Obédience : NC Loge : NC 15/04/2014

 

L'égrégore en Franc-Maçonnerie

Dernièrement notre T\ C\ F\ Jean-Charles nous a livré, lors de libres propos, sa définition de l'égrégore en Franc-Maçonnerie, mais j'ai voulu apporter ma contribution à ce sujet, que j'ai déjà traité par ailleurs, et envisager toutes les voies qui s'y rapportent car ce mot est très souvent décrié, voire même traité d'imaginaire par bon nombre de Maçons.

L’égrégore en Maçonnerie est assimilé à une alchimie de groupe, car il sacralise un espace temps unique qui élève l’ensemble des Frères jusqu’au sublime, voire même au merveilleux, lorsque les travaux dépassent la connaissance et atteignent la dimension de l’esprit.

De tous temps des Temples et des Cathédrales ont été élevés à la gloire d’un Dieu ou d’un principe supérieur et créateur qui régit tout l’univers, afin d’y trouver cet égrégore.

Ces monuments sont des catalyseurs qui attirent celui qui erre sans but afin de lui redonner espoir en un monde meilleur. Pour le transcender, un certain nombre d’allégories, de fresques ou de médaillons ont été élaborés par des Maîtres d’œuvres pour illustrer ainsi le parcours alchimique.

Cependant, outre le fait religieux, certains Frères ont parlé de syncrétisme, c’est-à-dire d'un rassemblement de doctrines disparates, d'allégorie, de sens « herméneutique » du mot, c'est-à-dire l'art d'interpréter, de fabulation, d'invention d'occultistes et de magiciens, des excès d'un spiritualisme trop attaché aux seules émotions, d'illusion, d'unanimisme spiritualisant, de moyen de conditionnement plutôt que de moyen de libération, de dérive sectaire ou encore de fluides qui devraient s'unir.

Mais qu'en est-il exactement ?

Le mot « égrégore » serait né d’une succession d’erreurs d’interprétation et de traduction d’un texte araméen et de ces versions grecques. On en trouve trace dans la littérature apocalyptique hébraïque, notamment dans le Livre d'Henoch, qu'on peut interpréter comme le veilleur, ou encore l'éveillé du grec « egrégoroî », ou du latin « egrégori » d'où en est découlé le néologisme Français d'égrégore. Il aurait été utilisé en fait par Stanislas de Gaîta (poète et occultiste de la fin du 19ème) qui parla d'entité occulte, comme d'un être caché ou non visible. C'est ensuite son Secrétaire, Oswald Wirth, qui l'introduit dans la Maçonnerie Française, puis repris par un certain Marius Lepage en 1935 et codifié plus récemment par notre T\ C\ F\ Jules Boucher. Sa définition de l'égrégore serait une « entité », un être collectif issu d'une assemblée, en quelque sorte une âme de collectivité. Si le rituel permet une transmutation spirituelle on parle aussi de fusion dans le sacré et de sensibilité collective, cette notion qui aurait été inventée par les occultistes contemporains. René Guénon, dans son ouvrage « Aperçus sur l'initiation », nous dépeint l'égrégore comme des forces d'ordre subtil, constituées par les efforts de tous les membres passés et présents, qui constitueraient une entité collective d'influence spirituelle. Un peu comme la matérialisation de miracles réalisés en des lieux de pèlerinage, jouant ainsi le rôle de condensateur, ce qu'on retrouve d'ailleurs à Lourdes ou à Jérusalem. Cette force collective serait une communion, d'après certains philosophes et sociologues, qui représenterait le degré maximum de fusion des consciences. On retrouve là la notion d'inconscient collectif, cher à Carl Gustav Jung, comme le résumé des expériences intérieures de l'Humain.

Outre les définitions trouvées sur internet ou sur quelques dictionnaires, il en résulte que l'égrégore serait un concept ésotérique, destiné à canaliser les émotions, en créant une unité dans la diversité par l'envoi de pensées bienveillantes. On parle même d'un être collectif autonome composé d'une multitude d'influences qui s'unissent autour d'un centre commun. Les énergies psychiques émises par chaque membre d'un centre représenteraient ainsi un ensemble de mouvements vibratoires.

Qu'il se manifeste dans la Chaîne d'Union est certainement une vibration qui se communique par le toucher et les esprits qui se concentrent, mais cette vibration à peine perceptible qui se transmet par les mains unies et qui traverse le corps, comme le dit notre T\ C\ F\ Jean-Charles, souligne sans doute le point final d'une Tenue qui scelle le bonheur d'être ensemble et ce ressenti qui ne peut être traduit par les mots.

Pour ma part je vais vous livrer mes propres impressions :

Je me suis toujours demandé si cet égrégore n'est pas un nuage d'idées, et s'il arrive à se propager en Franc-Maçonnerie, par les mots d'abord et par l'effet d'entraînement que le dialogue qui nous rassemble devrait susciter. Je doute des bienfaits de l'égrégore qui ne se produirait que dans certains cas, lors d'une réunion de Maçons, particulièrement riche, dans un climat apaisé et dépassionné... Si tout le monde envoie des pensées métaphysiques et psychiques, d'une façon virtuelle certes, pourquoi ne pas sentir cette union des cœurs et des âmes sans pour autant que le rituel ou la sacralisation d'un lieu soit les seuls vecteurs de propagation. J'espère toujours que la voie des ondes nous élève vers cet égrégore et qu'elle arrive à nous transcender, mais là j'en doute de plus en plus.

J'ai entendu dire de la plume d'un Maçon, qui ne doit certainement pas travailler au REAA, que « l'égrégore serait une pensée magique ou religieuse, comme si l'on attendait que la colombe du Saint-Esprit vienne se percher dans la voûte étoilée pour une nouvelle Pentecôte ».

Oui l'égrégore est sans doute un mirage, une utopie, mais si le terme d'égrégore se résumait uniquement à cela, on pourrait penser qu'on est effectivement dans le domaine du magique, de l'irréel, de l'irrationnel ou encore de l'inconcevable, car le folklore fait aussi parti de nos traditions.

Tel un serpent de mer ou le monstre du Loch Ness, on en parle souvent sans savoir réellement si il existe. Pure invention de mystique dirons certains, ou encore pure science profane pour d'autres. Pourquoi pas ! La terre est ronde pour tout le monde mais quelques uns peuvent la voir carrée, comme la quadrature du cercle pourrait le laisser penser, mais là chacun aura sa propre opinion à ce sujet.

Le propre du Maçon est de chercher, se chercher soi-même, chercher la vérité, chercher à comprendre aussi les mystères de la vie, percer les symboles, atteindre la connaissance, ceci par la voie de l'initiation. Mais alors que dire de l'initiation ? est-ce aussi une chimère, une pure invention, un artifice que l'on utilise pour faire croire aux profanes qu'ils vont se transformer, qu'ils vont découvrir des secrets bien gardés, une véritable Fraternité ou encore voir la lumière et chercher une vérité par la connaissance ?

Je crois que pour lâcher prise du monde profane, il faut une bonne dose d'inconscience pour entrevoir une autre dimension, rêver peut-être pour dépasser la réalité et envisager un autre état de conscience.

Je ne sais pas si chacun d'entre nous découvrira un jour ce qu'il est venu chercher en F\ M\ ? Le mysticisme peut nous aider, certes, mais est-ce que la spiritualité laïque, comme disent d'autres, n'est pas un leurre qui aide à faire prospérer l'idée même de la transformation ? Rien qui soit humain ne nous est étranger, mais tout ce qui nous est étranger n'est peut-être pas humain.

Au REAA, l'entrée et la sortie se font en musique, et chaque morceau approprié pour chaque événement contribue à établir un cérémonial harmonieux. Lorsque quelques fois, certainement dans de rares occasions, le déroulé de notre Tenue se passe sans anicroche, que chacun trouve le bon tempo, que le travail présenté et les interventions permettent d'élever le niveau vers l'excellence et l'extraordinaire, que le temps semble passer trop vite, que les frissons nous transpercent, quand l'intensité est à son comble, nous créons une ambiance propice à la réunion de tous les ingrédients qui permettent de trouver l'harmonie.

Juste avant de sortir, lorsque nous chantons « ce n'est qu'un au revoir mon Frère », à ce moment-là plus rien n'existe car nous sommes seuls au monde, et cet instant reste gravé en nous aussi longtemps qu'une autre Tenue du même type remplace ce souvenir. L'optimisme prend le dessus sur le pessimisme et nous sommes heureux d'avoir vécu un tel moment, d'avoir tous contribué à l'excellence de ce moment si particulier et si rare.

Alors on peut penser qu'il s'agit d'un bon moment tout simplement, mais je trouve quand même que le mot égrégore est bien adapté à cette sensation si particulière...

La plupart des Loges n'ont jamais connu une telle vibration, un peu comme en amour où l'osmose n'existe que très rarement. C'est à nous de laisser à la porte du Temple nos soucis, nos peines, nos malheurs, nos métaux ou encore nos passions exacerbées, pour laisser s'installer un climat détendu et favorable à la propagation de telles conditions particulières. Après tout notre salaire n'est que moral et il nous fait du bien, c'est cela le principal.

Le premier exploit de la vie est d'arriver à relativiser la peur de la mort, du néant, car nous ne savons pas d'où nous venons et où nous allons. Ce passage nous amène au seuil de nous-mêmes et nous force à regarder notre intérieur pour découvrir un autre moi qui pourrait nous ressembler, et pourquoi pas nous survivre. Je pense que pour se rassurer il faut d'abord s'aimer, et pour cela il faut apprendre à se connaître pour mieux appréhender le sort qui nous attend. Le bonheur est en nous, comme la concrétisation de notre amour qui ne pourrait aimer que soi-même. L'égoïsme fait sans doute partie intégrante de notre être, afin peut-être de se protéger des autres et du monde extérieur, comme si nous étions seuls au monde face à notre destin funeste.

Alors, si la F\ M\ permet d'oublier la dure réalité de ce passage, si éphémère, c'est peut-être parce que l'autre que nous découvrons en Loge, est aussi un miroir qui nous confronte les uns et les autres, les uns aux autres, lorsque nous nous faisons face sur les colonnes.

Il s'agirait d'un même élan, d'une même ferveur, du même besoin de rechercher la vérité pour apaiser nos propres peurs par une envie commune de rêver à un idéal commun. Alors à quoi bon chercher une vérité qui nous échappe, et même si l'égrégore a été inventé par l'homme, comme la religion ou les droits de l'homme, n'est-ce pas cette émulation de groupe qui permet parfois de ne faire qu'un, ou de nous laisser envahir par cette recherche ouverte, commutant notre cœur à ceux des autres ?

Nous avons tous des secrets à préserver, des pensées personnelles, que nous ne dévoilons jamais et que nous gardons à double tour, les dissimulant par de l'agressivité, de la timidité ou de la pudeur.

Au-dessus des soucis de la vie matérielle s'ouvre pour nous le vaste domaine de la pensée, alors cet égrégore n'est-il pas l'action qui manque à cette dimension si vaste et si méconnue ? Je plains ceux qui n'aiment rien ou qui se gaussent des croyances des autres, la tolérance est un acte d'humilité et personne ne peut juger la foi d'autrui. Je crois pour ma part à cette thérapie de groupe qui permet d'élever son âme ou son esprit à la hauteur des sentiments que peuvent stimuler ou procurer la F\ M\, dans un élan émotionnel dont le point d'orgue est la chaîne d'union.

Les paliers sont nécessaires pour passer du brouhaha de la vie profane à la quiétude de l'espace sacré, et quand nous arrivons à canaliser notre énergie en élevant nos cœurs vers une réflexion commune, ne trouvons-nous pas un certain apaisement, une plénitude qui peut parfois nous amener vers le sublime et le merveilleux ?

On peut bien sûr tout expliquer, ou tout au moins essayer de tout expliquer, mais comment peut-on décrire le phénomène alchimique de la F\ M\ ? Comment justifier que ce besoin de maçonner qui nous anime est autre chose que de la pure curiosité ? Comment expliquer que des milliers de Maçons à travers le monde se retrouvent sur la même longueur d'onde ? C'est simplement inexplicable et inexprimable, sauf à s'étourdir de justifications sans cause et sans raison. L'élévation philosophique et spirituelle ne dépend-t-elle pas plutôt du domaine du ressenti ? Alors si nous cherchons, peut-être trouverons-nous un égrégore, un but ou du plaisir, mais en fait n'est-ce pas la même chose ?

Quand on pose la question au profane qui frappe à la porte du Temple, « que venez-vous chercher en F\ M\», que pensez-vous qu'il puisse répondre ? un peu comme si l'on demandait à un aveugle ce qu'il espère voir, la foi permet de croire sans avoir vu, mais sa réponse sera sans doute évasive, car le profane ne sait pas ce qu'il va trouver. Si on demande au coeur pourquoi il bat, ou au cerveau pourquoi il réfléchit, ils peuvent répondre que chaque organe ne vit et prospère que dans le seul but de faire vivre le tout.

Si la F\ M\ sert à catalyser ou à canaliser toutes les réflexions pour les porter au paroxysme, c'est qu'elle nous enrichissent par leurs portées, leurs différences et leurs diversités, à moins bien sûr de tomber dans un groupe de recherche scientifique qui ne verra que doute et pragmatisme. La somme de toutes ces pensées ne forme-t-elle pas une réflexion commune qui permet de vaincre l'absurdité et de transmuter les esprits vils en pures esprits ?

L'intérêt de cette alchimie réside peut-être dans le mélange des individualités pour former un tout cohérent, cohérent d'abord avec soi-même et cohérent avec les autres. Cette action est peut-être une réaction à l'engourdissement des sens, au développement de la vision égocentrique de l'humanité et de l'univers qui permet de susciter de l'engouement, voire même de l'amour « Fraternel ». N'y a-t-il pas dans l'amour une vision aveugle qui attire les cœurs en faisant oublier les défauts, alors l'égrégore n'est-il pas aussi un instant harmonieux qui fixe la sérénité et le beau ? Une osmose qui élève la méditation vers le sublime lorsque le débat s'élève.

Je suis donc j'existe, je pense donc je vis, je maçonne donc je vibre, c'est simpliste mais si vrai. Le F\ M\ qui vibre n'est-il pas un F\ M\ en action qui met en œuvre des sensations, des émotions, des sentiments, des idées et des expériences, pour exprimer le fond de sa pensée intime. Si tous les F\ F\ M\ M\ arrivaient à exprimer cette pensée intime, nous arriverions sans doute à dépasser l'entendement par un même élan ascensionnel, élever la réflexion au plus haut niveau de l'intellect, ce qui serait déjà une victoire sur l'immobilisme et la régression.

L'Homme peut inventer des mots pour définir ce qu'il veut exprimer, rien ne l'en empêche et rien ne le déconsidère, même s'il est ridicule et peut se tromper en voulant croire à des illusions. La mise en condition en F\ M\ est très théâtrale lorsqu'on pratique un rite, et cela aboutit à se désinhiber et à provoquer des effets de béatitude.

Lorsque des foules s'agglutinent dans un stade pour participer à la victoire de leur équipe et vibrer à l'unisson, lorsque des fidèles croyants vont à l'église pour communier, ou encore lorsqu'on monte sur sa chaise lors d'un concert pour vibrer au son de la musique, n'est-ce pas aussi cela l'égrégore ?

Travailler sur la pierre brute c'est aussi découvrir ce qui est caché, découvrir cette latence qui nous avait échappée et que nous pouvons transcender. Bien sûr manier le verbe et décrire ce que l'on ressent est un exercice très difficile, que peu d'entre nous arrive à maîtriser. Mais la satisfaction de trouver ce que l'on cherche peut s'exprimer de différentes manières. En écoutant on peut entendre ce que d'autres ne percevront pas, et transformer cette écoute en silence intérieur pour mieux percevoir l'indicible, comme l'inaccessible. Cela peut nous amener sur la voie de l'égrégore, car ici tout est symbole. Alors si l'égrégore est aussi un symbole lié à la magie, autant croire ce que l'on ressent et non vouloir ressentir ce que l'on croit. Avant de parler de pure invention, ou encore de concept d'origine occultiste, non conforme à la tradition maçonnique, inconnu de la maçonnerie universelle et inventé au XIXème par de dangereux zozotéristes, mes T\ T\ C\ C\ F\ F\, réfléchissons ensemble au vécu de chacun d'entre nous et posons-nous la question de savoir quel est notre idéal ?

Chacun y trouvera sans doute sa définition, à condition de relativiser le sens que l'on veut bien lui donner. Si le bonheur de nous retrouver n'existe plus, si la fadeur de nos échanges n'apportent que résignation et rancœur, si le concept de F\ M\ ne devient qu'une illusion, si le secret de la pratique d'un rite n'est qu'un miroir aux alouettes destiné à attirer des gogos, je me demande ce que nous faisons encore là ? L'égrégore est sans doute une probabilité, féconde et associative, qui se transformerait en corps spirituel, il s'agirait donc d'une personnalisation de la pensée idéale, une pensée utopique qui pourrait se propager au monde et à l'univers afin de rendre tangible l'idée même de la beauté, de la paix et de la sagesse.

Il doit bien exister un endroit sur Terre, où l'espoir nous emplit de joie et où le découragement ne serait qu'un défaut de l'existence. Je ne peux pas croire que nous venons en F\ M\ par curiosité, car cet endroit n'est-il pas l'espace que nous sacralisons pour donner libre cours à notre imagination. Le rêve est un véhicule qui nous fait voyager vers le fantastique, l'improbable, l'exceptionnel, le divin... Cette parcelle de divin que nous avons tous en nous, certains la trouverons, et d'autres pourront la chercher toute leur vie, même si le cartésianisme reste la voie de la réalité et de la vérité, voire même de la sagesse, mais si nous ne rêvons plus, même à l'indicible espoir de trouver cette émotion commune, nous devenons banal et sans espoir.

J'ai dit.

C\ D\


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