Obédience : NC Loge : PHOSPHOROS - Orient de CAEN 11/02/2012

Le Tablier de la Maîtresse

Les tabliers du 3ème degré ont évolué au cours du temps. Dans la seconde moitié du 18ème siècle et les premières décennies du 19ème, ils étaient richement décorés et présentaient une grande diversité dans les dimensions, les formes, les matériaux. Je limiterai mon étude au tablier le plus simple du REAA. Seule sa couleur diffère selon le rite. Après une brève description, je m’attacherai au rôle du tablier lors de la cérémonie d’élévation puis à la forme, la matière, les couleurs et les inscriptions de celui-ci et à sa fonction au troisième degré.

Le tablier est obligatoirement porté dans les trois grades; il marque la progression de la maçonne. C’est le même aux premiers et deuxièmes degrés. Seule la bavette rabattue, au deuxième, distingue la Comp\ de l’App\ ; l’App\ se prolonge dans la Comp\ mais celle-ci ne se prolongera pas dans la M\.

En effet, lors de la cérémonie d’élévation, la V\ S\ Experte arrache le tablier de la Comp\-signe de son identité- accusée du meurtre d’Hiram et le remet à la T\ R\ M\ « Voici son tablier où je n’aperçois aucune tache ».Ce dernier, pur et sans tache est la preuve de l’innocence de la Comp\. Dès lors, il va apparaître encore trois fois dans la cérémonie mais ne sera plus porté. Après le violent coup de maillet du troisième mauvais compagnon-rôle tenu par la T\R\ M\ qui tue Hiram, le tablier, linceul symbolique, est placé par les VV\ SS\ M\ des Cér\ et Exp\ sur le visage de celui-ci, étendu sur le sol. Son temps de compagnonnage est achevé. Pour s’assurer que le cadavre est bien celui du Maître la T\ R\ M\ enlève le tablier et s’exclame : « Oh ! Ciel, C’est Lui…c’est l’Architecte ! » Elle fait le signe d’horreur puis recouvre de nouveau le visage du récipiendaire. Ce tablier disparaît ensuite; c’est la fin d’un cycle. Lorsque la Récipiendaire.est relevée par les cinq points de la maîtrise, elle est prête à porter son nouveau tablier : celui de la M\ M\.

Le tablier coloré – annonce d’un nouveau cycle- sera remis à la nouvelle M\, une fois « son instruction terminée et complète ». Il est toujours blanc en peau d’agneau mais sans bavette. Toutefois, celle-ci est matérialisée rabattue pointe en bas. Dans notre rite, le tablier est bordé par une banderouge. Rouges également sont la ceinture et les lettres M\ B\. L’envers est doublé de noir ; y sont dessinés une tête de mort, deux tibias croisés et neuf larmes.

Les cinq sens ont donné accès à la matière (1er degré), indispensable, base de toute construction. La bavette relevée de l’apprentie, pointe dirigée vers le ciel, protège le plexus solaire et le ventre, siège des émotions et des sentiments perturbateurs dont l’App\ doit se garder, mais aussi athanor où la materia prima doit se transmuter. La Comp\ devenue plus habile a sa bavette rabattue; cela la libère et lui permet d'élargir ses relations avec l'extérieur. De plus, les passions, les vices sont virtuellement dominés, le processus de spiritualisation a commencé.

Le trois, (divin, sacré, esprit) figuré par la bavette en triangle, est descendu, a pénétré dans le quatre de la matière, reflet terrestre de la divinité. Le cercle avait déjà été suggéré en rabattant le triangle sur le rectangle, cercle que la nouvelle Maîtresse sera, ensuite invitée à tracer. Le quatre du tablier-symbole de la terre, du monde physique et le trois de la bavette-symbole du ciel, du monde des principes- donnent le sept, expression de la réalisation complète de toutes choses, de la réunification C’est, aussi, selon I\ Mainguy « le nombre de l’achèvement » d’un cycle d’évolution, et du franchissement d’étapes, ainsi que l’indique notre expression « sept ans et plus » âge de la M\ M\.

Au premier et deuxième degré, l’unique couleur est le blanc, qui a un ensemble de significations complémentaires telles la rectitude de l’intention, la pureté, l’innocence, le silence, le commencement, l’état potentiel. Le blanc est, aussi, la synthèse de toutes les couleurs, l’unité, dans la diversité. Il réfléchit, transmet la lumière, la spiritualité : le tablier sur le visage de la Récip\ peut annoncer l’ascension, l’illumination, le retour à l’Unité. La M\ M\ conserve pur et sans tache son cœur, ses intentions, sa conduite dans la loge, la société et le monde profane ; elle a théoriquement sacrifié son ego, sa personnalité, abandonné sa vieille dépouille pour se revêtir de lumière, d’incorruptibilité. Elle doit, désormais, rayonner et transmettre.

La peau d’agneau n’est plus uniquement le matériau animal protecteur, celui qui met à couvert les zones périlleuses du corps, il peut, maintenant, être vu comme la capacité à se sacrifier, tel l’agneau de Dieu, pour se libérer de la condition terrestre, de la manifestation où souvent domine l’ego. Elle rappelle la mort d’Hiram, bâtisseur du temple, image du cosmos, victime de sa rectitude, de sa droiture, auto-sacrifié et tué par les trois mauvais Comp\ plutôt que d’introduire des éléments de chaos dans sa construction ; Hiram est mort à sa condition terrestre, mais renaît « aussi radieux que jamais » esprit vivant incarné. Cette peau extérieure doit révéler la nature profonde intérieurede la M\M\.

Le rouge souligne ce qui n’était que suggéré au 2ème degré ; les trois niveaux acquièrent leur pleine réalité visuelle: le monde céleste avec le triangle de la bavette, le monde maçonnique avec le reste du tablier et le monde profane avec tout ce qui est en dehors de lui. L’esprit pénètre laM\ M\ qui doit devenir l’intermédiaire entre ces deux mondes (1). Le rouge est la couleur du sang, du sacrifice, c’est aussi celle du feu central, de l’homme et de la terre. Il est matriciel et renvoie à la Création dans la Genèse; Adam en hébreu signifie homme et rouge ; le féminin désigne la terre. En alchimie, c’est la couleur du soufre mais aussi du cœur, de la connaissance ésotérique.

La ceinture rouge, tout en nous mettant à couvert, forme un cercle dont nous sommes le centreet affirme notre unité dans le cosmos. Cette couleur dynamique incite à dépasser les limites, à passer de l’équerre au compas, du carré au cercle. La boucle en forme de serpent ferme la ceinture. Serpent discret mais présent qui peut indiquer la présence des forces obscures en nous, qui ne doivent pas être enfouies mais reconnues et transformées.

Sous le triangle inversé de la bavette pointant vers le centre du rectangle, dans la partie inférieure du tablier, symétriques, brodées en rouge, ostensibles, les deux initiales du mot sacré des M\ M\. C'est la 1ère fois que nous portons le mot sacré sur nous, mobile et non plus extérieur, statique, gravé sur les colonnes comme l'étaient les mots sacrés des deux premiers degrés. La mort d’Hiram a entraîné la perte de la parole, la perte de l’Unité originelle, du Centre, du Sens. Seul nous est accessible, le mot substitué indiqué par ces deux lettres.

Le mot substitué peut admettre plusieurs sens que l’on peut réunir autour de l’idée de mort, décomposition, putréfaction, et renaissance, ou bien autour de la notion d’architecte. De même que les juifs ont perdu la prononciation du Tétragramme hébraïque en raison de leur relation de plus en plus faible avec leur Dieu, de même, notre ego, nos zones d’ombres ont assassiné Hiram ; nous avons perdu le Nom que nous ne retrouvons que sous une forme substituée lorsque nous renaissons Maîtresses, relevées grâce à l’Amour. Ces deux lettres peuvent exprimer la philosophie du grade. La lettre même en hébreu représente l’eau fondatrice, le Beth, initiale de bereshit, premier mot de l'Ancien Testament, annonce le commencement ; ces deux lettres renvoient à la Genèse tout en posantla question qui fonde notre recherche, question fondamentale et sans réponse car le Grand Architecte nous est inaccessible.

Dans le signe d’horreur, la M\ laisse retomber les mains sur les deux lettres du tablier, en signe d’accablement, nous dit-on dans le rituel : Hiram est mort, la tristesse domine, mais les mains s’élèvent comme pour recevoir l’influence du ciel ; elles paraissent protéger ce centre sacré en nous et lui transmettre l’influx divin, qui permettra peut-être de retrouver la vraie parole.

Le revers du tablier est noir, couleur du deuil, le Maître a disparu ; le noir nous renvoie à l’épreuve de la terre, lors de notre mort au monde profane. Celle-ci est représentée par la tête de mort et les deux tibias blancs-argenté- « la chair quitte les os »- : la putréfaction, la dissolution se produisent, « tout se désunit » -retour, à l’occulté, à l’indifférencié, au non manifesté. C’est la première phase du processus alchimique en vue de la réalisation du Grand œuvre. Ces figures ressortent sur le fond noir. La tête au centre du tablier, correspond à la pointe de la bavette rabattue à l’endroit : la chair a disparu, l’esprit peut œuvrer. Autour de ces symboles, neuf larmes, trois au septentrion, trois au midi, deux au nadir et une seule au zénith évoquent l’affliction, conséquence de la mort d’Hiram. Peut-être sont-elles aussi des gouttes de pluie, ou de rosée par lesquelles l’esprit vient fertiliser la matière, aidant à la putréfaction des éléments pour une re-création à un niveau supérieur. Le deux par le trois devient un, laissant prévoir la réunification.

Il semble que l’Œuvre au noir de l’envers du tablier annonce l’Œuvre au blanc de l’endroit puis, par la bordure, plus tard, l’Œuvre au rouge des alchimistes.
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Le tablier de la M\ M\, symbole visible de qualités internes réunit ce qui est suggéré dans les degrés précédents et symbolise la progression dans la voie initiatique, le chemin parcouru et à parcourir de l’initiation virtuelle à l’initiation réelle. Il invite la Maîtresse à poursuivre la quête de la connaissance, à aller « de l’Orient à l’Occident et de l’Occident à l’Orient et par toute la terre pour chercher ce qui a été perdu, rassembler ce qui est épars et répandre partout la lumière »dans l’Humilité, la Fraternité et l’Amour.

J’ai dit.

B\ J\

Note :

(1) comme le dit Jean Pierre Villeneuve.

Bibliographie :
I. Mainguy : La symbolique maçonnique du troisième millénaire.
J.P. Villeneuve : Les Maçons, les gants et le tablier.
G. Piau : Initiation maçonnique et symbolisme alchimique.


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