DH Loge : Fraternité Universelle - Orient de Dakar - Sénégal
Date : NC


Le Silence

Je romps le silence ce soir pour vous entretenir du… silence.
J’ai choisi ce thème car c’est un élément vécu, palpable de ma vie d’apprenti, parmi tout cet ensemble de rites et de symboles que je découvre progressivement.

Silence vient du mot latin silentium, mot de la famille de silere qui signifie se taire.
La définition du silence tel qu’on la trouve dans le Larousse est l’absence de bruit. Le silence est donc audible : c’est un vide plein de signification.
Plus que des mots pour le définir, le silence c’est : ...
J’ai dit …tantôt que le silence n’est pas neutre. Il n’est pas quelque chose de mort, de figé, de dévalorisant. Il est au contraire fortifiant et ouvert. Il permet l’éveil des autres sens, et j’en veux pour preuve, ce vide qui vient de précéder où chacun de nous a laissé passer un message dans son regard et dans sa mimique.
Le silence permet donc de signifier quelque chose sans rien en dire.

J’aborderai ce thème suivant deux axes : le silence dans le monde profane puis le silence de l’apprenti.

Dans le monde profane, je développerai l’emprise positive du silence sur l’observation, l’écoute, la concentration, la méditation,  l’émerveillement, le secret professionnel, et pendant la prise de la parole. J’analyserai ensuite l’aspect négatif du silence.

Bob Wilson un metteur en scène d’opéra, en parlant du silence disait : « Il n’y a rien d’aussi fort que le silence, le silence renforce tout et je me sers du silence pour renforcer mes sens ».

* Le silence nous apprend à mieux observer ce qui nous entoure, à être plus réceptif aux évènements auxquels nous sommes confrontés, pour un meilleur discernement d’une situation donnée. Il favorise une contemplation plus fine d’un évènement afin d’en découvrir toutes les facettes.

* L’écoute est également stimulée par le silence qui accroît la réceptivité, afin de mieux analyser les propos et de mieux intégrer ce qui est dit. Apprendre à écouter c’est diriger son attention vers l’essentiel, c’est susciter l’éveil, la curiosité saine. Apprendre à écouter c’est apprendre à entendre avec l’ouie de sa conscience. Apprendre à écouter c’est donc avant tout apprendre à garder le silence.

* Le silence favorise l’introversion et permet le voyage nécessaire à l’intérieur de soi pour mieux se connaître. Il apporte les meilleures conditions pour une activité psychique et spirituelle.

* Le silence stimule la concentration : en fait le silence est la condition de la concentration. C’est dans le silence que l’on peut être seul avec ses pensées; c’est le moment ou l’on échafaude des plans, on ordonne, on réfléchit aux diverses solutions possibles, on pèse le pour et le contre. Ne dit-on pas que la nuit porte conseil ? C’est dans le silence de la nuit que l’on trouve souvent les ébauches de réponses aux problèmes posés.

* La méditation  nécessite également le silence. C’est dans le calme, après avoir tu toutes les passions, toutes les pulsions, tous les troubles engendrés par la vie sociale que les conditions d’une méditation profonde sont réunies. L’absence de bruit développe de nombreuses qualités telles que la délicatesse, la sensibilité, l’harmonie et crée les meilleures conditions pour le travail de la pensée.
  Nombreux sont ceux qui, pour accéder à la méditation se retirent dans des endroits isolés pour rendre le travail plus fécond. C’est le cas par exemple des moines, des bouddhistes  de certains philosophes..; etc. Certains ont dû se retirer dans le désert pour trouver le silence indispensable à la méditation. Il s’agit là d’établir une communication entre l’être intérieur et la nature environnante.

* Le silence permet l’essor de l’imagination. Aucune activité humaine impliquant fortement le cerveau ne peut valablement se développer sans le silence : du médecin au peintre en passant l’architecte. Même le travail des avocats dans les prétoires où le verbe et la gestuelle sont rois, nécessite d’être préparé dans le silence.

* Le recueillement se fait aussi dans le silence. Celui-ci devient un lien . Cela est magnifié par la minute de silence que l’on observe à la mémoire d’un disparu.

* L’émerveillement, la passion se vit aussi parfois en silence. Quelle parole pourrait soutenir l’intensité et la flamme de ces brefs instants où les yeux de deux personnes se croisent, ce moment où ils se regardent dans le fond de leur cœur, où ils se sentent reconnus pour ce qu’ils sont. Rien, à part la force du regard et du silence, ne peut exprimer leurs sentiments. Le silence est alors plus fort que la parole. Ne dit-on pas que le silence est d’or et la parole d’argent ?

* Sur le plan professionnel, certaines corporations sont tenues à la loi du silence. Il s’agit là du secret professionnel, que l’on rencontre surtout chez les confesseurs, les avocats et dans les professions médicales.
Les médecins, en prêtant  serment disent je cite « Admis à l'intérieur des maisons, mes yeux ne verront pas ce qui s'y passe, ma langue taira les secrets qui me seront confiés…»fin de citation. Le secret médical se justifie par l'obligation de discrétion et de respect de la personne d'autrui. Ce conseil d’Hippocrate est  destiné à préserver le principe de base de la relation médecin- malade : la confiance.
Sans confiance, le malade ne peut s'exprimer totalement sur les maux dont-il souffre. Sans confiance, le médecin ne peut être suffisamment informé pour offrir les soins les plus diligents.
Il intervient alors que le patient, fragilisé par la maladie, se trouve particulièrement vulnérable.

Le patient, lors de l'interrogatoire sur ses antécédents pathologiques, confie des données qui concernent non seulement sa vie personnelle mais aussi sa vie familiale et sociale.
Lors de l'examen clinique, le malade dévoile son intimité physique et se soumet à tous les examens complémentaires nécessaires pour orienter le diagnostic et obtenir les meilleurs soins.
Le patient confie ainsi au soignant ce qui compte le plus pour chacun d'entre nous, sa santé et parfois sa vie. Et c’est dans le silence que le médecin écoute son malade.

Lorsqu'un secret a été confié, la morale et le droit incitent celui qui a reçu la confidence à agir avec discrétion, prudence et délicatesse.

* On ne peut pas parler du silence sans parler de la parole qui est son corollaire. La parole s’appuie sur le silence qui lui donne naissance et forme, après avoir suscité la réflexion sans laquelle il n’existe pas de parole digne d’un homme. La communication passe par des mots mais également par l’absence de mots, par des pauses silencieuses entre les mots et entre les phrases. Ces pauses donnent du poids au verbe, donnent de la force au message que l’on veut passer, en insistant sur l’essentiel. 
En cultivant le silence, on apprend à parler peu ; on apprend à se maîtriser, à ne pas dire tout et n’importe quoi ; en fait on apprend à parler bien.

Un bon dosage entre silence et parole bien dite distingue le sage en donnant force et beauté à son intervention. Même si tous les hommes ne peuvent devenir des sages, tous devraient au moins essayer de l’être, ce qui est encore plus indispensable pour l’initié.

* Le mutisme est l’aspect négatif du silence. C’est une négation de l’expression, une incapacité ou une impossibilité de s’exprimer ;  c’est la fermeture au monde extérieur.
Il peut être volontaire dans une situation donnée et refléter un refus à s’intégrer, à partager, à communier avec l’entourage.
Dans des situations très crispées, il y a toujours des non- dit très évocateurs ; on étouffe, et si en apparence on ne dit rien, ce n'est pas parce que l'on n’a rien à dire. Ce mutisme est chargé de sens, de reproches, de haines retenues, de tensions exacerbées.
 
Le mutisme peut être pathologique : troubles de la personnalité, dépression, maladies mentales, autisme…etc.… C’est ce qui peut arriver de pire au cerveau humain conçu pour la pensée et le partage de cette pensée. Ce vaste domaine de la détresse n’est pas l’objet de mon propos ce soir.

* L’autre aspect négatif du silence c’est celui des enfants mal traités, des opprimés, des personnes violentées qui par crainte de représailles, d’être incompris, se retranchent derrière le silence.
Dans ce cas le silence peut-être lourd de conséquences et il faut rompre le silence et oser en parler.
* Le silence signe de mépris  (à développer)

* Enfin il y a le silence éternel de la mort physique, biologique. C’est l’aboutissement irréversible de la phénoménologie de la vie.

Le silence de l’apprenti

Dans ce chapitre je m’efforcerai de mettre en exergue la valeur du silence d’abord dans le cabinet de réflexion puis lors du dépouillement des métaux. J’essaierai ensuite de faire ressortir le symbole du silence dans le maintien à l’ordre, puis pendant  une tenue. Enfin j’insisterai sur l’importance de garder la loi du silence sur nos travaux avant de conclure.

* Dans le Cabinet de réflexion outre les inscriptions et les symboles présents il y a un élément qui est inexprimable et qui pourtant est très fort : c’est le silence. Celui-ci permet de faire le vide en soi ; le mental apaisé devient moins désordonné favorisant la réflexion nécessaire pour rédiger le testament et répondre aux trois questions qui sont posées.
 Commence ainsi l’introspection qui doit nous suivre durant toute notre vie maçonnique. Se connaître soi-même pour mieux connaître l’autre.
  « Pour apprendre à penser » dit Oswald Wirth, « il faut s’exercer à s’isoler et à s’abstraire, en rentrant en soi-même, sans se laisser distraire par ce qui se passe au dehors ». Le silence a pour fonction de donner des conditions idéales au travail de la pensée. Le silence est une qualité de la vie intérieure.
C’est dans le silence du cabinet de réflexion que va s’opérer la mort initiatique du profane et qu’il va renaître à la vie spirituelle. Toute création, toute élaboration naît dans le silence. Cependant cette mort fictive ne nous laisse pas indifférent, et nous conduit à réfléchir sur le concept de la mort, celle de l’aboutissement de la vie, celle du passage au silence définitif.  La mort est-elle un néant ou seulement un stade qui correspond à la transformation de la matière ? La mort donne-t-elle la vie ? Toutes ces questions et bien d’autres nous viennent à l’esprit quant on évoque le silence éternel. 

* Ne retenir que les vraies valeurs et se désintéresser du superflu. C’est en dépouillant le vieil homme que l’on fait taire ses métaux. Ce silence de tout ce qui est matériel, de tous les préjugés fait revivre en nous l’humilité, et fait taire notre orgueil, notre amour-propre et nos pulsions, pour que renaisse l’amour la joie et la paix. « L’homme qui aspire à être libre » dit Jean-Pierre BAYARD « doit apprendre à se détacher des choses futiles et se souvenir que la cupidité est le pivot de tous les vices ».

* Se tenir à l’ordre a comme signification de maintenir le bouillonnement intérieur, de ne pas s’emporter, de faire attention aux mots qui passent par notre gorge, de pouvoir contenir notre éventuelle envie de dire n’importe quoi, et de pouvoir donc agir sur la parole, action sur la parole qui ne peut se faire que dans et par le silence.
Le signe guttural signifie entre autre que l’on préférerait avoir la gorge coupée que de trahir les secrets qui nous ont été confiés. Symboliquement on est prêt à perdre la vie, à être réduit au silence éternel s’il y a un manquement à l’engagement pris de garder le silence sur les secrets initiatiques.

* Le silence de l’apprenti sur les colonnes pendant les travaux  stimule l’écoute, l’observation, la compréhension des symboles  l’introspection et la méditation.
Il n’est point besoin de rappeler, comme le dit si bien Plantagenêt « que la discipline de l’apprenti commence par le silence et finit par la méditation ».
Il s’agit là, de dégrossir la pierre brute et le silence apprend à être attentif, à être modeste, à être humble, à être patient, à se vaincre soi-même, à discipliner sa raison, à dompter ses pulsions passionnelles, à repousser son égoïsme, ses préjugés, à approfondir sa capacité de réflexion avant la parole et l’action.
Ce n’est qu’à la faveur de ce long silence que l’apprenti  peut faire cet indispensable retour sur lui même, ce qui l’affranchira de l’influence de son existence profane et lui fera découvrir que ce qu’il est venu chercher dans le temple se dégagera progressivement de l’interprétation des symboles et du travail rituel.

Le silence après la planche de l’apprenti que s’imposent maîtres et compagnons est une nouvelle épreuve pour l’apprenti qui continue sa remise en question après un travail qui n’est pas jugé. Il est encore seul avec sa conscience, seul avec ses doutes dans la recherche de la lumière.

* La manière d’intervenir en loge quand la parole circule est  très parlante ; chacun à tour de rôle s’il le souhaite sort du silence et prend la parole pour apporter une contribution constructive et féconde. Il a eu l’occasion dans le silence d’éveiller son écoute et de peaufiner son intervention. Il ne gaspille pas la parole. Il doit faire un effort pour que la parole ne dévale pas la pente de la facilité et des habitudes.
Le fait de se mettre à l’ordre, d’être immobile, de s’adresser au V\ M\ oblige à se dominer et à avoir une attitude correcte.

* Enfin je ne passerais pas sous silence la clôture des travaux, où nous promettons de respecter la loi du silence.
Le secret est un silence que l’on s’engage à garder par sincère conviction. Le secret est une information qu’on garde en soi et pour soi; il est fermé aux autres par la clef de sa volonté.
Dans la tradition maçonnique il est demandé à l’initié de s’engager à taire tout ce qui relève de l’art maçonnique et tout prioritairement de ceux qui l’exercent. Nous nous trouvons dans une association initiatique, donc par définition fermée, « où les membres se taisent par pudeur, par respect, ne voulant pas révéler leurs mystères à ceux qui ne sont pas préparés à les recevoir » précise Jean-Pierre BAYARD dans le symbolisme maçonnique traditionnel.
Ne pas dévoiler les noms de ses FF et SS c’est ne pas porter atteinte à leur liberté individuelle et ne pas ruiner l’esprit fraternel.
L’obligation de silence sur les mots, les signes et les travaux, est partie intégrante du serment de l’initié. Tous les membres de l’Ordre ont des devoirs les uns envers les autres et pour les remplir il est indispensable que les initiés puissent se distinguer des profanes. Les moyens de reconnaissance doivent donc faire l’objet du secret le plus absolu.
« Les véritables secrets maçonniques ne sont jamais communiqués à qui que ce soit tout simplement parce que la connaissance initiatique ne se donne pas », affirme Christian GUIGUE. La vérité n’est pas située dans les paroles dont nous entourons nos concepts et nos idées, la vérité réside dans l’influence spirituelle dont les rites sont les véhicules, et les symboles le moyen d’accéder à cette connaissance ésotérique.
Le silence sur les travaux permet à ceux-ci de ne pas être dénaturés par le monde profane.

Au terme de cette esquisse où j’ai essayé d’approfondir mon vécu du silence, je dirai que pour nous, apprentis, il faut que le silence soit notre discipline, l’observation notre arme, la méditation notre force et le travail efficace notre loi.

V\M\ et vous tous mes FF\ et mes SS\ Avec votre permission je retourne au silence.

J’ai dit V\M\

W\ D\

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