Obédience : NC Site : http://bernard.doulet.free.fr 20/10/1998

Le silence me parle à plusieurs titres

- je suis fils de paysans. Les paysans parlent souvent peu. Ils scrutent le ciel comme pour lui arracher ses secrets : va-t-il pleuvoir ? Est-ce le bon moment pour les semailles, les récoltes ?. Les grandes décisions se prennent dans le silence. Quand deux paysans  croisaient leur chemin, je me souviens de leur échange de regards, du temps d’arrêt que marquait chacun d’eux et d’un mot banal prononcé « alors ? »  « alors ? » reprenait l’autre. Signe de reconnaissance, symbole (sym-bolon) et chacun d’eux reprenait sa marche pour vaquer à ses occupations.
 
- Je suis psychiatre et à ce titre mon métier et mon choix est d’écouter mes semblables (semblables est un euphémisme tant les différences sont grandes quand il s’agit de vécu chez les êtres humains). Mais que s’agit-il donc d’écouter chez son prochain autre ? Sans doute pas mes propres préjugés accrochés aux gestes perçus, aux paroles entendues de cet autre. En deçà de ces signes jetés en direction de cet autre que je suis ( en fait de quel autre s’agit-il ?), il y a un sujet qui exprime de l’être à sa façon et dans ses mots à lui, conditionnés par sa culture, son éducation. Cet être aspire à advenir à travers le sujet qui l’exprime. C’est dans l’anticipation de cette absence, assoiffée d’être, que se situe l’écoute. Ce type d’écoute impose un certain silence intérieur, un flottaison, une suspension de mes propres croyances, savoirs et préjugés, etc. C’est sans doute ce que FREUD appelait l’attention flottante.
 
- Apprenti franc-maçon, ; la règle du silence facilite la disponibilité de l’esprit pour l’observation, l’écoute de ce qui se passe là, la réflexion, l’imprégnation par l’ambiance, l’attention, la détente.
 
- Dans le monde conventionnellement dit profane, le silence est un langage qui souvent en dit long. Comme dit l’adage, si la parole est d’argent, le silence est d’or. Sa signification ne saurait être univoque. Elle est à situer chaque fois dans un contexte relationnel: silence de respect, silence de mépris, silence liée à la timidité, silence de recueillement collectif...
 
- Dans tous les cas chez l’être humain ce qu’on appelle silence ne saurait être opposé à la parole et au langage. Le silence est un élément de la parole. Il intervient dans l’échange et même donne à la parole toute sa plénitude : que serait-ce une phrase privée de ponctuation, ces temps de silence ?. C’est la ponctuation dans la phrase qui lui permet de faire sens pour autrui et qui rend compte, par le style, de l’être total qui anime l’être parlant (le parlêtre (J. LACAN).) De même que serait la musique sans les soupirs ?
 
- A un niveau spirituel, le silence est primordial. Il est au cœur de l’être. Il est la source d’où jaillit la parole «  Au début était le Verbe et le Verbe s’est fait chair » (St Jean)
La recherche du silence intérieur a suscité bien des techniques : méditation, prière, recherche de paix, recherche des signes de l’être en soi-même, recherche de l’appel, recherche de l’apaisement des passions, silence apaisant de la nature « quand tout change pour toi la nature est la même et le même soleil se lève sur tes jours,... » (LAMARTINE). Un ermite orthodoxe, SILOUANE, disait «  quand tout va mal, tiens-toi en enfer et attends ». Sans doute, le silence est-il le plus grand remède aux maux de l’âme et aux attaques « diaboliques ». Faire le silence intérieur permet de se recueillir, de se relier au monde, d’entrer en relation profonde , vraie avec le monde des choses, avec l’être du monde. Le silence intérieur permet au delà des préjugés, au delà même des mots, d’approcher le mouvement, la présence de l’être en soi, la création à son émergence, d’appréhender la chair de la vie, l’os du langage à sa source : c’est dans le silence intérieur que le poète trouve son inspiration, que le prophète perçoit l’invisible, que le sourd entend l’appel de la parole. Faire le silence intérieur permet de s’abreuver à la source d’où toute vie prend sens en dessinant le chemin propre à chacun. C’est ce recueillement que le Christ allait chercher dans le désert, ce désert qui devient source d’inspiration, de richesses intérieures, « bienheureux les simples en esprit, ; », d’émergence de la parole en tant que manifestation de l’être total. Cette parole, si elle tient au langage, n’a rien à voir avec le bavardage mais témoigne d’une vertu créatrice que l’homme porte au cœur de lui-même. « Dieu a crée l’homme à son image », il lui a donné la capacité de créer et avec elle la liberté. L’homme porte en lui, par la vertu de créer, l’essence même de son créateur. Il est à la fois parcelle et totalité divine. Esprit, souffle, parole, il en est le porteur et en même temps l’auteur. Le Temple de Dieu et sa construction en chacun de nous sont une et même chose. La créature contemple en elle-même son créateur....
 
Des conditions sont plus propices que d’autres au silence intérieur :
- l’immensité nue du désert,
- le silence étoilé de la nuit,
- le majestueux sublime des montagnes (la cime, le sommet)
- l’abîme des océans et des mers,
- l’architecture des temples et cathédrales,
- en général  les espaces infinis qui éveillent nos sens, nos oreilles à l’écoute d’une Parole-Toute que nul langage ne peut transmettre dans sa totalité, nos yeux à une vision de l’invisible partout absent et pourtant si présent à tout instant. On pourrait dire que c’est la conscience de l’obscurité qui permet à la Lumière de nous atteindre, Lumière souvent symbolisée par le feu.
Rappelons nous, dans la Bible et les Evangiles le mont Sinaï, le désert, lieu de prière (Jésus se retira dans le désert pour prier), le sermon sur la montagne ( ne dit-on pas conférence au sommet ?), l’immensité de la mer et tous ses symboles : la marche sur les eaux, la pêche miraculeuse, ,
 
Vénérable Maître, mes bien chers frères, je ne vous invite pas à une minute de silence mais à rentrer (dans le sens de retour) en vous-même, dans votre temple intérieur pour y écouter la musique qu’aucun instrument n’a jamais joué, pour y entendre la parole qu’aucune bouche n’a jamais prononcée, pour y voir la lumière qu’aucun soleil n’a jamais produite, pour y goûter le nectar qu’aucun fruit n’a jamais sécrété, pour y sentir le parfum qu’aucune substance n’a jamais dégagée, pour y découvrir le chemin que votre chair de vie déroule jusqu’à l’horizon infini du devenir. Et je suis certain qu’en cet instant aussi éternel que fugitif, la question de « qui suis-je ? » qu’à bien des instants de nôtre vie, vous et moi, nous nous sommes posés, ne nous traversera pas l’esprit.
 
Bernard DOULET

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