Obédience : NC Loge : G.. Washington - Orient de Perpignan 15/10/2009


La symphonie des trois voyages

L’ensemble des rituels français du XVIIIe siècle conserve les anciens usages comme les trois voyages conduits par le « Frère Terrible ». La comparaison des cérémonies de réception pratiquées au cours de cette époque présente de nombreuses modifications suffisamment significatives, bien que la structure de base des rituels demeure évidemment traditionnelle.

Dès 1760, la notion d'épreuve « effrayante » est constante dans les rituels maçonniques français. Il s'agit de surmonter des obstacles et de vaincre des difficultés au cours des trois voyages conduisant à l'autel des serments. Ce parcours dans un labyrinthe obscur et agité s'apparente dans son esprit, aux embûches comparables à celles de la conquête de la Toison d'or et des voyages d'Ulysse.

Jadis, pendant les trois voyages, on jetait de la poix-résine devant le candidat sur la flamme d'un flambeau ce qui produisait une grande lumière et ce pour éprouver sa fermeté. Cette application rituelle digne des hussards noirs de la république correspond à une recherche antagoniste de « quelque chose de précieux qui a été perdu, qui demeure caché et qui doit être conquis avec courage », thème récurrent dans les rituels français. Cela génère irrémédiablement la brisure de l’écorce de l’amande pour en livrer le fruit.

C’est dire à quel point les épreuves, certaines plus terrifiantes que d’autres, relèvent de la tradition maçonnique française à l’instar des  « trois tours » Anglais. La réception britannique véhicule un  « message » exclusivement méthodique, tandis que la réception française développe un élan mouvementé associé à un mode de pensée initiatique.

Dès 1780, l’écriteau placé sur la table de la chambre des réflexions procure un caractère éprouvant, vraiment menaçant, d'une conséquence émotionnelle considérable : « Si la curiosité t’a conduit ici, va-t-en. Si tu crains d’être éclairé sur tes défauts, tu seras mal parmi nous. Si tu es capable de dissimulation, tremble, on te pénétrera. Si tu tiens aux distinctions humaines, sors, nous n’en connaissons point ici. Si ton âme a senti l’effroi, ne va pas plus loin. Si tu persévères, tu seras purifié par les éléments ; tu sortiras de l’abîme des ténèbres, et tu verras la lumière ».

Très en vogue au Grand Orient de France de l’Ancien Régime, ces maximes apportent un trouble supplémentaire, perceptible immédiatement et sans réelle sophistication. Assurément, les épreuves, ajoutées aux purifications rituelles, conservent le caractère symbolique des premiers temps et elles instaurent le caractère magique. Le frère terrible, sur un staccato musical de violoncelle, bat la mesure en trois temps et imprime le passage lent de l’obscurité à la lumière.

Sans nul doute, la notion de purification s’avère préparatoire pour dégrossir la pierre brute à l’aide du maillet et du ciseau. Il s'agit d’un processus indispensable destiné au candidat afin qu’il se dépouille de ses angoisses et de ses préjugés profanes, étape analogue à la  « méthode alchimique », fort en vogue bien avant 1784 et qui faisait des émules en particulier dans l’aristocratie française et allemande.

Ce mode de réception initiatique connaîtra une notoriété extraordinaire dans toute l'Europe du XVIIIe siècle finissant et du XIXème siècle, pour se manifester encore de nos jours avec force et vigueur. On peut donc affirmer qu’un rideau de lin s'est levé sur la maçonnerie française et ses épreuves purificatrices.

Notons que les épreuves et les purifications rituelles infligées au récipiendaire lors de ses  « voyages », sont décrites dans de nombreux rituels français :

- Un catéchisme lillois de 1749 faisant partie intégrante du rituel intitulé  « Petit Ecossais Apprenti », comporte cette réponse :  « J'ai été purifié par l'eau et le feu ». Il s’agit donc de la plus ancienne mention de cette réforme.

- Dès 1751, le rituel du premier grade de la Loge Saint Jean d’Ecosse de Marseille exhortait le passage des flammes lors du deuxième voyage, et puis le passage aérien lors du troisième voyage.

- En 1763, le rituel  « du Marquis de Gages » indique que le candidat était conduit trois fois autour de la loge par le premier surveillant, l’épée sur le cœur. Bruits assourdissants et feux l’environnaient pendant les trois voyages. Après, il subissait l’épreuve du fer chaud, près de l’épaule.

- Dans le rituel lyonnais de 1772, le second surveillant faisait circuler le candidat trois fois autour de la loge, en commençant par le septentrion et finissant par le midi. Il est dit également que le second surveillant faisait  « lever le pied et baisser la tête » du candidat  « parce que lors de la construction du Temple, il fallait lever le pied pour passer sur les matériaux et baisser la tête pour passer sous les échafaudages ». Ensuite, le Vénérable soumettait le candidat à l’épreuve du sang.

- Le rituel d’Avignon de 1774 donne également aux trois voyages des significations morales et philosophiques. Elles révèlent sans équivoque la fonction purificatrice des épreuves. Au premier voyage :  « Qu'on lui fasse subir l'épreuve de l'eau en le plongeant dans la piscine pour le laver de ses souillures ». Au deuxième voyage : «Qu'on lui fasse subir l'épreuve du feu en le faisant passer par les flammes pour le purifier ».

- Le Régulateur du Maçon de 1785 voit dans le premier voyage et dans le tumulte qui l’environne  « l’emblème de la vie humaine, de ses difficultés et des dangers » ; dans le deuxième voyage, qui n’est accompagné que de cliquetis d’épées, le symbole de  « l’effet de la constance à suivre le chemin de la vertu” et des “combats que l’homme vertueux est sans cesse obligé de soutenir pour triompher des attaques du vice »; ensuite, les flammes par lesquelles le candidat passe lors du troisième voyage lui enseignent « l’amour de ses semblables, la charité ».

- Les trois éléments (feu, eau, terre) n'apparaissent que tardivement au Rite Ecossais Rectifié, soit vers 1786-1787, mais avec une signification très particulière à ce rite.

- Enfin, vers 1805-1815, le Guide du Maçon Ecossais (Source du Rite Ecossais Ancien et Accepté pour les trois premiers degrés), faisait passer le récipiendaire par les flammes purificatrices au troisième voyage. Les deux premiers étaient exempts de purification. Il attribuait aux deux premiers voyages, la signification du tumulte  « emblème de la vie humaine, des difficultés et des dangers ».

Il va de soi que les épreuves purificatrices maçonniques par les éléments Air, Eau, Feu, sont semblables à celles de la cosmogonie classique de l'Antiquité. Platon exposa cette théorie des éléments dans le Timée. Plutarque, pour sa part, la mentionne dans Isis et Osiris.

Au cours de ses cérémonies, le peuple des Indiens d’Amérique du Nord se tenait en cercle et tira sa vitalité des quatre quartiers du cercle. L’Est lui assurait la lumière et la paix. Le Sud lui donnait la chaleur. L’Ouest lui donnait la pluie. Le Nord grâce au vent vivifiant lui assurait la force et l’endurance. C’est sous la forme du cercle, symbole de l’éternité, que se tenaient les conseils des anciens ou s’édifiaient les tentes, les tipis. Et tant que le cercle ne fut pas rompu, le peuple des Indiens d’Amérique du Nord prospérait comme un arbre en fleur.

Avec l’air, l’eau et le feu, préliminaires obligés de « l’initiation »maçonnique, le rapport du franc-maçon à la nature est primordial. Le tableau de loge du Régulateur du Maçon lui permet de découvrir avec humilité les liens qui unissent les hommes, la faune et la flore. L’homme éclairé est autant soucieux de la dimension spatiale que de la dimension temporelle ou historique.

A ce titre, la flûte enchantée composée quelques jours avant la mort du frère Mozart, nous révèle à quel point cet homme était inspiré. Cette œuvre met en scène la chambre de réflexion, où Tamino et Papageno subissent leurs premières épreuves, sous le signe de la Terre. Dans ce lieu souterrain et sombre, ils doivent garder le silence, comme tout apprenti, et puis affronter l’épreuve de l’air.

Ensuite, Tamino et Pamina, les yeux couverts d’un bandeau, vont affronter ensemble les épreuves du feu et de l’eau. Le couple traverse une caverne embrasée, puis une cascade grondante. Guidés par la magie de la flûte, ils triomphent des épreuves et le temple de la transparence salue leur triomphe et les accueille en son sein comme des maîtres. Hélas, cette réussite aiguise les jalousies d’un petit groupe. Ces envieux sont rejetés dans les abîmes de la nuit. Et finalement l’œuvre se clôt sur l’exaltation de la lumière dans un ensemble vocal devenu légendaire.

A telle enseigne qu’Alfred Einstein, le père de la relativité générale, a justement écrit :  « La Flûte enchantée est une de ces pièces capables aussi bien de charmer l’enfant que d’émouvoir jusqu’aux larmes l’homme le mieux trempé ou d’exalter le plus sage ».

Vraisemblablement, nous devons la vie à une nébuleuse qui a donné naissance au soleil et à ses planètes voici 4,5 milliards d’années. Cette nébuleuse contenait de l’eau à foison. L’eau est constituée de deux atomes d’hydrogène et d’un atome d’oxygène. L’hydrogène, l’hélium et l’oxygène sont les trois éléments les plus abondants de l’univers.

Un très grand nombre de comètes voyagent autour du soleil bien au-delà de la planète la plus lointaine. Très loin, il fait très froid. Les comètes sont trop petites pour avoir dégagé beaucoup de chaleur en se formant, elles ont donc conservé la glace de la nébuleuse primitive.

Sous l’effet d’attractions diverses, les comètes peuvent être détournées vers les planètes et finir par s’écraser sur l’une ou l’autre. Quand la terre s’est suffisamment refroidie de telles collisions, elles ont pu la réapprovisionner en eau. L’eau terrestre est une goutte d’eau par rapport à l’immense nuage de glace que sont les comètes aux confins du système solaire.

Mais cette goutte d’eau a permis à la vie d’apparaître et d’avancer en éprouvant plusieurs voyages initiaux et créateurs empreints d’une beauté, d’une force et d’une sagesse admirables. Indéniablement, le meilleur éloge rendu à la création émane de la femme. En vérité, lorsqu’elle enfante, les eaux ouvrent le passage au nouveau né. Il est évident que l’enfantement de toutes choses de la vie demeure mystérieux et à la fois magique.

Et si la symphonie des trois voyages dans le temple de la sagesse s’apparente à une nouvelle naissance, c’est parce que tout simplement au cœur de chacun de nous brille une petite lumière, parfois plus ou moins chancelante, mais bien présente.

H\ R\


3006-H L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \