GODF Loge : Le Temple d'Edfou 07/12/2009

L’Egrégore


Le mot « Egrégore » est un des vocables du jargon maçonnique, mais il ne s’agit pas d’un mot banal ou habituel. Il n’apparait en effet dans aucun de nos dictionnaires classiques tel le « Robert » ou le « Larousse ». On en trouve cependant une définition dans « Le Dictionnaire Universel De La Franc-Maçonnerie » de Daniel LIGOU qui le définit ainsi : « Egrégore, terme employé par les symbolistes pour désigner la force de cohésion dans un groupe humain – en Franc-maçonnerie, une Loge ». C’est un mot également utilisé parfois dans la Vie profane, on l’entend ici ou là et seront ainsi évoqués l’Egrégore des Sectes, celui des Nazis, l’Egrégore de la Famille, d’un Parti politique, d’une Religion voire même d’un club de Foot. On évoque dans la littérature des Egrégores blancs ou positifs et d’autres noirs qui mèneront leurs adeptes vers les Forces des ténèbres. Comme l’Ange Gabriel, l’Egrégore pourrait donc avoir une aile de Lumière et une aile d’ombre. On comprend mieux alors pourquoi, au côté des égrégores éveilleurs, protecteurs et donneurs de Lumière peuvent  en exister d’autres qui sont, eux, dévastateurs, diviseurs, pernicieux, et que ceux là peuvent véritablement nuire à l’ Humanité.
Quoi qu’il en soit, l’origine du mot est loin d’être évidente.

La première acceptation pour l’origine du mot Egrégore est Egrégoros qui nous vient du Grec par traduction de l’Hébreu du livre D’ENOCH et qui vient lui-même du verbe Egrêgorein. Egregoros a la double signification de  « veilleur » et d’ « être collectif » soit la signification d’un être collectif dans un état de veille. Les Egrégores étaient en effet selon les légendes juives des Anges qui s’unirent aux filles de Seth, lui-même fils d’Adam et engendrèrent des Géants. Ils sont appelés ainsi parce qu’établis sur le Mont Hermon, ils jurèrent d’y « veiller » jusqu’à ce qu’ils eussent possédé les filles des Hommes.
Cette définition nous ouvre donc la voie biblique classique.

Si l’on cherche la source du mot dans le latin, l’étymologie la plus parlante est « ex : sortant de » puis » gregs,gregis : le troupeau, la foule, l’ensemble ». Il s’agirait dés lors de l’Energie qui pourrait émerger d’une Réunion de personnes. On approche alors au plus près la deuxième acceptation purement occultiste celle-là qui n’est apparue que dans la deuxième moitié du XIXème siècle avec des auteurs tels Saint-Yves d’Alveydre, Alphonse louis Constant alias Eliphas Lévi, Stanislas de Gaïta, co-fondateur de l’ordre Kabbalistique de La Rose Croix et Oswald Wirth de qui on peut dire qu’il fut le premier maillon à transmettre à la Franc-maçonnerie le concept occultiste de l’Egrégore. Un concept qui définit l’Egrégore comme une entité propre constituée de l’ensemble des énergies cumulées de plusieurs personnes vers un but ou une croyance définis par elles.

Robert Ambelain, auteur de « La Kabbale pratique » dit : « On donne le nom d’Egrégore à une force engendrée par un puissant courant spirituel et alimenté ensuite à intervalles réguliers, selon un rythme en harmonie avec la Vie universelle du Cosmos, ou à une réunion d’entités unies par un caractère commun. Dans l’invisible, hors de la perception physique de l’Homme, existent des êtres artificiels, engendrés par la dévotion, l’enthousiasme, le fanatisme. On appelle ces entités, des Egrégores. Robert Ambelain fait donc un doux mélange de la voie biblique et de la voie occultiste.

Dans les nombreux ouvrages que j’ai dû consulter afin de mieux appréhender ce concept d’Egrégore, on le définit comme un accumulateur d’énergie, on le considère comme une forme-pensée chargée d’énergie émotionnelle, l’ordre de la Rose-Croix nous dit que son égrégore constitue une idée-force, qu’il est un champ d’énergie cosmique. On le décrit également comme un champ psychique global et tentaculaire qui relie les membres d’une même communauté et qui ont les mêmes intérêts. Il représente l’inconscient collectif d’un groupe, et ce sont les courants émotionnels, mentaux et spirituels émanant de l’ensemble des membres de ce groupe qui élaborent une forme-pensée pour ensuite la structurer. Plus la Forme-pensée est alimentée et plus son rayonnement s’étend, mais moins elle est nourrie et plus sa force s’affaiblit. Chaque membre verse son énergie dans l’Egrégore et réciproquement chaque membre reçoit en retour l’influence accrue de toutes les énergies du groupe. Si tous les membres du groupe sont soudés, si chacun est ‘’ sur la même longueur d’onde ‘’, l’Egrégore sera puissant. Si le groupe comporte une ou plusieurs ‘’brebis galeuses’’ qui ne partagent pas la même ferveur que les autres membres, la force de l’Egrégore s’amenuise et c’est ainsi que les Egrégores se créent, se développent, puis peuvent s’anémier jusqu’à disparaître.

L’Eglise catholique est un formidable exemple d’Egrégore, des millions de personnes ont la même Foi dans les dogmes de l’Eglise  et cette foi est canalisée par les prêtres. Mais la religion n’est pas la seule à créer des Egrégores. En Amérique et plus récemment en Europe se forment au sein des hôpitaux des ‘’groupes de prière’’ qui prient donc pour la guérison des malades. On s’est aperçu que les malades bénéficiant de ces prières guérissaient mieux et plus vite que les autres et ceci parce que le ‘’groupe de prière’’, par sa dévotion, va canaliser une Energie de guérison  qui va se mêler à l’énergie du malade, le rendant ainsi plus fort et plus enclin à vaincre la maladie. C’est un autre exemple d’Egrégore. On verra également naître des Egrégores au sein d’une entreprise quand un groupe de travail se forme autour d’un projet par exemple.

Mais les maçons que nous sommes doivent-ils se contenter de s’arrêter à ces quelques définitions, à ces quelques exemples ? Pourquoi ce mot, ‘’Egrégore’’ résonne-t-il de manière si particulière en mon être, quelles sont ces impressions de magie et de mystère qui semblent émaner de chacune des lettres de ce vocable. Pourquoi semble-t-il si vivant en moi et pourtant si difficile à expliquer ? Pourquoi ai-je cette impression que c’est au fond de moi que se trouvent les réponses et non dans les livres pourtant nombreux à traiter de ce concept. Quels secrets cache-t-il en son sein, quelle Parole perdue pourrait-t-il me murmurer si j’accepte de faire le Voyage, si je descends au plus profond de mon être, si je vais à la Source même de la Vie.

Alors je vous propose de remonter le temps, de nous plonger dans le silence de notre monde intérieur et d’écouter au plus profond de nous ce mot : ‘’Egrégore’’. Sa résonnance me mène à lui et si je soulève doucement le voile de la Connaissance qui le recouvre, j’ai l’impression d’être au côté d’un Homme, d’un Homme de cette Humanité première et de voir cet Homme qui petit à petit prend conscience de sa propre existence et de celle de l’autre qui lui renvoie sa propre image dans le miroir de ses yeux. Et l’Homme s’interroge sur cette existence. Depuis les origines, il cherche à expliquer et à personnifier la puissance des forces cachées. Face à des phénomènes qu’il juge surnaturels car il est incapable de les expliquer, il essaie progressivement  de comprendre la nature de l’être, les mystères de l’univers et les principes essentiels de la connaissance, petit à petit, en quelque sorte, il invente la Métaphysique. C’est ainsi que face à des phénomènes bénis comme une excellente récolte, une pluie dans un désert,  ou maudits comme un déluge ou un tremblement de terre,  pour se rassurer, il tente d’attribuer chacun de ces phénomènes à l’existence de figures mythiques et magiques. Oui, depuis les origines, l’Homme a donc créé des Divinités, des Démons, des Esprits, des Anges pour expliquer l’inexplicable et ces entités sont des Egrégores, c'est-à-dire des énergies psychiques engendrés par des croyances. Son Univers est donc avant tout spirituel et rempli de symboles qui jouent finalement le rôle d’intermédiaires entre le monde visible et le monde invisible. Ces symboles sont les chemins qui mènent à la Connaissance  suprême transmise par la tradition, c'est-à-dire la Gnose. Tous ces symboles primitifs, que le psychologue Carl Gustaf Jung a nommé ‘’Archétypes’’ sont donc des accumulations d’Energie qui forment l’Egrégore originel. Celui qui détient les clés de la Gnose.


Serait-ce là la Parole égarée, la Parole perdue au fil du temps, au fil des âges, au fil des Hommes qui petit à petit se sont égarés eux aussi…

De spirituel, l’Univers de l’Homme est devenu physique, matériel, ses cieux ne sont plus remplis de Divinités multiples et rassurantes mais de satellites, de gaz à effet de serre, de bombardiers et de pluies acides. Son ciel est noir et comme dit le poête : « J’ai beau voir le Ciel, rien, rien ne luit là haut, les Anges : zéro… ».

Cependant, l’Egrégore de la Franc-maçonnerie, comme d’autres sur notre planète, concentre des Energies qui visent à retrouver cette « Parole perdue », et c’est par l’influence spirituelle transmise par l’Initiation  et la révélation intérieure que le Franc-maçon mènera sa quête de la Connaissance suprême. L’initiation, c’est comme le Don de la semence de la compréhension des symboles primitifs et des rites qui rendent immortel l’Egrégore originel.


Ces symboles primitifs, ces archétypes que Jung définissait comme étant l’inconscient collectif de l’Humanité sont au fond de chacun de nous comme des sédiments déposés au fil des temps. Ainsi, c’est l’âme de nos ancêtres, c’est cette façon primordiale d’appréhender l’Univers, c’est cet enregistrement séculaire que l’initiateur offre à l’initié en passant par l’Egrégore, c’est l’âme du groupe et à travers elle l’âme divine qui apporte à l’Initié la Lumière, lui restituant ainsi les secrets oubliés, égarés mais non perdus car bien présents au plus profond de chacun des maillons de la longue chaîne humaine depuis l’aube des temps.


L’Egrégore franc-maçon est donc en quelque sorte un sous Egrégore de l’Egrégore primordial et l’Egrégore que va immanquablement constituer une loge maçonnique est lui-même un sous Egrégore de l’Egrégore de la Franc-maçonnerie.

En effet, la loge, donne vie par son existence à une énergie alimentée par les formes-pensées de ses membres. Et toutes ces pensées dirigées en harmonie vers un même but forment un Tout, une entité propre qu’on appelle ‘’Egrégore’’. Et cet agglomérat d’énergies subtiles joue un rôle d’intermédiaire entre l’esprit et la matière, entre le visible et l’invisible. C’est notre Rituel qui nous montre le chemin et qui, une fois nos métaux laissés à la porte du Temple et le silence intérieur fait en nous-mêmes, fait de nous ces êtres libres qui vont pouvoir s’insérer dans une atmosphère vibratoire aspirant à l’Unité, dans cette magie des symboles qui permet à ce qui est en bas de rejoindre ce qui est en haut et de relier entre eux nos esprits pour nous permettre, chacun à sa place et pourtant fondu avec les autres, d’accéder au Sacré. C’est pour cela que chaque point précis de notre Rituel à une grande importance, chacun de ses mots ou de ses silences, chaque attitude, chaque ingrédient est fondamental et immuable car la réalisation de ce rituel nous permet de nous mettre en phase avec notre passé le plus lointain, de nous mettre en totale harmonie avec nos origines primordiales. De la qualité du Rituel dépendra la force de notre Egrégore, chacun a sa place et pourtant fondu avec les autres.

Et c’est ainsi que peut apparaître ce moment privilégié et subtil au sein de la Loge, ce moment où tous les Frères présents dans le Temple éprouvent le sentiment d’une intense communication entre eux, quels que soient leurs grades et qualités. La magie fraternelle opère, le ‘’vous êtes tous Frères’’ s’incarne véritablement.


Il y a plusieurs moments forts dans le rituel où ce sentiment peut être perçu, il y a l’ouverture des travaux, lors du passage des surveillants, pour se faire reconnaître Apprentis maçons. Il y a le moment où le Parfum sacré brûle au Naos, apaisant nos âmes et nous rendant fraternels les uns pour les autres.

Il y a surtout, à mon sens, ce moment où, à minuit plein, juste avant la fermeture des travaux, notre Vénérable Maître invoque l’Architecte suprême afin que soient écartés de nos yeux le voile du mensonge, des erreurs et des préjugés. Afin que nos âmes soient éclairées par le Feu vivifiant de la vraie Maçonnerie pour que nous puissions entrevoir les plans parfaits de sa Sagesse. C’est à ce moment que notre Vénérable nous invite à former la Chaîne d’Union fraternelle, cette chaîne qui est certainement un des actes les plus significatifs de notre engagement maçonnique mais surtout de nos engagements à travailler pour le bien de l’Humanité toute entière car cette chaîne, si sa présence dans notre rituel vient directement de la maçonnerie opérative, existait déjà chez les Phéniciens et les Egyptiens de l’antiquité.

Cette Chaîne qui forme un cercle symbolique matérialisé par l’ensemble des Frères et sœurs réunis, les mains dégantées, les pieds en équerre, le corps dans la position de la rectitude. Cette chaîne pour laquelle chacun a quitté son plateau pour qu’il n’y ait plus de notion de fonction, de grade ou de qualité. Cette chaîne où chacun croise les bras pour que le bras droit passe toujours par-dessus le bras gauche avec une main droite qui donne et une main gauche qui reçoit, cette Chaîne, renforcée encore par l’exhortation orale du Vénérable Maître, rappelle d’une manière solennelle le lien fraternel qui unit les personnes présentes ce jour là, non seulement entre elles mais aussi à toutes celles qui les ont précédées, à tous les maçons de la Terre et à toutes celles qui viendront après. Cette Chaîne relie donc les Frères et Sœurs  présents à l’Egrégore maçonnique dans son ensemble ainsi qu’à l’Egrégore originel quand elle est assez puissante.


C’est ainsi que parfois, une Harmonie de pensées se crée et le groupe d’officiants parvient à l’Unité. L’espace formé par la Chaîne d’union devient le Mont Hermon au-dessus duquel planent les Egrégores remplis de la Sagesse, de la Force et de la Beauté des légendes mythiques.

Toutefois, il est bon de rappeler, me semble –t-il, que l’Egrégore, à l’image de l’Ange Gabriel, peut avoir une aile de Lumière et une aile d’ombre. Il ne faut donc pas confondre le véritable Egrégore, celui pour lequel il faut œuvrer, celui qui mène à l’Harmonie des âmes, celui qui pourrait sans doute un jour rassembler les êtres humains de manière fraternelle et constructive vers un Avenir de Force et de Beauté, avec certaines connivences d’intérêts matériels, certains regroupements affairistes égoïstes et profiteurs.

Il ne faut pas confondre les ‘’Buveurs’’ de Sang et les ‘’Donneurs’’ de Sang. A l’image de ces derniers, soyons donc des donneurs de Pensées, de Pensées curatives dont le monde a tant besoin.


Alors mes Frères et mes Sœurs, que vos Lumières soient et qu’elles alimentent notre Egrégore pour que la Chaîne d’Union Fraternelle soit désormais si forte entre nous que rien ne la puisse jamais altérer...


J’ai dit,

F\ J\

‘’Dans la Vie, il y a deux catégories d’individus :
Ceux qui regardent le monde tel qu’il est et se demandent pourquoi.
Ceux qui imaginent le Monde tel qu’il devrait être et se disent, pourquoi pas ?’’
George Bernard SHAW

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