GLFF Loge : NC 2005

Le Silence au second Degré

Le nouveau-né qui a baigné dans le silence pendant 9 mois, exprime dans un grand souffle, le son qui brise ce silence et qui est l'expression de la vie. Est-ce dans le silence d'un souffle subtil que nous retrouverons, à nouveau, le Silence lors de notre passage à l'Orient Eternel ?

Entre les deux, notre existence est faite de silence et de parole.

Le silence était au commencement de l'homme animal, et le verbe rompant ce silence a été au commencement de la conscience humaine.

La meilleure façon de vous parler du silence, serait de laisser une page blanche, sans texte, que chacune de vous, mes Sœurs, prendrait le temps de lire!

Je pourrai, aussi, rester silencieuse, assise à ce plateau, pendant 1/4 d'heure. Mon silence serait éloquent. Mais très rapidement, il deviendrait gênant, car il ferait surgir en chacune de nous, des émotions impossibles à retenir très longtemps, rires, larmes, agitation, peur, angoisse.

Si garder le silence correspond, finalement, assez à ma nature profonde, prendre la parole, est un acte, beaucoup plus éloigné de moi.

Mais, qu’est-ce que le silence ? Contrairement à ce que l’on imagine souvent, le silence n’est pas le degré zéro du son, il n’est jamais absolu. Même au milieu du désert, il y a des bruits, comme celui du vent et du sable.

Le domaine de la parole, est donc bien étroit, et celui du Silence, bien vaste.

La vie profane engage peu, au silence et à la réflexion.

Tout le monde rend un culte à la parole, mais le silence est un dieu négligé.

Dans le monde profane, la plupart des gens s’imaginent qu’il faut à tout prix prendre la parole pour exister, alors que garder le silence permet de s’ouvrir.

Si l'on réfléchit aux conséquences lointaines, d'un mot qui nous échappe, on se persuade vite de la fréquente utilité du silence.

On sort toujours renforcé du silence. À condition de s’y plonger assez longtemps. Cinq minutes de silence apaisent, plusieurs heures ou jours, sont nécessaires pour atteindre son intériorité.

Tous les ordres contemplatifs ordonnent le silence, plusieurs heures par jour, quand ils ne le décrètent pas perpétuel, comme autrefois chez les cisterciens, et aujourd'hui chez les trappistes et les clarisses.

Loin de moi l'intention de minimiser la valeur du discours, sans lequel tout enseignement interprétatif, serait impossible, mais notons toutefois, que la parole repose sur un support matériel, qu'est la langue, alors que le silence, quand il est expérience de la présence de l'autre, ne repose, lui, que sur la seule volonté d'écouter et de dominer ses passions.

Il y a une éloquence du silence, qui pénètre plus que la langue ne saurait le faire, sans oublier, que la vraie éloquence se moque de l'éloquence.

Le langage met en péril la pensée quand il n'est pas maîtrisé. Il est important que l'esprit conserve toujours le témoignage silencieux, devant ce qui est dit, sans être jamais étourdi.

Est-ce que « parler pour ne rien dire » n'est pas la première des erreurs à éviter ? La parole et le silence sont liés ; n'est-ce pas parce, qu'à sa manière le silence signifie à travers les mots, autant que les mots signifient eux-mêmes ?

Les grandes douleurs sont muettes, dit-on, les grandes joies aussi. Tout ce qui est vraiment grand, parle peu. Peut-on dire que les réputations naissent et vivent dans le bruit, et que la gloire naît dans le silence.

Le silence est ce que nous sommes. Auto-révélation de notre état le plus profond, il signifie joie ou malaise, jouissance ou tourment d'exister, c'est à dire la forme que revêt la conscience

Le silence en tant que présence à soi nous fait prendre conscience de notre véritable place. Notre place vis à vis de nous-même et notre place vis à vis des autres.

Le Silence est l’équilibre absolu du corps, de l’esprit et de l’âme.

Quels sont les fruits du silence : " est-ce la maîtrise de soi, le courage vrai, l’endurance, la patience, la dignité et le respect. Le silence est la pierre d’angle du caractère ".

Finalement bien que nous n’y fassions pas attention, nous sommes bien plus souvent silencieux, qu’occupé à parler.

Sans le silence, la parole serait incompréhensible, pour la simple raison que ce sont les silences, qui permettent de distinguer, ou de séparer les mots, les uns des autres. Comment lire un texte, où toutes les lettres de tous les mots, seraient attachées les unes aux autres ?

Pourquoi lisons-nous, généralement silencieusement, les textes qui sont sous nos yeux, et non pas à voix haute, comme nous l’avons appris ? Cette intériorisation de la prononciation a fait une fois l’étonnement de saint Augustin. C’était lorsqu’il regardait lire son maître Saint-Ambroise. Si l’on en croit St-Augustin, St-Ambroise aurait été le premier des hommes de l’Antiquité, à lire des yeux sans articuler le texte.

En musique, ce sont les silences, qui donnent à la partition, sa construction, son harmonie, son rythme. Nous savons que le silence qui suit la musique de Mozart…c'est encore du Mozart

Nous vivons dans un monde où la verbalisation est la règle, et le silence l'exception. Dans le monde profane, le silence  produit souvent, tout a la  fois, le malaise, la gêne, la crainte de ne plus s'affirmer, voir de ne plus exister. La relation au silence appelle souvent l'angoisse et la tentation immédiate de le rompre. 

Effectivement  interprété comme une fin en soi, il n'aurait pas sens, et il agirait dans notre vie, avec des valeurs  négatives de solitude, de fuite, de régression.

Quelle est la valeur que chacune d'entre nous, accorde au silence, et corrélativement à la parole. Ce n'est plus alors de silence dont il faut parler, mais d'expérience du silence. En effet, puisque le silence ne peut pas être objet de connaissance, il ne peut donc être objet, que de l'expérience qui ne se dit pas.

Pour reprendre une terminologie empruntée à Claude Levi-Strauss, le silence serait la "nature pure", donc "l'inabordable", la culture étant la rupture définitive avec ce silence. Notre expérience humaine, nous porte à rechercher dans le silence, l'homme sage que Levi-Strauss évoque, à la fin de "Tristes tropiques" sous les traits d'un homme au pied de son arbre.

Dans la continuité de notre vie, il n'y a pas une forme de silence mais des silences, que la vie nous impose.

Le silence est un terme à plusieurs masques.

Rappelons-nous, le conte du GRAAL

Le premier silence est celui du roi Arthur lorsque Perceval le salue à deux reprises au point que celui-ci se demande "Par ma foi, jamais ce roi ne fit nul chevalier! Comment donc le saurait-il faire, lui dont on ne peut tirer une parole?".

Perceval avait la parole facile. Il questionnait sans relâche, les chevaliers rencontrés dans la forêt.

Pourtant, un jour, son Maître Gorneman, lui recommande, "Ne parlez pas trop volontiers. Qui parle trop, prononce des mots qui lui sont tournés à folie ».

Le silence divin était de bon augure, chez les Romains. C'était en quelque sorte, le silence approbateur des Dieux, laissant présager un déroulement heureux des évènements.

En littérature, nombre d'auteurs ont écrit sur ce  thème. Pascal : « le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie » rappelant ainsi, la petitesse de l'homme dans l'univers. Alfred de Vigny, dans la mort du loup : « la condition souveraine du savoir est le silence, car seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse »

Le silence est donc le moyen de signifier quelque chose, sans rien en dire.

Qu'en est-il de la différence, entre le droit de réserve et la loi du silence ?

Le silence citoyen est-il noble ou valorisant, ou terriblement lâche et castrateur ?

Que penser de celui qui dans un conflit, ou en marge de celui-ci, cache des choses, feins l’ignorance, car il n’a pas le courage, des conséquences d'une rupture de son silence ?

Il y a le subtil dosage de l’utilisation du silence entre le citoyen qui ignore volontairement la chose publique, et le dirigeant qui s’en drape, pour se maintenir dans ses avantages.

Il y a aussi le silence "mutisme" et "indifférence", le silence "négation de l'autre" qui accompagne les grandes tragédies de notre siècle.

"Faire parler les silences de l'Histoire" disait l'historien Jules Michelet.

Les silences de l'Histoire ne sont-ils pas autant l'Histoire que l'Histoire ?

« J’aime mieux laisser interpréter mes silences plutôt que mes paroles », déclara un jour Louis XVI à Malesherbes.

L'histoire recèle un grand nombre de ces silences-là, qui ne sont ni des oublis ni des interdits.

Le silence est intolérable quand il signifie complicité avec une barbarie. C'est par notre silence que nous devenons coupables de cette barbarie.

Plus que tous les autres, les régimes totalitaires se sont employés à dissimuler leurs agissements et leurs crimes au monde extérieur.

Le silence sur les génocides dont personne ne parle et que personne ne veut peut-être entendre.

Le silence est aussi, une forme de résistance désespérée. Bien trop d'enfants brimés, bien trop de femmes, dans bien trop de pays, parlent la même langue : le silence

La violence contre les femmes dans les conflits est l'un des grands silences de l'histoire.

Longtemps, les femmes furent absentes du récit de l’Histoire. Hormis quelques vies de saintes, reines ou courtisanes, on les ignorait. Un silence profond les enveloppait.

Les femmes font aujourd'hui du bruit. C'est en regard du silence, dans lequel les a tenues la société, depuis des siècles. Silence des exploits guerriers ou techniques, silence des livres et des images, silence surtout du récit historique.

Qui mieux que L’historienne Michelle Perrot, pouvait nous le montrer dans son livre, « les femmes ou le silence de l'Histoire » ?

Il y a le silence "absence" et "abolition de toute parole", celui de l'impossible intelligibilité des êtres et des choses, celui qu'on lit dans le regard des déportés des camps de concentration, lorsque les troupes alliées les découvrirent, l'impossibilité à ces rescapés d'exprimer l'horreur de ce qu'ils avaient vécu.

Peut-être qu'à la fin, nous nous souviendrons, non pas des mots de nos ennemis, mais des silences de nos amis, comme le dit si justement Martin Luther King.

La minute de silence, cet hommage que l'on rend aux morts, est peut-être un moyen de laisser s'exprimer les mânes des défunts.

En Occident, on attend souvent le décès d'une personne pour partager avec elle une minute de silence. Lorsqu'on cherche les mots pour encourager, supporter ou consoler, pourquoi ne pas inviter le silence ? « Rappelez-vous que le silence est parfois la meilleure des réponses. » a dit le Dalaï Lama

Sous l’effet de la concentration, le silence permet l’ouverture d’une sorte de passage. L’absence de prise de parole , autorise notre cerveau, à utiliser son énergie à écouter, à observer d’une manière, plus approfondie, pour capter des sensations et des émotions, qui nous sont imperceptibles, dans des circonstances habituelles.

Le silence se retrouve aussi dans des expressions comme : «  imposer le silence »ou «  passer sous silence  »,"silence -radio" « silence  de la presse »,  silence de l'armée dont on dit qu'elle est « la grande muette », «  silence des résistants  qui ont constitué « l'Armée du silence » silence qui contribue à la réussite d'un ouvrage, silence du promeneur loin de tout vacarme ; silence d'une cérémonie civile, militaire ou religieuse. Il est beaucoup d'autres silences, le silence lié à une brimade, à la souffrance. Il peut être reproche, attente, angoisse,  avant le résultat d'un examen, ou d'un verdict médical

Il peut être un enfermement à force de solitude. Ce sont, aussi, les silences dus à la maladie ou aux accidents de la vie.

Qu'est-ce que le silence de celui, sourd-muet, qui n'entend pas. Emmanuelle Laborit témoigne, dans le cri de la mouette, du mystère de ce qu'il y avait, avant le langage.

Le silence d'avant le langage, et le silence d'après l'acquisition du langage, n'ont pas le même sens.

Il y a une différence entre le silence et l’absence de bruit. Ce n'est pas la même chose qu'exiger le silence, et ne rien entendre. Ce n'est pas du tout la même souffrance. Ici le silence n’est pas absence de bruit, mais absence de communication

L'autiste, lui, reste emmuré dans son silence, et dans son impossibilité de contact avec les autres. Il se parle à lui-même, comme on peut l'imaginer d'un individu forcé à l'isolement et au silence. Que serait l'issue d'un homme qui n'aurait, même plus la possibilité d'échapper au silence, grâce à son imaginaire, sinon la folie ?

« Je renonce à la parole qui fait de moi un Autre, distinct du monde, et je laisse le monde parler en moi » dit Claude Lévi-Strauss.

L'expérience du silence se fait à partir d'une demande de fusion avec l'Univers, du retour à l'origine avant que JE-MOI n'existe, voie de la connaissance où la raison abdique en faveur de l'intuition dit Claude Levi-Strauss.

Parlons du silence partagé, celui qui unit deux êtres qui s'aiment dialoguant par leur simple présence ou même d'un simple regard. Ils ne se  taisent pas, ce qui sépare. Ils sont silencieux ce qui rapproche. Ils n'éprouvent pas le besoin de parler.

Je n'omettrai pas de parler du silence-discrétion qui est respect de la personne, du silence professionnel des métiers médicaux et de la justice.

Dans la vie profane, le silence est enseigné aux plus petits sous forme de jeu par le « chut » et le doigt posé verticalement sur la bouche.

C'est une invitation au calme. Il va se passer quelque chose. Le voilà prêt à écouter et entendre le message qui va suivre. Cette initiation au silence est l'apprentissage de la vie en société, de la tolérance et du contrôle de soi.

Harpocrate le Dieu du silence, tient, lui aussi, le second doigt sur sa bouche pour recommander le silence et la discrétion. En Grèce et à Rome, sa statue était fréquemment placée à l'entrée des temples, ce qui signifiait, qu'il faut honorer les dieux par le silence,

Nos silences en disent autant, sinon plus que nos paroles.

«Clore sa bouche, fortifie son âme » dit LAO-TSEU .

" Les lèvres de la Sagesse sont closes, excepté aux oreilles de la Raison ".

Dans la tradition SOUFI, il est dit «  Si le mot que tu vas prononcer n'est pas plus beau que le silence, ne le dis pas »

Le silence extérieur prépare au silence intérieur.

L'ascèse par le silence, qu'il s'agisse de méditer en union avec la nature, dans un monastère, aux pieds d'un lama ou d'un philosophe, pour admirer le lever ou le coucher du soleil, montre qu'il y a recherche de soi-même, une soif de quitter le monde des apparences, pour accéder à une forme de vérité.

Le silence n'est pas le  NON-PARLER Il est une entité positive « c'est un royaume invisible mais réel» .C'est à la fois Ténèbres et Lumière, Négatif et Positif

 Dans le Yoga, c'est la respiration contrôlée, qui permet à l'être de se concentrer, et devenir SILENCE.

Pour l'iconographe, la construction géométrique réalisée, il fait le « vide » par le jeûne, ainsi le silence s'installe. Il devient préoccupé seulement, par le texte sacré qu'il a sous les yeux, texte qu'il va écrire en images, pour qu'Autrui puisse le lire, avec ses yeux et son coeur

La sagesse chinoise nous dit

Pour commander,  apprends à obéir

Pour agir,  demeure immobile

Pour parler, apprends à te taire

Si tu prends la Parole

Que ce soit avec tout le soin et le talent  dont tu es capable

Si tu gardes le silence, il doit être complet. »

Le silence est un passage initiatique dans toutes les Philosophies et les religions.

La philosophie Freudienne - philosophie des profondeurs - nous permet d'aborder cette dimension philosophique en termes de « creux et d'abîmes, de grottes et de tombeaux ». Ce n'est pas neutre, car rien n'est plus sombre et silencieux que le fond des grottes.

Connaissons-nous le son du silence ? Dûrckheim « père fondateur » de la sociologie française nous dit :

" Là où le son du silence se fait entendre, est la méditation au-delà de l’objet "

Dans l’histoire du Petit Prince et sa célèbre phrase,

" Dit, dessine-moi un mouton "

Saint Exupéry, las de recevoir des refus sur ses dessins, finit par dessiner une boite fermée avec dedans, lui dit t-il...... un mouton.

Mouton que le Petit Prince trouve très beau et tout à fait comme il le souhaitait.

N’est ce pas un bel exemple de symbole, où la méditation, au-delà de l’objet, y trouve son sens, où les paroles donnent au silence son contenu, et le silence aux paroles, leur vie.

J'en arrive au silence en Franc-Maçonnerie .

La future initiée n'a pas encore frappé à la porte du temple, qu'elle subit déjà une épreuve. En effet, elle doit affronter le silence, dans le cabinet de réflexion. Dans ce lieu, la conjugaison de la pénombre et du silence, est propice à l'immersion en soi. Le silence qui y règne,  annule toute diversion et met la future initiée face à elle même.

Si le silence clôt la vie de la profane, c'est également, dans le silence que la Franc Maçonne va renaître et se voir donner la lumière, puisque l'initiation a cette faculté, de permettre symboliquement, une mort et une renaissance.

Le troisième voyage de l’initiation au grade d’Apprentie est également marqué par le silence... après la tempête

Le silence est important dans la démarche initiatique. On peut même dire, qu'il est tout aussi important que la parole.

Dans la loge, espace symbolique, modèle réduit de l'Univers, tout est ramené aux symboles.

Le silence existe sur le tableau d’apprenti. Il est l’espace qui entour les symboles. Il n’est pas nommé, car il n’est pas objet. Ces espaces, matérialisent le chemin de la pensée, le parcourt du regard, le temps de la réflexion.

Pour l'apprentie, au commencement est le silence.

La bavette relevée du tablier, "protège" des éclats de la pierre brute, comme le silence protège soi-même, les autres, la loge.

Pour l'apprentie, le silence est un point de repère. C'est sa boussole intérieure. Et qu'indique cette boussole, si ce n'est la direction du Nord ?

Le silence de l'Apprentie lui est imposé,  par la condition où elle est mise, ainsi que, par le but qui est le sien. Tout concourt à justifier cette contrainte qui apparaît comme la seule possibilité, de favoriser sa réflexion sur elle-même, en lui permettant, par l'introspection, de concentrer son énergie intellectuelle. Dégrossir la pierre brute en étant sujet et objet de son propre travail, se taire en maîtrisant ses passions, écouter de façon active en réinvestissant, par la réflexion, les connaissances acquises, tels sont les objectifs assignés à l'Apprentie. Et le silence n'est plus alors une contrainte, mais une chance qu'on découvre petit à petit, au fil du temps. C'est la qualité de l'apprentissage qui constitue le véritable enjeu du silence de l'Apprentie.

La prise de parole détournerait l'Apprentie de sa première mission : se connaître avant tout... Le silence intérieur c'est s'écouter vivre, se connaître, s'analyser; c'est le "connais-toi toi-même ".

Le silence imposé à l'apprentie n'est pas vécu,  en solitaire. C'est un silence partagé avec toutes ses soeurs.

Ce retrait de la parole lui permet de développer une autre écoute. Il ne favorise pas l'isolement, mais l'intégration, l'intégration de la parole de l'autre, et l'intégration, de l'apprentie à la Loge

En effet, il ne s'agit pas d'imposer un silence absolu, qui détruirait, comme le vide du mutisme.

Le silence dans « le Dictionnaire des Symboles » est opposé au mutisme. Le silence est un prélude d’ouverture à la révélation. Le mutisme est la fermeture à la révélation. Le silence donne aux choses grandeur et majesté. Le mutisme les déprécie et les dégrade. L’un marque un progrès, l’autre une régression.

Être astreint au silence pour l'apprentie,  ce n'est pas uniquement ne pas parler. Un silence qui n'est qu'absence de paroles, est vide, vide de vie, vide d'être.

Tout au contraire, il doit  procurer à l'apprentie un sentiment aigu d'exister car c'est un silence riche de mille facettes, qui va l'habiter et la construire.

Le silence de l'apprentie est un silence actif car il développe l'écoute attentive, la maîtrise de soi, l'humilité et le respect.

C'est  le silence de la patience, de celle qui apprend qu'il y a un temps, pour parler et un temps, pour se taire.

C'est un cadeau des Sœurs de la loge de permettre à l'Apprentie de garder le silence, acte de  sagesse car facteur essentiel de l'équilibre psychique de l'être humain baigné dans un Univers, et une Tradition inconnus de la nouvelle initiée.

Oswald Wirth a écrit "s'interdire de parler, pour s'astreindre à écouter, est une excellente discipline intellectuelle lorsqu'on veut apprendre à penser".

« Le silence est comme un lac disent les Pères Grecs, tant qu'il y a des rides à la surface, rien ne peut-être complètement réfléchi, ni les arbres, ni le ciel. Quand la surface est tout à fait calme, le ciel se reflète, parfaitement comme les arbres de la rive et tout est aussi distinct,  que dans la réalité».

Le silence de l'apprenti se rattache à la tradition des compagnons par une filiation directe. Jadis, parmi les tailleurs de pierre du Moyen-Age, l'apprenti se soumettait à l'autorité paternelle d'un maître, qu'il s'engageait à servir pendant 7 ans. Il n'était admis aux réunions corporatives, qu'à titre d'auditeur muet. Il était là pour s'instruire en silence et n'avait pas à prendre part aux débats et aux votes.

 Mais le silence de l'apprenti en loge remonte plus loin encore que le rituel des compagnons.

Dans l'antiquité, c'est Pythagore qui passe pour avoir le mieux compris la haute valeur du silence. Il soumettait ses disciples au silence pendant trois ans, puis il ajoutait cinq années, « estimant que c'est une maîtrise plus difficile que les autres que de maîtriser la langue ». Ce n'est qu'à la fin de cette période de formation, que ses disciples entamaient des études concrètes.

Plutarque écrivit à ce propos «Rien n'est aussi spécial à la philosophie pythagoricienne que l'usage des symboles, tels que ceux qu'on emploie dans la célébration des Mystères. C'est là une manière de parler qui tient à la fois du silence et du discours. »

Par le silence, l'apprentie observe le fonctionnement de son Atelier, observe ses sœurs,  Maîtresses et Compagnonnes  prendre la Parole, avec un rituel précis. Ce qui annihile  toute agressivité ou toute exaltation, sachant que personne n'interrompra cette Parole. Seul, « j'ai dit »  laisse la Parole à nouveau circuler. Ainsi peut régner l'ordre, la paix, la sérénité, aucun éclat de voix ne venant perturber le travail  de toutes.

L'Apprentie, tout en apprenant le langage du groupe apprend à produire sa propre Parole au lieu de reproduire celle des autres, à parler au lieu de réciter.

Cela peut lui sembler un échange inégal car elle reçoit et croit ne pas donner. Elle s'explore en profitant du travail des autres sœurs. Elle descend en elle-même pour se découvrir et découvrir l'Autre.

C'est  le silence qui permet la construction de son Temple intérieur. En est-il la forme supérieure la plus pure ?

Cet état de silence dans lequel se retrouve l'apprentie, ne doit pas apparaître comme une situation de confort et de passivité. En outre, il ne suffit pas de se taire en apparence. On peut très bien se caparaçonner sous une épaisse cuirasse de silence, et être en fait, au comble de l'inattention et du bavardage intérieur.

Le silence en loge ne traduit pas ici ni une absence de pensée, de réflexion, ni un désengagement, par rapport à ses convictions les plus profondes. Il renvoie donc  à l'humilité, qui grandit au fur et à mesure, que l'on travaille à dégrossir la pierre brute. C'est dans le silence de l'Atelier que l'Apprentie perçoit la richesse des symboles

Un mot encore sur le silence qui s’impose à la fin de la lecture d’un travail d’apprentie. Le silence de toutes les Sœurs, cette fois, moment de vide où Maîtresses et Compagnonnes sont aux abonnées absentes. Pour l’apprentie, c’est un nouveau temps d’épreuve, de désert, de nuit intérieure

Le silence de l'Apprentie est un silence fécond, prometteur, productif, qui participe à la germination de la Compagnonne et de la Maîtresse en devenir.

L'Apprentie n'est pas muette, en dehors du Temple  car elle participe aux travaux et s'exprime lors de son instruction.

Le  silence ne s'arrête pas à la colonne du Nord.  S'il est donc imposé aux apprenties, il est également consenti par les Maîtresses et les Compagnonnes.

C'est le silence régulateur .Celui qui autorise le bon déroulement de la Tenue en évitant les prises de parole intempestives qui nuiraient, sans doute, à l'harmonie et  à la concorde qui doit régner en loge.

C'est le silence aussi qui doit régner sur le parvis du Temple:avant que les Soeurs n'y pénètrent, marquant ainsi la renaissance de chaque Sœur  à la Loge, à chaque tenue.

C’est le silence qui règne sur les colonnes, annoncé par les 2 Surveillantes

Ce silence est donc vital, pour la construction de l'Edifice Commun, qu'est la  construction d'une  humanité plus fraternelle.

En Franc-Maçonnerie, nous devons travailler à un silence actif et ne pas nous reposer dans un silence passif. Sinon, en effet, sous le couvert d'un « silence approbateur », la parole de l'Autre est la seule qui soit exprimée, donc entendue. Elle peut se transformer en dogme, ou même servir les intérêts d'un tyran ou d'un dictateur.

Un silence passif ne va pas vers la vie, mais s'apparente à la mort. Traverser la vie en silence, est  synonyme d'inertie.

La Franc-Maçonnerie nous apprend à nous servir du silence, comme d'un outil afin de développer notre écoute interne, indispensable à la recherche de notre vérité intérieure. Le silence, c'est avant tout se retrouver seule avec soi-même. C'est une discipline qui permet d'apprendre à se connaître.

Le silence est une descente en soi pour essayer de s'élever. Le silence relie Autrui à soi, afin de s'oublier, en se tournant vers les autres, pour les écouter et les entendre.

Auto-révélation de notre état le plus profond, il signifie la joie ou le malaise, la jouissance ou le tourment d'exister, c'est-à-dire la forme que revêt la conscience.

Le silence des Franc-Maçonnes ne s'impose pas uniquement vis-à-vis des non-initiées. En Franc-Maçonnerie, pourrait-on dire que plus on monte dans les grades, plus on devient sage, et plus on devient silencieuse ? Si en tant qu'Apprentie, j'ai dû garder le silence lors des tenues, mes soeurs des grades supérieurs ont gardé, devant moi, le secret de certains symboles et de certaines planches, comme dans le futur, j'en garderai le secret, devant mes nouvelles Soeurs Apprenties.

Le silence en Franc-Maçonnerie, c'est  le silence de la patience, de celle qui doit savoir qu'il y a un temps pour parler et un temps pour se taire.

C'est le silence de l'humilité, de celle qui reconnaît ses limites et qui accepte alors, de s'ouvrir à une autre lumière. Le silence ne traduit pas ici, ni une absence de pensée, de réflexion, ni un désengagement, par rapport à ses convictions, les plus profondes. Il renvoie donc  à l'humilité qui grandit au fur et à mesure que l'on travaille à dégrossir la pierre brute.

C'est le silence de l'apaisement, qui empêche de se laisser emporter par l'impulsivité, et qui permet de tenir en laisse les passions, puisque la Franc-Maçonne est aussi celle qui vient vaincre ses passions.

C'est le silence du dépouillement. Nous devons apprendre à désapprendre pour revêtir la femme nouvelle, que nous aspirons à être. Il autorise alors, à faire le point, et à prendre ses nouvelles  marques.

C'est le silence de l'égalité. Il est imposé a toutes les Sœurs, quels que soient leurs âges, leurs niveaux de savoirs, leurs positions sociales.

Dans la loge, le silence est respecté par toutes les Sœurs car une seule " à la fois " a l’autorisation de parler lorsque la Vénérable Maîtresse ou une des deux Surveillantes lui accorde la parole. Cela signifie que lorsque qu’une Soeur parle, les autres Soeurs ne le peuvent pas et ont l’obligation d’attendre, à leur tour dans le silence, que leur soit accordé le droit de s’exprimer.

Le silence de la Franc-Maçonne pendant la parole de l'autre, l'octroi de la parole par les Sœurs Surveillantes, le silence dans l'écoute de la Vénérable Maîtresse lors de la Chaîne d'union, le déplacement en silence de la Sœur Experte et des Soeurs relèvent du rituel auquel chacune participe. L'Apprentie par sa présence, et son silence participe pleinement à ce rituel.

C'est le silence de l'intériorité dont je parlais tout à l'heure. Il  invite à rentrer en nous même, pour trouver la lumière.

C'est le silence actif de  l'écoute. Il prédispose alors à une attitude attentive et à la disponibilité envers la parole de l'autre. Il permet d'aiguiser la réflexion et le discernement sur le sens des symboles et constitue ainsi une  préparation pour s'exprimer.

C'est le silence de la prudence, de celle qui pèse ses mots et ne juge pas trop hâtivement.

C'est le silence de la circonspection, de celle qui veut éviter tout verbiage inutile.

C'est le silence vertueux du respect de la parole. Il  se présente comme le garant de la transmission de la parole. Il est un espace qui prépare la parole. On pourrait sans doute dire, une offrande faite à la parole de l'autre. La parole serait stérile si elle n'était pas fécondée, par l'écoute attentive générée par le silence. Il est alors  synonyme d'engagement, du fait qu'il renvoie à l'action d'écouter. Aucune compréhension mutuelle, aucune fraternité n'est possible sans l'écoute préalable de l'autre. Le silence permet de tisser des alternances de temps d'intériorisation, de moments pour recevoir et accueillir la parole, de temps d'extériorisation pour parler ou plutôt pour transmettre. C'est le silence de la communion et du recueillement lors de  la chaîne d'union.  Le silence de la loge, à ce moment, agi comme un lien invisible.

C'est le silence préventif, garant de la non divulgation, des secrets qui nous ont été confiés. Celui qui se rapporte au serment prêté lors de la cérémonie d'initiation  et qui est renouvelé a  la fin de chaque Tenue

C'est  in fine, le silence de la sérénité, de la satisfaction du travail accompli.

A chaque stade d'une vie Maçonnique, il y a l'exigence de garder le silence.

En Loge, Apprenties et Compagnonnes n'ont pas les mêmes droits en matière de prise de parole.  Leur silence n'a ni le même rôle, ni les mêmes enjeux

Pour la Compagnonne, à qui la parole est redonnée, le silence est encore plus important. Le niveau de ses connaissances renforce, plus encore, les obligations qui lui sont faites et pour lesquelles elle a prêté serment.

Dans le même ordre d'idée, on retrouve dans La flûte enchantée de Mozart de nombreuses allusions au silence. Papageno est puni par les trois fées pour s'être vanté faussement d'avoir tué le serpent et sauvé Tamino. Celles-ci lui ferment la bouche, à l'aide d'un cadenas d'or, qui rappelle le rituel des loges féminines d'adoption de la dernière moitié du XVIII e siècle, rituel dans lequel on plaçait sur la bouche des futures Compagnonnes, un sceau dit de "la discrétion".

En ce qui la concerne, la Compagnonne doit avancer dans la connaissance et pénétrer plus avant les mystères de l'initiation. Ces mystères sont de l'ordre de l'intangible, ils ne sont pas écrits et, pour les posséder, il faut les découvrir par soi-même, à force, de méditation, portant sur les symboles dont il convient de trouver le sens caché. A titre d'exemple, méditer sur le silence, c'est l'envisager comme porteur de valeurs qui ne sont pas données d'avance, mais que nous avons à découvrir de façon personnelle à partir de notre vécu, en Loge comme à l'extérieur de la Loge.

La Compagnonne doit encore faire preuve d'une très grande prudence dans l'exercice de la parole. Son silence d'Apprentie l'y a préparé. Et à y regarder de plus près, elle n'a pas toute la parole, au sens le plus large du terme, puisqu'elle ne peut pas voter, donc participer activement aux décisions. Cette impossibilité peut être considérée comme une autre forme du silence, dont le rôle est de rappeler à la Compagnonne, que l'Initiée se fait elle-même, par degré, et que les rites initiatiques n'ont pas d'autre but que de tracer un chemin et que rien n'est jamais acquis. L'enjeu de ce qu'on pourrait appeler "l'autre silence", c'est la qualité de la préparation au grade de Maîtresse, comme pour montrer que le silence de l'Apprentie se prolonge, sous une autre forme, pour la Compagnonne.

De l'expérience de silence que j'ai vécue en Loge, tant sur la colonne du nord que sur celle du midi, j'ai essayé de résumer mes impressions en les traduisant en 3 grandes idées : le silence comme espace nécessaire à l'épanouissement de la pensée, le silence comme méthode d'appropriation de la connaissance et enfin le silence comme distanciation par rapport au langage.

C'est dans l'écoute silencieuse, que le discours se pose, acquiert tout son sens et révèle sa finesse. Le silence libère l'esprit et crée un espace où les mots résonnent d'une façon si particulière, qu'ils déploient la plénitude de leurs couleurs. Etre capable d'imaginer un tel espace relève d'un travail sur soi-même, un travail de mise à disposition de soi. Le silence devient alors, un abandon momentané et volontaire de soi, pour donner à l'autre, la possibilité d'être, de parler et d'agir en être libre. Pour se mettre en phase avec lui et le reconnaître comme un autre soi-même.

D'autre part, le silence est émulation. Il est préférable de se taire quand on sait, à partir du moment, où ce silence a pour but, de permettre à quelqu'un qui sait moins, de découvrir par lui-même et exprimer ce qu'on aurait pu dire avec une facilité qui relèverait alors plus de la vanité. Le silence de celui qui sait, c'est la possibilité offerte à celui qui apprend, de découvrir par lui-même, donc d'accéder à la connaissance. L'un et l'autre s'enrichissent mutuellement, l'un dont l'effacement volontaire, et le refus de la facilité, souligne l'esprit fraternel. L'autre dont les efforts sont récompensés, par la conscience d'avoir progressé.

Parler est un instant privilégié, dans la vie de la  Franc-Maçonne. C'est l'instant pendant lequel notre cœur doit s’ouvrir et offrir nos plus fraternelles paroles à celle qui nous honore de son silence.

Finalement, apprendre le silence, revient à apprendre à maîtriser la parole et à communiquer véritablement. C'est aussi apprendre la valeur des mots, leur relativité dans les relations avec autrui. C'est enfin apprendre à considérer l'autre avec ses différences, comme un autre soi-même, pratiquant ainsi les trois vertus qui fondent notre Ordre : la Liberté, l'Egalité et la Fraternité.

La loi du silence maçonnique possède l'avantage de rapprocher les Sœurs et Frères car en partageant les rites et rituels, les Francs-Maçons possèdent un patrimoine commun pratiquement identique sur toute la totalité du globe qui n’est connu, que d’eux seuls.

La Franc-Maçonne doit donc se tenir à égales distances de toutes les dualités, du blanc et du noir, du juste et de l'injuste et savoir mesurer, parole et silence et voir ainsi en ce dispositif, l'ordre parfait

Tout a un commencement, tout a une fin, il est un temps pour parler et un temps pour se taire.

Si j'ai imprimé au fond de moi les symboles de mes années d'apprentissage, maintenant que je suis sur la colonne du Midi éclairée par le Soleil, je n'en n'oublie pas, que la parole est d'argent, et le silence est d'or. Je vous citerai Montaigne : "la parole appartient à moitié à celui qui parle à moitié à celui qui écoute".

La parole est lumière quand elle est maîtrisée. Elle est l'expression de la Fraternité. Dire cela, c'est affirmer du même coup, que sans le silence qui la prépare, la mûrit, lui donne une âme, elle ne serait, rien que du bruit. C'est cela le rôle du silence en Loge, silence appris, intériorisé et vécu.

La Franc-Maçonne est invitée à respecter le silence pour mieux comprendre elle-même et pour pénétrer, au cœur de la personnalité d'autrui.

C'est en faisant la paix avec nous-même, en nous-même, que nous atteindrons un silence serein qui nous permettra de poursuivre toujours plus loin, notre chemin intérieur.

En Franc-Maçonnerie.:

Garder le silence n’est pas un synonyme de « se taire »,

Garder le silence ne doit pas faire croire « que l’on n’a rien à dire »,

Garder le silence ne veut pas dire « que l’on ne doit qu écouter ».

En Franc-Maçonnerie

Prendre la parole n’est pas un synonyme de « tais-toi »,

Prendre la parole ne doit faire croire « qu’on a tout dit »,

Prendre la parole ne veut pas dire « que l’on doit nous écouter ».

N’oublions pas que le silence est un lien. Au cours d'une méditation, la nuit de préférence, c’est en silence, que notre cœur écoute la poétique résonance des paroles des êtres qui nous ont quittés.

Élevé à sa véritable dimension, le silence est avant tout une discipline libératrice qui doit distinguer, l’initiée, la Franc-Maçonne, de tout autre.

Le silence renvoie donc, à l'humilité qui grandit au fur et à mesure, que l'on travaille à dégrossir la pierre brute.

Il est temps de conclure et de dire que le silence est aussi la fin du discours. Il en est le terme. Il en est aussi l’achèvement, dans la mesure où le discours est une parole, en quête de silence.

J’ai dit.

I\ C\ponse à nos questions,


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