Le tablier de l’apprentie

Lorsque j’ai été initiée, apprentie au premier degré, j’ai reçu une paire de gants et un tablier blanc. Si je me souviens bien, il m’a alors été dit :

« Ce tablier dont tu seras toujours revêtue en loge, te rappellera sans cesse que l’être humain est voué au travail et qu’une Franc-Maçonne doit mener une vie active et laborieuse. Ces gants, par leur blancheur, t’avertissent de la pureté qui doit toujours régner dans l’âme d’une Franc-Maçonne et dans ses actions ».

Revenue à ma place, je le regarde et l’observe même. Je m’imagine comme voulant décrire une boule de billard : rien à dire.

Mais cela n’est qu’un a priori car au contraire du RAS, je constate qu’il est un puits d’observations.

Je pense tout de suite au pionnier de la Légion Etrangère défilant en tête le XIV juillet avec une hache sur l’épaule et un tablier en cuir.

C’est là où mes questions arrivent :

Le tablier de l’écolier qui se rend à l’école pour apprendre ?
Le tablier du radiologue pour se protéger des rayons X ?
Le tablier du pont qui soutient tout l’édifice du pont ?
La chasuble blanche dans certaines cérémonies ?

Est-ce un uniforme ? Une couverture ? Une protection ?

Il est de couleur blanche, sans approfondir si le blanc est ou non une couleur. Ce blanc est pur, sans tache, comme le symbole de la virginité, de l’innocence, la fragilité de l’existence, un rien peut le salir. Et si ce blanc n’était qu’une illusion ? Une fausse apparence, comme le diamant paraît blanc, alors que ce n’est que du noir sous les reflets de la lumière. Je pense au kaléidoscope qui décompose la lumière, et partant de ce rayon blanc, la lumière prend une multitude de couleurs qui la compose.

Il est fait en une matière particulière, en agneau pour avoir une certaine solidité. Pourquoi avoir choisi l’agneau alors que le tablier en buffle du légionnaire est plus solide ? Ce terme d’agneau me fait penser au sacrifice d’Abraham, non pas parce que cela a été Pâques, mais parce que systématiquement je pense à l’agneau pascal.

Puis je remarque sa forme.

Il est en trois parties : le rectangle porté à la hauteur de l’abdomen,
La ceinture qui se noue autour de la taille
Le triangle, pointe vers le haut, placé à la hauteur du thorax.
Le tout est en équilibre.
Je pense à la maison dessinée maladroitement par l’enfant : l’habitacle, les combles séparées par une sorte de plancher, traversé par un escalier
Le rectangle est la stabilité de cet édifice, sa base.
Je regarde autour de moi et je vois trois chandeliers, puis trois lumières posées en forme de triangle dans le Temple où je me trouve : la Vénérable, la Première surveillante et la 2ème surveillante. Par la suite je découvre que chaque chandelier répond à chaque lumière pour FORCE, BEAUTE, SAGESSE. Je remarque à l’Orient trois symboles de lumière la Lune, lumière faible comme indirecte, le Delta et le Soleil.

En rentrant chez moi, je me plonge dans mes réflexions : que cela veut-t-il bien signifier ?
La forme, la couleur, la matière de ce tablier que je dois porter et que je porterai tout au long de ma vie de maçonne et qui évoluera dans ce sens ?

Ce tablier est un outil, un symbole et un décor à la fois.

Il me protège dans mon travail d’apprentie. Ce travail s’opère sous le contrôle de la 2ème surveillance qui va m’accompagner et m’enseigner pour me permettre de bien tailler ma pierre brute à l’aide du ciseau et du maillet.

Ce travail se fait sous la lumière du chandelier qui lui est attribué, à savoir celui de la BEAUTE pour orner, et qui représente l’AMOUR FRATERNEL.

Ce travail va me permettre de lutter contre mes pulsions, mes passions, pour les découvrir, les connaître, les maîtriser, les orienter et les rendre constructives.

C’est donc un outil protecteur ayant une forme de rectangle placé à la hauteur de l’abdomen, censé être le contenant des passions, des viscères, de la gestation d’où vient la vie, avec ses côtés passionnels, sa vie sexuelle au sens de Freud. C’est à la fois un bouclier contre les passions du monde extérieur, mais aussi contre mes propres passions. Ce rectangle se finit par un triangle, la pointe vers le haut, vers le cerveau, vers l’enseignement spirituel auquel j’aspire après avoir maîtrisé mes émotions. Par la pointe du triangle, je m’élève et j’arrive au niveau de la meilleure écoute.

Ceci est rappelé par le symbole du fil à plomb. Le fil à plomb n’est-il pas le symbole de la recherche de la vérité en profondeur, formant un lien entre le zénith et le nadir, entre le ciel et la terre, comme le rectangle et le triangle la pointe vers le haut, la spiritualité ?

Je pense aussi à mon extraction du cabinet de réflexion, lieu de terre d’où je vais prendre naissance et à mon passage sous la porte, représenté par la ceinture de mon tablier.

C’est un décor car nul ne peut entrer dans le Temple sans être vêtue de son tablier. Il est une marque de reconnaissance.

Il peut paraître contradictoire d’entendre dire « …il évite de nous blesser par les éclats de la pierre brute que l’on travaille et qui risquent de nous blesser et ce au cours de notre apprentissage », puisque le tailleur de pierre place ses outils pour son œuvre à la hauteur de ses yeux qui eux, ne sont pas protégés.

C’est en cela que ce tablier est un symbole car il nous protège non seulement de nos imperfections, contre nos vices, nos passions internes, en gestation, dans les viscères, dans l’appareil géniteur à hauteur de l’abdomen, mais il nous protège aussi contre les influences passionnelles extérieures dont nous pourrions être victimes tout au long de notre vie. Il nous est recommandé de ne pas le tacher par nos actions, de le garder blanc. Je regarde les fenêtres grillagées, la lueur de la lune, lumière indirecte. Il symbolise notre travail fait sur nous avec le triangle, la pointe vers la partie haute de notre corps, lieu de notre spiritualité. Il représente notre persévérance, nos efforts constants puisqu’il ne doit pas être taché. Le tablier est le symbole de notre recherche de l’équilibre.

WIRTH a écrit que « le tablier est l’enveloppe dont on doit se vêtir pour prendre part à l’œuvre de la construction universelle ».

La maçonnerie est la construction universelle représentée par un Temple, l’EDIFICE. Mais cette universalité ne doit pas être confondue avec une unicité dogmatique, d’ailleurs cette couleur blanche ne représente-elle pas la multitude de couleurs ?

A mon sens, le choix de la matière utilisée pour ce tablier conforte ce caractère universel de la maçonnerie. Ne fait-il pas par elle référence à une idée de sacrifice ?

Voyons cette question de plus prêt.

Nous parlons de peau d’agneau, pourquoi agneau ? Symbole de pureté, de sacrifice ? L’agneau est l’animal sacrifié pour un dieu, ou un idéal, une conviction. Au même titre, la maçonne déclare se trancher la gorge ou signer de son sang pour certifier ou tenir son engagement : « je préfère me trancher la gorge plutôt que de trahir mon engagement » ou « Madame, nous allons dans un moment, exiger que vous…cette obligation devrait être écrite par vous et signée de votre sang », puis « ...Apprenez par cette épreuve que dans tous les temps et dans toutes les circonstances, vous devez secourir vos S\ S\. Et verser, s’il est nécessaire, votre sang pour elles », comme cela est écrit dans le rituel.

Il s’agit d’un sentiment d’autosacrifice pour un idéal, l’engagement maçonnique, comme ABRAHAM acceptait de sacrifier son fils, c’est-à-dire sacrifier une partie de lui-même pour répondre à son engagement vis-à-vis de DIEU. Symboliquement nous passons du sacrifice animal au sacrifice humain : je renonce à moi au profit de mes convictions et de mon engagement. Peut-on alors parler de soumission comme certains ? Soumission à Dieu, à la Maçonnerie ? Sans cet autosacrifice, peut-on accéder à une réalité spirituelle ? N’est-ce pas le sens de notre persévérance, nous ne devons pas nous arrêtez à la moindre difficulté, et ce tablier en est le symbole. Il est l’emblème du travail comme écrit WIRTH, … « qui rappelle qu’un maçon doit toujours avoir une vie active et laborieuse sans pour cela y voir un châtiment. Le maçon est un homme libre et répugne à l’oisiveté à la mollesse. Il trouve le summum du bonheur dans une action constante, féconde et utile au plus grand nombre ».

C’est dans ce sens que je conçois le symbole d’ABRAHAM comme un symbole universel et non exclusivement religieux, un symbole de non soumission pure et simple et non un symbole dogmatique. Ce sacrifice envers mon engagement maçonnique ne saurait être une soumission aveugle à quoique ce soit car c’est un engagement éclairé, libre et réfléchi, spirituel, une ouverture vers l’universel, à la recherche de la vérité, pour la construction de notre Edifice, le Temple, formé d’une multitude de pierres travaillées.

Une dernière précision, l’agneau rappelle aussi le berger qui conduit son troupeau aidé d’un bâton. Cela ne nous renvoi-t-il pas non plus vers les deux maîtresses de cérémonie qui ont pour attribut une canne pour accueillir et conduire les maçons au sein du Temple ? Le tablier blanc de l’apprentie pourrait-être le premier symbole c’est-à-dire du premier degré qui aborde tout ce qu’est l’universalité maçonnique et donne une idée de ce qu’est l’initiation.

J’ai dit.

M\ S\ L\