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Le Silence, les Mots et les Paroles

 

Des mots couchés sur du papier, des mots jaillissants d’une bouche
Déplacements d’air ou d’encre, capables du pire et du meilleur
Armes terrifiantes, complicités magiques, merveilleux véhicules, mensonges destructeurs,
Outils fondamentaux de communication, ornements stériles d’une conversation,
Moments privilégiés, horribles mésententes, lumière, obscurité

 
Les mots sont tout cela, guerre et paix. Il suffirait pourtant d’apprendre à les comprendre, à bien les respecter, à les aimer vraiment, pour n’être que lumière.
 
Et le silence dans tout cela ? C’est un mot à la sonorité superbe. La première lettre de ce mot dessine deux courbes douces et opposées, symboles de la dualité qui nous dirige encore.
 
Les mots écrits sont-ils encore silence ; les mots parlés sont-ils absence de silence ? Le silence n’est pas un état mort, ni l’absence de bruit. Comment le définir ? Que représente-t-il ? Vaste sujet…
 
Enfant du silence, du rêve et de la contemplation, je le suis depuis toujours par penchant naturel. Enfant de la question rentrée, du secret qu’il faut garder, pour protéger son équilibre, je le suis aussi par histoire personnelle.
Les paroles n’ont été en rien, témoins de certitude, en rien, susceptibles de me rassurer sur l’existence de toute chose.
 
En grandissant, le silence était encore pour moi, un compagnon plus vrai que les paroles. Dès que je le pouvais, je savourais le calme, plongeant dans mes lectures et dans ma musique. Les mots écrits, silencieux, réfléchis ont pour moi, plus de poids, plus de sens, plus de pérennité. Sans cesse, si on l’écoute, le silence nous parle, nous renseigne sur l’état des lieux et des êtres, sur la texture et la qualité des situations rencontrées. Il est notre compagnon intime, l’arrière fond permanent, sur lequel, tout se détache.
 
Le message oral d’un individu à un autre est facilement altéré et ouvre plus grande la porte à l’erreur, à l’interprétation, à l’incompréhension.
 
Et j’en viens à rêver d’un monde plein de regards, d’écoute et de silence. Le silence n’est-il pas le souffle du logos : car, avant que le monde soit, le silence a précédé le verbe, de même que la nuit a précédé le jour.
 
Bien souvent, j’ai cherché à qualifier le silence…
Pourquoi pas avec des couleurs et des sons, comme un arc-en-ciel musical.
 
BLANC, paisible comme la neige, comme une symphonie
JAUNE, rayonnant comme un soleil, comme un allegro
BLEU, lumineux comme un ciel de Provence, comme une fugue
VERT, aérien comme l’espérance, comme une valse
ROUGE, criard comme une révolte, comme une marche militaire
GRIS, triste comme l’ennui, comme une romance mélancolique
MARRON, sombre comme l’inquiétude, comme un adagietto
NOIR, morne comme le désespoir, comme une marche funèbre
INCOLORE, comme l’air que nous respirons, comme le silence vibratoire de la musique des sphères, qui nous relie au cosmos
TRANSPARENT, comme le silence intérieur, espace dont l’esprit a besoin pour déployer ses ailes.
 
Pour ma part, le silence  pur n’existe pas : il est une question d’amplitude, de relativité. Il fait partie du rythme de la vie. Toute circulation d énergie fait du bruit, nos pensées font du bruit, les battements de nos cœurs font du bruit. Le silence relatif n’est pas le vide, et diffère en cela de la véritable méditation, état bien particulier, qui m’est encore, étranger.
Nombreuses jusqu’à l’infini, les formes du silence, dénotent les états multiples de l’être : désespoir, mépris, peur, respect, secret, attente, réflexion, rêve ou communion.
Selon les cas, le silence se fera fermeture, points de suspension ou ouverture.
 
SILENCE FERMETURE
 
Dans notre monde actuel, il est vrai que le silence se partage moins aisément que les bavardages. Certains silences crient, quémandent, se plaignent plus fort encore que des paroles. Le silence subi ne traduit souvent que solitude, indifférence et abandon. Ce silence là n’enrichit pas. Les personnes qui le subissent éprouvent un manque énorme que les bruits extérieurs peuvent dissimuler, mais ne peuvent combler. Passés les bruits, le silence se rétablit, le même qu’auparavant, plus lourd encore, empli d’absence et de désespoir.
 
Que dire du silence mutisme ?  Il est le reflet de la fermeture du cœur, des manques de la peur inconsciente de grandir. C’est un silence refuge.
 
Combien de personnes refusent le silence, miroir de leur conscience. Elles craignent d’y plonger, se voulant plus ou moins satisfaites d’une vie sociale bien remplie, cependant jamais vraiment légère. Elles refusent tout dialogue profond avec elles-mêmes, et s’éparpillent en une débauche de paroles, souvent inutiles.
Un proverbe turc dit « La bouche du sage est dans son cœur, le cœur du fou est dans sa bouche 
»
 
Parfois le silence peut devenir une arme. C’est le silence de l’indifférence, voire du mépris. En refusant de parler, au cours d’une dispute, le combat cessera, faute de combattants.
Le silence bouclier sera infranchissable, par lâcheté, par force, par sagesse ? Difficile à dire.
DE GAULLE disait «Rien ne rehausse mieux l’autorité que le silence, splendeur des forts et refuge des faibles"
 
Dans l’histoire du monde, le silence est un préalable. Dans celle de bons nombres d’humains, c’est une fin. Une telle certitude donne au silence une connotation négative. Sans foi, sans recherche spirituelle, l’homme ne cesserait d’être paralysé par l’aspect tragique de sa destinée, du processus fatal, qui fait de sa naissance, le commencement de sa fin. A la réflexion, le silence n’est menaçant, que si on le charge de nos propres erreurs et de nos propres peurs. L’homme doit vider sa mémoire, laver ses mots, nettoyer ses images, et apprendre à regarder, apprendre à écouter le silence.
 
SILENCE : POINTS DE SUSPENSION
 
En travaillant sur ce sujet, j’ai rencontré des blocages. Le silence ne me parlait plus. Je n’y voyais que des points de suspension. Comme un funambule sur son fil, je ne pouvais ni avancer, ni reculer. Cette attente me paraissait stérile. Et pourtant, cette pause arrêtait le mouvement et venait l’éclairer. Il me fallait retrouver mon centre de gravité, et avec force et vigueur, continuer ma marche vers la lumière. Ces points de suspension devenaient de la paix en suspens, un espoir de métamorphose. Cette ponctuation devait me faire prendre conscience de la mesure du temps, de l’espace, de mon espace et de ma liberté de choix.
C’est ainsi, que de silences en points de suspension, et de points de suspension en silences, je pourrais peut être, toucher au subtil de l’âme, cœur animé et éclairé de la pierre brute que j’étais, que j’ai dégrossie, mais que je polirais sans cesse.
Le silence est parole en puissance, l’intervalle est gros de possibilités
«  Quelle est donc cette mer dont le rivage est la parole vraie ? 
»  C’est peut être la mer du silence, le silence de l’ouverture.
 
LE SILENCE OUVERTURE
 
Bien utilisé le silence saura ouvrir toutes  les portes. C’est la voie royale de l’intériorité, garant de la vigilance. C’est une donnée essentielle de toutes les disciplines et des règles spirituelles. Par sa densité, le silence est un passeur, un catalyseur ; il provoque les communions et devient alors un breuvage, un élixir de longue vie.
Un écrivain ne parle pas, il couche des mots sur du papier, en silence et avec amour.
La lecture est souvent une aide pour découvrir les arcanes du silence. Il est des livres qui favorisent cette intériorité : l’imprécision dans la représentation est comme des non-dits qui appellent la participation, en laissant des vides textuels, des vides virtuels, que le lecteur peut utiliser à sa guise (d’où souvent une déception en voyant un film tiré d’un livre)
 
Quoi de plus fort qu’une complicité magique, qu’un partage mutuel, offert par des silences entendus, écoutés, bien compris, par des regards éloquents.
 
Quoi de plus puissant qu’un silence collectif après un concert, un opéra, un ballet réussi. Des milliers de spectateurs ont retenu leur souffle et après le déferlement des bravos, il règne alors sur la foule, un immense silence, une parfaite communion, des vibrations intenses.
La musique libère en nous une écoute, faisant écho dans le cœur de l’auditoire. Osmose fugitive, mais combien nourrissante, proche de l’unité : l’espace temps est oublié, nous devenons musique…
 
Proche de cet état est le silence religieux qui peut se rencontrer, lors de visites d’abbayes ou de cathédrales. Le fantastique silence de ces lieux, leur présence vibrante suffit à nous élever. L’être se déplace et s’épanouit dans ces formes poussées à leur maximum d’expression.
 
Un des plus beaux symboles du silence, est la flamme d’une bougie, dans la pénombre : sa flamme s’élève, brille danse et pourtant elle va s’éteindre. Elle est toujours présente dans nos cœurs. A nous de raviver sans cesse, notre flamme intérieure.
 
Une autre forme superbe du silence, est la peinture. Là encore, le temps est suspendu, l’absence de mouvement appelle le silence. Dans certaines toiles, le silence devient cri ; dans d’autres, le silence devient harmonie. Sachons laisser l’œuvre, seule juge du silence, seule messagère de sens, seule source de sérénité et effaçons nos discours pour regarder et écouter la peinture.
 
Il y a encore le silence des gestes : qui n’a jamais été émerveillé par l’éloquence silencieuse du mime MARCEAU, ou, dans un autre domaine, par le silence des chasseurs à l’affût, des pêcheurs méditant sur leurs lignes, le silence des sourds-muets conversant entre eux ?

LE SILENCE MACONNIQUE
 
Dès son introduction dans le cabinet de réflexion, la profane est seule face à son silence. Puis les yeux bandés, elle est conduite dans le temple. Le silence règne sur les colonnes. La cérémonie commence. Après le tumulte des deux premiers voyages, le silence devient lourd de significations au cours du troisième voyage. Reçue apprentie maçonne, ce même silence lui sera imposé en loge durant tout son apprentissage.
C’est que le silence anime un nouveau type de connaissance : celle de soi-même, des autres et de l’univers. En observant le silence, on apprend à être à l’écoute, à modérer ses passions et à approcher de la sérénité nécessaire pour parcourir le parcours caillouteux, chaotique, plein d’embûches, qui doit conduire à la lumière. Le silence est porteur de semence.
Le silence de l’initiation se cache sous le sceau du secret. Pourquoi garder, dans le mystère un acte qui est  censé nous faire avancer ? Parce qu’il est nécessaire au dévoilement progressif de l’âme : ce n’est qu’en grandissant que l’on est mûr, pour approfondir l’enseignement de notre ordre. Le secret n’est pas lié à une vision sectaire, à un non vouloir dire, mais plutôt à un non pouvoir dire, pour éviter, tant aux nouvelles initiées, qu’à nous mêmes, une mauvaise appréhension des principes maçonniques, qui doivent se vivre et non se dire.
 
Au fil des ans, la parole nous sera rendue, mais le silence devra être respecté, intégré équilibrant notre parole. De cette communion, résultera l’égrégore du Temple.
 
En conclusion, je dirai que le silence st comme une porte qui peut être verrouillée, fermée, entrebâillée ou grande ouverte. Dans ce dernier cas, à la lumière du silence, tous conflits, frictions et problèmes devraient pouvoir se dissoudre. Eveillée, l’oreille percevra de plus en plus les messages de l’intériorité
 
SILENCE !!!
Ne pourrait-on pas chanter
Son S, comme souffrance, solitude, silence
Son I, comme interrogation, intériorité, initiation
Son L, comme langage, liberté, lumière
Son E, comme écoute, enrichissement, égrégore
Son N, comme nécessité, nuit, naissance
Son C, comme complicité, cheminement, écho
Son E, comme entendement, écho, éveil ?
 
Entre le silence et la parole, il y a le cheminement et la maturité d’une expérience. En ce sens, PAUL VALERY a pu écrire «  silence, silence, chaque atome de silence est la chance d’un fruit mûr 
»
 
J’ai dit 


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