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La Pierre…brute

Vénérable M\ en chaire, dignitaires qui décorez l'Orient, et vous tous mes frères en vos grades et qualités, je vais vous tracer, ce midi, une planche sur la pierre.

Lors de mon arrivée sur la Colonne du Nord, je dois vous avouer, mes FF\, toute la fierté que j'avais d'avoir été accepté dans la Franc-maçonnerie.

Je découvrais le rituel, j'observais les décors, j'essayais de décoder ce que l'on m'avait dit être des symboles, j'écoutais, j'écoutais et j'écoutais encore. En salle humide, je ne parlais toujours pas, je servais !

Quelques semaines passèrent et, malgré mon assiduité sans faille, mon sens aigu de l'observation, je ne voyais que les mêmes objets et n'entendait pas grand-chose à ce qui se disait. J'avais le sentiment d'être laissé de côté, livré à moi-même. Le silence, de confortable les trois premières tenues, devenait lourd. J'aurais aimé expliqué à mes FF\ intervenants qu'ils étaient dans l'erreur, que j'avais des clés pour comprendre telle ou telle situation, qu'ils répétaient souvent la même chose sans, probablement, s'en apercevoir.

De la fierté d'appartenance, mon état d'âme s'orientait vers l'envie de tout quitter. J'avais l'impression que, si pour rentrer en Maçonnerie il m'avait fallu faire la preuve de ma liberté, une fois à l'intérieur cette dernière était obérée. Je me sentais à l'étroit sous cette colonne artificiellement sombre et dans mon tablier blanc.

J'avais espéré tant d'enseignement, tant d'énigmes résolus, tant de confidences et j'avais l'impression de ne rien recevoir. Même les rencontres avec mon Second Surveillant me paraissaient creuses, vides, sans apport conséquent. Un soir, je ne me souviens plus à quelle occasion, il nous dit « Mes FF\ vous êtes des pierres brutes, et il vous faut tailler dans vos aspérités ». Mais enfin, mon F\, c'est quoi cette pierre brute dont tu parles ? Chez nous, en Provence, on en fait des tas et, au mieux, des restanques ! J'ai même vu des lieux appelés « chaos » où elles étaient en grand nombre et surtout en désordre ! Je ne me reconnais pas dans ces endroits.

Sa réponse, comme à l'accoutumée, fut brève. Après avoir incité les autres FF\ Apprentis à partager sur ce thème, il me dit « Cherche mon F\ Jean-Marc, cherche, utilise tes outils et tu pourras trouver ».

Et j'ai cherché, cherché en utilisant le fil à plomb, pour mieux me connaître, et la règle à 24 divisions pour tenter de percevoir le visible dans l'invisible.

Je vais vous faire partager, ce midi, ce que j'ai trouvé sur cette pierre brute avant d'avoir eu à utiliser mon maillet et mes ciseaux.

J'ai recherché tout d'abord pourquoi la F\M\ identifiait l'homme à une pierre. Dans le rituel j'ai lu :
Question : A quoi travaillent les Apprentis ?
Réponse : A dégrossir la pierre brute afin de la dépouiller de ses aspérités et à la rapprocher d'une forme en rapport avec sa destination.
Tiens, le rituel dit « à la rapprocher d'une forme » ce qui veut dire que je n'arriverai jamais à me polir entièrement et que j'aurais toujours du travail à faire sur moi-même. Intéressant.

Dans un complément du rituel, je lis :
« La pierre brute n'est pas une pierre informe mais une pierre déjà taillée, dégrossie mais pas encore terminée et polie. La pierre informe trouve sa place dans le cabinet de réflexions, la pierre dégrossie dans le temple.» Et j'ai eu mon second enseignement : si les pierres dégrossies sont dans le Temple, aucun de mes FF\, quel que soit son grade et sa qualité, ne détient la Vérité sinon, le rituel aurait dit « les pierres dégrossies et les pierres polies sont dans le Temple ». Je suis rassuré et je comprends pour quoi, quelquefois, j'ai l'impression que mes FF\ ou moi-même, bien que F\M\ ne sommes pas des temples de vertu. En fait ce n'est plus une impression, c'est une réalité ! Hommes nous sommes, hommes nous resterons peut-être un peu meilleurs mais jamais parfaits.

Mais cela ne me dit pas pourquoi le REAA nous assimile à des pierres. Je dois continuer à chercher car il est probable que, si ce choix a été fait, la symbolique de la pierre doit être d'une richesse insoupçonnée.

Mais avant de continuer sur cette voie, permettez-moi de me rappeler, mes FF\, que le symbole est au-delà de la signification.

Il s'agit, et nous le savons tous maintenant, d'une interprétation, qui sera ici la mienne, ou celle d'autres que je me suis appropriée, toujours chargée d'affectivité.

Le symbole suppose donc une rupture avec l'objectivité, si jamais cette dernière peut exister !

Sur mon chemin, le lis cette phrase : « la pierre taillée est une ouvre humaine tandis que la pierre brute est le symbole de l'ouvre de la nature, étant ainsi un symbole de liberté ». Tient, tient, je comprends mieux ce que je ressentais sur la colonne du Nord ! Je continue mes recherches et croise celles de notre F\ Claude.

Comme il nous l'a dit lors de notre dernière tenue, la tradition des Hébreux rapporte que le Temple doit être construit avec la pierre brute et surtout pas en employant la pierre taillée. Il nous a précisé qu'il est dit dans l'Exode de la Bible, Ch. 20 verset 25 :
« Si tu m'élèves un autel de pierre, tu ne me le feras pas en pierres taillées, tu n'y porteras point ton ciseau pour ne point la profaner. »

Si la pierre taillée est alors considérée comme une ouvre humaine désacralisant la manifestation divine, si elle incarne l'intention humaine perverse se substituant au plan de la Nature alors pourquoi la Franc-maçonnerie me propose de la tailler ?

En fait, je comprends que la pierre Brute est le symbole de la Liberté par le fait de l'utilisation du matériau naturel alors que la pierre taillée l'a été par la peine, la servitude qui est synonyme de ténèbres : elle s'est donc éloignée de la Lumière qu'elle représentait. Mais si la taille de ma pierre est spirituelle, c'est-à-dire se réalise par une activation de l'esprit qui reposait déjà en son sein, je ne la profane pas, je la rends moins ignorante, plus lucide, je la fais résonner.

Je continue à chercher parmi les autres représentations symboliques de la pierre et je m'aperçois que les Celtes aussi considéraient la pierre Brute comme le lieu de résidence de la Divinité. Ils lui faisaient jouer un rôle d'intermédiaire privilégié entre le Ciel et la Terre comme le prouve l'existence des menhirs ou la construction de Stonehenge. La pierre dressée, symbole phallique s'il en est, fut étroitement liée aux rites de la fécondité, et les traditions des peuples de la Terre montrent combien ce symbole fut universel. On considérait que la pierre Brute était vivante et donc capable de donner la vie.

Persévérons et continuons.
La légende de Deucalion, en Grèce, relatant un déluge, précise que les hommes étaient issus de pierres semées par le Dieu créateur. Réfugiés sur le mont Parnasse, Deucalion et sa femme, Pyrrha, reçoivent l'ordre de l'oracle de Thémis de jeter derrière eux les os de leur grand-mère afin de repeupler la terre. Comprenant qu'il s'agissait de Gaïa (la Terre), dont les pierres sont les os, ils ramassèrent des pierres et les jetèrent derrière eux : celles que jetait Deucalion se changèrent en hommes ; et celles que jetait Pyrrha, en femmes.

Au sein de la tradition ésotérique chrétienne, il est peut être interprété que le Christ est associé à une pierre. En effet, quand le soleil du solstice d'hiver entre dans le signe du Capricorne (début le 22 décembre), il s'identifie à la Porte de Dieu, à la montagne, car c'est là, au Nord, qu’il culmine au zénith du Tropique du Capricorne et qu'il incarne la résistance à l'obscurité. Quoi de plus évocateur de la pierre Brute qu'une montagne ?

Continuons avec le Christ et rappelons la fameuse phrase qu'il prononça :
« Heureux es-tu Simon, fils de Iona, car ce n'est pas la chair et le sang qui t'ont révélé cela mais mon Père qui est dans les Cieux. Et bien moi je te le dis : Tu es pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église et les portes de l'enfer ne pourront rien contre elle. Je te donnerai les clés du royaume des Cieux ; tout ce que tu auras lié sur la terre se trouvera lié dans les Cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre se trouvera délié dans les Cieux. »

Ainsi, le Christ a changé le nom de Simon en « pierre ». Rappelons que donner un nouveau nom à quelqu'un équivaut à lui donner une autre identité ou une autre fonction. Or, selon les exégètes, le prénom Pierre n'existait pas à l'époque du Christ et n'était pas connu dans les autres langues. Nous pouvons en conclure qu'en identifiant Simon à « pierre », le Christ faisait référence à une symbolique plus élevée. Simon est ce rocher, cette pierre Brute autour de laquelle doit se faire le rassemblement de toutes les églises chrétiennes, de tous les chrétiens. Et il le dit : « Je suis une pierre vivante ».

D'autres encore ont utilisé la symbolique de la pierre :
A Pessinunte, en Phrygie (plus ou moins un lieu proche de l'Anatolie), il y a très longtemps, une pierre tomba du ciel. Elle fut trouvée au sommet du mont IDA. Elle fut placée dans un temple de la ville et le nom de CYBELE lui fut attribué, Cybèle signifiant montagne ou rocher. Après la conquête de la Phrygie par les romains, cette pierre fut ramenée à Rome. Elle fut alors assimilée à « BONA DEA », la Grande Mère, qu'on appelait aussi la Mère des dieux.

De Jéricho (ville de Cisjordanie), la Bible nous relate ses fameuses murailles détruites et, le plus intéressant se trouve à l'intérieur des décombres. Dans une niche, creusée à cet effet, on a découvert, sur un piédestal de pierre brute, une pierre polie, faite à partir d'un monolithe de basalte noir. Ce vestige semble daté, selon les analyses, de - 8000 ans. Il témoigne d'un culte des pierres qui s'est perpétué durant des siècles dans les régions voisines de l'Arabie.

Rappelons à ce propos, l'acte que fit Mahomet après qu'il eut reconquis la Mecque. Il détruisit toutes les anciennes idoles pour ne conserver que la pierre noire afin de lui rendre son culte primitif. Mahomet accordait beaucoup d'importance au culte de la pierre au point de construire, autour de cette pierre noire dont la légende voulait qu'elle soit tombée du ciel, le Temple de la Kaaba.

Depuis, tout bon musulman se doit de faire, dans sa vie, le pèlerinage à la Mecque et, en arrivant, de tourner sept fois autour d'elle, chaque tour commençant et se terminant à la pierre noire. Une autre image, dans l'Islam, concerne une pierre. Elle est à Jérusalem là se trouve la Mosquée du Rocher. C'est de ce point que Mahomet serait monté au ciel.

Il est à noter que ce mouvement ascendant, dont le rocher est le point de départ, est, à l'inverse, du mouvement descendant de la pierre noire venue du ciel. Il y a donc dans l'Islam deux mouvements opposés dont le support est une pierre, mouvements que nous retrouvons également dans l'ancien Testament.

Dans l'Exode 24 chap.12 Yahvé dit à Moise : « Monte vers moi sur la montagne et y demeure car je te donnerai les Tables de Pierre, la Loi et les Préceptes que j'ai écrits pour les instruire. »

Lorsqu'il eut fini de parler avec Moise, sur la montagne de Sinaï, il lui remit les deux Tables du Témoignage, tables de pierre, écrites du doigt de Dieu (Exode 31 chap. 18).

Moise s'en retourna et descendit la montagne avec les deux Tables du Témoignage en mains. Les Tables étaient l'ouvre de Dieu et l'écriture était l'écriture de Dieu, gravée sur les Tables (Exode 32 chap.12).

C'est sur ces pierres venant du Monde d'En Haut, que Dieu possédait déjà, qu'a été scellé le pacte du Monde d'En Haut au monde d'En Bas.

Lorsque Moise redescendra de la montagne dans l'Exode 32 chap. 19, il est écrit : « Et lorsqu'il se fut approché du camp il aperçut le veau et les danses. Alors la colère de Moise s'enflamma et il lança de ses mains les tables et les brisa au pied de la montagne ».
« Néanmoins Moise retournera vers Yahvé pour obtenir, pour son peuple, le pardon. Le renouvellement de l'alliance se fit alors avec de nouvelles Tables de pierre que cette fois Moise avait taillées sur les ordres de Yahvé ». Exode 34 chap.1 :
Yahvé dit à Moise : « Taille-toi deux tables de pierre comme les premières pierres que tu as brisées »... Moise tailla des pierres semblables aux premières et, s'étant levé de bonne heure, il remonta sur la montagne du Sinaï ainsi que Yahvé le lui avait demandé…».
Exode 34 chap. 28 :
« Et il (Yahvé) écrivit, sur les Tables, les paroles de l'alliance, les dix paroles ».

Ces deuxièmes Tables de pierre, taillées par Moise sur l'ordre de Yahvé, sont celles qu'il portera vers Yahvé, en remontant la montagne et en cela en effectuant le mouvement ascendant.

Ainsi, dans l'Ancien Testament, le point de rassemblement de la diaspora juive est toujours représenté par les Tables de la Loi en pierres gravées par Yahvé. Dans le Nouveau, c'est Simon que Christ, fils de Dieu pour les chrétiens, a assimilé à une pierre, et comme nous l'avons vu, il lui dit :
« Tout ce que tu lieras sur la terre sera lié au ciel et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié au ciel ». On retrouve le caractère descendant et la volonté du Christ de prendre le monde minéral, symbolisé par la pierre, comme le représentant de l'Essence Divine, ainsi, la nature secrète garde l'empreinte de la divinité.

La Pierre Brute en Maçonnerie est, d'après nos instructions, une représentation de l'Apprenti.

Le symbolisme ainsi évoqué est le « travail sur soi », travail assimilant le nouvel initié à un apprenti tailleur de pierre qui ouvrerait à sa propre construction. Ne l'a-t-il pas fait pendant son enfance et son adolescence ? Et pourquoi s'arrêterait-il à l'âge adulte ? La Franc-maçonnerie entend que l'Initié participe activement à la construction de son Temple intérieur c'est-à-dire de son individualité morale et spirituelle.

Si la Pierre Brute est, comme nous l'avons vu, d'essence DIVINE, qu'en est-il de la pierre taillée qui se trouve être, au REAA, le but de l'Apprenti quel que soit son âge ?

Comparons là, mes FF\, à celle que Moise apporta à Yahvé. Nous avons énoncé que travailler la Pierre Brute c'était la transformer, l'avilir. Mais, si l'intervention divine accompagne le travail dans le but d'en faire une pierre taillée, alors, et au contraire, la pierre s'ennoblit !

La transformation de la Pierre Brute en Pierre Taillée par la communion de l'Apprenti avec la conscience du GADLU, tel que l'identifie le REAA, incarne le passage de l'âme qui était dans les Ténèbres, par son ignorance de la Divinité, à l'âme illuminée.

Lorsque l'ancien Testament nous montre que le mouvement ascendant s'effectue avec la pierre taillée, est-ce que cette pierre taillée, associée à l'homme, serait la clé de son salut ?

Le travail du franc-maçon, mon travail, n'est il pas alors de libérer, par ma propre volonté, l'âme Universelle présente dans ma pierre Brute ?

Et, en utilisant le principe du Mentalisme, un des sept principes de l'hermétisme décrit dans le Kybalion, qui affirme que « Le Tout est Esprit ; l'Univers est Mental », ma Pierre Brute, ma matière ne devrait-elle pas s'unir, après avoir été taillée spirituellement, à mon âme. Mon travail d'Apprenti, mon intelligence, ma volonté, mon maillet et mes ciseaux continueront à ouvrer jusqu'à ce que le cours de ma pierre devienne vivant.

C'est en m'oubliant que je me découvre, j'ai, ici, 3 ans et je ne sais toujours rien.

Vénérable Maître j'ai dit.

J\M\ S\


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