Obédience : NC Loge : NC 2010


Le Temple détruit
 
S’il peut paraître étrange pour un baptiseur de parler de destruction du temple que nous cherchons à construire, prendre parfois le contre-pied d’un projet est source de bien des surprises !
Il est communément admis que 2 Temples furent édifiés à Jérusalem, celui de Salomon et celui d’Hérode.
En réalité, 4 furent matériellement construits ;
Le premier attribué à Salomon au X° siècle avant JC
Le second, rebâti par le prêtre Zorobabel au retour de l’exil à Babylone à la fin du VI° siècle avant JC sous Cyrus roi de Perse.
Le troisième par Hérode le Grand à la période romaine.
Le quatrième, plus rudimentaire, par Bar-Kokhba au début de la seconde révolte juive vers 132-135 de notre ère.
Deux autres sont restés à l’état de projets : le Temple d’Ezéchiel et le Temple des Esséniens.
Plus étonnant encore, en 1989 est apparu le Mouvement des fidèles du Mont du Temple, créé par un groupe de juifs orthodoxes qui ont le projet de rebâtir un Temple sur l’esplanade de la Mosquée El Aqsa ; je passe bien sûr sur les implications politiques d’un tel projet !
Je vous épargnerais également les multiples controverses qui opposent archéologues, biblistes et religieux au fur et à mesure de l’avancée des fouilles des sites historiques et du hasard des découvertes.
Que les colonnes mesurent 18 ou 35 coudées ; que les fameuses écuries du roi Salomon, capables d’accueillir 850 chevaux soient en fait celles du Roi Omri, roi du Nord bien plus important que le royaume du Sud dirigé par Salomon !etc…
 Ces éléments ont certes une importance historique scientifique, mais interviennent peu dans notre démarche initiatique.
Bien que notre savoir demeure  lacunaire, l’idéal du Temple de Jérusalem continue à s’imposer à l’esprit de nombre de nos contemporains qu’ils soient juifs, chrétiens ou francs-maçons.

Une fois le Temple détruit, l’imagination des scribes le pare de toutes les splendeurs.

Ces 4 Temples sont pillés, brûlés, rasés, pierre par pierre et sur ces ruines, un peuple,  commence à se forger une identité, composée de nostalgie et de la douleur de l’exil, mais aussi d’une réflexion  sur son destin en tant que peuple.
Le désir de retour vers la patrie hante désormais les esprits avec le désir de reconstruire le Temple perdu.
Il est ici utile de préciser que le « découpage » classique entre le premier et le second Temple ne tient en réalité pas compte des phases architecturales, mais des périodes de « culte continu » donc de la pratique d’un rituel cérémonial qui perdure à travers le temps et les épreuves.
Dans Exode XV.2, l’ancêtre symbolique du temple est une tente d’étoffe dressée autour d’un mat de bois.
Son destin est bien d’être élevé et abaissé au fil des voyages des peuples nomades, son caractère sacré demeure cependant malgré cette impermanence.

La tombe du mystérieux Hiram, fondateur symbolique de la Franc-maçonnerie, tantôt Roi de Tyr, tantôt Hiram-abi, tantôt Adoniram, n’est retrouvée par les maîtres fidèles que grâce à la branche d’acacia qui fleuri à l’endroit où son corps a été enseveli, fleurs qui sont bien sûr saisonnières et épisodiques.

L’arche d’Alliance, après des années d’errements, est, croit-on « mise à l’abri » derrière des constructions imposantes qui seront successivement abattues.
Vain espoir de la prétention humaine !
Il n’est pas interdit d’imaginer, entre temps, quelques incidents tout simplement domestiques, comme des incendies localisés au temps où des torches de résine ou des lampes à huile devaient éclairer ces lieux de culte et donc des reconstructions, mêmes partielles.

L’ancêtre positif du temple maçonnique fut cette Bauhutte, cette cabane de planches où les ouvriers rangeaient leurs outils et leurs habits et faisaient des pauses, le plus souvent alimentaires, sous son couvert.

Ces cabanes fragiles et éphémères apparaissant et disparaissant au gré des chantiers.
Un temps, dans cet atelier, nous avons pratiqué le tracé du tapis de loge, à la craie, sur une ardoise, ce tracé étant effacé à la fin des travaux laissant l’ardoise vierge.
Le Temple avait vécu l’espace d’un temps sacralisé ; pour pratique qu’ils soient, le déroulement puis l’enroulement des tapis de Loge reste, à mes yeux, bien moins symbolique que l’œuvre de l’Expert sans cesse renouvelée.
Serais-je, à cet instant capable d’un tel tracé ? Sans erreur ou omission ? J’en doute !
Pour éviter le ridicule, je me rassurerais en pensant que je suis un temple en construction et que son inachèvement marque seulement le chemin qu’il me reste à parcourir, autant que je le pourrais, avant ma mort physique.
Cette interrogation me renvoie à une conception linéaire de construction du temple.
Dois-je croire qu’après l’initiation, une fois la maîtrise des outils acquises, je vais pouvoir, pierre taillée après pierre taillée, bâtir ce temple sans aléas ?

J’aimerais pouvoir interroger le maître architecte de la cathédrale de Beauvais, qui, en compétition avec celui d’Amiens avait augmenté la hauteur des voûtes qu’il croyait maîtriser, jusqu’à les voir s’effondrer.

Il n’ignorait certainement pas que la pierre est vivante et parfois rétive !
Nous sommes héritiers, à Reims, d’une magnifique cathédrale, partiellement détruite par les guerres et sans cesse reconstruite, par morceaux au fil des ans au prix de travaux considérables de réfections incessantes.
 Combien de cathédrales de Reims ont-elles été reconstruites depuis l’origine ?
Nous qui sommes des temples symboliques, combien de guerres avons-nous traversé ? Combien de nos pierres ont-elles été rongées par les pluies acides ? Notre fil à plomb a-t-il été bien vertical dans ce travail ?
La méthode maçonnique, après nous avoir ouvert des pistes, ne remet-elle pas, par moments, tant de choses en question qui nous font soudain douter de la justesse de notre plan initial ?

Notre vie même qui ouvre sous nos pas l’écueil de notre santé ou de celle de nos proches, le devenir d’une carrière prometteuse remise en cause dans une bourse fluctuante, la désunion d’un couple ou un enfant en difficulté ?

Pour magnifique, du moins dans l’imaginaire collectif, que fût le Temple de Salomon, ne devrais-je pas simplement mais parfaitement apprendre à construire cette Bauhutte, abri fragile et fugace, adaptable selon les besoins du moment quand je lis dans Mathieu et Jean que la pierre d’angle (en araméen Képhas, rocher solide) à laquelle se compare le Christ a été rejetée par les hommes ?
Combien de fois, nous qui échangeons entre Frères, n’avons nous pas été interpellés par l’analyse d’un autre Frère qui remettait en question la théorie à laquelle nous restions attachés, tout en en méconnaissant un aspect essentiel.

Une Loge, à l’instar de nous-mêmes traverse parfois des péripéties douloureuses qui mettent sa cohésion en jeu, ouvrent des abîmes d’incompréhension entre ses membres et fissurent les murs solidement établis depuis des décennies.

Dans ces séismes, il arrive même parfois que des Loges soient démolies, comme les Temples ancestraux furent détruits, eux aussi.
D’ailleurs, si nous observons le temple où nous sommes réunis ce midi, les décors, les outils restent intégrés dans une constante dramaturgie : celle d’édifice maintes fois détruits et désormais en ruine qu’il nous faut reconstruire ; les vestiges sont minces et l’évocation symbolique du Temple est d’abord une réminiscence de ruines et de catastrophes.
Hiram est assassiné, la Parole est perdue, MOABON, la chair quitte les os !
Nous sommes les enfants de la veuve, qui, les yeux de mortelle, noyés de larmes ne peut voir la quatrième colonnette.
Lors de l’initiation, la première rencontre du cherchant avec les symboles de la ruine du temple et de la mort inéluctable se retrouve dans sa préparation vestimentaire qui est rituellement saccagée, le yeux privés de lumière et la corde au cou comme le captif destiné à l’exil.
Et au 3° degré, le tapis de loge ne comporte plus que les 7 marches du temple, divisées en 3,5 et 7, un cercueil, des têtes de mort et des tibias croisé, le tout submergé par la couleur noire, celle du deuil.

Au rite écossais rectifié, un tableau devant le plateau du vénérable maître représente un bateau démâté, sans voile ni rames.

On voit donc par tous ces détails qu’au 3°degré les décors et ornements de la loge ont totalement changé par rapport à ceux des constructeurs du 1 et 2 degré.
L’on est passé du temple construit de mains d’homme au temple conçu comme corps de résurrection de l’individu humain en partant de l’affirmation johannique (Jean II, 21) :
« Jésus dit : détruisez ce temple et en trois jours je le relèverais… »
Les juifs reprenant :  « on a mis 46 ans à bâtir le Temple et tu le relèverais en trois jours ? »
Bien sûr, il ne s’agissait pas là d’architecture matérielle !
Vitruve, dans l’antiquité non chrétienne, signale déjà que les proportions des membres du corps humain se retrouvent dans toutes les constructions humaines et principalement dans les temples dédiés aux dieux.
Dans la gématria kabbalistique hébraïque la somme des valeurs numériques des lettres constituant le nom d’Adam est de 46, le nombre d’années de construction du Temple de Salomon.
De même, en grec les 4 lettres du nom Adam sont les initiales des 4 points cardinaux :
Anatolé - l’Orient, Dysmé -l’Occident, Arctos-le Nord et Mésembria-le Midi.
Si le corps humain et le Temple sont métaphorisé depuis Vitruve ou Ovide, il est plus difficile de comprendre pourquoi, à la figure traditionnelle du Christ substitué au Temple de Pierre est substituée à son tour l’image d’Hiram, architecte ou maître d’œuvre, vers le second tiers du XVIII° siècle ?

Une approche défendue par un de mes homonymes, fait appel à la chronologie de l’histoire du siècle des Lumières où trois grands problèmes occultes se sont succédés, à savoir :

- la guerre de religion britannique opposant férocement les Stuarts catholiques aux Tudor, puis aux Hanovre
- la destruction de l’Ordre catholique si puissant qu’était la Compagnie de Jésus
Et le prodigieux essor d’une Franc-maçonnerie chrétienne au sein des classes dirigeantes, malgré les défiances pontificales.
 
S’ajoute, vraisemblablement aussi le principe de prudence des frères de l’époque au moment de l’affaire Calas accusé d’avoir tué son propre fils pour l’empêcher de se convertir au catholicisme et la condamnation du Chevalier de La Barre, qui a 19 ans est condamné à avoir le poignet tranché, la langue arrachée et finit brûlé vif pour n’avoir pas mis chapeau bas au passage d’une procession.
Cette attitude permettant à la Maçonnerie régulière de toujours rester en lien avec l’Eglise, malgré l’excommunication de 1738, car de fait, nombre de princes de sang en faisaient partie.
 
Mais cette prudence, non totalement justifiée pour les Princes du temps, pourrait recouvrir un motif plus puissant, selon Joseph de Maistres :
Cette substitution à un homme dieu, ayant pour et avec lui l’histoire de 18 siècles d’un Occident christianisé par un certain Hiram, quasi anonyme, malgré quelques versets de la Bible qui figure bien « l’homme quelconque », on dirait aujourd’hui, l’homme lambda, qui souffre, est odieusement assassiné mais promis à une résurrection ou une réintégration emblématique de tout destin humain, enfin «  éclairé » !
Le mythe de la mort d’Hiram rejoignant dans les chrétientés continentales le mythe de la destruction des moines chevaliers du Temple.
 
Le langage maçonnique n’est ni démonstratif, ni historien.
Le Temple qu’il vénère et reconstruit sempiternellement est à jamais ruiné par Titus et ses légions, répétant les destructions de Nabuchodonosor comme les reconstructions de Zorobabel et de Bar-Kokhba.
Son paradigme n’est pas un Jésus né sous Tibère et crucifié sous Hérode, mais ce triple ou quadruple Hiram, si timidement historique.
La cité sainte que l’on atteint après tant de voyages et tant de degrés : 7 ici, 33 là, 95 encore ailleurs, n’est pas sur nos cartes de géographie : elle est de pure lumière, sans temple, sans lampe, sans soleil et sans lune.
 
Pour conclure une citation anonyme :
 
« Personne ne ressemble à un frère
 Car personne ne vous connaît aussi bien.
Notre regard sur l’autre est unique
Nous avons connu la peur ensemble
Nous sommes marqués par des combats secrets
Nous faisons bloc pour toujours
Peu importe si le chemin est difficile
Nous cheminerons ensemble »
Reconstruisons mes frères
 
J’ai dit

G
\ D\
 
En résumé le paragraphe souligné

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