Obédience : NC Loge : NC 19/11/2004


Le Silence de l’Apprenti


Ce choix m’a fait rentrer dans une double difficulté mais aussi dans un double paradoxe. La première difficulté et c’est un paradoxe, c’est justement de parler du silence ! Il est difficile de parler du silence, car lorsque l’on parle de lui, on le brise.    Il se peut que si, l’on se donne la peine de l’écouter, il parlerait peut-être de lui-même !

La deuxième difficulté toute aussi importante consiste à parler de ce qu’on ne connaît pas vraiment, pas encore, et que peut être, un jour, on découvrira dans sa véritable signification. Le paradoxe, pour un Apprenti est justement de devoir parler de ce    qu’il ne connaît pas.

Mon travail décrira donc bien plus une sincère aspiration, un chemin à suivre plus qu’un véritable acquis qui ne peut être encore qu’embryonnaire, le véritable Silence étant un Etat bien plus qu’une attitude.

Il est vrai que le silence est une notion particulièrement importante dans la société  dans laquelle nous vivons où il n’a plus beaucoup de place.

Il est très important de savoir que le silence n’est pas simplement l’absence de bruit,    il est bien autre chose. C’est un mot qui a ses limites, qui ne peut recouvrir à lui seul ce qu’il représente  au niveau spirituel.

Quelqu’un de sourd peut ne pas connaître le silence car le silence c’est un état d’esprit, une manière d’être. Je parle bien sûr de ce que nous appelons faire le silence en soi.

En Loge, les Apprentis ne sont pas forcément les plus silencieux.
Le silence, c’est se couper du monde, des pensées qui nous assaillent pour entendre autre chose. Cet « autre chose », ce ne sont pas des paroles, des bruits, ce sont des vibrations, les vibrations de la véritable valeur de la Vie, du véritable Amour, de la Lumière Spirituelle.

Les Maîtres en Loge sont supposés être plus attentifs à toutes ces vibrations. Lorsqu’ils prennent la parole, ils ne coupent pas forcément le silence, ils peuvent ne faire que transposer des vibrations en paroles. D’ailleurs, les bouddhistes ne sont pas silencieux au sens commun du terme, lorsqu’ils méditent.

Voyez-vous mes Frères, le silence, c’est bien autre chose. C’est être en accord avec son âme, avec l’Univers.

Cela ne signifie pas que le silence de l’Apprenti, donc la non prise de parole n’a pas  de valeur. Cette non prise de parole symbolise, accompagne le vrai silence.

On amène l’Apprenti à être réceptif au silence.

Mais nous savons qu’il n’y a pas que des maçons dans une tenue. L’Esprit spirituel   est bien présent. Invité par le rituel, il a droit à la parole lui aussi. Il faut l’écouter.

Voilà un peu ce qu’est le silence.

Le silence de la première leçon de Bouddha : « Fait silence en toi et écoute » Surenchérissant encore sur cette notion de Silence, certaines disciplines orientales pratiquées dans le bouddhisme et l’Hindouisme, n’y voient plus un moyen de transcendance mais le but ultime de leur travail sur soi.

Le silence n’est alors plus une condition stimulante de l’environnement extérieur mais un idéal d’état intérieur à atteindre, où l’esprit débarrassé des scories du langage et de la pensée peut enfin se révéler à lui-même dans la lucidité et la sérénité.

Pour moi, le silence, c’est apprendre à parler juste. Le silence de la pensée est le vecteur sur lequel nous viendrons un jour à penser les mots justes.

Avec le silence, j’ai commencé à apprendre à écouter. En effet, en loge, je n’avais pas le choix ! Je croyais pourtant savoir le faire mais en fait, je ne le savais pas.
Ne pouvant me précipiter sur la parole qui m’était interdite, je n’avais d’autres choix que de parfaire et parachever mon écoute.

Ce que j’ai appris, c’est qu’il est bon d’entendre et d’écouter l’autre, cet autre qui nous renvoie à nous même, cet autre au travers duquel on se découvre.

C’est dur au début de ne pas avoir toujours raison et puis ensuite les choses changent.  On finit par passer du stade de l’opposition à celui de la complémentarité puis même à celui du désir d’une autre opinion, d’une autre manière de penser, d’une autre concep-tion, d’un autre point de vue, d’un nouvel éclairage car, c’est bien de cela qu’il s’agit.
L’opposé apparent, ennemi premier du moi qui se révolte devient un allié, un autre nous même, une lumière de plus qui va nous éclairer sur le chemin de notre propre réalisation.

Le symbole est à l’esprit ce que l’outil est à la main. Comme l’outil de l’opératif, il doit être compris dans sa manipulation et son usage spécifique dans le but d’obtenir le résultat escompté. Il en est de même du silence de l’apprenti.

Au début, je l’ai ressenti comme une limitation, voire comme une brimade.

Pourquoi est-ce que l’on m’empêche de parler ? Moi aussi, je veux prendre part aux débats, aux travaux. Moi aussi, j’ai des choses à dire, moi aussi je veux être écouté
et entendu. Moi aussi, je peux apporter quelque chose. Et puis, tout doucement, les « choses » se mettent en place. Je perçois la différence entre le « vouloir dire », le « dire » et la substance de ce « dire »

Je commence à me poser la question : « Est-ce que ce que je veux dire est utile » ? Sert-il l’intérêt de mes frères ou seulement est-il là pour flatter mon ego ?

Qu’il est dur de mourir à un faux soi-même pour renaître à un vrai soi-même !
Il est là le difficile chemin de l’initiation.

On n’a pas de « poignées » auxquelles se raccrocher, on est seul face à soi-même, face à ce silence oppressant, bruyant, tumultueux et dévastateur qui progressivement va se transformer en silence paisible, riche d’enseignements et de progrès.

Il y a une analogie entre descendre en soi à travers le silence, et le VITRIOL du   cabinet de réflexion.

On est enfermé dans un lieu sombre, obscur, inhospitalier, effrayant et puis tout doucement, en méditant et en rédigeant son testament philosophique, on prend conscience qu’on est en train de rédiger un acte tourné vers l’avenir, vers le futur        et que ce qui paraissait être une fin est en fait un début, une ouverture et non une fermeture.

Un apprentissage et non une épreuve, un retour vers soi qui débouchera vers une plus grande ouverture sur les autres. Une clef de plus vers la découverte de soi  mais avant, il faut tuer le vieil homme que l’on a en soi, lui faire mettre genou à terre pour qu’il puisse ensuite mieux se relever.

Si je suis coupé de la parole, je suis donc à priori coupé de tout mode de communi-cation puisque toute communication digne de ce nom ne peut se faire que dans les deux sens.
Je me retrouve donc coincé dans une position d’incommunicabilité très inconfortable : constat à priori. Eh bien non ! Et si cette impossibilité de communiquer par la parole n’était pas là pour m’amener tout doucement à chercher un autre mode de communication ? Comment se fait-il que cette évidence m’ait échappé au début.

C’est donc par ce que je suis et par ce que je deviens que je peux communiquer, que je dois communiquer et en fait, de cette manière, un autre style d’échange se met en place, une autre communication bien plus profonde, bien plus authentique. J’ai donc appris qu’on peut communiquer à travers le silence, par un état et non  des paroles et qu’une des caractéristiques fondamentales des sociétés initiatiques (et c’est bien dans cela que nous sommes) est que « rien d’essentiel n’apparaît jamais au premier niveau de lecture »

Et pour reprendre le Petit Prince : « L’essentiel est invisible pour les yeux ». 
Cela vaut aussi pour les oreilles.

Le Silence m’a aussi permis de mieux m’imprégner de notre rituel, à un peu plus le vivre de l’intérieur, par l’intérieur et à prendre toute la mesure de la différence qu’il y a entre « Faire du rituel », c’est à dire pratiquer un rituel et Vivre ce rituel, le vivre vraiment, essayer de le comprendre, de le ressentir, d’en découvrir les richesses et surtout m’en imprégner afin qu’enfin il puisse agir en moi pour ainsi me permettre     de m’élever vers un autre niveau de conscience.

Le Silence me permet aussi, plongé en moi-même, de me poser les bonnes questions : « Ai-je vraiment laissé mes métaux à la porte de ce Temple ? » 

Suis-je capable de véritablement porter un regard fraternel envers Tous mes FF\   sans exception ?

Ce vrai regard fraternel qui prend naissance au fin fond de nous-même et pas celui     de l’apparence uniquement ? Ai-je véritablement appris à ne pas juger ?
A ne pas pré-juger ? ».

Toutes ces choses, le Silence nous les enseigne.

Si le Silence est l’absence totale de bruit, donc de chaos intérieur, s’il est paix intérieure, équilibre et sérénité, je crois bien qu’il me faudra continuer à le chercher toute ma vie.

Le silence, c’est un moment mais on ne sait pas combien de temps il dure car, en vérité, il a quelque chose d’intemporel.

Paradoxalement, il faut être actif pour trouver le silence, le véritable silence.
Il se travaille, il n’est pas instantané, donné d’emblée.

En fait, on ne sait jamais si on l’a trouvé car combien de fois je pensais l’avoir trouvé et ai découvert plus tard que je ne l’avais pas encore trouvé.

Ce n’est donc pas soudain mais progressivement, pas à pas, qu’on le découvre.

C’est un état de bien-être, c’est aussi de l’humilité car lorsqu’on est silencieux, ce      ne sont plus les paroles, ni même nos pensées qui prédominent, au contraire, nous sommes réceptifs aux paroles des autres. Réceptif, cela veut dire que nous absorbons ces paroles, ces pensées sans les interférer avec les nôtres.
C’est en cela que c’est de l’humilité.

La meilleure chose qui puisse arriver à un Apprenti et qui doit lui arriver, est qu’il apprenne à aimer ce silence et que par la suite il le recherche toujours, ce qui n’est     pas incompatible avec le fait de prendre la parole.

Le silence n’est pas réservé à l’Apprenti !

Il y a des doctrines, il en est de nombreuses car les pensées des hommes prennent      des formes multiples.

C’est précisément des formes de pensée que les hommes doivent être libérés afin de devenir vraiment « des hommes libres ». La véritable voie initiatique est sans doctrine et s’adresse à des hommes potentiellement libres car tous ne le sont pas. Les doctrines n’ont pas de réalité intrinsèque, pas plus que les pensées.

Elles n’ont pas plus de réalité que la couleur du mur où d’un objet qui n’est, en fait qu’une réflexion partielle d’une partie du spectre lumineux. Ainsi, les doctrines sont une réflexion partielle de la Lumière, de la Voie, de l’Esprit : multiples sont les doctrines, unique est la lumière !

Le mode opératoire de l’initiation est complet dès le premier pas. Faire le silence  en soi et s’y installer confortablement, c’est le premier travail qui nous est proposé sur    la voie.

C’est alors que, ne pensant plus ni au bien ni au mal, on peut transcender les notions de profane et de sacré, aller au-delà de toute conception même de l’initiation, se délivrer de toute idée de frontière entre les êtres sensibles.

Evidence fulgurante, la Source elle-même donne une explication silencieuse. L’Esprit des origines, le Principe, le Verbe est soudain révélé : « Dans l’océan, il n’y a ni augmentation ni diminution, les vagues ne reviennent jamais en arrière ».

Mais ceux qui souhaitent être ainsi éveillés doivent abandonner les connaissances,    les interprétations compliquées, rejeter tout principe, trancher les sentiments et les affects afin que se dissipent les nuages et que brille la Lumière pure...  
Bien se garder d’expliquer les symboles  car eux sont fixes et que c’est nous qui évoluons en raison de notre perception qui évolue

« Apprendre à penser c’est rester devant la porte » dit le Bouddha ! Faire le silence    en soi et y entrer, c’est pénétrer dans le Saint des Saint .

La pire menace pour une voie initiatique n’est-elle pas de s’institutionnaliser et de n’être plus qu’une tradition culturelle au sein de la société ? Une voie réellement initiatique se doit d’être vivante en mettant sur le chemin d’un vécu, d’une expérience unique.

Mais ce que je vous en dit ne sont que des mots, pale reflet de la Lumière à son couchant. Il nous appartient de le découvrir par nous même : c’est le secret intransmissible que le Silence nous révèle.

Mais me direz-vous, à juste titre, comment enseigner aux autres dans le silence, comment résister au plaisir de faire profiter de son savoir; et bien, par l’étude des symboles, des emblèmes, des mythes et allégories.

Cette étude permettant seule d’obtenir un espoir de savoir. Le symbole ne nécessite  pas un grand nombre de mots il parle souvent par lui-même et chacun y trouve sa propre signification. L’accès à la connaissance ne pourra se faire que dans le silence    et la méditation sans tapage, sans étalage de savoir et sans verbiage.

Avant de clore ce travail, je vais vous lire un court poème de Kevisa :

Le mot philosophale
Les hommes ont tant parlé,
Chanté et puis crié,
Inventé des langages,
Sans jamais se comprendre.
Ils ont pourtant tenté,
Tout au long des années,
D’emprunter le chemin
Des cœurs et des esprits,
En trouvant le bon mot :
Fraternité, amour,
Dieu, argent, liberté
Et puis encore tant d’autres,
Aucun ne convenait
Pour une vraie communion.
Ils ont désespéré
De pouvoir découvrir
Le mot philosophale
Qui guérirait le mal ;
Alors ils se sont tus
Et ont enfin compris
Que le mot qu’ils cherchaient,
C’était le mot silence.

Au début j’avais tant de choses à dire et puis avec le temps, j’ai compris qu’il  fallait savoir faire silence avant de parler, silence à l’écoute des autres mais surtout silence à l’écoute de soi. Silence : apprendre le parler vrai, celui qui consiste à avoir quelque chose à dire.

« Ne parle que si ce que tu as à dire est plus beau que le silence » disait le sage mais alors, avec mes progrès dans le silence, mon « vouloir dire » va se modifier, ma vision du vrai et du juste va se modifier et au bout du compte, lorsque j’aurai vraiment appris à être libre, à être véritablement moi-même, lorsque j’aurai trouvé un « parler juste », issu d’une connaissance juste, aurais-je encore quelque chose à dire ?

Il y a dans le cabinet de réflexion un symbole inexprimable qui n’a pas de support matériel et qui est pourtant plus présent que n’importe quel autre: le silence.

Je terminerai avec cette histoire maçonnique: « Après plusieurs années de travail de méditation sur lui-même, un F\ s’en retourne retrouver son vieux Maître\

- Le Vieux Maître lui demanda : « Qu’as-tu appris ? »
- Le F\ répondit un seul mot : « silence ».
- Et le vieux Maître lui répondit : « bavard »

VM\ J’ai dit

C\ R\

Bibliographie :
Le poète Antoine Kevisa
Le silence : Lecture et support de planches diverses

Glossaire :
Le silence : ce n’est pas l’absence de bruit qui constitue le silence au regard de la philosophie, mais l’absence ou l’abolition de la parole.
Le silence apanage de la nature est rompu par la culture, c’est-à-dire par l’apparition du langage.
Il comporte des degrés : du point zéro du langage  (silence absolu) au discours philosophique (suppression du silence) en passant par les différentes formes du discours non philosophique. 
Si le silence renvoie à l’inintelligibilité, certaines conséquences en découlent, par exemple, parler pour ne rien dire est alors un aspect du silence et à la limite dans l’hypothèse ou le langage serait conçu comme inadéquat au réel, nous serions condamnés à nous taire et à désigner du doigt les objets. 

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