Obédience : NC Loge : NC 13/05/2008


Le Silence

Quand mon 2de surveillant m’a donné le sujet de ma planche d’augmentation de salaire, elle a dit : « le Silence », puis a précisé : « de l’Apprenti ». Elle sait,… que j’ai tendance à m’éparpiller.

J’étais très enthousiaste à l’idée de ce travail mais, passée l’excitation et après un long Silence, j’ai réalisé que j’allais grandir, avec tout ce que cela signifiait. Et, c’est difficile de grandir, cela fait peur.

Je suis née du silence du ventre de ma mère, je me souviens de mes jeunes années, de son exemple au quotidien qui est certainement à la base de ma personnalité.
Je me souviens aussi du silence de mon père, je comprends maintenant qu’il a façonné une partie de mon caractère.
De ma période pastorale, je retiendrai les longs moments de silence, à la montagne avec les chèvres, quand j’écoutais d’un œil distrait l’odeur si forte du maquis. Ces moments étaient : apaisement, calme, contemplation, communion et peut-être premiers moments de réflexion. Je me rends compte aujourd’hui qu’il me manquait la Franc-Maçonnerie.

Mais qu’est-ce que le silence ?

Le Silence n’est pas l’absence totale de son, mais l’absence de perception d’un son par un être humain.

John Cage, compositeur et poète, a, vers la fin des années 40, visité la chambre insonorisée de l’université d’Harvard. Il s’attendit à entendre le silence lorsqu’il entra, mais ne perçut que deux bruits, un aigu qui selon les explications de l’ingénieur en charge était le son de l’activité de son système nerveux et un grave qui était le son du sang qui circulait dans son corps.
C’est à ce moment qu’il réalisa l’impossibilité de trouver le silence. Cela le mena à composer son morceau le plus populaire : 4’ 33’’.
En 1952 David Tudor à interprété ce morceau au Maverick Concert de Woodstock à New-York. Le public l’a vu s’asseoir au piano, soulever le couvercle et laisser ses mains au dessus des touches de l’instrument. Après un moment, il ferma le couvercle et se leva. Le morceau avait été joué et pourtant aucun son n’était sorti. Les gens ont commencé à chuchoter l’un à l’autre et certains sont partis. Ils n’ont pas oublié, 50 ans après ils sont encore fâchés.
Ce que voulait l’auteur, c’est que quiconque aurait écouté attentivement, aurait entendu des bruits involontaires. Ce sont ces bruits imprévisibles qui doivent être considéré comme la partition de musique dans ce morceau.
Cage cherche à remettre en cause les idées reçues et à provoquer une réaction d’écoute attentive.
 
Dans un autre domaine, Marc De Smedt, dans « Éloge du silence », met en exergue ce précepte Soufi : « si le mot que tu vas prononcer n’est pas plus beau que le silence, ne le dit pas », et dans son livre, il rapporte cette histoire :
Deux moines, un jeune et un patriarche, se promènent sur un plateau désert. Le jeune nommé demande : « Maître, qu’est-ce que le silence ? »Le patriarche ne répond pas et continue sa promenade ; Le plus jeune : « Maître, Maître, il y a paraît-il un secret dans le zen, Bodhidharma ne parle-t-il pas d’un secret, de la pratique de la sagesse pure, dont la substance serait le silence et la vacuité, Maître, je veux savoir, qu’est-ce que le secret, qu’est-ce que le silence ? »Le patriarche reste muet et poursuit son chemin, suivi du jeune disciple qui répète : « Maître, Maître, qu’est-ce que le silence ? »Ils parviennent en bordure d’une falaise. Un arbre surplombe le vide, presque à l’horizontale. Le vieux moine ordonne à son jeune ami : « Marche en équilibre le long de cette branche. » Le jeune moine, avec prudence, avance au-dessus du vide. « Maintenant, dit le patriarche, arrête-toi, baisse-toi, mords très vite la branche entre tes dents et suspends-toi dans le vent comme un fruit vert que tu es ! ». Le jeune moine, très inquiet mais très discipliné, obéit à son maître, et bientôt il est suspendu au-dessus du vide, retenu par ses seules mâchoires. « Maintenant, lui dit le maître, dis-moi, qu’est-ce que le secret, qu’est-ce que le silence. »

Et si le Silence était le secret. Parce qu’on ne peut pas « dire » le Silence, il ne peut être que vécu.

Parce qu’on ne peut pas traiter le silence sans évoquer la parole, le verbe, il me revient en mémoire la planche de notre S.. Marie-Jo sur la communication dont le titre est : « Comment informer ? - Comment s’informer ? ».
Je me souviens aussi d’un cours de philo ou le prof nous avait demandé de décrire à un partenaire un objet ou une forme que celui-ci devait reproduire. Cet exercice nous a permis de nous rendre compte que l’autre n’entend pas forcement ce que nous semblons dire.
C’est le moment de citer Georges Ivanovitch Gurdjieff : « Pour être compris d’un autre homme, il ne suffit pas que celui qui parle sache comment parler, il faut que celui qui écoute sache comment écouter. »

Voici comment est né le Silence de l’Apprenti.

Vers 1440, en Écosse, débute la construction de la chapelle de Rosslyn qui est connue à cause de la complexité de sa décoration et par les histoires fantastiques qui y étaient attachées.
Voici la légende de l’Apprenti qui concerne la construction du pilier nord du chœur de la Chapelle que l’on nomme aujourd’hui pilier de l’Apprenti.
Le Maître Tailleur de Pierre en charge de la réalisation des piliers de la Chapelle se trouva en difficulté quant à la réalisation du Pilier Nord du Chœur. Les plans que lui avait fournis le Maître Architecte impliquaient des techniques inconnues de lui. Il se rendit donc en Italie afin d’observer l’Art flamboyant des sculpteurs.
Durant son absence, son Apprenti, resté sur place sans instructions précises, continua l’œuvre en se remémorant du mieux qu’il put, les techniques qu’il avait apprises par l’observation, l’étude et la pratique assidue de la répétition des gestes du Maître. C’est ainsi qu’il réalisa de façon parfaite le Pilier en question.
À son retour d’Italie, le Maître constata que non seulement le pilier était terminé mais en plus qu’il s’agissait d’un véritable chef-d’œuvre.
 
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Cela le mit dans une telle rage qu’il pourchassa l’Apprenti, le frappa et l’acheva au pied du maître-autel.
Le silence et les remords s’abattirent alors sur une œuvre qui resta le lieu de recueillement des maîtres de la maçonnerie anglaise et écossaise jusqu’à 1736.
Pour l’Apprenti d’aujourd’hui, de cette légende, il reste le silence et l’étude.
Le Maître se devra, lui d’être à l’écoute du maçon nouvellement initié et lui enseigner le moyen de déterminer la place qu’il devra accorder au Silence dans son Apprentissage de la Franc-Maçonnerie. Car, à la fin, après les mots, les symboles et l’agitation de sa réception, le néophyte va découvrir que la caractéristique première de son grade, le silence restera toujours un outil de construction privilégié.

La première expérience du silence se fait dans le cabinet de réflexion ou nous nous trouvons face à nous-mêmes pour rédiger notre testament philosophique.


Puis viens l’Initiation, c’était à peine tout à l’heure, et le serment. « Je promets solennellement de ne jamais révéler aucun des mystères de la Franc-Maçonnerie qui vont m’être confiés. »
 
De la Franc-Maçonnerie, je ne connaissais que ce que les SS\ Et les FF\ De mon entourage m’avaient laissé entendre, c'est-à-dire deux mots récurrents : Tolérance et Fraternité.

Et voilà que je suis assignée au silence ! Pourquoi ce manque de Tolérance ? Qu’elle est cette Fraternité ?

Quelle réaction stupide de ma part ! Mais je suis jeune et j’ai encore un pied dehors, un pied dedans. Les fameux métaux.
Donc, en tant que nouvelle initiée je suis tenue de garder le silence, d’écouter, et de me taire jusqu'à mon accession au grade de compagnon.
Là, va commencer mon travail, accepter, comprendre et tirer parti de ce Silence.

J’étais frustrée de ne pas pouvoir parler mais je me suis vite rendu compte que finalement cette positon était confortable parce que j’aurai certainement voulu, avec impatience parler pour ne rien dire. Et oui, vous le savez tous, la parole est d’argent mais le silence est d’or.

À la naissance, nous ne savons pas parler, nous apprenons. Après l’initiation, la renaissance, le silence est un nouvel apprentissage de la parole, pour que celle-ci soit juste, pondérée, à propos. Les instructions nous permettent d’affiner et de compléter le travail du silence. Nous n’avons pas tous, heureusement d’ailleurs, la même perception des choses et l’échange est très enrichissant. Nous avons eu la chance d’être jusqu'à 6 Apprentis, c’était : je partage, tu partages, il partage, nous partageons……Parce que, je t’écoute, tu m’écoutes, nous nous écoutons.

Le Silence est le 1er outil, il donne la possibilité d’utiliser ensuite le maillet et le ciseau qui permettront la taille de la pierre brute comme nous en a si bien parler Annick.

En Franc-Maçonnerie l'enseignement et les outils sont symboliques. La "matière" à travailler est soi-même. Il est donc indispensable d'apprendre le maniement correct des outils et de prendre pleinement conscience de soi.
La formation se fait dans le silence et par l'observation attentive.

Personnellement, j’ai vécu cette période de silence en 3 phases :
D’abord l’observation, moments de découverte, je regarde tout ce qui s’offre à mes yeux.
Puis l’écoute, mais je me rends compte que cela n’est pas efficace.
Alors vient, l’écoute attentive ou entendement, celle qui va me permettre de marcher l’amble pour poursuivre ma route vers une nouvelle étape, un nouveau voyage peut-être.

Dans le monde profane la parole précède le silence tandis qu’en Franc-Maçonnerie la parole suit le silence. Je me surprends à être silencieuse aussi dans la vie courante, les gens qui me connaissent ne sont pas habitués, ils me demandent : « ça va Dumè ? »
 
Mais pourquoi le silence ?

Parce que le silence est simplement se taire.
Christian Bobin disait : « Il est parfois nécessaire de se taire pour délivrer une parole juste. »
Nous nous disons : « ùn digu nunda per ùn dì ne troppu ! » (Je ne dis rien pour ne pas en dire trop !) j’ai toujours aimé cette phrase que j’ai entendu la première fois au village dans la bouche d’un des anciens qui ne savait ni lire ni écrire….    lui non plus.

Parce que le silence est écoute.
De la parole, du rituel, de la colonne d’harmonie.

Parce que le silence est réflexion.
Sur ce que j’entends, ce que je vois, ce que je perçois, ce que je comprends et ce que je ne comprends pas.
Parce que le silence est participation.
Lors des agapes nous pouvons poser des questions et bénéficier de la connaissance et de l’expérience des Maîtres.
Ce n’est pas la peine de nous répondre : « cherche et tu trouveras. » Les Maîtres ont la responsabilité et le devoir d’éclairer les Apprentis.

Parce que le silence est partage.
Partage entre Maçons pour aller plus loin ensemble.

Parce que le silence est communication.
Je me pose beaucoup de questions et souvent les réponses me viennent des colonnes ou de l’Orient et j’ai l’impression d’avoir participé.

Parce que le silence est la base.
Il est le mortier qui soude les pierres de la construction.

Si la base est faussée, l’édifice est détourné.

Et puis il y a le dernier Silence, celui de nos FF\ Invisibles, celui qu’à rejoint notre Frère René il y a quelques jours. Parce que le silence a toujours le dernier mot !

Maintenant je sais que ce Silence imposé est l’outil le plus précieux mis à notre disposition. Il est un véritable cadeau.
Mes SS\ Et mes FF\ Vous m’avez fait ce cadeau, vous m’avez offert le Silence pour qu’au plus profond de moi se réveille la conscience, se réveille la pensée, se réveille la beauté.
Pour que cette transformation se matérialise et s’exprime, mes SS\ Et mes FF\, maintenant, donnez-moi la parole !

J’espère que vous aurez eu autant de plaisir à écouter cette planche que moi à la tracer.

Puisque la parole ne circulera pas sur les colonnes, je vous propose, si notre Vénérable Maître est d’accord, d’écouter quelques notes de cette magnifique chanson de Simon & Garfunkel : « The Sound of Silence ».

J’ai dit.

La Sœur Dominique Q\ T\ L\

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