, lorsque plus aucun avoir n'est nécessaire, la conscience de l'être devenant celle du monde, l'être devenant le vide qui sépare le cycle accompli de celui qui va commencer.
Il s'agit de réintégrer l'Un, passer du Deux à l'Unité.

Le zéro est synonyme de porte, de passage obligé pour toute naissance, y compris celle du Dieu.
C'est ce que Jacob Boehme exprime lorsqu'il évoque non pas le Dieu figé du dogme, mais Dieu en création de Lui-même.
Il s'agit de la création au moment particulier où le o (le Néant) Se rencontre lui-même, coïncide avec lui-même, et de ce fait Se déchire.

Ce moment qui résulte du "big bang" entre le o (le rien) et l'infini (le tout) est celui où l'ëtre accouche de lui-même, c'est-à-dire où l'Un apparaît. C'est du chaos originel, du zéro se rencontrant lui-même, que sort l'univers, comme la création naît du chaos que l'artiste porte en lui.

En alchimie, le plomb symbolise le chaos matérialisé, incarné. L'or symbolise, de la même manière, la création finalement délivrée du vide qui l'abolissait.

L’œuvre alchimique est progressive. La quête avance sans cesse et jamais ne s'achève. Le soufre et le mercure réagissant l'un sur l'autre nous ont introduit en cet endroit si sombre, au plus profond de nous même, où tout se confond, juste avant que chaque chose naisse à sa propre nature.
Le vitriol dissout même jusqu'à l'ombre qui y règne et mène à la putréfaction.

Le fond ultime de l'ombre, c'est le o, le néant créateur.

La Divinité est d'abord le Néant. Il faut qu'elle apparaisse en un commencement, nous dit Jacob Boehme. Elle n'était fondée en rien, elle va se fonder dans une image primordiale qui sera sa Sagesse. La Sagesse est l'image de Dieu dans un corps qui est la forme humaine.
Et la sagesse humaine ? Reflet, projection de cette image ?
Quelques lignes tirées d'un rituel maçonnique pourront nous aider à aller plus loin dans notre réflexion:

Grand Maître: Que vous a-t-on appris ?
Maçon Très Libre: On m'a dit : "Dieu est".
Grand Maître: Que vous a-t-on dit de plus ?
Maçon Très Libre: Entre Dieu et votre conscience, ne permettez à personne de s'interposer.
Grand Maître: On a ajouté: "Vous le nommerez Dieu, Créateur, Providence, Nature, Loi,
Force, Energie, Vie suivant les tendances de votre esprit.
Soyez avant tout sincère; défendez votre liberté contre autrui et contre vous-mêmes ; ne portez jamais atteinte à la liberté d'autrui.
Vénérable Orateur: Tel est en effet le dernier mot de la sagesse humaine….

Il faut suivre le cheminement de la pensée de Jacob Boehme pour revenir au Commencement .

Il part d'une Déité qui, en soi, est totalement inaccessible. Comme l'Infini des Cabalistes,
En-Soph, cet Absolu n'a pas de nom. Il n'est pas Dieu. Il est le Néant.

Cette Déité "pure" n'est pas la Sainte Trinité. Elle n'est pas plus la lumière que les ténèbres, pas plus le bien que le mal. Elle est, en soi, absolument inconnaissable. Comment le Néant serait-il connu ?
Cette Déité conçoit le dessein de se révéler. Elle "sort d'elle-même" pour réaliser ce dessein.

Le Dieu de Boehme crée pour être connu. Mais c'est à l'homme qu'il se révèle.
Cette volonté divine de se révéler à l'homme est absolument souveraine. Elle est la liberté.
"Le désir de la liberté est doux et lumineux", dit-il. "Dieu est son nom"

G\ H\ 

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