Obédience : NC Loge : NC Date : NC


Le Silence

« Soyez passant » a dit Jésus dans l’Evangile de Thomas, « Je hais les sédentaires du cœur » a écrit Saint-Exupéry. Le Franc-maçon demande la Lumière. Des mots différents mais une seule démarche fondée sur ces mots de Jésus  « Vous êtes dans ce monde mais vous n’êtes pas de ce monde ». Situation parfaitement désagréable qui soumet l’homme lucide à une tension  interne source de toutes les névroses, psychoses et autres maladies psychosomatiques. D’un côté l’appel du monde, de la chair au sens paulinien du terme, de l’autre une profonde insatisfaction, une soif d’autre chose jamais assouvie éprouvée par quelque chose, par quelqu’un qui réside au plus profond de nous-même et qui, pourtant, ne nous est pas étranger. Comment, par quel moyen l’homme, le Franc-maçon, peut-il parvenir à concilier ce qui est, en apparence, inconciliable ? Pourquoi l’Apprenti est-il soumis à la loi du silence ? Existe-t-il un lien entre le silence et la quête de la Lumière ?

Si nous écoutons les différents commentateurs nous  vivons dans une époque privilégiée. Mais en apparence seulement parce que si nous grattons le vernis de notre société que trouvons-nous ? Beaucoup d’angoisse, d’inquiétude, et du bruit, beaucoup de bruit. La modernité est l’avènement du bruit « Le bruit industriel, technologique, électronique, amplifié à la hauteur de la folie est la peste  bubonique du populisme capitaliste. Pas seulement de l’Occident saturé de medias, mais jusque dans les baraques de tôle ondulée des bidonvilles africains ou parmi les multitudes de Shanghaï. Seuls parviennent à s’entendre les privilégiés ou les sourds. » (G. Steiner). Le bruit est devenu l’agression la plus omniprésente et la plus avilissante que la civilisation technique ait produite.

Est-ce que le bruit est la réponse attendue pour combler le vide intérieur de l’homme, cette dimension d’absence qu’il sent au cœur de lui-même ? Même pas. Mais, qui plus est, le silence, et son corollaire la lenteur, sont considérés comme quelque chose d’inutile, d’improductif, de contre-productif. Bruit et vitesse sont les  traits caractéristiques de l’impérialisme de l’économique, de la vision à court terme, du consumérisme dont la devise est :  « Consomme et tais-toi ». Ici seulement nous trouvons une allusion au silence. L’homme doit trouver son bonheur dans la satisfaction de ses besoins immédiats qu’il faut sans cesse renouveler par la publicité, l’intimidation ( « si tu ne possèdes pas ceci ou cela, si tu ne suis pas la mode tu n’es rien »). Résultat : le conformisme le plus absolu pour éviter toute réflexion personnelle, silence de la pensée. Seul compte le troupeau auquel on pourra faire avaler n’importe quoi parce qu’il aura été bien conditionné. Ce qui nécessite la manipulation de l’éducation, de la scolarité et de la culture par les intérêts égoïstes du capital (silence de l’intelligence, de toute forme d’intériorité).

A tort ou à raison on a identifié silence et église ou temple, silence et religion. Pourrons-nous trouver dans les trois monothéismes le silence qui nous permettra de nous révéler à nous même et, par la même occasion, d’avoir la révélation de la divinité qui est en nous ?  Je ne le pense pas; n’est-il pas toujours questions  de la colère de Dieu contre le pécheur, de la haine de Dieu pour les méchants ? N’a t-on pas affaire ici à des fictions de croyances, aux promesses de tortures dans des enfers que ces croyances ont inventées afin d’avoir un troupeau parfaitement soumis, parfaitement docile qui gobera sans sourciller n’importe quelle contre vérité ? Est-il ici question de divine compassion, d’une compassion qui observe avec amour, calme et vigilance, la bataille et la lutte, la force et la faiblesse de l’homme, ses vertus et ses vices, ses joies et ses souffrances, sa science et son ignorance, sa sagesse et sa folie, ses aspirations et ses  chutes, et qui intervient en tout pour aider et pour guérir ? Non ; il s’agit plutôt du règne du Grand Inquisiteur juif, chrétien ou musulman qui réduit au silence tout ce qui n’est pas conforme au sacro-saint dogme, aux promesses d’un paradis dans un autre monde,  qui mutile, détruit tout homme qui veut trouver par lui-même la voie qui lui est destinée .

Alors s’isoler, s’éloigner du monde ? Demandons-nous d’où vient ce retour vers la campagne, cette résurgence de sectes, cette recherche effrénée de nouveaux messies, cette attirance pour les retraites dans toutes sortes de monastères ? Il provient d’un besoin de silence, d’une soif intérieure pour autre chose de difficilement formulable. Mais, malheureusement, là comme ailleurs, le silence n’existe pas davantage : bruits du corps, de la nature, rumeurs intérieures d’un mental sans cesse en mouvement, sommeil agité et peuplé de cauchemars ou de rêves agréables, bruits divers d’une communauté, pensons aux différents appels du maillet du VM. « Jamais un plaisir pur toujours assauts divers » fait dire Jean de La Fontaine à son lièvre, il en va de même pour l’homme.

S’agit-il d’une situation désespérée ? L’utilisation du mot « silence » convient-elle ? Ne l’emploie-t-on pas parce qu’on ne peut pas mieux définir cet état qui consiste, comme je l’ai déjà indiqué, à se trouver dans le monde sans lui appartenir, à cet état de perpétuel déséquilibre intérieur, ce qu’en terme de communication on appelle un « bruit » ? Et ce bruit nulle recherche du silence ne peut l’atténuer encore moins l’effacer. Et si je le remplace par le mot « déséquilibre » qui, au sens figuré signifie « troubler l’esprit », avoir perdu l’équilibre de l’esprit », j’ai peut-être accompli un léger progrès.
Pourquoi impose-t-on le silence à l’apprenti si ce n’est parce qu’il a perdu dans le cadre du Temple ses repères habituels ; ses réflexes intellectuels ne lui servent plus à rien puisque, en Loge, il travaille dans un espace-temps différent du monde profane. Ses pulsions, qu’elles soient physiques ou intellectuelles,  peuvent l’induire en erreur parce qu’il n’aura pas encore assimilé les éléments de base de son nouvel état. Ecouter est la seule action qu’il peut accomplir. Alors,  les rumeurs de la Loge remplaceront progressivement ses rumeurs intérieures, et les différents coups de maillet, brefs, impératifs, seront là pour le rappeler à l’ordre, le remettre à l’ordre.  Psychiquement d’abord, le vagabondage intérieur auquel il aurait pu se laisser aller s’arrêtera immédiatement ; physiquement ensuite, son corps se redressera, sa colonne vertébrale deviendra plus droite, et la circulation de l’énergie qui réside en elle sera plus aisée aidant l’esprit à être plus attentif à la source qui se trouve en lui, plus réceptif  à ce murmure auquel il ne prêtait beaucoup d’attention et qui se révèlera à lui comme étant le point de départ de sa démarche maçonnique.

Je ne puis m’empêcher de vous lire ici une poésie de Paul Valéry intitulée  «  Les Pas  » :

Tes pas, enfants de mon silence,
Saintement, lentement placés,
Vers le lit de ma vigilance
Procèdent muets et glacés.

Personne pure, ombre divine,
Qu’ils sont doux tes pas retenus !
Dieux !...tous les dons que je devine
Viennent à moi sur ses pieds nus !

Si, de tes lèvres avancées,
Tu prépares pour l’apaiser,
A l’habitant de mes pensées
La nourriture d’un baiser,

Ne hâte pas cet acte tendre,
Douceur d’être et de n’être pas,
Car j’ai vécu de vous attendre,
Et mon cœur n’était que vos pas.

 Elle précise la démarche du Néophyte et propose une définition de ce qu’il faut entendre par silence. Rien à voir avec ce silence que notre civilisation recherche en vain. Rien à voir cet état d’esprit européen qui a abandonné non seulement l’idéalisme philosophique de la culture grecque et romaine qui lui a donné naissance, mais encore la passion des constructeurs de cathédrales pour le remplacer par un idéalisme pratique, un dévouement social et philanthropique qui a érigé l’homme comme déité et la société comme idole visible.  

Non, il est question d’autre chose : le fœtus ne peut croître que dans la paix, l’équilibre, la sérénité, la quiétude, à l’abri des différentes agressions du monde extérieur. L’Apprenti est semblable à ce fœtus. J’utiliserai ici les écrits de Sri Aurobindo pour apporter plus de précisions : « L’action… est l’action divine, non humaine ; non l’accomplissement de devoirs sociaux, mais l’abandon de tout principe de conduite ou de devoir pour un accomplissement sans égoïsme de la volonté divine opérant par l’intermédiaire de notre nature ; non un service social, mais l’action… accomplie impersonnellement pour l’amour du monde et en sacrifice à Celui qui se tient derrière l’homme et la nature ». Ce qui permet de comprendre pourquoi P. Valéry est passé du tutoiement « Tes pas, enfants de mon silence » au vouvoiement « Et mon cœur n’était que vos pas ».C’ est la marque du respect qui est due à quelque chose de supérieur une  « Personne pure, une ombre divine » qui apporte ses dons sur ses pieds nus, allusion au respect qui est dû au lieu saint, au temple, dont on foule le sol, en l’occurrence, ici, l’âme du Néophyte en particulier, du Maçon qu’il est, que nous sommes. Rappelons-nous St Paul, 1° Epître aux Corinthiens verset 16 : « Ne savez-vous pas que vous êtes un temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? ».

Mais tout cela ne peut s’accomplir que dans « la vigilance », « Tes pas….vers le lit de ma vigilance procèdent, muets et glacés ». Nous approchons de ce qu’est le silence : le silence est une veille ; vigilance vient du latin « vigil » qui signifie : éveillé, vigilant, attentif. Rappelons-nous, en sanskrit Buddha ne signifie-t-il pas « l’Éveillé » ? A quoi devons-nous être vigilant ? Pas à ce que nous dit notre intellect, nos pensées qui comme les singes sont toujours en agitation. « Car j’ai vécu de vous attendre » écrit P.Valéry « Et mon cœur n’était que vos pas ». Le cœur et non le psychisme, le cœur source et lieu de toute initiation, temple de la divinité en l’homme à l’écoute de laquelle nous devons nous mettre afin que le supérieur puisse exister consciemment en nous afin de nous élever à lui. Toujours de St Paul : 1 Corinthiens, 44,46 et 49 : « On est semé corps psychique on est ressuscite corps spirituel. S’il y a un corps psychique, il y a aussi un corps spirituel… Mais ce n’est pas le spirituel qui paraît d’abord ; c’est le psychique, puis le spirituel… Et de même que nous avons porté l’image du terrestre, nous porterons aussi l’image du céleste. »

Et le R.É.A.A met à notre disposition les éléments qui nous permettront d’évoluer sans tomber dans les agitations stériles du mental sous la forme des différents symboles proposés à notre méditation. En eux réside le silence ainsi que dans le cœur apaisé qui reçoit leur enseignement.

Deux questions et leurs réponses me serviront de conclusion, me permettront de préciser ce qu’est pour moi la Gnose, la Connaissance

1° Question :            Qu’est-ce que vivre ?

Réponse : c’est se poser des questions sans espérer une réponse.

2° Question : qu’est-ce que se poser des questions ?

Réponse : Puisque la réponse risque d’être absente, vivre c’est vouloir et savoir effacer en soi tout réflexe dû à la culture, à l’éducation, c’est attendre, c’est créer un vide, une attente, une ouverture et non un silence,  afin de parvenir à  un nouvel espace psychique où l’être puisera son existence parce que cet espace aura été investi par la Lumière qui n’est que l’autre nom de la Gnose, de la Connaissance, et, pour moi, cette Connaissance consiste en ceci : savoir que si j’existe c’est parce que je suis pensé et que je dois être à l’écoute de la pensée de Celui qui me pense quel que soit le nom que je peux lui attribuer.
           
J’ai dit.

J\ D\

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