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L'Egrégore

Il un mot dans le vocabulaire Maç\ est souvent em­ployé, pas toujours avec le discernement prudent qui conviendrait, c'est le terme "EGREGORE".

Dans le cadre d'une recherche précise, il faut identifier l'étymologie, mais aussi, au gré des cu­riosités lexicographiques, l'acception philoso­phique, voire ésotérique, du terme.

Le propos se présentera en deux parties :

- Les définitions des lexiques et quelques citations, bref les sources.

- Quelques réflexions sur le mot et l'usage qui en est fait en F\M\.

I - La première définition, que nous rencontrons est celle du

Dictionnaire Universel de la F\ M\, le "Ligou". La voici :

"EGREGORE : terme employé par les symbolistes pour dési­gner la force de cohésion dans un groupe humain - ici une Loge -. L'origine du mot n'est pas évidente. On peut penser au latin Grex-gregis, le Troupeau. Mais le préfixe "EE" ("EX") entrerait dans le composé exprimant généralement une idée de sortie. On le comprendrait mal, encore qu'il peut évoquer un "activement".

Notons une autre étymologie, en partant du grec "EYP(R)NYOP(R) CO " - Etre éveillé -.

Le livre d'Enoch, connu grâce à l'Ecossais Jacques Bruce, dans une traduction Ethiopienne, parle d'anges qu'il nomme : "Egrégores" et qui restaient éveillés sur le mont Hermon".

Nous aurions pu nous contenter de cette définition, et nous en tenir à sa dimension symbolique en Loge, abondée des propos de Jules Boucher qui fait "de l'esprit d'un groupement un être autre", qu'il qualifie et désigne du vocable d'EGREGORE.

Mais, nous en tenant au respect de la suite chronologique de nos recherches, il nous faut signaler d'autres définitions du mot.

Le Robert (de la Langue Française, tome III, page 826, 1985, Paris). La voici :

"EGREGORE : - nom masculin - après 1950, Hugo ; grec ecclésiastique : Egrêgoros, "qui veille, vigilant". (en) Didactique : Chacun des anges qui s'unirent aux filles de Seth, qui veillèrent sur le mont Hernzon avant de les posséder (Bible, Livre d'Enoch) ".

Le "Grand Dictionnaire Encyclopédique" Larousse (Paris, 1983, page 3588).

"EGREGORE : - nom masculin - (en occultisme) anges pré­sents sur le mont Hermon. (Les Egrégores furent introduits en oc­cultisme par Stanislas de Guaita pour personnifier les forces phy­siques ou psychophysiques non surnaturelles en formes d'êtres collectifs) ".

Voici donc quel était le responsable de la présence avec un sens légèrement, si ce n'est déformé, du moins très étendu du mot dans notre univers. Le même "Grand Dictionnaire Encyclopédique" Larousse (Paris, 1983, page 5015) donne sous :

"Guaita (Stanislas de) : Occultiste français (Alteville, Lorraine, 1861-I897). Il fonda l'ordre Kabbalistique de la Rose­Croix (1888) et fut le président de la chambre de direction de cette société. On lui doit "Essai de Science Maudite" en quatre tomes, le quatrième, posthume, est paru en 1952 ", ce qui expli­querait que le mot égrégore, en tant que tel, avec le sens que nous lui donnons, n'apparaisse dans la langue qu'après 1950.

Avant d'en finir, avec ces quelques citations, livrons quelques éléments complémentaires :

- Sur Enoch et son livre (Presses Universitaires de France, Dictionnaire des Religions, Poupard, Paris, 1984), quelques ex­traits de la définition suivante : '

"Hénoch : Patriarche antédiluvien. On reconnaît en lui le pendant du roi mésopotamien Enmeduranki, héritier du secret des Dieux et révélateur de leurs mystères. Bien qu'il n'ait dans la Genèse qu'un rôle assez effacé, le personnage d'Hénoch fait l'objet d'un important corpus d'oeuvres dont il n'existe qu'un texte complet en éthiopien".

Nous avons consulté dans la collection des expurgés "Textes pour l'histoire sacrée" (sous la direction de Daniel Rops - J. Bonsirven - Fayard, collection Artheme - 1953) "La Bible Apocryphe en marge de l'Ancien Testament" une version très édulcorée du Livre d'Hénoch, où l'on apprend avec les différents rebondissements des aventures de tous ces personnages "mytholo­giques", la dimension, au moins philosophique que le mot avait sous la plume de ses premiers et lointains utilisateurs.

Il faut donc, pour finir de préciser le cadre bibliographique de cette note, revenir à la citation biblique (Génèse 6.1, 6.2) : il pa­raît en effet évident qu'avant de vous entretenir de l'ouvrage apo­cryphe, quoiqu'en terme d'Ancien Testament, apocryphe ne soit pas le mot juste, mais le seul pour dire "non officiel", il faille, au moins, rappeler les versets de la Génèse :

" ... lors donc que les hommes commencèrent à se multiplier à la surface du sol et qu'il leur fut né des filles, les fils de Dieu vi­rent que les filles des hommes étaient belles, et ils prirent pour eux des femmes parmi toutes celles qu'ils avaient distinguées... "

Le texte apocryphe, lui, commence à propos des mêmes à les qualifier de "veilleurs". Il se poursuit par le récit de ce qui est dé­crit comme une faute dans les termes suivants :

" ...Or, lorsque les enfants des hommes se furent multipliés, il leur naquit en ces ,jours des filles belles et jolies ; et les anges, fils des cieux, les virent, et ils les désirèrent, et ils se dirent entre eux : "Allons, choisissons-nous des femmes parmi les enfants des hommes et engendrons-nous des enfants ".

Il va de soi que, le but du jeu est la cristallisation du récit para-biblique autour de la faute afin, dans une dimension morali­satrice, soit de la dissimulation de l'objet du texte pré-gnostique, soit, compte tenu de sa datation (il a été écrit sous le règne d'Antiochus Epiphane - 166 av. J.C.), d'une invitation, eu égard aux persécutions du temps, pour le peuple juif, à la prise de conscience, par ce dernier, de ses fautes qui lui faisaient ainsi mé­riter le courroux divin ; en effet, le texte se poursuit par un Chapitre VIII, relatif aux sciences funestes enseignées aux hommes par les mauvais anges :

"... et Azazel apprit aux hommes à fabriquer les épées et les glaives, le bouclier et la cuirasse de la poitrine, et il leur montra les métaux et l'art de les travailler... (On notera ici que tout l'art des métaux est ramené à celui de la guerre). Les pierres les plus belles et les plus précieuses... et la révolution du monde... " (Chap. VIII.3), ils leur enseignent aussi "...les enchantements, à rompre les charmes, les astrologies, lés signes, la signification des aspects des étoiles et le cours de la lune... "

Bien entendu, il n'est pas question ici de nous livrer à l'exé­gète du livre apocryphe d'Hénoch. Mais finissons, pour ce qu'elle nous intéresse, cette histoire.

En substance donc, Dieu ordonne le châtiment des mauvais anges et dans la foulée prédit le bonheur des Justes. Hénoch est missionné auprès des mauvais anges qui sont punis pour avoir communiqué aux hommes des secrets funestes. Mais dans le même temps, Hénoch est instruit des mystères de l'univers dont (Chapitre XIII.2) :

"...Je vis encore la Pierre Angulaire de la terre, et je vis les quatre vents qui soutiennent la terre et le firmament du ciel... "

Les ultimes éléments didactiques de cette intervention sont issus du livre d'André Nataf (Ed. Bordas - 1989 - Coll. Compact) : Les Maîtres de l'Occultisme ; où nous trouvons les informations suivantes :

- d'une part une notice biographique relative à Stanislas De Guaita au terme de laquelle on y apprend que le fondateur de l'Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix était un ami de Maurice Barrès, et en sa qualité de poète, influencé ou inspiré par l'oeuvre de Baudelaire.

En tout état de cause, il fréquentera Péladan et Papus, aura pour secrétaire, un auteur connu Oswald Wirth, et consacrera toute son oeuvre à des traités aux intitulés relatifs à la magie noire. Nataf, dans une note assez critique, dénonce la cuistrerie de Wirth à l'égard de son maître quand il qualifie sa bibliothèque de saint des saints, et précise à propos de l'auteur posthume du "Problème du Mal" que contrairement à son inspirateur intellec­tuel Charles Baudelaire, il s'est lui empêtré dans ses exposés à prétention gnostique.

- d'autre part, l'autre élément de cette recherche est à l'ar­ticle "Franc-Maçonnerie" du même ouvrage, ce texte bref, note de bas de page relative au mot Egrégore :

... EGREGORE : D'après le livre d'Héhoch, écrit gnostique du IIème siècle, l' "EGREGORE" c'est un ange qui a la maîtrise de l'une des six directions cosmiques ; de nos jours, l'EGREGORE, c'est l'inconscient collectif d'un groupe en recherche initiatique ou magique. Le poète Max Jacob écrit : "Les EGREGORES sont des êtres du ciel ou d'ailleurs, plus matériel que les gestes des rêves et plus immatériels que les protozoaires ("Les trois EGRE­GORES" dans "Poèmes en vers").

II - S'il fallait maintenant développer quelque analyse sur un tel sujet, elle serait ordonnée en trois points, selon la démarche suivante, dont la partition ne doit en rien faire perdre de vue l'unicité centrale du concept dont est porteur le mot ÉGRÉGORE, du moins, et disons-le d'ores et déjà, non seulement dans l'usage qui semble avoir été redécouvert par l'occultiste Guaita, mais en­core dans le sens qu'il apparaît bien avoir toujours eu, ou plutôt, quant à la notion qu'il a servi à recouvrir.

Un premier élément de la réflexion sera consacré dans une définition très synthétique à la signification du mot en Loge.

Un deuxième élément du propos sera consacré à l'examen de la dimension évidemment prométhéenne que le mot recouvre dans le récit apocryphe vétéro-testamentaire, mais aussi, pas si para­doxalement que cela, pré-chrétien, à la fois, mais d'abord gnos­tique et ensuite très probablement kabbalistique qu'est le livre d'Henoch.

Enfin, très rapidement, nous essayerons de dire quelques mots sur l'aspect philosophique voire gnostique de la notion trai­tée en termes d'organisation de la transmission, de l'enseigne­ment.

1) Le mot EGREGORE, lorsqu'il est utilisé en Loge, fait bien entendu apparemment l'impasse sur la quasi totalité des éléments que nous venons de voir pour ne retenir du récit des anges qui veillèrent sur le "mont Hermon" que leur dimension d'être collectif.

En effet, il n'est employé, ou l'effet qu'il désigne, n'apparaît qu'au terme de planche ou qu'au terme d'instant d'une rare inten­sité, des moments particulièrement privilégiés dans la praxis du rituel collectif ou la Loge, entité théorique, personne morale de "droit ésotérique", qui permet que ses membres soient, si l'on peut dire, en état silencieux d'intense communication, soient, en état de "communion fraternelle."

Il importe peu que l'émotion, l'affectif, soit, bien plus sou­vent que la complicité intellectuelle, la cause d'une telle situa­tion. Il est peut-être plus opportun de constater sa rareté qui en fonde la valeur, peut-être parce qu'on ne peut pas la mesurer pour ce qu'elle est réellement, un moment pur du strict domaine de l'esprit.

2) Sil fallait maintenant évoquer l'aspect prométhéen du récit apocryphe, je constaterai que ces "anges qui veillèrent sur le mont Hermon" donnèrent, peut-être plus que le feu, cadeau volé aux dieux fait aux hommes par le héros de la mythologie grecque, mais leur semence divine pour engendrer une race de seigneurs que va engloutir le déluge.

En outre, ils firent don aux hommes, de l'art de la fonte des métaux, de l'art du forgeron, de l'art de Tubalcain, de l'art des Chamans, bref de l'art alchimique et par conséquent gnostique par excellence.

Leur geste consistant à voler, à dérober, à celui qui de toute façon va enseigner par forme de révélation au patriarche lui­même, leur autre geste qui consiste à enfreindre ce qui apparaît être comme étant décrit comme le tabou suprême, est foncière­ment fondateur, est "Pierre Angulaire", de liberté.

Mais attention, cette liberté ne peut bien se comprendre qu'avec une lecture analogique du mot "veiller" dans l'expression "les anges qui veillèrent collectivement sur le mont Hermon" car pour veiller, et ce n'est pas jouer sur les mots, il faut être éveillé, c'est-à-dire "Homme Accompli", libre parce qu'il connaît l'Art Royal, non pas l'Art des Rois mais l'Art qui fait de lui un Roi, l'Art qui ne le met pas au-dessus mais au-delà des autres Hommes : le Talent de l'Initié par excellence, celui donc qui mé­rite bien qu'on l'appelle "l'Homme éveillé", l'homme libéré au travers de la catharsis des diverses apparences et qui appréhende le réel en état constant de veille.

3) Notre dernier propos sera relatif au concept contenu dans le mot "collectivement" tel qu'il apparaît dans la phrase "les anges qui veillèrent collectivement sur le mont Hermon", comme si l'accès à des connaissances de qualité, ne pouvait se faire au travers de la dimension collective, mais encore certaines missions de conduite, de direction, de structures ou de groupe, certaines missions de transmissions de connaissance ou d'enseignement, ne pouvait être réalisées que par ces êtres collectifs constituant une entité en soi, tant est grande l'union intime des membres ou des individus qui constituent le groupe. Car c'est la qualité de leur entente qui fonde leur capacité à instruire parce qu'ils sont en leur total une seule et nouvelle entité.

C\ T\ (Par)


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